Table ronde sur les dispositions relatives au patrimoine

MERCREDI 16 DÉCEMBRE 2015

La commission organise une table ronde sur les dispositions relatives au patrimoine du projet de loi n° 15 (2015-2016), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (articles 21 à 25). Sont entendus :

- M. Alain de la Bretesche , président délégué de Patrimoine-Environnement, coordinateur du Groupe national d'information et de concertation sur le patrimoine« G8Patrimoine » ;

- M. Yves Dauge , ancien sénateur, membre fondateur de l'Association nationale des villes et pays d'art et d'histoire et des villes à secteurs sauvegardés et protégés (ANVPAH et VSSP), président de l'Association des centres culturels de rencontre (ACCR) et président de l'Association des biens français du patrimoine mondial et Mme Isabelle Battioni, déléguée générale de l'ACCR ;

- M e Jean-René Etchegaray , maire de Bayonne, vice-président, et Mme Marylise Ortiz, directrice de l'ANVPAH et VSSP ;

- M. Thierry Tuot , conseiller d'État, rapporteur général de la commission de concertation sur le fonctionnement et l'avenir des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP).

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Dans le cadre de nos travaux préparatoires à l'examen du projet de loi n° 15 (2015-2016), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP), nous tenons ce matin une table ronde consacrée au volet relatif au patrimoine. Je tenais, à titre liminaire, à vous informer que l'inscription du texte était différée et que nous ne connaissions pas encore la date de son examen en séance plénière.

Ce projet de loi a pour ambition de « valoriser les territoires par la modernisation du droit du patrimoine ». Les articles 22 à 25, en particulier, modifient en profondeur le livre VI du code du patrimoine. Ils visent, pêle-mêle, à réformer les instances consultatives nationales et locales du patrimoine, à renforcer la protection des sites classés au patrimoine mondial de l'UNESCO, à s'attaquer au morcellement des immeubles protégés au titre des monuments historiques, à accorder une protection nouvelle aux domaines nationaux, à lutter contre l'éparpillement des ensembles historiques mobiliers, à modifier le régime des abords, et surtout à créer les « cités historiques » qui viendraient se substituer aux divers outils de protection de notre patrimoine.

M. Alain de la Bretesche, président délégué de Patrimoine-Environnement, coordinateur du Groupe national d'information et de concertation sur le patrimoine« G8Patrimoine » . - Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de nous recevoir sur un sujet qui nous passionne depuis le début de ce quinquennat. En effet, dès sa nomination, Mme Aurélie Filippetti nous avait annoncé qu'elle souhaitait, cent ans après la loi de 1913 sur les monuments historiques, faire adopter une grande loi sur le patrimoine. Je ne suis d'ailleurs pas certain que nous y soyons parvenus.

Les associations de défense du patrimoine, que ce soit le G8 Patrimoine, l'Association des pays et villes d'art et d'histoire et la Coordination des fédérations et associations de culture et de communication (COFAC), sont très unies dans cette affaire. La plupart des amendements que nous proposons ont fait l'objet d'une délibération commune. Cette unité est assez rare pour être signalée dans ce domaine.

À titre liminaire, je souhaiterais aborder cinq points relatifs aux dispositions du projet de loi. Premièrement, je suis particulièrement attaché aux dispositions relatives au patrimoine mondial. Je salue le fait que ces dispositions trouvent leur origine dans une proposition de loi sénatoriale déposée par Mme Françoise Férat et M. Jacques Legendre et avaient été votées par les deux assemblées. La LCAP les a reprises, en y apportant des améliorations substantielles, notamment grâce au travail du Conseil d'État à l'occasion de son avis juridique, qui a, par exemple, défini la zone tampon. L'Assemblée nationale a d'ailleurs encore amélioré la rédaction en rendant obligatoire la délimitation de cette zone tampon, jusqu'ici seulement facultative. Cette nouvelle formulation nous paraît totalement idoine et pourrait, à ce titre, être reprise par votre Haute assemblée. Les disparités entre les différentes zones tampons exigent une délimitation au cas par cas. Ce texte est, du reste, fort important car il concerne les zones emblématiques que sont les biens inscrits au patrimoine mondial de l'UNESCO. Aussi soutenons-nous cette démarche.

Deuxièmement, il n'y avait pas jusqu'à présent de texte sur les domaines nationaux. Le texte du projet de loi sur ce sujet est court, mais il a le mérite d'ouvrir une tête de chapitre pour l'avenir. Des amendements restent possibles pour en enrichir le contenu. Globalement, ces dispositions concernent les anciens domaines de la Couronne qui étaient très bizarrement traités. L'imprescriptibilité et l'inaliénabilité, qui sont proposées, nous paraissent une bonne mesure.

Troisièmement, la question des abords est un sujet particulièrement important. Lors d'un colloque universitaire qui s'est tenu hier à Angers, tous les intervenants se sont interrogés sur la pertinence de modifier les textes existants en la matière. Je me souviens que le Professeur Pierre-Laurent Frier reconnaissait le caractère « bête et méchant » du périmètre de 500 mètres qui s'avérait, somme toute, optimal. Un intervenant a également souligné qu'en un siècle, les abords n'avaient fait l'objet que d'un seul arrêt de Cour administrative, ce qui démontre qu'ils ne posent pas vraiment de problème !

Il nous est aujourd'hui proposé de nouvelles dispositions qui suscitent un accueil plutôt mitigé. Parmi les points positifs, demander l'avis du propriétaire, qu'il soit une personne privée ou une collectivité décentralisée, nous paraît aller de soi. Par contre, la possibilité que le périmètre adapté des abords soit égal à zéro, comme il est mentionné dans le texte de loi, suscite notre opposition. Une telle diminution mentionnée dans la loi ne sert à rien, puisqu'elle est déjà prévue par la loi. Pourquoi écrire une telle disposition ? Il est stupide, lorsqu'un texte existe en ce sens, de souligner à nouveau cette mesure dans un nouveau texte. En outre, certaines interrogations portent également sur la notion de co-visibilité, à l'origine de nombreux contentieux. Actuellement, dans le périmètre de 500 mètres, la co-visibilité est prise en compte, tandis qu'elle ne l'est pas dans le périmètre adapté. Nous serions plutôt partisans du contraire, à savoir que cette notion ne soit plus appliquée dans les périmètres de 500 mètres, mais qu'elle constitue l'un des critères pour délimiter un périmètre adapté. Il faut, en effet, définir des critères objectifs, et celui de la co-visibilité en serait un. Cette question des abords est considérée comme très importante dans le monde du patrimoine.

