B. UN OUTIL ARRIVÉ AU BOUT DE SA PREMIÈRE LOGIQUE, APPELANT DES ÉVOLUTIONS

1. L'unification des vecteurs budgétaires

L'unification des crédits immobiliers interministériels constitue une avancée préconisée de façon récurrente par vos rapporteurs spéciaux. En effet, la dispersion des vecteurs budgétaires se révélait trop complexe entraînant d'une part certaines irrégularités d'imputations de dépenses soulevées par la Cour des comptes 84 ( * ) , et d'autre part une difficile appréhension des dotations budgétaires immobilières de l'État propriétaire. De fait, l'intégration du programme 309 « Entretien des bâtiments de l'État » permet de centraliser les moyens placés sous la responsabilité de la direction de l'immobilier de l'État , en parallèle des crédits ministériels.

La déclinaison de cette nouvelle nomenclature permettra aux ministères et aux préfectures de région de disposer chacun d'un budget opérationnel de programme unique pour gérer les programmations et dépenses structurantes (ex-programme 723) et d'entretien du propriétaire (ex-programme 309). Cette évolution entend notamment tirer les enseignements de l'expérimentation des schémas directeurs de l'immobilier régional (SDIR) conduite au premier semestre 2015 dans cinq régions 85 ( * ) . En ce sens, le préfet de la région des Pays de la Loire soulignait que « le diagnostic des moyens financiers a quant à lui montré un cloisonnement et un émiettement des moyens budgétaires préjudiciables au portage régional de la politique immobilière. En région Pays de la Loire, 18 BOP contribuent en effet aux dépenses immobilières. Or si les moyens existent, peu sont mobilisables au bénéfice du SDIR. Seuls 3 budgets opérationnels de programme sur 18 relèvent d'une approche interministérielle (programmes 309, 333 action 02 « moyens des services, immobilier » et 723 du CAS) » 86 ( * ) .

2. L'ambition d'une appréhension plus globale de l'immobilier public
a) La généralisation des schémas directeurs immobiliers régionaux

Outils principaux de la politique immobilière de l'État, les schémas directeurs immobiliers régionaux (SDIR) , placés sous la responsabilité du préfet, visent notamment à donner une image plus complète et fidèle du parc immobilier de l'État et de ses opérateurs (cf. infra) en région , afin d'alimenter une réflexion stratégique dépassant la logique qui perdure d'opérations immobilières ponctuelles. Ils viennent se substituer aux schémas pluriannuels de stratégie immobilière (SPSI) , qui avaient marqué une première étape mais s'étaient révélés trop restreints 87 ( * ) . Pour ce faire, ils s'articulent en deux phases successives, de diagnostic puis de stratégie , pour une période de cinq ans (2016-2020).

Après une expérimentation lancée début 2015 dans cinq régions, les SDIR ont été généralisés , dans leur phase diagnostic, par une circulaire du Premier ministre du 6 juillet 2015 88 ( * ) . Ils ont pour objectif d' appréhender l'ensemble du parc immobilier de l'État , afin de préciser les besoins réels d'implantation, les mutualisations possibles ainsi que les besoins d'intervention. Les SDIR intègrent l'ensemble des services de l'État (directions régionales, préfectures, directions départementales, administrations financières, services de l'éducation nationale, services de police et de gendarmerie, justice hors tribunaux), à l'exception des services du ministère de la défense et du ministère de la justice, extérieurs au champ de compétence du préfet 89 ( * ) . Le recensement des données bâtimentaires devait être effectué pour le 1 er octobre 2016. La direction de l'immobilier de l'État indique que le traitement des données se poursuit, un travail de fiabilisation étant nécessaire.

Par ailleurs, dans le cadre des SDIR, l'optimisation de la politique immobilière de l'État s'est étendue aux biens loués à partir du second semestre 2015, avec la renégociation de certains baux privés de l'État . Selon les informations transmises, au 1 er juin 2016, une centaine de baux ont été renégociés, permettant une économie de 6,3 millions d'euros de loyers annuels. L'objectif est de renégocier environ 500 baux lors des exercices 2016 et 2017 et d'atteindre 35 millions d'euros d'économies en 2016, à la fois en loyers mais aussi en dépenses ponctuelles, comme la prise en charge de travaux par exemple.

