SECTION 2 - De la continuité territoriale

Article 2 (art. L. 1803-10 à L. 1803-16 [nouveaux] du code des transports) - Qualification de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) en établissement public administratif

Le présent article vise à modifier le statut de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) . Cette structure, qui est aujourd'hui une société d'État régie par le droit privé, deviendrait ainsi un établissement public à caractère administratif.

Historiquement, la mission de LADOM consiste à faciliter l'insertion professionnelle des ultramarins en leur proposant des formations et des stages en métropole.

Ses compétences ont été élargies en 2009 à l'occasion de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer (dite « loi LODEOM » ). L'agence est désormais chargée de gérer, pour le compte de l'État, les aides à la continuité territoriale qui servent à financer les titres de transport d'ultramarins souhaitant se rendre en métropole.

En pratique, LADOM exerce cette compétence dans les départements d'outre-mer, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy. Dans les autres collectivités ultramarines, la gestion des aides à la continuité territoriale est confiée à des services déconcentrés de l'État (Polynésie française, Saint-Pierre et Miquelon, Wallis-et-Futuna) ou à un groupement d'intérêt public (Nouvelle-Calédonie).

Les aides à la continuité territoriale

Ces aides sont au nombre de trois :

- le passeport-mobilité formation professionnelle (article. L. 1803-6 du code des transports) pour les mobilités liées à la formation professionnelle ;

- le passeport-mobilité études (article. L. 1803-5 du même code) pour les étudiants qui se rendent en métropole afin de suivre un cursus non dispensé dans leur lieu de résidence ;

- l'aide à la continuité territoriale en tant que telle (article L. 1803-4) pour les transports entre l'outre-mer et la métropole, quel que soit leur motif.

Ces trois aides représentent 32,3 millions d'euros en 2015, dont 27,5 millions gérés par LADOM .

La gestion des aides à la continuité territoriale a conduit à un quadruplement du budget de LADOM qui s'élève désormais à 100 millions d'euros 1 ( * ) .

Le statut actuel de LADOM n'ayant pas permis de prévenir des dérapages budgétaires importants, le présent article propose de transformer l'agence en établissement public afin de mieux encadrer ses règles de gestion.

1. Un statut atypique qui n'a pas donné entière satisfaction

1.1. Un statut atypique de société d'État

Créée sur le fondement de la loi n° 46-860 du 30 avril 1946 2 ( * ) , l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité est l' unique société d'État française 3 ( * ) . Financée par des subventions publiques 4 ( * ) et placée sous la tutelle des ministres chargés de l'outre-mer et du budget, elle est inscrite au registre du commerce bien que son activité ne présente pas de but lucratif.

Ce statut de droit privé a été accordé à LADOM lors de sa création pour lui garantir une certaine souplesse dans son action et sa gestion.

Son conseil d'administration est composé de dix-huit membres dont six représentants de l'État, six personnalités qualifiées et six représentants du personnel.

1.2. Des dérapages budgétaires importants

L'application des règles de droit privé à cette structure - qui présente toutes les caractéristiques d'un établissement public 5 ( * ) - s'est avérée problématique, notamment sur le plan comptable . Les contrôles effectués par des commissaires aux comptes n'ont pas permis de prévenir d'importants dérapages budgétaires qui ont pénalisé le fonctionnement de l'agence.

Comme l'indique l'étude d'impact du projet de loi, « la situation financière de LADOM s'est dégradée depuis plusieurs années, avec des déficits de trésorerie récurrents » 6 ( * ) , sans que les procédures mises en oeuvre ne permettent de prévenir d'éventuels défauts de paiement. En juillet 2014, le syndicat des agences de voyage de La Réunion a par exemple appelé ses membres à refuser les titres de transport financés par LADOM car cette dernière avait accumulé 8 millions d'euros de dette auprès des professionnels du secteur.

Comme le soulignaient nos collègues Georges Patient et Éric Doligé dans leur rapport « L'Agence de l'outre-mer pour la mobilité : un pilotage à l'aveugle » de 2011, l'État doit également faire face à une « absence criante d'informations » concernant cette structure atypique , ce qui ne facilite pas son contrôle.

2. La qualification de LADOM en établissement public

2.1. L'application des règles de la comptabilité publique pour mieux encadrer sa gestion

Le présent article reprend la proposition n° 1 formulée dans leur rapport par nos collègues Georges Patient et Éric Doligé : transformer LADOM en un établissement public d'État. Ce dernier reprendrait les compétences de l'actuelle société d'État, sa dénomination et ses moyens 7 ( * ) .

