C. UNE DIVERSIFICATION DES PUBLICS TOUCHÉS PAR LE CHÔMAGE DE LONGUE DURÉE ET UNE AMPLIFICATION DE SES EFFETS

Dans son rapport de 2011, le COE démontrait la « très grande hétérogénéité » des situations de chômage de longue durée, au regard aussi bien de ses déterminants, des publics touchés ou de ses conséquences. Il établissait une nomenclature distinguant trois types de chômage de longue durée :

- celui dû à des facteurs extérieurs à la personne, comme un ralentissement de la conjoncture économique ;

- celui lié aux caractéristiques professionnelles de la personne, comme l'insuffisance ou l'obsolescence de ses qualifications ;

- celui qui est le reflet de difficultés d'insertion professionnelle et sociale et renvoie à une grande diversité de situations d'exclusion du marché du travail.

Alors qu'il était traditionnellement associé aux personnes victimes d'un licenciement économique résidant dans des bassins d'emploi subissant de profondes mutations de leur tissu productif, à celles très peu diplômées ou nécessitant, en raison de problèmes sociaux, médicaux ou personnels, un accompagnement spécifique vers l'emploi, le chômage de longue durée s'est répandu à la faveur de la crise et touche désormais de manière plus homogène l'ensemble des actifs.

Le relèvement progressif de l'âge légal de départ à la retraite et du nombre de trimestres cotisés requis pour obtenir une pension de retraite à taux plein par les réformes de 2003 5 ( * ) , 2010 6 ( * ) et 2014 7 ( * ) , ainsi que les mesures prises concomitamment pour développer l'emploi des seniors et les inciter à prolonger leur activité, comme la suppression de la dispense de recherche d'emploi (DRE) dont ils bénéficiaient 8 ( * ) , ont contribué à augmenter fortement le nombre de personnes âgées de plus de 50 ans inscrites à Pôle emploi et tenues d'accomplir des actes positifs de recherche d'emploi. La conjonction de ces évolutions réglementaires, qui répondaient notamment à la volonté d'augmenter le taux d'emploi de ces personnes, avec la crise et les préjugés entretenus à leur égard par de nombreux employeurs a eu pour conséquence d'augmenter très fortement le risque rencontré par cette catégorie de population d'être confrontée au chômage de longue durée .

Ainsi, alors que le nombre de demandeurs d'emploi inscrits depuis plus d'un an sur les listes de Pôle emploi en catégories A, B et C a augmenté de 145 % entre mai 2008 et octobre 2015, celui des plus de 50 ans ayant une même durée d'inscription a progressé de 241 % , soit un taux supérieur de 66 % .

Pour la plupart, les jeunes de moins de 25 ans , s'il est indéniable que leur taux de chômage ( 24 % ) est largement plus élevé que celui de l'ensemble de la population et que certains d'entre eux, qui ne sont ni emploi, ni en formation initiale ou continue (NEET : not in employment, education or training ) connaissent des difficultés durables d'insertion professionnelle, parviennent à se maintenir sur le marché du travail une fois que les obstacles à l'entrée ont été surmontés. C'est pourquoi la croissance du nombre d'entre eux inscrits depuis plus d'un an à Pôle emploi a été plus faible sur la période 2008-2015 ( + 131 % ) que pour les deux autres catégories précitées.

Par ailleurs, la crise a confirmé la convergence de la part de chômage de longue durée chez les femmes et les hommes et a même accentué cette tendance. Alors que traditionnellement la proportion de femmes subissant le chômage de longue durée était plus élevée que celle des hommes, ce sont désormais les chômeurs de sexe masculin qui sont, en proportion, les plus touchés par le chômage de longue durée. Selon l'Insee, en 2005 , la part de chômage de longue durée chez les femmes était de 41,5 % , contre 40 % chez les hommes. En 2014 , elle avait diminué pour les femmes ( 41 % ), mais augmenté de 10 % chez les hommes ( 44,1 % ).

Le niveau de diplôme est enfin un facteur déterminant du chômage de longue durée. Durant la crise, c'est le taux de chômage des personnes les moins qualifiées qui a connu la plus forte augmentation : il est passé de 11,1 à 16,2 % entre 2008 et 2014 ( + 46 % ) pour les personnes dont le brevet constitue le plus haut niveau de qualification. Le même phénomène se constate lorsque seul le chômage d'une durée supérieure à un an est étudié : entre 2008 et 2013, les moins qualifiés ont vu leur taux de chômage de longue durée passer de 5,2 à 8 % ( + 54 % ), alors celui des titulaires d'un diplôme du supérieur ne progressait que de 43 % et restait, à 2 % , à un niveau très limité.

Le chômage de longue durée a pourtant des conséquences très néfastes sur la situation économique et sociale de ceux qui ont à en souffrir , que la seule reprise économique ne parvient pas toujours à corriger. Alors que les effets d'hystérèse du chômage , mis en lumière par les travaux des économistes Olivier Blanchard et Larry Summers 9 ( * ) , contribuent à ralentir la baisse du chômage structurel en sortie de crise, les chômeurs de longue durée peuvent voir leurs trajectoires professionnelles durablement influencées par cette période d'inactivité. Ils courent un risque d'éloignement durable du marché du travail .