Quatrièmement, je souhaiterais aborder les notions de cité historique et de plan local d'urbanisme (PLU). Pour être synthétique, il y a en France deux ministères : le ministère en charge de l'écologie et du logement, et le ministère en charge de la culture. Pour diverses raisons, le ministère de l'écologie règne sur le droit de l'urbanisme, tandis que le ministère de la culture règne sur le droit du patrimoine. Au cours des dernières années, c'est toujours le ministère de l'écologie qui a fait prévaloir l'urbanisme et la préparation de ce projet de loi n'a pas dérogé à cette règle. Il en est résulté que dans la cité historique, les règles de protection patrimoniales devront être inscrites soit dans les plans de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) qui ressemblent à ce qui existait auparavant, avec toutefois un certain nombre de modifications sur lesquelles nous reviendrons, soit dans le PLU patrimonial.

À cet égard, vous avez observé qu'en 2010, il avait été prévu de remplacer progressivement les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) par les aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (AVAP). Et maintenant, nous remplacerions ces dernières par les cités historiques qui ne s'appuient plus sur un règlement distinct, pour sa mise en oeuvre, mais sur le PLU, dit patrimonial. Chacune de ces étapes entraîne le retrait croissant de l'État et toutes sortes de difficultés se font jour, car le PLU patrimonial n'a pas de contenu. Nous vous demandons, voire vous supplions, soit de revenir au régime des AVAP, soit de donner un contenu au PLU patrimonial, en conférant une certaine place à l'État. Une telle démarche ferait progresser le droit du patrimoine, tandis que nous avons tous le sentiment d'une terrible régression. Les conflits que nous avons connus entre certains éléments de l'administration de l'État, en particulier les Architectes des bâtiments de France (ABF), et les responsables des collectivités décentralisées, sont derrière nous. Aujourd'hui, les parlementaires, qui sont en même temps des élus locaux, considèrent que le dialogue avec l'administration de l'État, et en particulier avec les ABF, n'est pas du tout une mauvaise chose et que ceux-ci peuvent leur assurer une protection.

Cinquièmement, une question demeure, faute d'avoir été résolue par l'Assemblée nationale, et devrait trouver au Sénat toute sa place dans la discussion. Il s'agit des difficultés que pourraient poser les établissements public de coopération intercommunale (EPCI) et de l'incidence de la réforme territoriale, dans le domaine du patrimoine en général et des PLU patrimoniaux en particulier. La solution qui vous est soumise aujourd'hui et qui concerne le droit de retrait du maire en cas de conflit avec l'EPCI nous paraît, en pratique, irréaliste. Qu'est-ce que cela signifie ? Que le maire peut repartir avec son argent ? Que la gestion du patrimoine doit être interprétée comme une compétence communale ? Il est manifeste que l'équilibre du texte sur ce point n'est pas satisfaisant. Il faudra résoudre cette question qui nous paraît importante pour l'avenir du patrimoine dans ce pays.

M. Yves Dauge, ancien sénateur, membre fondateur de l'Association nationale des villes et pays d'art et d'histoire et des villes à secteurs sauvegardés et protégés (ANVPAH et VSSP), président de l'Association des centres culturels de rencontre (ACCR) et président de l'Association des biens français du patrimoine mondial . - Cette loi inquiète beaucoup les défenseurs du patrimoine. Pourquoi ne pas laisser les AVAP qui fonctionnent très bien et demeurent très populaires ? Si l'on ne le fait pas, il convient de donner un contenu au PLU patrimonial et de lui donner une force obligatoire dans le périmètre des cités historiques en travaillant à la rédaction du futur article L. 151-19 du code de l'urbanisme.

La rédaction « molle » de l'article L. 151-19 actuel est la conséquence d'une bataille frontale entre les deux ministères. Le ministère de la culture ne s'est pas imposé sur ce point, faute d'avoir sollicité un arbitrage de haut niveau sur cette question. Il faut donc que le Parlement la règle afin de surmonter l'opposition du ministère de l'écologie.

La question de la réversibilité des PLU nous inquiète également. Autant les PSMV ne peuvent pas être modifiés ou remis en cause sans l'accord de l'État, autant il en va tout autrement pour les PLU. C'est pourquoi il faudrait prévoir, pour les PLU patrimoniaux, que la commission régionale du patrimoine et de l'architecture puisse être saisie pour avis en cas de révision et que dans le cas où la commune souhaiterait passer outre les réserves posées par cette dernière, un appel puisse se faire devant la commission nationale des cités et monuments historiques afin qu'elle rende un arbitrage : celle-ci aurait alors toute sa place en tant qu'instance de régulation suprême de la politique nationale du patrimoine.

Il faut absolument préserver le rôle de la commission nationale qui a fait ses preuves et éviter qu'elle ne se régionalise au risque de ne plus rien maîtriser. Voilà près de cinquante ans que cette commission nationale a fait ses preuves. Évidemment, la commission nationale, tout comme la commission régionale, ne feraient que donner des avis, mais le passage devant ces instances est un élément important pour prévenir les contentieux, tant il m'apparaît impossible qu'une commune ignore leurs avis. Ce point est absolument central dans notre discussion et reste le plus inquiétant.

La commission nationale est désormais unique et coiffe de nombreuses sections. Il lui faut un seul président qui soit parlementaire et qui pourrait, le cas échéant, être représenté par l'administration. Cette désignation soulignerait l'importance, pour l'État, de cette politique. Sur la question des secteurs sauvegardés, il sera très souvent présent car cette question est essentielle. Faute de cela, le standing et l'unité politique de cette commission ne seront pas assurés. J'ai demandé - et je pense que tout le monde en conviendra - que la commission ait systématiquement la possibilité de donner un avis motivé sur l'outil qui lui paraîtrait le plus approprié pour gérer la cité historique dont la création est envisagée : PSMV ou PLU. Le but est bien d'encourager ainsi l'adoption de PSMV, qui restent le niveau emblématique de la politique nationale du patrimoine, mais demeurent, aujourd'hui encore, peu nombreux. Par ailleurs, faire remonter systématiquement l'examen de tout PSMV devant la commission nationale constituerait un moyen d'assurer l'unité nationale en ce qui concerne les standards de protection applicables au patrimoine le plus protégé de notre pays.

L'évaluation est une innovation nécessaire. Il faut s'assurer du bon fonctionnement des secteurs sauvegardés à l'aune des informations disponibles. Comme j'ai pu le constater à Uzès, le secteur sauvegardé n'y est pas géré correctement. Beaucoup trop d'erreurs y ont été commises et un regard extérieur s'avère nécessaire pour signaler aux acteurs locaux les éventuels dysfonctionnements. Dans des cas comme celui-ci, un rapport est envoyé par la commission nationale aux maires afin d'avoir avec eux et leurs concitoyens un débat public. Il faut en effet démocratiser le processus, en revenant devant le conseil municipal, avec un regard extérieur. On le fait bien avec la Cour des comptes. Pourquoi ne le fait-on pas pour une question aussi grave que celle de la protection du patrimoine ? En cas de mauvaise évaluation, les parcs naturels régionaux perdent leur label au bout de douze ans et, le cas échéant, il faut reprendre la démarche de classement depuis le début. De même, le Comité du patrimoine mondial se réunit tous les ans ; l'UNESCO peut adresser des rapports et des injonctions lorsque la gestion des sites n'est pas satisfaisante. Mais on déplore, chez nous, une absence de contrôle de la politique du patrimoine. Aussi avais-je suggéré au ministère de la culture de jeter les bases d'un tel contrôle. Je pense que cette démarche s'inscrit dans toutes les politiques conduites en matière d'évaluation et de démocratisation.

