C. LES PERQUISITIONS ADMINISTRATIVES

Alors que seule une perquisition administrative avait été menée lors de la dernière mise en oeuvre de l'état d'urgence en 2005 à l'occasion de la « crise des banlieues », il apparaît que ces perquisitions constituent, depuis le 14 novembre 2015, les mesures de l'état d'urgence les plus utilisées sur le plan quantitatif.

1. Le cadre juridique des perquisitions administratives

En application de la loi du 3 avril 1955, les perquisitions administratives ne peuvent être conduites que dans les zones où l'état d'urgence reçoit application et à la condition que le décret ayant déclaré, ou la loi ayant prorogé, l'état d'urgence en ait prévu expressément la possibilité.

La loi du 20 novembre 2015 a substantiellement étoffé les dispositions de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, dont la rédaction antérieure était très concise 27 ( * ) . Désormais, l'article 11 dispose que les autorités administratives peuvent ordonner de telles perquisitions « en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit (...) lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ». Sont seuls exclus du champ de ces perquisitions les locaux affectés à « l'exercice d'un mandat parlementaire ou à l'activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes ».

La loi du 20 novembre 2015 est venue également compléter les modalités de déroulement de ces opérations. Ainsi, la décision ordonnant une perquisition, qui prend la forme d'un « ordre de perquisition » signé du préfet ou, le cas échéant, du préfet de police de Paris, précise le lieu et le moment de la perquisition. Les arrêtés de perquisition que votre rapporteur a pu consulter comportent également un exposé sommaire des motivations de la mesure.

Le procureur de la République territorialement compétent est informé sans délai de cette décision. La perquisition doit obligatoirement être conduite en présence d'un officier de police judiciaire territorialement compétent , la loi précisant, à la suite de la proposition formulée par le président Philippe Bas, reprise lors du débat à l'Assemblée nationale, qu'il est le seul habilité à dresser procès-verbal de toute infraction relevée, à charge pour lui d'en informer sans délai le procureur de la République et, le cas échéant, de procéder aux saisies utiles. La perquisition ne peut, par ailleurs, se dérouler qu'en présence de l'occupant ou, à défaut, de son représentant ou de deux témoins.

Dans le cas où la perquisition ne conduit pas à la constatation d'une infraction à la loi pénale, les services de police et de gendarmerie n'ont le droit de procéder à aucune saisie.

Toutefois, avec la loi du 20 novembre 2015, les forces de l'ordre ont désormais la possibilité, hors de toute infraction, de procéder à la consultation des données informatiques contenues par les différents supports présents sur le lieu de la perquisition (ordinateurs, téléphones, tablettes, etc.), mais également des données accessibles par l'intermédiaire de ces systèmes (messageries, systèmes de « cloud », etc.), et de les copier sur tout support pour une exploitation ultérieure.

2. L'utilisation intensive des perquisitions administratives

À la date du 3 février 2016, 3 299 perquisitions administratives avaient été conduites depuis le 14 novembre 2015. Il est cependant à noter l'importante concentration de ces opérations dans les premières semaines suivant la déclaration d'état d'urgence avec un quart du total des perquisitions conduites la première semaine . Un peu plus de 75 % des perquisitions avaient été réalisées au 8 décembre 2015.

S'agissant des modalités de leur exécution, près de la moitié des perquisitions ont démarré en dehors des heures « légales » prévues par le code de procédure pénale 28 ( * ) , soit après 21 heures et avant 6 heures du matin. Dans sa deuxième communication d'étape sur le contrôle de l'état d'urgence devant la commission des lois le 13 janvier dernier, le président Jean-Jacques Urvoas soulignait que ses interlocuteurs lui avaient indiqué que « cette précaution tactique permettrait d'intervenir sur des cibles dangereuses pour conserver un effet de surprise ou dans des zones connues pour des désordres, afin d'opérer plus discrètement ».

La majorité des perquisitions conduites (60 %) ont concerné des lieux fréquentés par des personnes qui ne faisaient pas l'objet d'une fiche 29 ( * ) au fichier des personnes recherchées (FPR) ou au fichier dit « FSPRT » 30 ( * ) .

Selon les informations transmises à votre rapporteur, le renseignement territorial est le principal service de police à l'origine des demandes de perquisition 31 ( * ) . Le service central du renseignement territorial (SCRT) et ses services zonaux, régionaux ou départementaux (SZRT, SRRT, SDRT) sont à l'origine des renseignements dans 36 % des lieux perquisitionnés. La direction centrale de la sécurité publique, les groupements départementaux de gendarmerie sont respectivement à l'origine de près de 25 % et 17 % des perquisitions. Seules 440 perquisitions reposaient sur des éléments de la direction générale de la sécurité intérieure (12,8 %).