L'encadrement de la gestion de l'agence deviendrait plus strict du fait de l'application des règles de la comptabilité publique 8 ( * ) . Il serait notamment procédé à une séparation entre l'ordonnateur - le directeur de LADOM qui engage les dépenses - et le comptable, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, l'agence étant régie par les règles de la comptabilité privée. Ce dernier serait seul compétent pour manier les fonds de l'agence et contrôlerait les dépenses engagées.

2.2. La création d'une nouvelle catégorie d'établissement public

Il serait constitué une nouvelle catégorie d'établissement public au sens de l'article 34 de la Constitution étant donné qu'il n'existe pas d'établissement équivalent comme l'a rappelé le Conseil d'État dans son avis portant sur ce projet de loi 9 ( * ) .

Le législateur étant compétent pour définir les règles constitutives de cet établissement public, le présent projet de loi détaille :

- ses missions : la formation initiale et professionnelle des ultramarins et la gestion des aides à la continuité territoriale ;

- ses instances dirigeantes : un directeur général nommé par décret et un conseil d'administration. La composition de ce dernier reprendrait le droit en vigueur ( Cf . supra ) tout en consacrant la place des représentants des régions de Guadeloupe, de Guyane, de la Martinique, de La Réunion et du département de Mayotte.

- ses ressources , qui pourraient notamment provenir de « subventions des collectivités territoriales et de toutes autres personnes publiques et privées » ;

- ses agents , qui seraient des contractuels de droit public, à l'exception du directeur général et du comptable qui auraient le statut de fonctionnaire.

3. La sécurisation du dispositif par la commission des lois

Le changement de statut de LADOM et le renforcement des procédures comptables qu'il implique sont l'une des conditions indispensables au redressement de cette structure.

À l'initiative de son rapporteur, votre commission a souhaité conforter la réforme proposée en la sécurisant d'un point de vue juridique.

Elle a tout d'abord complété les règles constitutives de LADOM en précisant que les « personnalités qualifiées » membres de son conseil d'administration devraient « être désignées en raison de leur compétence en matière de formation professionnelle ou de continuité territoriale » ( amendement COM-7 ).

La commission des lois a clarifié le cadre juridique des subventions que pourrait recevoir LADOM : seules des personnes publiques seraient en mesure d'en verser ( amendement COM-8 ). Les éventuelles contributions du secteur privé entreraient dans la catégorie du mécénat ou des dons et legs qui feraient également partie des ressources de LADOM au sens du présent article.

Elle a également jugé préférable de renvoyer à un décret la mention des collectivités dans lesquelles LADOM est compétente pour gérer le fonds de continuité territoriale (les départements d'outre-mer, Saint-Martin et Saint-Barthélemy) ( amendement COM-6 ). Ne pas les mentionner dans la loi permettrait ainsi d'adapter plus facilement le périmètre d'action de LADOM et de l'étendre, sur le long terme, à la Polynésie française, à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Wallis-et-Futuna afin de dégager de nouvelles économies d'échelle.

Elle a adopté un amendement rédactionnel COM-9 de son rapporteur.

Enfin, votre rapporteur souligne que ce meilleur encadrement juridique de LADOM ne peut constituer l'unique réponse aux problèmes rencontrés par l'agence. Cette dernière doit en effet faire face à une augmentation constante des dépenses d'aide à la continuité territoriale (+ 21 % entre 2013 et 2014 selon notre ancienne collègue Teura Iriti et notre collègue Georges Patient) 10 ( * ) et l'évolution de son budget ne semble pas à la mesure du dynamisme de ses dépenses. Si les conditions d'attribution des aides ont été durcies en 2015 afin de maîtriser les dépenses 11 ( * ) , il conviendra de porter une attention particulière aux résultats de cette réforme et à l'évolution du cadre budgétaire de l'agence.

Votre commission a adopté l'article 2 ainsi modifié .

Article 3 - Conditions de reprise des salariés et des droits réels
de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM)

Le présent article tire les conséquences de la transformation de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité ( LADOM ) - qui était une société d'État - en établissement public ( Cf . le commentaire de l'article 2).

Il précise ainsi les modalités de reprise des salariés et des droits réels de la société d'État.