S'agissant des EPCI et des communes, un problème technique se pose. L'Assemblée nationale a prévu que la commune puisse réaliser une étude préalable à l'adoption d'un PSMV et qu'un débat soit ensuite organisé au sein de l'EPCI sur l'opportunité d'élaborer un PSMV. Mais il faudrait ajouter la possibilité, en cas de désaccord, d'un arbitrage devant la commission nationale ! Il faut assurer l'interface constante entre les niveaux national et local afin de créer une dynamique.

Enfin, sur le patrimoine mondial, qui a retenu toute mon attention, j'ai demandé que le plan de gestion soit élaboré conjointement avec les collectivités locales. Or, la plupart du temps, les collectivités locales réalisent seules leur plan de gestion. Les documents d'urbanisme mentionnent d'ailleurs toujours le mot de conjoint. Quant au périmètre de la zone tampon, il me semble que l'État préférait que son périmètre soit défini en concertation avec les élus. On peut en discuter. Les collectivités ont eu le sentiment d'être mises à l'écart de l'élaboration des plans de gestion. Cette démarche m'apparaît ainsi comme provoquante.

Mme Isabelle Battioni m'a accompagné dans cette table ronde et a apporté un texte promouvant la reconnaissance par la loi des centres culturels de rencontres. Nous en parlerons ultérieurement, mais si le Sénat pouvait nous aider dans ce domaine, nous lui en serions reconnaissants.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je suis très sensible à l'évolution des centres culturels de rencontres.

M. Yves Dauge . - Ce sont des structures qui fonctionnent bien et sont soutenues par les collectivités territoriales dans les territoires où la culture n'est pas toujours présente. Il existe d'ailleurs un label national, mais ces centres n'ont pas, pour l'heure, d'existence juridique.

M. Jean-René Etchegaray, maire de Bayonne, vice-président de l'ANVPAH et VSSP . - J'interviens en qualité de représentant de l'Association nationale des villes et pays d'art et d'histoire et des espaces protégés qui regroupe deux cent villes dans ce pays qui comptent soit un secteur sauvegardé ou qui bénéficient du label « Villes ou pays d'art et d'histoire ». Ces villes ont eu le souci de mettre en oeuvre une politique patrimoniale. Près de 800 collectivités ont adopté au moins un outil de la politique patrimoniale. C'est dire à quel point la politique patrimoniale occupe une place importante pour les élus que nous sommes. Je suis moi-même maire de Bayonne. Dans notre association, nous nous intéressons à tous les dispositifs juridiques permettant de protéger les édifices architecturaux et paysagers.

À la lecture de ce projet de loi, nous constatons une inquiétante perte de la puissance que nous avait donnée, en particulier, la loi « Malraux ». Peut-on parler d'assassinat de ce dispositif ? On n'en est pas loin. Ce texte manque d'ambition et les collectivités locales qui ont beaucoup attendu de l'État et du législateur craignent d'être lâchées sur cette question de la protection patrimoniale.

Le paysage institutionnel proposé par les premières dispositions du projet de loi évoquant les commissions nationale et régionales laisse à penser que celui-ci est satisfaisant. Il y aurait ainsi une protection nationale, qui existe encore pour les secteurs sauvegardés, et régionale, qui existait auparavant pour les ZPPAUP et les AVAP. Cette démarche revient également à reconnaître un patrimoine local, voire vernaculaire, relevant de la protection des PLU locaux. Il est vrai que notre association avait porté l'idée, soutenue d'ailleurs par le législateur au travers des réformes multiples et trop nombreuses qui se sont succédées ces dernières années, que nos PLU pouvaient avoir une vocation patrimoniale. Je partage d'ailleurs l'avis de mes collègues qui viennent d'évoquer le rapport de forces entre le code de l'urbanisme et celui du patrimoine. On assisterait ainsi à une espèce de nivellement par le bas qui interviendrait par le PLU et serait néfaste à nos collectivités.

Il faut être conscient que les intercommunalités sont vouées à prendre le pas sur les communes. Au moment où l'on nous incite à mettre en place des plans locaux d'urbanisme intercommunal (PLUI), on nous explique que le patrimoine sera bien protégé par des PLU dits patrimoniaux. Il y a là une contradiction totale. Je sais de quoi je parle, étant président d'une intercommunalité qui possède un secteur sauvegardé, à l'instar d'une centaine de villes et ce, alors que Malraux en espérait 400. Il est difficile de mettre en place un secteur sauvegardé et il est encore plus difficile de le maintenir. Le président de l'intercommunalité que je suis ne peut que constater le peu d'intérêt de ses collègues pour la préservation du patrimoine culturel de la ville de Bayonne. On ne peut leur en faire le reproche, mais il n'y a pas mieux que les élus locaux et communaux pour avoir conscience des enjeux du patrimoine. Cette loi n'a pas pris la mesure de la place que les EPCI vont prendre, du fait de leur taille conséquente, à l'instar de celle des régions. Nous ne sommes pas préparés à cette nouvelle situation et je suis très inquiet, car le paysage institutionnel est en train d'évoluer et la loi qu'on nous propose ne le prend pas suffisamment en compte.

Sur le plan réglementaire, notre inquiétude est la même. Les servitudes d'utilité publique assuraient la crédibilité du dispositif, et en particulier du secteur sauvegardé et des ZPPAUP. C'est parce que ces servitudes d'utilité publique sont solides que l'on peut légitimer la fiscalité spécifique du patrimoine que ne concernait pas, à l'origine, la loi Malraux. Songeons à l'ambition que devrait avoir cette loi en termes de niveau de contraintes, qui se révèlent être autant de servitudes ! Il est important que les régimes d'autorisation d'urbanisme intervenant dans ces secteurs protégés soient examinés par l'ABF qui est, de ce fait, un allié pour les élus. Les majorités passent dans les municipalités et les intercommunalités vont, du fait de leur élection au suffrage universel direct, être traversées par des mouvements politiques importants et connaître des formes d'instabilité plus importantes que celles qui existent dans nos communes. Il nous faut de la stabilité et le droit du patrimoine doit demeurer beaucoup plus stable que ne l'est le droit de l'urbanisme dans la mesure où dès que nos communes enregistrent un changement de majorité, elles modifient, de fond en comble, leur plan local d'urbanisme. Défendre le patrimoine, c'est défendre la mémoire qui s'inscrit dans la continuité des mandats et est séculaire. Le projet de loi a totalement oublié le facteur temps dans la protection du patrimoine.