Il convient d'ailleurs de relever que le président Jean-Jacques Urvoas, dans le cadre des déplacements qu'il a effectués dans différents départements, a souligné que « le ciblage des perquisitions avait donné lieu partout en France à une organisation déconcentrée très spécifique, réunissant systématiquement la sécurité intérieure, le renseignement territorial, la direction de la sécurité publique et la gendarmerie nationale, mais aussi la police judiciaire et le parquet », dans le but notamment, selon ses interlocuteurs, de « veiller à ce qu'aucune perquisition administrative ne porte préjudice à une procédure judiciaire en cours, ni a fortiori concerne un individu sous le coup de poursuites judiciaires ». Une analyse similaire a du reste été exposée par le préfet de police de Paris et le procureur de la République de Paris lors de leur audition devant le comité de suivi de votre commission, tous deux soulignant l'étroitesse de la collaboration et la qualité de travail noués dans la conduite des perquisitions administratives.

3. Les suites données aux perquisitions

L'efficacité de cet outil de l'état d'urgence doit faire l'objet d'une analyse au regard de différents éléments.

Lors de son audition devant votre commission le 2 février 2016, le ministre de l'intérieur a tout d'abord indiqué que ces perquisitions avaient conduit à la saisie de 560 armes , dont 208 armes longues, 163 armes de poing et 42 armes de guerre, mais également à la saisie de produits stupéfiants ou d'espèces (plus d'un million d'euros). Il a également précisé que les perquisitions avaient conduit à 341  décisions de gardes à vue à vue donnant lieu à 65 condamnations et 54 incarcérations 32 ( * ) .

Votre rapporteur a également reçu de manière régulière du ministère de la justice des statistiques relatives aux suites judiciaires données aux perquisitions administratives. À la date du 2 février 2016, sur la base de 2 867 perquisitions administratives 33 ( * ) , 571 perquisitions avaient donné lieu à une suite judiciaire, dont 210 pour infraction à la législation sur les armes, 202 à la législation sur les stupéfiants et 159 pour d'autres infractions.

Il convient de noter que les perquisitions administratives ont cependant conduit à un nombre limité de procédures judiciaires pour terrorisme puisque selon les données fournies par le procureur de la République de Paris, seules cinq enquêtes préliminaires ont été ouvertes par la section antiterroriste du parquet de Paris, dont une seule s'est traduite par l'ouverture d'une information judiciaire avec mise en examen.

Les perquisitions ont enfin conduit à l'ouverture de procédures judiciaires pour apologie du terrorisme dans une vingtaine de cas.

Le ministre de l'intérieur a eu l'occasion de préciser lors de son audition que si ces perquisitions ne débouchaient pas sur des procédures pour terrorisme, elles permettaient néanmoins de déstabiliser des filières de criminalité qui l'alimentent.

Enfin, l'efficacité des perquisitions doit également être mesurée à l'aune des consultations et des copies de données informatiques auxquelles il a été procédé lors de leur réalisation (dans près de la moitié des cas), qui ont permis aux forces de l'ordre et aux services de renseignement de disposer de renseignements, toujours en cours d'exploitation comme l'a rappelé le ministre de l'intérieur lors de son audition, et dont les effets concrets sont particulièrement délicats à mesurer dans le cadre du contrôle parlementaire. Votre rapporteur relève en outre que les éléments recueillis lors des perquisitions ont pu, dans certains cas, alimenter des dossiers conduisant le ministre à prononcer une assignation à résidence 34 ( * ) .


* 27 La rédaction antérieure à la loi du 20 novembre 2015 disposait que l'autorité administrative pouvait ordonner des perquisitions « à domicile de jour et de nuit ».

* 28 Article 59 du code de procédure pénale.

* 29 23,3 % des personnes faisaient l'objet d'une fiche « police judiciaire » ou « sûreté de l'État » dans le fichier des personnes recherchées ou figuraient dans le FSPRT. Pour 17,1 % des perquisitions, cette information n'a pas été communiquée. Dans les seules hypothèses où l'information a été renseignée, 72 % des personnes faisant l'objet d'une perquisition ne faisaient pas l'objet d'un signalement au FPR.

* 30 Fichier de traitement des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste tenu par l'UCLAT, créé par le décret n° 2015-252 du 4 mars 2015, qui recense les signalements effectués par le biais du centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation violente.

* 31 Plusieurs services peuvent fournir du renseignement pour une même perquisition.

* 32 Les chiffres des condamnations et des incarcérations ne peuvent s'additionner dans la mesure où une personne peut être condamnée et incarcérée ou seulement incarcérée dans le cadre d'une détention provisoire.

* 33 Il existe un décalage entre les statistiques des perquisitions administratives et les remontées d'informations provenant des juridictions.

* 34 Voir par exemple l'assignation à résidence suspendue par le juge des référés du tribunal administratif de Lille (ordonnance n° 1510268 du 22 décembre 2015).

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