En effet, sans contact direct avec le monde de l'entreprise et leur domaine d'activité propre, leur capital humain se dégrade et l'obsolescence de leurs qualifications apparaît, rendant dans certains cas nécessaire un effort de formation préalable à la reprise d'un emploi. Dans le même temps, les difficultés d'ordre social parfois préexistantes à cette situation de chômage peuvent être aggravées par la précarité entraînée par le basculement, au plus tard 24 mois 10 ( * ) après la perte d'un emploi, du régime assurantiel d'indemnisation du chômage financé par l'Unédic à un mécanisme de solidarité reposant sur des minima sociaux comme l'allocation de solidarité spécifique (ASS) ou le revenu de solidarité active (RSA).

Ce phénomène est illustré par l'examen comparé des taux de sortie de Pôle emploi pour reprise d'emploi selon l'ancienneté de l'inscription des demandeurs d'emploi en catégories A, B et C. En 2014, seuls 2,3 % des demandeurs d'emploi inscrits depuis plus d'un an reprenaient chaque mois un emploi, contre 4,6 % des chômeurs de courte durée, soit un taux deux fois plus faible . Si la dégradation de cet indicateur n'a pas été plus marquée durant la crise pour cette population que pour l'ensemble des demandeurs d'emploi (respectivement - 43 % et - 45 % entre 2007 et 2014), il n'en reste pas moins qu'en 2014 le taux de sortie pour reprise d'emploi des chômeurs de courte durée était meilleur que celui des chômeurs de longue durée en 2007 ( 4 % ), année où la situation de l'emploi était pourtant bien plus favorable.

Graphique n° 7 : Evolution du taux de sortie pour reprise d'emploi selon l'ancienneté au chômage entre 2007 et 2014

Source : Dares et Pôle emploi

Tableau n° 8 : Evolution du taux de sortie pour reprise d'emploi selon l'âge, l'ancienneté au chômage et le niveau de formation entre 2007 et 2014

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Evolution 2007-2014
(en %)

Ensemble

6,5

6,3

5,2

4,6

4,7

4,3

3,9

3,6

- 44,6

Age

Moins de 25 ans

9,9

9,5

7,6

7,3

7,3

6,9

6,2

5,9

- 40,4

50 ans ou plus

3,5

3,7

2,9

2,4

2,4

2,2

1,9

1,6

- 54,3

Ancienneté d'inscription

Moins d'un an

7,9

7,7

6,2

5,7

5,8

5,4

5

4,6

- 41,8

Un an ou plus

4

3,7

3,1

2,9

3

2,7

2,6

2,3

- 42,5

Niveau de formation

Premier cycle
de l'enseignement secondaire

4,7

N.D.

N.D.

3,4

3,2

2,9

2,6

2,2

- 53,2

CAP-BEP

6,6

N.D.

N.D.

4,4

4,5

4

3,7

3,3

- 50

Baccalauréat

6,8

N.D.

N.D.

5

5

4,7

4,3

4

- 41,2

Bac+2 ou plus

7,3

N.D.

N.D.

5,6

5,8

5,2

5

4,6

- 37

N.D. : Non disponible
Source
: Dares et Pôle emploi

Par ailleurs, ainsi que le rappelle le COE dans son rapport de 2014 sur l'éloignement durable du marché du travail 11 ( * ) , les interruptions de carrière constituent un facteur de ralentissement de la progression salariale . Selon une étude 12 ( * ) de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, le salaire horaire des personnes qui ont subi une telle interruption est inférieur en moyenne de 18 % à celui des personnes dont la carrière a été rectiligne. De même, le chômage de longue durée est un facteur de déclassement professionnel au moment d'une éventuelle reprise d'emploi 13 ( * ) .

Enfin, votre rapporteure tient à souligner que le chômage de longue durée est la cause d'un sentiment de déclassement et d'inutilité sociale de nombre de nos concitoyens qui conduit à une forme de résignation , renforce les inégalités et met en péril la cohésion sociale.


* 5 Loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites.

* 6 Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites.

* 7 Loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.

* 8 Cette suppression est entrée en vigueur le 1 er janvier 2012, en application de l'article 4 de la loi n° 2008-758 du 1 er août 2008 relative aux droits et devoirs des demandeurs d'emploi.

* 9 O. Blanchard, L. Summers, « Hysteresis and the European Uneployment Problem », NBER Macroeconomics Annual 1986, volume 1, pp. 15-90.

* 10 Ou 36 mois pour les personnes âgées de 50 ans et plus.

* 11 COE, « L'éloignement durable du marché du travail », décembre 2014.

* 12 « Interruptions de carrière professionnelle et salaires des hommes et des femmes en 2006 », Dares, Premières informations et premières synthèses, 2010, n° 11.

* 13 COE, 2014, op. cit., p. 90.

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