M. Thierry Tuot, conseiller d'État, rapporteur général de la commission de concertation sur le fonctionnement et l'avenir des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) . - Je remercie votre commission de m'avoir invité puisque je n'avais aucun titre pour prendre la parole dans cette enceinte. Bien que j'ai été associé à la réalisation du texte de loi créant les AVAP, je ne parle ici qu'en mon nom puisque je n'ai ni été consulté par le ministère ni siégé à l'Assemblée générale du Conseil d'État sur le texte qui nous réunit aujourd'hui. En revanche, la formation contentieuse que je préside au Conseil d'État sait assez bien annuler les décisions des collectivités relatives au zonage et c'est d'ailleurs la seule certitude que nous ayons en la matière : il est en général plus facile d'annuler que d'élaborer un dispositif légal. Je serai en l'occurrence heureux de vous apporter le point de vue d'un juge administratif sur ce projet.

Il faut, à titre liminaire, saluer la simplification des structures et des procédures assurée par ce projet de loi. Celui-ci introduit également des procédures, notamment implicites, par défaut qui me paraissent tout à fait bienvenues dans le système, dès lors qu'on allège la charge de travail. Je reste néanmoins frustré en matière de simplification sur un point qui est celui de l'articulation des documents entre eux à l'intérieur du code du patrimoine. Que fait-on lorsqu'on a un classement UNESCO et une cité historique ? Comment s'articulent la zone tampon et les abords ? Le juge le dira dans dix ans, mais il serait intéressant de se poser d'ores et déjà la question.

Plus généralement, je serais heureux de soulever un point de vigilance devant votre commission. Comment articule-t-on les documents du patrimoine avec les autres ? J'ai la chance d'être administrateur de trois grands ports - Paris, Rouen et le Havre. Une entreprise qui s'installe bord à quai à Rouen est soumise à environ trente-cinq à trente-sept plans divers. Lesquels doit-on privilégier et comment les articule-t-on ? Lorsqu'on a la chance d'avoir du patrimoine industriel sur les bords de Seine, que fait-on prévaloir, les risques d'inondation, les explosions chimiques ou la préservation du patrimoine ? Cette articulation ne peut être arrêtée par la technostructure. Il n'y a que les parlementaires qui soient en mesure de sélectionner ce qu'on doit privilégier.

C'est là le premier point de vigilance que je voulais évoquer. Je crois, qu'au-delà des circonstances, les AVAP avaient résulté du sentiment de malaise éprouvé par nombre d'élus locaux à devoir concilier la vie des quartiers avec la préservation des patrimoines. Nous ne pouvons faire de la protection du patrimoine un conservatoire à ciel ouvert. Il faut en effet continuer à vivre dans le patrimoine et le paysage que nous préservons. Dans quel sens doit-on traiter les priorités, entre l'emploi, l'environnement, la croissance ? Le code de l'urbanisme comporte une quinzaine d'objectifs liminaires, sans aucune hiérarchie. L'objectif exact que l'on poursuit manque à la définition des cités historiques. Si le projet de loi qu'on vous soumet est bel et bien celui du XXI e siècle et qu'il est, à ce titre, destiné à demeurer pérenne pendant vingt ou trente ans, encore faut-il savoir quel patrimoine nous protégeons et dans quel but nous le faisons. Si l'on voit ici des améliorations de l'enveloppe et des outils, la réflexion de fond sur la définition du patrimoine et la façon dont elle s'articule avec la vie sociale, qu'elle soit urbaine ou rurale, n'est guère présente ; du moins je n'en vois ni la trace ni les déterminants dans le texte qui vous est proposé. C'est un oubli fâcheux. De ce fait, l'administration de ces zones - comme il l'a été rappelé par les précédents intervenants - n'est pas éternelle et à l'horizon d'une décennie, il faut prendre en compte l'évolution des techniques et de notre sensibilité, mais aussi de nos pratiques sociales. Il y a dix ans, personne n'envisageait la pose de double vitrages comme on le fait aujourd'hui. La visibilité des éoliennes depuis les zones protégées est aussi devenue une question. La sensibilité et les besoins changent, ainsi que la dynamique sociale, économique et touristique. Il nous faut les moyens de l'administrer dans le temps. Dans l'état actuel, le projet n'aborde pas les questions de la co-administration avec les élus locaux et l'État de l'évolution de la réglementation, ni celle de la très grande simplicité possible des évolutions secondaires que l'on pourrait mettre en place. Faut-il vraiment mettre en oeuvre une machinerie lourde et coûteuse pour déterminer les modalités de l'installation des enseignes dans une rue ? Ce type de problème, que les AVAP permettaient de résoudre, n'est plus abordé. Il nous faut dégager des priorités quant à ce que nous voulons protéger et réfléchir à des systèmes d'administration plus ouverts et transparents, de manière à anticiper l'évolution de la réglementation de l'intérieur.

Je formulerai un second point de vigilance en reprenant l'expression de M. Alain de la Bretesche : « les 500 mètres, c'était idiot mais c'était simple ». Je tremble comme juge devant la marée contentieuse qui s'annonce en matière de définition des périmètres. Aucun critère n'est défini dans la loi pour faciliter la délimitation des périmètres. La seule chose qui est prévue, c'est qu'à défaut, on peut toujours en revenir à la règle des 500 mètres. Vous conviendrez avec moi que le contenu est assez faible. Pour autant, je ne crois pas qu'il revienne au législateur de le préciser. Mais, il faudrait, à tout le moins, certaines directives sur l'usage des pouvoirs des ABF, sur le contenu de la réglementation des cités historiques et sur la façon de délimiter les 500 mètres, sans nécessairement qu'elle revête un caractère impératif. Cette démarche permettrait de réduire l'incertitude et l'imprévisibilité. La commission nationale pourrait être chargée de l'élaboration de ces directives au contenu purement indicatif et devenir une sorte de « parlement national du patrimoine ». Il faudrait à ce titre, réfléchir à la possibilité d'élargir sa composition afin de l'ouvrir aux représentants du monde économique et social. Les directives élaborées par la commission nationale seraient publiées et déclinées au niveau local, afin de servir de guide pour les ABF et de référence pour les élus locaux.

Le troisième point de vigilance concerne la trop grande fragilité des nouveaux PLU du fait de l'incertitude qui entoure leur contenu. J'observe qu'on en annule beaucoup et leur annulation portera désormais atteinte à la protection du patrimoine. Auparavant, la protection du patrimoine était assurée quand bien même le PLU était annulé, puisque le PSMV ou le règlement de l'AVAP perdurait, le cas échéant, au-delà de cette annulation. Il faudrait réfléchir, en cas de contentieux, à la possibilité pour le juge de conserver des règles minimales ou de définir, au niveau national, des modalités minimales de protection qui permettraient au moins de conserver le périmètre et les règles de base en cas d'annulation. Comme vous le savez, ce type d'annulation est relativement fréquent.