1. La reprise des salariés de la société d'État

LADOM dispose de 164 agents 12 ( * ) répartis entre son siège parisien et ses quatorze délégations territoriales 13 ( * ) . Ces personnels sont majoritairement des salariés de droit privé à l'exception de quelques fonctionnaires 14 ( * ) et d'une quinzaine de personnes bénéficiant de contrats aidés. Les charges de personnel de LADOM s'élèvent à 9,44 millions d'euros .

La transformation de l'agence en établissement public implique l'application de l'article L. 1224-3 du code du travail selon lequel « lorsque l'activité d'une entité économique employant des salariés de droit privé est (...) reprise par une personne publique dans le cadre d'un service public administratif, il appartient à cette personne publique de proposer à ces salariés un contrat de droit public, à durée déterminée ou indéterminée selon la nature du contrat dont ils sont titulaires » .

Ainsi, les salariés de LADOM se verraient proposer un contrat de droit public reprenant les clauses substantielles de leur contrat initial (durée et conditions de rémunération notamment).

Le présent projet de loi prévoit toutefois une dérogation au dispositif de l'article L. 1224-3 du code du travail. Il est en effet proposé que les salariés de LADOM puissent choisir entre un contrat de droit public et leur contrat de droit privé. Privilégier ce dernier n'entraînerait pas la rupture du lien contractuel avec l'agence, à la différence du dispositif de droit commun 15 ( * ) . Les salariés de LADOM disposeraient de six mois pour exercer ce « droit d'option » .

Cette dérogation est souhaitée par le Gouvernement afin d'accompagner dans les meilleures conditions le changement organisationnel que l'agence a vocation à connaître.

2. La reprise des droits réels de la société d'État

Le présent article prévoit également un transfert à titre gratuit des « biens, droits et obligations » de la société d'État vers le nouvel établissement public. Ce transfert serait exempté de taxation.

Cette disposition reprend les principes retenus par les lois qui, de manière symétrique, ont transformé des établissements publics en sociétés anonymes 16 ( * ) .

Votre commission a adopté l'article 3 sans modification .


* 1 Cf. rapport n° 48 (2011-2012) intitulé « L'Agence de l'outre-mer pour la mobilité : un pilotage à l'aveugle » de MM. Georges Patient et Éric Doligé fait au nom de la commission des finances du Sénat (http://www.senat.fr/notice-rapport/2011/r11-048-notice.html).

* 2 Loi tendant à l'établissement, au financement et à l'exécution de plans d'équipement et de développement des territoires relevant de la France d'outre-mer.

* 3 Pour mémoire, le statut spécifique de société d'État avait été créé au moment de la colonisation pour faciliter le développement des territoires français d'outre-mer.

* 4 Ces subventions sont attribuées par l'État (60 % du budget de LADOM), par l'Union européenne dans le cadre du fonds social européen et par les régions d'outre-mer (39 % du budget). Les ressources propres de l'agence restent marginales (1 %).

* 5 LADOM exerce en effet des missions de service public et est financée par des fonds publics.

* 6 Cf . le rapport précité de nos collègues Georges Patient et Éric Doligé.

* 7 Cf . le commentaire de l'article 3.

* 8 Règles détaillées dans le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique.

* 9 Conseil d'État, avis sur le projet de loi relatif à la modernisation du droit outre-mer, 16 avril 2015 (www.conseil-etat.fr). Pour mémoire, deux conditions sont nécessaires que des établissements publics relèvent d'une seule catégorie : exercer des missions analogues dans une même zone géographique et être placé sous la même tutelle administrative.

* 10 Rapport n° 108 (2014-2015) sur le projet de loi de finances pour 2015, annexe n° 20, fait au nom de la commission des finances (http://www.senat.fr/rap/l14-108-320/l14-108-3201.pdf).

* 11 Ce durcissement a notamment consisté à relever le plafond de ressources au-delà duquel les demandeurs ne sont plus éligibles au passeport-mobilité études et au passeport-mobilité formation professionnelle.

* 12 Source : le projet annuel de performance « Outre-mer » annexé au projet de loi de finances pour 2015 (http://www.performance-publique.budget.gouv.fr).

* 13 Dont cinq délégations sont situées en outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte, La Réunion).

* 14 Les fonctionnaires de LADOM sont le directeur général et les agents mis à disposition par les conseils départementaux de La Réunion et de Mayotte.

* 15 Dans la procédure de droit commun de l'article L. 1224-3 du code du travail, le fait pour un salarié de refuser le contrat de droit public qui lui est proposé constitue une cause de licenciement pour motif personnel.

* 16 Cf . par exemple l'article 1 de la loi n° 2010-123 du 9 février 2010 relative à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales.

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