II. ... MAIS ENTRAVÉS PAR L'ABSENCE DE CONVENTION FISCALE ENTRE LES DEUX PAYS

1. En l'absence de cadre fiscal bilatéral, un risque permanent de double imposition

La croissance des échanges commerciaux et des investissements est toutefois entravée par l'absence de convention fiscale entre la France et la Colombie , une situation très rare 8 ( * ) et source d'insécurité juridique pour les acteurs concernés.

Les personnes physiques peuvent ainsi être soumises à une double imposition sur leurs salaires, leurs traitements, leurs pensions, leurs revenus mobiliers etc . Or celle-ci n'est qu'imparfaitement corrigée par les mécanismes internes de chaque pays. En France, aucun dispositif de portée générale n'est prévu pour éliminer la double imposition des revenus de source étrangère en l'absence de convention fiscale. Il est toutefois de règle de déduire, pour le calcul du revenu imposable, les dépenses effectuées en vue de l'acquisition et de la conservation de celui-ci, et donc les impôts payés à l'étranger ; en conséquence, c'est le revenu mondial net, diminué de l'impôt payé à l'étranger, qui demeure imposable en France 9 ( * ) . En Colombie, les personnes physiques résidentes sont imposables sur leurs revenus de source mondiale , et non pas sur leurs seuls revenus de source colombienne. Les non-résidents subissent quant à eux une retenue à la source de 33 % sur leurs revenus passifs, identique à celle des entreprises.

Les entreprises et autres personnes morales supportent en principe le même risque de double imposition. En France, les entreprises peuvent déduire de leur bénéfice les impôts acquittés à l'étranger 10 ( * ) , mais cette disposition ne remplace pas une convention fiscale, qui permet de définir dans quel État les bénéfices sont imposables. Or, en l'absence de convention fiscale, la Colombie applique des retenues à la source pouvant aller jusqu'à 33 % sur les dividendes, les intérêts et les redevances , sous réserve de certaines exonérations (cf. infra et annexe).

Toutefois, en pratique, plusieurs sociétés françaises fait le choix de réaliser leurs investissements via des entreprises espagnoles, afin de bénéficier des clauses de la convention fiscale entre le Royaume d'Espagne et la République de Colombie du 31 mars 2005 11 ( * ) , puis de « remonter » les revenus vers la France en application de la convention franco-espagnole du 10 octobre 1995 12 ( * ) . La convention entre la Colombie et l'Espagne, relativement récente, permet en effet de traiter les différents types de revenus (salaires, bénéfices, intérêts, dividendes, redevances etc.) conformément aux standards internationaux en vigueur.

Si cet expédient a permis le développement des IDE français en Colombie, il demeure toutefois regrettable que les entreprises françaises et colombiennes ne puissent pas réaliser ces investissements directement , non seulement en raison d'éventuels surcoûts fiscaux mais aussi en raison des contraintes financières, réglementaires et administratives qui découlent de l'interposition d'une structure intermédiaire 13 ( * ) . Cette remarque est particulièrement valable pour les PME, qui n'ont pas toujours la possibilité de créer facilement une filiale espagnole à cette fin.

L'absence de convention fiscale entre la France et la Colombie n'implique pas, toutefois, que les échanges et investissements entre les deux pays ont lieu dans un vide juridique complet. Ceux-ci sont en effet régis, certes partiellement, par deux autres textes :

- premièrement, l'accord précité du 26 juin 2012 entre l'Union européenne et ses États membres d'une part, et la Colombie et le Pérou d'autre part, dont l'article 296 précise cependant qu'il n'est pas applicable aux questions fiscales ;

- deuxièmement, l'accord du 10 juillet 2014 entre la France et la Colombie sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements , dont l'approbation a été autorisée par la loi n° 2016-946 du 12 juillet 2016. Cet accord vise à accorder un traitement équitable et non-discriminatoire aux investissements réalisés d'un pays à l'autre ainsi qu'aux revenus qui en résultent. Là encore, l'article 2 exclut les questions fiscales du champ de l'accord.

2. Pourtant, une communauté de vues en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales

Au-delà de l'élimination des doubles impositions, l'absence de convention fiscale entre la France et la Colombie empêche la mise en oeuvre d'un échange de renseignements entre les administrations fiscales des deux pays , et donc de conduire avec efficacité la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

Si cette situation est par principe problématique dès lors qu'il s'agit d'assurer le juste traitement fiscal des contribuables des deux pays, il est cependant vraisemblable que la France n'en soit pas la première victime. En effet, la Colombie n'offre pas un traitement complaisant à certains actifs financiers ou revenus , ni un secret bancaire particulièrement inviolable. Aussi cette situation n'a-t-elle pas débouché sur un recours à ce pays par des contribuables français (ou autres) désireux de dissimuler leur situation.