Au-delà, nous avons un problème d'échelle et d'outils disponibles pour protéger le patrimoine des petits villages qui risque de relever des EPCI, ainsi que le patrimoine paysager et rural. Si nous avions classé les Boucles de la Seine au patrimoine mondial de l'UNESCO, rien de ce qui était dans la loi n'était, en l'espèce, applicable. Il s'agit là d'un vrai problème : qui doit déterminer la politique patrimoniale ? Ce qui me conduit à revenir sur mon interrogation liminaire qui porte sur la définition du patrimoine au XXI e siècle. La ville de Carcassonne, à l'époque de Viollet-le-Duc et Mérimée, c'était un patrimoine urbain. En ne protégeant que lui, on en arrive à la situation paradoxale d'autoriser des éoliennes sur les Corbières. Il faut absolument se poser la question de l'échelle et renouveler notre savoir en matière de protection du patrimoine. Je regrette qu'on ne modernise pas les documents d'urbanisme, en incitant les collectivités à renouveler leurs connaissances auprès des universitaires spécialisés. Je regrette également que l'on continue à parler d'enquête publique comme si cet instrument de participation n'était pas caduc depuis vingt à trente ans et totalement incapable d'assurer la participation des citoyens. Je rappelle que l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui fait l'objet d'un consensus total parmi la population, a fait l'objet de trois déclarations d'utilité publique et de trente années de procédures. Si l'on veut une autre illustration de l'échec total de notre appareil de consultation du public, il est facile de trouver une dizaine d'exemples analogues. Nous ne savons plus associer la population aux consultations réglementaires. Réfléchir à la modernisation de la protection du patrimoine, c'est réfléchir d'abord à l'adhésion sociale à cette protection.

Je terminerai mon propos avec un quatrième point de vigilance. Une fois de plus, l'outre-mer est ignoré avec un renvoi à des ordonnances pour l'adaptation aux spécificités de ces territoires. Comment pouvons-nous dire à nos compatriotes que nous les considérons comme liés au destin national en leur proposant de déroger systématiquement à la réglementation en vigueur en métropole ? N'avons-nous, depuis Paris, aucune idée de ce qu'est le patrimoine de nos collectivités d'outre-mer ? Aucune réflexion nationale n'est conduite pour prendre en compte les spécificités du patrimoine ultramarin, afin de le protéger. Je sais bien qu'on confie systématiquement le pouvoir législatif aux collectivités d'outre-mer, y compris à celles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin. Je m'étonne d'ailleurs que la ville de Bayonne ne le revendique pas pour elle, puisqu'elle est plus importante en taille que chacune de ces deux collectivités ! La dérogation n'est pas une solution digne pour nos compatriotes insulaires. Mieux vaudrait proposer une vision nationale de ce patrimoine partagé qui est le nôtre.

Mme Françoise Férat . - Je salue la qualité des interventions de nos invités de ce matin. L'étape qui est aujourd'hui la nôtre est terriblement importante, puisque nous collectons votre expertise afin qu'avec mon collègue, M. Jean-Pierre Leleux, nous puissions améliorer ce texte autant que faire se peut. Je débuterai, si vous me le permettez, mon questionnement en revenant sur trois points évoqués lors de cette table ronde. S'agissant des cités historiques, nous avons bien compris l'objectif du Gouvernement qui est de rationaliser et de simplifier les démarches pour les collectivités territoriales, mais aussi de susciter davantage l'adhésion de nos concitoyens aux projets de protection du patrimoine par la mise en place d'un label facilement identifiable. Pardonnez-moi, mais ce label n'apparaît-il pas avant tout comme touristique et le terme de cité, alors qu'on cherche à élargir la protection du patrimoine au-delà de l'urbain pour, dans certains cas, y inclure les paysages, n'est-il pas tout autant réducteur que cet adjectif d'historique qui renvoie, quant à lui, au passé ?

Mon second point concernera les AVAP : soit on les conserve, soit on leur donne plus de contenu. Dans ce cas, ne pensez-vous pas que le rôle de l'État doit être renforcé mais comment, le cas échéant, concilier cette démarche avec le principe de libre administration des collectivités territoriales ? Je rejoins ce que soulignait M. Etchegaray : l'alternance politique peut ne pas s'avérer favorable à la préservation effective du patrimoine. Les modifications apportées par l'Assemblée nationale pour pallier le risque qu'une intercommunalité s'oppose à la mise en place d'un PSMV vous paraissent-elles suffisantes ?

Nous vous avons parfaitement entendu sur la réforme des abords. À cet égard, que pensez-vous du dispositif retenu pour la protection des biens classés au patrimoine mondial de l'UNESCO, comprenant la délimitation d'une zone tampon et l'élaboration d'un plan de gestion après consultation des collectivités ? L'État étant responsable devant l'UNESCO, pensez-vous que la rédaction actuelle permette suffisamment la prise en compte, par les collectivités, des obligations qui découlent de l'engagement de l'État ? Cette précision est importante.

Enfin, que pensez-vous de la fusion de la commission régionale du patrimoine et des sites et de la commission départementale des objets immobiliers ? J'ai auditionné, hier, des personnes qualifiées dans ce domaine ; la perspective de régionaliser la commission départementale des objets mobiliers me trouble énormément. À un moment où le périmètre des régions s'est particulièrement élargi, est-ce raisonnable, au niveau budgétaire également, de régionaliser dans ce domaine ? Ne serait-ce pas faire oeuvre de bon sens que de garder ce dispositif au niveau départemental où la proximité et l'échange des expériences ont du sens, tout en assurant la présence des personnes concernées ?

M. Jean-Pierre Leleux . - Lorsque vous dites que vous souhaiteriez le maintien des AVAP, cela signifie-t-il que, dans le périmètre des futures « cités historiques », vous proposez qu'en cas de choix du PLU, celui-ci prenne plus la forme d'un règlement du type AVAP ? L'avis de la commission nationale doit-il uniquement porter sur le périmètre de la cité historique ou également concerner le contenu à venir de ce périmètre, c'est-à-dire le document de protection qui lui paraît le plus approprié sur tout ou partie de la zone (PSMV, PLU patrimonial) ? Comment le formaliser le cas échéant ?

Ma seconde interrogation portera sur le PLU intercommunal. MM. Etchegaray et de la Bretesche ont évoqué les difficultés éprouvées par les communes qui disposent d'un important patrimoine pour convaincre les autres maires d'accompagner leur politique patrimoniale qui s'avère onéreuse et dont le partage est, en pratique, difficile. Comment traduire cette possibilité de retrait pour permettre au maire en charge de cette commune patrimoniale de prendre des décisions, quitte à les financer directement, alors même que la compétence est transférée à l'intercommunalité ?

