EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Votre commission est appelée à se prononcer sur la proposition de loi visant à lutter contre les contrôles d'identité abusifs n° 257 (2015-2016), déposée le 15 décembre 2015 par nos collègues Mmes Éliane Assassi, Laurence Cohen, Cécile Cukierman, M. Christian Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen (CRC).

Comme en dispose l'article 78-1 du code de procédure pénale, toute personne se trouvant sur le territoire français doit pouvoir justifier de son identité , à la demande des autorités de police, dans le cadre d'un contrôle d'identité, selon les conditions définies par les articles 78-2 et suivants.

En effet, permettre aux forces de l'ordre de demander de manière générale à toute personne de justifier son identité serait contraire au principe constitutionnel de liberté d'aller et venir. Le législateur a donc encadré les contrôles d'identité, par l'adoption d'une dizaine de lois entre 1981 et 2006, codifiées aux articles 78-1 à 78-6 du code de procédure pénale.

Le contrôle de l'identité peut intervenir dans un cadre de police judiciaire , dans le but de rechercher les auteurs d'une infraction, mais il peut également être effectué dans un cadre de police administrative , pour prévenir un trouble à l'ordre public.

Le cadre juridique des contrôles d'identité est relativement complexe mais il est aujourd'hui stabilisé . Les modifications récemment intervenues dans le cadre de la loi n° 2016-339 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs du 22 mars 2016 ou en cours d'adoption dans le cadre du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale n'ont que pour objet de permettre la fouille des bagages à l'occasion d'un contrôle d'identité.

La présente proposition de loi a pour objet de redéfinir le critère justifiant un contrôle d'identité de police judiciaire, de supprimer toutes les autres formes de contrôles d'identité et d'instaurer une expérimentation consistant à ce que les agents des forces de l'ordre délivrent un récépissé aux personnes contrôlées.

Lors de la discussion du projet de loi relatif à la lutte contre la criminalité organisée précité, des amendements reprenant des dispositions de la présente proposition de loi ont été rejetés par le Sénat.

La présente proposition de loi restreindrait fortement les possibilités actuelles de contrôle d'identité, pourtant nécessaires dans le contexte actuel et créerait une forte insécurité juridique pour les agents des forces de l'ordre.

Votre commission a décidé en conséquence de ne pas adopter la présente proposition de loi.

I. LE CADRE JURIDIQUE COMPLEXE DES CONTRÔLES D'IDENTITÉ

A. LA COEXISTENCE DE DIFFÉRENTS CONTRÔLES D'IDENTITÉ

1. La distinction entre les contrôles d'identité réalisés dans le cadre de la police judiciaire et ceux réalisés à titre préventif
a) L'existence de plusieurs types de contrôles d'identité

Toute personne présente sur le territoire national peut faire l'objet d'un contrôle d'identité . Il peut être défini comme « l'acte d'un agent de l'autorité publique consistant à demander à un particulier, sous les conditions posées par la loi, de justifier son identité aux fins de l'examen du document fourni, en tout lieu où cet agent se trouve légalement » 1 ( * ) .

Deux types de contrôles d'identité sont habituellement distingués : les contrôles effectués dans le cadre de la police judiciaire , dans le but de rechercher les auteurs d'un délit ou d'un crime, pour empêcher la commission imminente d'une infraction, pour obtenir des informations relatives à une infraction ou à l'égard d'une personne faisant l'objet de recherches ordonnées par l'autorité judiciaire 2 ( * ) et les contrôles effectués dans le cadre de la police administrative , qui ne visent pas la répression d'un délit ou d'un crime mais ont pour objet de prévenir une atteinte à l'ordre public 3 ( * ) .

Dans ces deux cas, les contrôles d'identité doivent être motivés par des éléments concrets , rattachables à la personne faisant l'objet du contrôle et non simplement par des considérations générales.

Une troisième procédure emprunte des éléments aux deux types de contrôles précités : en application de l'alinéa 6 de l'article 78-2 du code de procédure pénale, le procureur de la République peut décider des contrôles d'identité, dans des lieux qu'il définit et pour une durée déterminée, pour prévenir la commission de certaines infractions. Dans ce cas, l'identité des personnes peut être contrôlée de manière systématique , sans avoir à rapporter d'éléments justifiant le contrôle.

En cas d'impossibilité pour la personne contrôlée de faire état de son identité ou en cas de refus de le faire, la personne peut alors faire l'objet d'une retenue pour vérification d'identité , définie à l'article 78-3 du code de procédure pénale.

Toutes les procédures relatives au contrôle d'identité sont placées sous le contrôle du procureur de la République et le contentieux de ces mesures, qu'elles se rattachent à la police judiciaire ou à la police administrative, relève de la compétence du juge judiciaire .

b) La possibilité de compléter un contrôle d'identité par la visite des véhicules et la fouille des bagages, sous certaines conditions plus restrictives

Les articles 78-2-2 à 78-2-4 du code de procédure pénale définissent le cadre juridique particulier de la visite des véhicules - et de la fouille de bagages au sein des véhicules et emprises de transport public de voyageurs, depuis la loi n° 2016-339 du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs 4 ( * ) - associée à un contrôle d'identité , en distinguant selon le contrôle d'identité mis en oeuvre.

Dans ces hypothèses, les articles 78-2-2 à 78-2-4 du code de procédure pénale définissent des modalités plus restrictives que celles applicables à un simple contrôle d'identité.

Ainsi, dans le cadre des contrôles d'identité sur réquisitions, en application de l'article 78-2-2 du code de procédure pénale, seules certaines infractions peuvent également justifier la fouille des véhicules ou des bagages. De plus, la durée des réquisitions est limitée à 24 heures , renouvelables. Enfin, la rédaction d'un procès-verbal du contrôle est expressément prévue et le véhicule ne peut être immobilisé que le temps « strictement nécessaire » au contrôle.