Du point de vue de la Colombie, en revanche, la situation est plus préoccupante, dans la mesure où le pays est confronté à un grave problème d'évasion fiscale, notamment de la part de ses contribuables fortunés . D'après les informations transmises à votre rapporteur, 80 000 ressortissants colombiens disposeraient de plus de 100 milliards de dollars non déclarés à l'étranger, représentant une perte annuelle de 6 milliards de dollars pour l'État 14 ( * ) . Afin d'inciter les contribuables indélicats à déclarer leurs avoirs placés à l'étranger, une « cellule de régularisation » a été instituée en 2014 , sur un modèle proche de celui du service de traitement des déclarations fiscales rectificatives (STDR) institué en France en 2013. L'« amnistie » est toutefois plus généreuse, puisque les actifs ainsi régularisés sont imposés à 11,5 %, au lieu de 200 % en application du droit commun. En moins de deux ans, 21 121 contribuables auraient ainsi régularisé leur situation. En outre, la Colombie est, comme les autres pays émergents, confrontée à l'optimisation fiscale agressive des entreprises multinationales , dont les montages ont été bien identifiés par l'OCDE dans le cadre de son projet « BEPS » sur l'érosion des bases fiscales et le transfert de bénéfices ( Base Erosion and Profit Shifting , cf. infra ).

Pour l'ensemble de ces raisons , la Colombie est, comme la France, très mobilisée au niveau international dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales . Cette communauté de vues a constitué une incitation supplémentaire à la signature d'une convention fiscale, qui se trouve être particulièrement ambitieuse sur le sujet.

3. Le long chemin vers la signature d'une convention fiscale

Les négociations de la présente convention fiscale bilatérale ont débuté en 2009, une durée assez longue - près de six ans -, notamment en raison d'un blocage persistant sur la question de la définition du territoire colombien, finalement levé en 2012 15 ( * ) . L'accord a finalement été signé le 25 juin 2015 à Bogota.

Aux termes de son article 30, l'accord entrera en vigueur le premier jour du mois suivant l'échange des instruments de ratification , mais ses dispositions seront applicables aux revenus perçus au cours de l'année civile suivant celle de son entrée en vigueur. Vraisemblablement, les dispositions seront applicables au mieux à compter du 1 er janvier 2018 , dans la mesure où la Colombie n'a pas encore ratifié l'accord. Cette procédure, d'ailleurs assez longue 16 ( * ) , devrait être reportée au moins à 2017, la législature actuelle (juillet-décembre 2016) étant exclusivement consacrée au processus de paix.


* 8 En 2016, la France est liée à ses partenaires par 122 conventions fiscales, portant sur l'élimination des doubles impositions et/ou sur la coopération administrative. Source : direction générale des finances publiques (DGFiP).

* 9 Source : direction de la législation fiscale (DLF). Cette règle est toutefois soumise à plusieurs conditions, examinées au cas par cas. En outre, des dispositifs spécifiques permettent d'éliminer les doubles impositions sur certains revenus, à l'instar de l'article L. 81 A du code général des impôts (CGI) qui prévoit une exonération des salaires reçus pour des activités à l'étranger (par certains salariés détachés par exemple), ou encore les articles 784 A et 885 D du CGI qui permettent, s'agissant de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), d'imputer le montant de l'impôt déjà acquitté à l'étranger.

* 10 En application du 1 de l'article 39 du CGI : « le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges ».

* 11 Convenio entre el Reino de España y la República de Colombia para evitar la doble imposición y prevenir la evasión fiscal en materia de impuesto sobre la renta y sobre el patrimonio' y su `Protocolo', firmados en Bogotá D.C. el 31 de marzo de 2005 . Pour les traductions figurant dans le présent rapport : commission des finances du Sénat.

* 12 Convention entre la République française et le Royaume d'Espagne en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signé à Madrid le 10 octobre 1995.

* 13 Il est entendu que le passage par une filiale espagnole peut également présenter des avantages autres que fiscaux, d'ordre organisationnel mais aussi culturel : langue, connaissance du marché local etc. En principe, d'ailleurs, une filiale créée en Espagne dans un but « exclusivement fiscal » pourrait être requalifiée et imposée en France sur le fondement de l'abus de droit (cf. infra ).

* 14 Source : direction de la législation fiscale (DLF), d'après les informations fournies par la direction nationale des impôts et des douanes (DIAN) colombienne.

* 15 La Colombie a alors accepté de ne pas faire référence, à l'article 3 de la convention, à sa « souveraineté » sur la zone économique exclusive (ZEE) et le plateau continental, alors que le droit maritime international fait seulement référence à « des droits souverains » (principalement aux fins d'exploration et d'exploitation des ressources naturelles). L'évolution de la politique conventionnelle de la Colombie a permis de mettre le texte final en accord avec le droit international.

* 16 D'après les éléments transmis à votre rapporteur, cette procédure peut durer jusqu'à deux ans : après son adoption par le Congrès, le texte doit en effet être examiné par la Cour constitutionnelle (6 à 9 mois minimum) puis promulgué par le Président de la République.

Page mise à jour le

Partager cette page