M. Alain de la Bretesche . - Quel nouveau nom autre que celui de « cités historiques » donner à ces nouveaux périmètres ? Si le Sénat en trouve un, tant mieux. La commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale a cherché mais n'y est pas parvenue. Nous avions pensé à la notion de « secteur historique », mais nous ne sommes pas fixés, car le terme de secteur peut s'avérer plurivoque. Sur les commissions, je souhaiterais insister sur l'avancée pour les associations que représente la nouvelle composition des commissions. En effet, nous préconisions que soit institué un collège des représentants du monde associatif dans les commissions nationale, régionales et locales. Finalement, nous l'avons obtenu grâce à la ministre à l'Assemblée nationale dans des conditions qui, je l'espère, seront reprises par le Sénat. Ainsi, il devrait y avoir un collège issu des associations, au-delà des personnalités qualifiées, dans les commissions nationale et régionales. Il nous reste un amendement que nous avions proposé avec les villes et pays d'art et d'histoire et qui proposait que ces commissions soient présidées par les parlementaires. Nous y tenons, forts du bon bilan de la commission nationale des secteurs sauvegardées, qui a été présidée par MM. Yves Dauge puis Jean-Pierre Leleux. Nous pensons que sur le plan régional, c'est une bonne idée, car placer à sa tête un parlementaire permettrait d'éviter les difficultés constatées lorsque des pressions sont exercées sur les représentants de l'administration. La présidence d'un parlementaire permettrait de donner un peu de distance entre des débats si possible démocratiques et le rôle de l'État, qui doit demeurer important.

Pour ce qui est du passage devant les commissions, à l'instar de la commission supérieure des sites, perspectives et paysages, il faut éviter les embouteillages des commissions nationales qui en obèrent le fonctionnement, faute de conditions opérationnelles satisfaisantes. Il faut penser ainsi à cet aspect technique.

S'agissant du rôle éventuel des commissions régionales, ce que nous voyons dans les nouvelles régions avec des préfets préfigurateurs, comme dans la nouvelle région Aquitaine où le préfet sera à Bordeaux et la DRAC à Poitiers, nous donne à penser que les architectes des bâtiments de France sont ainsi voués à redevenir des personnages départementaux autonomes. Nous privilégions plutôt la distance entre le lieu de la décision et les personnes qui délibèrent, afin de réduire les éventuelles pressions qui pourraient se faire jour.

Sur la zone tampon, j'ai sous les yeux un petit opuscule réalisé par la commission de classification au patrimoine mondial de l'UNESCO. Il est ainsi intéressant de noter que Fontainebleau ne dispose pas de zone tampon, malgré ses 144 hectares inscrits à l'UNESCO, tandis que Saint-Savin-sur-Gartempe, qui m'est chère car il nous a fallu lutter pour éviter l'implantation d'éoliennes, dispose quant à elle d'une zone tampon de 149 hectares pour un patrimoine de 0,16 hectare, c'est une véritable catastrophe ! S'il y avait une véritable zone tampon, il n'y aurait pas d'éolienne autour de Saint-Savin-sur-Gartempe. Je prendrai comme dernier exemple le Mont-Saint-Michel dont la zone tampon a été élargie à trois reprises. Créer une zone forfaitaire qui s'applique indéfiniment à deux sites distincts n'a aucun sens ! Cette idée de la zone tampon de l'UNESCO peut s'avérer très bénéfique.

Il est évident que si les AVAP sont maintenues, on règle une grande partie des problèmes. Mais quelle est donc la définition juridique du PLU ? L'article L. 121-1 du code de l'urbanisme précise qu'une municipalité peut, dans son PLU, définir un quartier comme remarquable. C'est tout. Dans certaines villes, comme à Paris et à Bordeaux, on a créé petit à petit un régime juridique municipal pour les immeubles remarquables. Lorsque la Ville de Paris en a classé d'un coup cinq mille, le préfet avait reçu l'ordre du ministère de la culture d'attaquer la décision. L'État a perdu, mais à l'occasion de la révision ultérieure du PLU, on s'est aperçu de l'absence de réglementation claire en matière de classement. C'est pourquoi la direction de l'urbanisme de la Ville de Paris a créé progressivement un régime spécifique. On est allé plus vite à Bordeaux en créant immédiatement un régime qui allait jusqu'aux fiches individuelles d'immeubles dans le système municipal ! Mais, à côté de cela, dans des communes à faible nombre d'habitants, que pouvez-vous faire ? Le PLU patrimonial tel qu'il est défini aujourd'hui n'est pas adapté à l'ensemble du territoire et ne peut faire l'économie d'une co-construction des protections patrimoniales avec l'État et les collectivités. Le mûrissement de la position des parlementaires, qui n'auraient pas défendu ce point il y a quelques années encore, est ici manifeste. En outre, la co-construction préserve la libre administration des collectivités territoriales. Néanmoins, l'Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement permettant le financement des PSMV pour partie pour l'État. Nous demandons au Sénat de prendre position sur ce point et de soutenir que les PSMV sont établis conjointement entre l'État et les collectivités territoriales. Cette démarche nous paraît, dans la pratique, une évidence.

Mme Françoise Férat . - S'agissant de la dénomination de « Cité historique » qui n'est pas satisfaisante, à ce stade de notre réflexion, nous vous proposons l'appellation de « site patrimonial protégé ».

M. Yves Dauge . - Comme le soulignait M. Jean-Pierre Leleux, la commission nationale va se trouver à un moment décisif. D'une manière générale, face à ce texte qui amoindrit le rôle de cette commission, nous soutenons, à l'inverse, qu'il faut le renforcer ! Il faut que cette loi fixe une ligne politique cohérente à la préservation du patrimoine. Comment réaliser une ambition nationale avec une commission nationale renforcée ? On peut même élargir ses compétences. Cette instance est majeure et son renforcement peut susciter un écho favorable. Cette commission ne doit pas seulement définir un périmètre, mais elle doit se prononcer sur le fond en distinguant notamment entre ce qui relève d'un PSMV ou d'un règlement de type AVAP, voire d'un PLU patrimonial. Ce que va dire la commission va avoir un réel impact en cas de contentieux. Le renforcement de cette commission est une excellente chose et il faut que les plans fassent retour vers elle afin qu'elle les approuve.

La commission doit être capable d'expertiser dans la durée, conformément à l'ambition nationale que j'appelle de mes voeux. Je plaide pour que la commission soit capable de départager ce qui relève par nature du secteur sauvegardé - peut-être pas d'ailleurs pour l'ensemble des périmètres - bien que l'ambition des cités historiques soit d'en définir de vastes. Pour y parvenir, il faudrait maintenir les AVAP et comme position de repli enrichir le contenu du PLU patrimonial. L'article L. 151-19 du code de l'urbanisme qui doit entrer en vigueur le 1 er janvier prochain, peut être modifié en ce sens, mais le ministère de l'écologie n'en veut pas. Il faut recourir à un arbitrage politique dans cette affaire, que soit le Parlement soit le Gouvernement pourrait rendre. Maintenir les AVAP satisferait tout le monde. Il faut toutefois maintenir comme position de repli le PLU mais en en limitant le caractère réversible.

