C. UN ACCORD QUI S'INSCRIT DANS LE CADRE D'UNE CRISE POLITIQUE ET INTERNATIONALE

1. De la crise politique

Alors que le projet d'accord d`association de l'Ukraine avec l'Union européenne ne paraissait pas poser initialement problème à la Russie, celle-ci fait pression à l'automne 2013 sur le gouvernement de Viktor Ianoukovitch pour qu'il renonce à sa signature, envisagée au sommet du Partenariat oriental de Vilnius le 28 novembre 2013, et qu'il se tourne vers l'Union eurasiatique , projet alternatif d'intégration économique qu'elle promeut auprès des pays de l'espace post-soviétique et pour la crédibilité duquel la participation de l'Ukraine est essentielle.

L'Union eurasiatique

L'Union économique eurasiatique, dont le traité fondateur a été signé à Astana le 29 mai 2014 , vise à approfondir l'intégration réalisée dans le cadre de l'Union douanière Russie-Biélorussie-Kazakhstan, créée le 1 er janvier 2010 (prévoyant l'instauration d'une libre-circulation des marchandises et des services), et de l'espace économique commun établi entre ces trois Etats le 1 er janvier 2012 (qui complète l'Union douanière par la libre-circulation des capitaux et des travailleurs).

Entrée en vigueur le 1 er janvier 2015 , l'Union économique eurasiatique rassemble quatre États : la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan et l'Arménie (qui l'a rejointe le 9 octobre 2014). Le Kirghizstan a, quant à lui, signé un traité d'adhésion le 23 décembre 2014, qui n'est pas encore entré en vigueur.

Le 20 novembre, le président Ianoukovitch annonce officiellement qu'il suspend le processus de négociation. Cette volte-face inattendue déclenche un soulèvement populaire et l'occupation par les manifestants du Maïdan , la place de l'indépendance à Kiev. Si les premiers rassemblements visent à protester contre la non-signature de l'accord d'association et à manifester un sentiment pro-européen, c'est bientôt le régime politique en place et le système qu'il représente (corruption, prédation...) qui sont mis en cause.

Sourd à la contestation, Viktor Ianoukovitch confirme son rapprochement avec Moscou, en signant le 17 décembre 2013 une quinzaine d'accords avec la Russie, qui concèdent notamment à l'Ukraine une réduction des tarifs gaziers et un prêt de 15 milliards de dollars, dont son économie a grandement besoin.

L'adoption, le 16 janvier 2014, de lois restreignant les libertés publiques et les violences policières qui s'ensuivent, débouchent sur une grave crise politique qui trouve son issue, après une vaine tentative d'amender le régime (accord signé le 20 février 2014 entre le président Ianoukovitch et l'opposition, dans le cadre d'une médiation opérée par les ministre des affaires étrangères du triangle de Weimar), dans le départ de Viktor Ianoukovitch et l'instauration d'un gouvernement de transition dirigé par Arsenii Iatseniouk .

2. A la crise internationale

A compter du départ de Viktor Ianoukovitch, que la Russie considère comme lié à un coup d'Etat, se refusant à reconnaître les nouvelles autorités au pouvoir, le pays bascule dans une crise à la fois interne et internationale .

Dès le 27 février 2014, des hommes armés pro-russes, cagoulés, en uniformes militaires sans insignes, s'emparent du siège du Parlement et du gouvernement à Simféropol en Crimée. Le 1 er mars, le Parlement russe autorise le Président Poutine à recourir « aux forces armées russes sur le territoire de l'Ukraine ». Le 16 mars, un référendum organisé illégalement en Crimée entérine la victoire présentée comme écrasante - mais invérifiable - de la demande de rattachement à la Fédération de Russie . Le traité rattachant la Crimée et la ville de Sébastopol à la Fédération de Russie est signé le 18 mars à Moscou . Le 20 mars, un décret présidentiel russe institue deux nouveaux sujets de la Fédération de Russie.

Portant atteinte à l'intégrité territoriale de l'Ukraine et au droit international dans la mesure où elle contrevient à l'article 2.4 de la Charte des Nations-Unies, mais aussi au mémorandum de Budapest du 5 décembre 1994 organisant la dénucléarisation de l'Ukraine 1 ( * ) , cette annexion-éclair déclenche une première série de sanctions de l'Union européenne contre des personnalités russes et ukrainiennes.