Dans le cadre des contrôles d'identité menés au titre de la police judiciaire 5 ( * ) et de la police administrative 6 ( * ) , les règles procédurales des contrôles sur réquisitions s'appliquent, en particulier la rédaction d'un procès-verbal.

Dans le cadre des contrôles relevant de la police administrative, un encadrement supplémentaire est en outre prévu : la visite des véhicules ou la fouille des bagages ne peut intervenir qu'avec l'accord du conducteur ou du propriétaire du bagage ou, à défaut, avec l'autorisation du procureur de la République, le conducteur du véhicule ou le propriétaire du bagage ne pouvant alors être retenu plus de trente minutes dans l'attente de cette autorisation.

Dans tous les cas, les contrôles d'identité sont effectués par des agents des forces de l'ordre, policiers ou gendarmes, ayant la qualité d' officiers de police judiciaire (OPJ), d'agents de police judiciaire ou agents de police judiciaire adjoint.

Toutefois, à la différence des contrôles d'identité « simples » prévus à l'article 78-2, la Cour de cassation a imposé que les contrôles sur le fondement des articles 78-2-2 et 78-2-3, soient effectués par un OPJ 7 ( * ) , en application stricte de la lettre de ces deux articles qui prévoit que ce sont les OPJ qui mènent ces contrôles, « assistés, le cas échéant, des agents de police judiciaire et des agents de police judiciaire adjoints ».

En revanche, l'écriture de l'article 78-2-4 relatif à la fouille d'un véhicule ou d'un bagage associé à un contrôle d'identité de police administrative permet à un agent de police judiciaire ou à un agent de police judiciaire adjoint d'effectuer les contrôles prescrits par ces deux articles, « sur l'ordre et sous la responsabilité » d'un OPJ, n'imposant donc pas à un OPJ d'effectuer lui-même cette action. Cette différence de régime entre les articles 78-2-2, 78-2-3 et l'article 78-2-4 peut s'expliquer par les importantes garanties spécifiques applicables à ce dernier contrôle.

2. Les contrôles d'identité dits « Schengen » pour lutter spécifiquement contre la criminalité transfrontalière

L'article 78-2 prévoit également la possibilité de mettre en oeuvre des contrôles d'identité spécifiques, visant à lutter et à prévenir les infractions relatives à la criminalité transfrontalière , dans une bande géographique de vingt kilomètres à partir de la frontière. Ces contrôles peuvent être également effectués dans les trains internationaux ou dans les gares internationales .

Ce dispositif a été créé à la suite de l'adoption de la convention Schengen du 19 juin 1990 créant un principe de libre circulation des personnes entre certains États-membres de l'Union européenne.

En Guyane, en Guadeloupe, à Mayotte, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy et en Martinique 8 ( * ) , des contrôles d'identité ayant le même objet de lutte contre la criminalité transfrontalière sont prévus par l'article 78-2, également selon des secteurs géographiques précisément définis.

Comme pour les contrôles d'identité réalisés sur réquisitions du procureur de la République, ces contrôles ne nécessitent pas que l'autorité administrative rapporte des circonstances particulières tenant au comportement de l'intéressé , comme l'a rappelé la Cour de cassation 9 ( * ) .

La Cour de cassation veille cependant à ce que ces contrôles ne soient pas utilisés pour réaliser des contrôles d'identité de nature judiciaire ou administrative : en effet, dans ce cas, cette pratique serait constitutive d'un détournement de procédure rendant le contrôle d'identité irrégulier 10 ( * ) .

3. La distinction entre vérification d'identité et contrôle d'identité

La vérification d'identité se distingue du contrôle d'identité en ce que la personne qui en fait l'objet n'a pas l'obligation de s'y soumettre .

Ces vérifications peuvent être effectuées par les policiers municipaux , à qui la possibilité d'effectuer des contrôles d'identité a été en revanche refusée par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2011-25 DC du 10 mars 2011 Loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure , au motif que ces agents ne sont pas mis à la disposition des officiers de police judiciaire 11 ( * ) .

Des agents privés , comme les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP, peuvent également mener des vérifications d'identité, alors même qu'ils n'ont pas la possibilité de procéder à des contrôles d'identité, ce qui ferait participer des agents privés à une mission de police.


* 1 JCL procédure pénale n° 10, n° 30.

* 2 Article 78-2, alinéas 1 à 5 du code de procédure pénale.

* 3 Article 78-2, alinéa 7.

* 4 Le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, actuellement en cours de discussion, étendrait la fouille des bagages en supprimant la référence aux emprises ou aux véhicules de transport public de voyageurs.

* 5 Article 78-2-3 du code de procédure pénale.

* 6 Article 78-2-4 du code de procédure pénale.

* 7 Civ., 1 ère , 16 mars 2016 n° 14-25068 pour l'article 78-2-2 et Crim., 28 sept. 2010, n° 10-82699 pour l'article 78-2-3.

* 8 Depuis la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

* 9 Civ., 1 ère , 25 mars 2009, n° 08-11587 : « Les dispositions de l'article 78-2, alinéa 4 du code de procédure pénale autorisent, peu important le comportement de la personne concernée, le contrôle de toute personne se trouvant dans une zone frontalière de 20 km avec les États parties à la convention de Schengen , lorsque les opérations de contrôle sont destinées à vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi ».

* 10 Pour une illustration : Crim., 3 mai 2007, n° 07-81331.

* 11 Considérant n° 60.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page