Reste la question très délicate de l'intercommunalité. Au moment où cette question avait été soulevée, dans le contexte de la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), j'avais insisté, avec quelques autres, pour que les secteurs sauvegardés restent de la compétence de la commune. Est-ce encore possible ? Je n'en sais rien, car c'est une autre loi qui a réglé ce point.

À l'Assemblée nationale, M. Patrick Bloche a pensé que la commune, qui serait porteuse d'un plan de sauvegarde, assurerait la maîtrise d'ouvrage d'une étude préalable qui pourrait être financée en partie par l'État ; le résultat de cette étude fournissant l'argumentaire préparatoire au cahier des charges de l'appel d'offres. Mais l'appel d'offres serait porté en maîtrise d'ouvrage par l'EPCI : on aurait ainsi deux maîtrises d'ouvrage. Il faudrait, finalement, que l'État garde la maîtrise d'ouvrage puisque la confier aux collectivités s'avère être un obstacle. Ce n'est peut-être pas politiquement jouable, mais c'est techniquement faisable. En cas de désaccord entre la commune et l'intercommunalité, je propose que l'on puisse faire appel à la commission nationale qui gère des dossiers très complexes au niveau local. Le rôle de cette commission n'est pas contraire à l'esprit de la décentralisation.

Revenant enfin sur la rédaction de l'article L. 151-19 du code de l'urbanisme, il y est précisé que, je le cite, « le règlement peut identifier et localiser les éléments de paysage et délimiter les quartiers [ ... ] ». L'utilisation du verbe pouvoir me paraît, en l'espèce, irrecevable puisque si cette démarche relève d'une possibilité dans le droit commun, en revanche, pour les cités historiques, elle s'impose comme une nécessité. Aussi, je souhaite la réécriture de cette ligne en insérant le verbe devoir.

M. Jean-René Etchegaray . - Je formulerai quelques remarques sur ce qui vient d'être dit. Le titre choisi se veut vendeur, presque marchand. C'est un peu gênant pour le patrimoine et cette désignation se rapproche de celle utilisée par les secteurs patrimoniaux dans d'autres pays. À cet égard, le terme de cité historique se veut un gage d'ouverture au tourisme de quartiers préservés. Il n'est pas très facile de trouver un autre titre. Cependant, l'association des termes patrimonial et protégé me paraît intéressante. Ces mots ont du sens. Peut-être que les notions de sites renvoient à des précédentes qualifications juridiques.

Dans le contexte de montée en puissance des EPCI, je me demande s'il ne faudrait pas imaginer une autre alternative. En effet, depuis le vote de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), on a chaque fois tenté de réduire à néant les plans de sauvegarde. Souvenez-vous ! Il fallait instituer un régime d'exception pour les secteurs sauvegardés. Je me demande, à cet égard, si ce n'est pas cette exception qui est aujourd'hui revendiquée.

Sans remettre en cause le régime de droit commun, ne pourrait-on pas imaginer des plans de secteur, qui permettraient à nos élus communaux, attachés à la protection de leur patrimoine, d'exercer une sorte de contrôle patrimonial renforcé ? Je n'ai certes pas le contour exact du concept que j'avance, mais il faut donner aux maires, dans les grands intercommunalités de demain, les moyens de préserver leur patrimoine autant qu'aujourd'hui.

L'évolution des secteurs sauvegardés vers les ZPPAUP a, semble-t-il, induit des changements quant au niveau de protection. Les ZPPAUP sont montées en puissance, tandis que les secteurs sauvegardés se sont révélés moins importants que ce que Malraux avait prévu. Il serait souhaitable que la commission nationale puisse avoir la possibilité de se prononcer entre PSMV et le PLU « cité historique » qui ne sont pas du même niveau. Il faudrait ainsi ériger une sorte de magistrature suprême. Nous aurions là une garantie nationale quant au statut octroyé aux sites. Aujourd'hui, le PLU patrimonial repose sur quelques lignes de l'article L. 123-1-5 du code de l'urbanisme et bientôt sur l'article L. 151-19 du même code mais n'est pas inscrit dans le code du patrimoine. Devant cette carence, il appartient au juge de se prononcer. En l'occurrence, dans un contexte où les secteurs sauvegardés ne sont pas voués à augmenter, je crois au PLU patrimonial. Encore faudrait-il que ces PLU répondent à un niveau d'exigence en termes d'inventaire et reposent sur un corpus plus conséquent de documents afin de l'étoffer. D'ailleurs, notre association soutient depuis longtemps le PLU patrimonial, même s'il est basé, somme toute, sur peu de choses. Si l'on pouvait lui assigner un niveau d'exigences, le patrimoine serait mieux défendu. La population, comme j'ai pu le constater à Bayonne lors d'une enquête publique, accepte les servitudes, qui constituent parfois de véritables négations du droit de propriété, pour habiter dans un secteur sauvegardé. On finit par accepter une contrainte dès lors qu'elle est expliquée et comprise. C'est pourquoi notre association plaide en faveur d'actes de médiation et de participation citoyenne, car si nous n'avons pas ce lien avec les citoyens, on perd en puissance. Les centres d'interprétation de l'architecture et du patrimoine mis en place dans les villes sont soumis à un certain nombre de contraintes dont les citoyens doivent prendre conscience. Si l'on veut que cette loi fasse oeuvre, il faut s'assurer des moyens de cette ambition.

Mme Marie-Pierre Monier . - L'absence de périmètre de protection adapté peut parfois poser problème et nécessiter un « garde-fou ». Comment donner, au sein d'une intercommunalité, aux petites communes désireuses de protéger leur patrimoine le poids nécessaire pour obtenir un PSMV ? Le problème a été évoqué par un certain nombre de personnes que nous avons auditionnées.

Pourquoi n'existe-t-il pas plus de 115 à 120 secteurs sauvegardés ? Cela ne mériterait-il pas une réforme ? De 640 ZPPAUP nous sommes passés à 80 AVAP. N'y avait-il pas déjà, dans la précédente loi, un problème juridique qui expliquerait que les transformations n'aient pas eu lieu et aient déjà été reportées une première fois à 2016 ? Pour élaborer un PLU patrimonial, est-il exact que l'accord de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture sera requis et que, pour un PSMV, celui de la commission nationale des cités et monuments historiques sera nécessaire ?

En tant qu'élus locaux, nous sommes convaincus que préserver notre patrimoine c'est défendre notre mémoire et notre territoire. L'État doit aider les maires à le conserver pour des raisons économiques notamment et à répondre à des propositions d'urbanisme auxquelles il serait parfois nécessaire de mettre un frein.