Cet épisode est suivi, à compter d'avril 2014, du soulèvement d'activistes pro-russes dans plusieurs villes du sud-est de l'Ukraine (Donbass) qui occupent des bâtiments officiels et mènent, avec le soutien matériel et humain de la Russie qui s'en défend, une rébellion armée contre les forces ukrainiennes. Le 11 mai 2014, les régions de Donetsk et de Lougansk proclament leur autodétermination par des « référendums » non reconnus par l'Ukraine et la communauté internationale.

La rencontre à l'initiative de la France, entre le nouveau Président ukrainien Petro Porochenko, élu le 25 mai, et le Président russe Vladimir Poutine, organisée en marge des commémorations de la fin de la deuxième guerre mondiale en Normandie, le 6 juin 2014, semble permettre une reprise du dialogue entre les deux pays.

3. Les initiatives internationales pour enrayer le conflit

Pourtant les tensions s'aggravent pendant l'été (crash, le 17 juillet, d'un avion de la Malaysian Airlines transportant 298 civils, abattu par un missile, poursuite des combats...). Après une accentuation des sanctions (notamment l'adoption par l'UE de sanctions économiques contre la Russie) et l'échec de plusieurs tentatives de faire cesser les hostilités, un accord en 12 points prévoyant un cessez-le-feu est signé à Minsk le 5 septembre 2014 entre le groupe de contact de l'OSCE (Russie, Ukraine, présidence suisse de l'OSCE) et les séparatistes . Cet accord est complété par un mémorandum précisant les modalités de mise en oeuvre du cessez-le-feu, signé le 19 septembre 2014 . Sont notamment prévus l'instauration d'une zone tampon démilitarisée, dont la surveillance est confiée à la Mission spéciale d'observation de l'OSCE en Ukraine (MSOU), un « statut spécial » et des élections anticipées pour les régions contrôlées par les séparatistes.

Dans le même temps, l'Union européenne manifeste une attitude conciliante vis-à-vis de la Russie en organisant en juillet et en septembre 2014 des consultations trilatérales avec celle-ci et l'Ukraine pour identifier les problèmes que l'accord d'association pose à la Russie et tenter d'y remédier. Dans ce cadre de ces consultations, l'UE accepte , le 12 septembre 2014, de repousser la mise en oeuvre de l'application provisoire du volet commercial de l'accord d'association au 1 er janvier 2016 , alors qu'elle aurait dû intervenir dès le 1 er novembre 2014.

Le 30 octobre, dans le cadre d'une négociation menée sous l'égide de la Commission européenne, l'Ukraine et la Russie trouvent un accord permettant de rétablir les livraisons de gaz que cette dernière avait suspendues.

Sur le terrain, pourtant, le cessez-le-feu prévu par l'accord de Minsk n'est pas vraiment respecté , les combats se poursuivant avec une intensité plus ou moins forte, les phases de tensions alternant avec les trêves. Les autres points de l'accord de Minsk sont en grande partie restés lettre morte.

Mi-janvier 2015, la situation se dégrade de nouveau (attentat contre un bus près de la ville de Volnovakha, intensification des combats autour de l'aéroport de Donetsk et du noeud ferroviaire de Debaltseve...). Dans ce contexte, le Président français François Hollande et la Chancelière allemande Angela Merkel décident de s'impliquer fortement pour trouver une sortie de crise au conflit : ils provoquent la réunion d'un sommet des chefs d'Etat de gouvernement en format dit « de Normandie » (France, Allemagne, Russie, Ukraine) à Minsk les 11 et 12 février 2015 et obtiennent à cette occasion la signature par le groupe de contact et les séparatistes d'un « Paquet de mesures pour la mise en oeuvre des accords de Minsk » , dits « accords de Minsk II », dont les quatre chefs d'Etat et de gouvernement se portent garants à travers une déclaration conjointe .

Le « paquet de mesures pour la mise en oeuvre des accords de Minsk »

(12 février 2015)

Ce document traite à la fois de la situation sur le terrain (cessez-le-feu, retrait des armes lourdes, contrôle de ce processus par l'OSCE et, à terme, rétablissement du contrôle de l'Ukraine sur sa frontière avec la Russie) et du processus politique nécessaire à la résolution de la crise (statut spécial, décentralisation, amnistie, élections).

Il fixe un calendrier pour le respect des engagements de chacune des parties, dont le point de référence est le début du retrait des armes lourdes.

Un mécanisme de suivi « en format Normandie » est prévu pour résoudre les difficultés d'application du Paquet et veiller à sa stricte mise en oeuvre par l'ensemble des parties. Annoncé par la déclaration conjointe de la chancelière et des présidents français, russe et ukrainien, ce mécanisme a été mis en place au niveau des vice-ministres/directeurs politiques. Deux réunions ont eu lieu à ce jour : le 6 mars à Berlin et le 25 mars à Paris.

Sur le fond, les orientations fixées par le « Paquet de Mesures » ne diffèrent pas de celles figurant dans les accords dits de Minsk I (5 et 19 septembre 2014), à savoir le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de l'Ukraine , le lancement d'un dialogue entre Kiev et les représentants séparatistes , la mise en oeuvre d'une décentralisation du pays et d'un statut spécial pour certaines zones des régions de Donetsk et Louhansk ainsi que la réhabilitation socio-économique de ces zones (rétablissement du versement des prestations sociales suspendues par le gouvernement de Kiev).

Le cessez-le-feu entré en vigueur dans la nuit du 14 au 15 février a permis une désescalade immédiate . On assiste toutefois depuis la mi-mars à une nouvelle dégradation de la situation sur le terrain, notamment à l'est de Marioupol et à Donetsk. Le retrait des armes lourdes a été amorcé des deux côtés de la ligne de contact, mais n'a pu être que partiellement vérifié par l'OSCE. Des prisonniers ont été libérés dans les deux camps. Le calme relatif reste fragile et le dialogue difficile.

La mise en oeuvre des accords de Minsk doit faire l'objet d'un suivi attentif et déterminé car ils constituent le seul moyen à notre disposition, l'unique feuille de route pour résoudre ce conflit. Il faut noter, à cet égard, que le 19 mars dernier, le Conseil européen a lié la décision relative à la levée ou la reconduction des sanctions sectorielles contre la Russie à la mise en oeuvre intégrale de ce paquet de mesures.

N'oublions pas le coût humain de ce conflit qui, au 6 avril 2015 (selon l'ONU), a déjà fait p lus de 6 000 morts et plus de 15 000 blessés , entraînant également le déplacement de près de 2 millions de personnes vers les autres régions d'Ukraine (1,2 million), la Russie (636 000) et la Biélorussie (80 000).

4. Les déterminants géopolitiques du conflit

Pour la Russie, ce conflit est au coeur d'une lutte d'influence. En annexant la Crimée, en soutenant les séparatistes ukrainiens, elle manifeste sa volonté de ne plus céder de terrain face à ce qu'elle perçoit comme une progression du monde occidental à son détriment (que ce soit à travers l'Union européenne ou l'OTAN) et de garder la main sur des pays qu'elle considère comme relevant de sa zone d'intérêts privilégiés.

Cette résistance s'inscrit dans une démarche plus générale de réaffirmation de la puissance russe sur la scène internationale , après les années de relatif effacement qui ont suivi la dissolution de l'URSS.

Pourtant, l'Ukraine, Etat indépendant et souverain, a le droit, si elle le souhaite, de se rapprocher du modèle économique et politique de son voisin européen.

Votre rapporteur souhaite que l'on puisse dépasser cette approche conflictuelle ou concurrentielle. Il n'est pas question, en effet, de nier les relations historiques et les intérêts communs que partagent l'Ukraine et la Russie, même si les événements qui se déroulent depuis un an dans le Donbass les ont quelque peu mis à mal.

Le présent accord, s'il n'est pas certes compatible avec une adhésion de l'Ukraine à l'Union eurasiatique, compte tenu des transferts de compétences que celle-ci impliquerait, n'empêche pas le maintien de liens économiques entre l'Ukraine et la Russie . A cet égard, il est souhaitable que les consultations trilatérales entre l'UE, la Russie et l'Ukraine se poursuivent. Il paraît, de toute évidence, nécessaire de travailler à une articulation des deux zones économiques .


* 1 En principe garanti par la Russie en tant que membre du Conseil de sécurité de l'ONU.

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