Mme Corinne Bouchoux . - Comment concilier le plan Fabius sur le tourisme avec les mesures proposées par la loi ? Comment travailler dans un esprit de coopération entre territoires d'un même département pour éviter une guerre de logos et de labels ? Comment allons-nous intégrer au texte cet esprit de conciliation ? De la même façon, comment intégrer dans vos suggestions les dispositions de la transition énergétique résultant de la COP21 que les territoires vont être tenus d'appliquer ?

Mme Colette Mélot . - Je voudrais relayer les inquiétudes des associations sur le régime unique des cités historiques et sur le problème des périmètres délimités des abords des monuments historiques. Les associations souhaitent que l'intervention de l'État demeure. Il faut encore enrichir la loi.

Mme Sylvie Robert . - Ce texte comporte des « angles morts ». Comment faire en sorte qu'un PLU patrimonial ne subisse pas subrepticement des modifications le plus souvent à l'occasion d'un changement politique ? Des dispositions plus contraignantes visant par exemple à limiter dans le temps le nombre des modifications seraient nécessaires. L'Assemblée nationale a amendé le texte en proposant une durée de dix ans. Qu'en pensez-vous ?

Mme Marylise Ortiz, directrice de l'ANVPAH et des VSSP . - Les ZPPAUP transformées en AVAP sont pour l'instant peu nombreuses. Certaines collectivités sont déjà passées en AVAP, d'autres, sachant que le régime pourrait encore être modifié, ont préféré attendre de connaître l'issue du projet de loi qui vous est actuellement soumis. Pour un peu plus de 800 collectivités locales, passer en cité historique entraîne un coût, notamment pour celles de dimension modeste qui ont par ailleurs d'autres actions à financer.

Les secteurs sauvegardés font l'objet d'une demande importante de la part de communes qui souhaitent profiter de l'outil qu'ils représentent pour gérer leur urbanisme et faire évoluer leurs centres villes. Angers, Amiens, Agen, Morlaix ou Pau sont sur les rangs. Les secteurs sauvegardés sont cependant peu nombreux car leur mise en place par les collectivités locales suppose un financement important. De plus, la part de financement assurée autrefois à 100 % par l'État a chuté à environ 50 %. Lorsque les collectivités seront maîtres d'ouvrage, elles seront libres de choisir leurs propres conditions de création.

L'aspect énergétique, madame Bouchoux, est effectivement essentiel, et nous nous efforçons, notamment à Bayonne, avec le ministère de l'écologie, d'intégrer les propositions de la COP21.

Le patrimoine culturel est un potentiel économique qu'il faut entretenir car il participe en grande partie au choix des destinations touristiques. La restauration et la rénovation du bâti et des logements s'imposent dans les centres villes historiques où les constructions anciennes menacées d'insalubrité demandent à être réaménagées tout en garantissant la qualité du bâti spécifique et exceptionnel. La création de logements est nécessaire, le potentiel est énorme et doit pouvoir concurrencer l'immobilier neuf. Une réflexion s'impose dans ce sens.

M. Thierry Tuot . - Je souscris à la proposition de nom qui a été formulée et j'appelle à une réflexion sur le remplacement des termes « zone tampon », peu élégants, par « périmètre de protection ».

La définition des nouvelles cités historiques doit permettre de concilier tous les objectifs majeurs avec la protection du patrimoine. Il ne peut pas y avoir d'un côté la« poussière sous les vitrines » et de l'autre le modernisme, l'innovation et l'environnement. L'un des objectifs des AVAP est de concilier protection de l'environnement, développement économique et qualité de l'habitat.

Je souscris au renforcement du rôle de la commission nationale et des commissions régionales. Il est important de leur confier un statut d'organes de régulation, de réflexion, d'arbitrage, de gardien de la continuité au-delà des majorités politiques, d'éclairage de l'avenir, d'expertise, d'évaluation et de dialogue. Il me paraît également nécessaire d'associer, aux côtés de l'administration, des instances extérieures, comme, par exemple dans leur domaine, le Conseil supérieur de l'énergie, autorité indépendante, la commission nationale d'aménagement commercial, dont l'action quasi juridictionnelle joue un rôle de recours pour résoudre les conflits locaux, ou le Conseil supérieur de l'AFP garant de l'indépendance de l'Agence.

La protection du patrimoine représente un flux de modernisations, d'aménagements et d'investissements. La question liée au rôle structurel des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) pourrait trouver sa réponse dans un schéma de coordination d'investissements actuellement saupoudrés entre l'Europe et tous les niveaux de l'État. Sur le modèle des contrats de plan, un programme concerté de cinq ans de priorisation des investissements pourrait être discuté en commission régionale, permettant ainsi de réconcilier protection normative statique et dynamisme de la protection patrimoniale.

L'une des pistes à explorer serait d'identifier au sein du PLU, par souci de sécurité, une zone protégée réglementaire, immune à un certain nombre de variations et répondant à des critères de modification particuliers. Au sein du PLU, un constat patrimonial indépendant pourrait être établi sur la base duquel un principe de protection s'appliquerait sous réserve de changement dans la consistance du patrimoine. Il est normal qu'une commune modifie son plan local d'urbanisme, mais son degré de liberté diffère sur la partie patrimoniale.

M. Yves Dauge . - Un nombre important de territoires ruraux et de petites villes sont en situation de grave décrochage. Le résultat des dernières élections est à cet égard significatif. Avec la perspective des « grandes régions », nous sommes au coeur d'une dimension politique et pas uniquement patrimoniale. Jusqu'à présent, les régions établissaient des schémas régionaux d'aménagement du territoire qui, même s'ils présentaient de l'intérêt, n'abordaient pas les questions de patrimoine ni celles de plans de sauvegarde. Il faut déployer des schémas régionaux d'aménagement prenant en compte les petites villes labellisées « cité historique ». Cette loi mériterait d'être placée dans une perspective d'urgence. Beaucoup de centres villes, comme à Nevers où je me suis rendu très récemment, s'effondrent alors que leur patrimoine architectural est exceptionnel mais laissé à l'abandon au profit d'implantations de surfaces commerciales en périphérie.

Le ministère de la culture n'étant plus en mesure d'assurer le financement des études, j'ai proposé de recréer, à l'instar du fonds d'aménagement urbain (FAU), un fonds interministériel réunissant les moyens dont disposent les ministères pour l'aménagement du territoire, le tourisme, l'écologie, le logement... Cette loi ne doit pas se cantonner au stade de la procédure car elle présente l'opportunité de relancer une économie, de faire travailler une catégorie de métiers, les architectes et les urbanistes, et de recentrer des moyens jusqu'alors éparpillés par l'État entre des ministères dont les intérêts sur le terrain divergent.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je remercie nos invités. Le Sénat aura pour objectif d'améliorer ce projet de loi que nous a transmis l'Assemblée nationale.

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