Vos rapporteurs spéciaux relèvent la prise en compte nouvelle de ce levier d'économies et appellent à poursuivre le mouvement engagé . Alors que le montant total des loyers annuels s'élève à 480 millions d'euros par an pour la seule région Île-de-France 90 ( * ) , une rationalisation approfondie devrait permettre d'enregistrer des économies supplémentaires . Ils notent toutefois que, pour conduire ces renégociations, la DIE s'appuie sur l'expertise de cabinets de conseil en immobilier dans le cadre d'un marché d'assistance à la renégociation, minorant le montant des économies in fine réalisées . De plus, il est à déplorer que la connaissance du montant global des loyers versés à des tiers par l'État n'est toujours pas assurée : le déploiement d'un outil dédié à la gestion et au suivi des contrats immobiliers, dont les prises à bail, n'est prévu que pour 2018.

Plus largement, si les économies enregistrées doivent être saluées, cette démarche ne saurait occulter la nécessité d'une doctrine plus claire et d'un poids suffisant de la DIE pour réaliser l'arbitrage entre les différents modes d'occupation (propriété, location, montages intermédiaires sous forme de crédit-bail, de bail emphytéotique administratif, de partenariat public-privé, etc.), encore largement mené opération par opération . À titre de rappel, l'État occupe 53,6 millions de mètres carrés en tant que propriétaire, et 11,8 millions de mètres carrés en tant que locataire .

b) La redéfinition des règles applicables aux opérateurs

Les opérateurs sont pour l'instant demeurés à l'écart de la dynamisation de la gestion du patrimoine immobilier de l'État . Ainsi, le bilan patrimonial des opérateurs n'est pas stabilisé , de même que la connaissance de leurs dépenses immobilières.

Or le parc immobilier utilisé par les opérateurs est évalué à 27,5 millions de mètres carrés en 2016 , pour un ensemble de près de 39 000 bâtiments, selon des modalités d'occupation hétérogènes. Fin 2015, le montant comptable brut des biens immobiliers des opérateurs de l'État soumis aux règles de la comptabilité publique 91 ( * ) représente 58 milliards d'euros , soit un montant proche du patrimoine immobilier de l'État (66 milliards d'euros), dont plus de 10 milliards d'euros pour l'Office national des forêts (ONF) et 9,4 milliards d'euros pour Voies navigables de France (VNF), pour lesquels les possibilités de valorisation sont très importantes.

Répartition des modalités d'occupation des biens immobiliers

des opérateurs de l'État

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données du questionnaire budgétaire

Or, parmi les 504 opérateurs retenus au titre de la loi de finances pour 2016, 35 opérateurs n'ont toujours pas achevé la comptabilisation de leur patrimoine immobilier , 5 opérateurs ne l'ont pas encore engagée .

Toutefois, il est prévu que les nouveaux SPSI de chaque opérateur en cours d'élaboration s'inscrivent dans le cadre des SDIR , en vue de disposer d'une vision globale du parc immobilier de l'État à l'échelle régionale. L'objectif est à terme d' identifier des pistes d'optimisation communes entre les administrations et les opérateurs .

Dans cette perspective, une circulaire du Premier ministre en date du 19 septembre 2016 précise les modalités d'élaboration et de mise en oeuvre des SPSI ; elle affirme la volonté d'étendre les critères de la politique immobilière de l'État aux opérateurs . De plus, le rôle des tutelles ministérielles est renforcé , à la fois dans l'élaboration et la mise en oeuvre des SPSI. Le dispositif de suivi renforcé d'un panel de 31 opérateurs par la DIE, effectif depuis 2013, est prolongé (cf. encadré infra ). Il vise à concentrer l'effort sur les opérateurs faisant face aux enjeux immobiliers les plus importants et s'accompagne désormais d'une procédure de validation préalable des principaux projets immobiliers.

Liste des 31 opérateurs devant faire l'objet d'un suivi approfondi

- Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)

- Agence de mutualisation des universités et des établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche (AMUE)

- Agence nationale de l'habitat (ANAH)

- Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)

- Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES)

- Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU)

- Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD)

- Centre national d'enseignement à distance (CNED)

- Centre national de la cinématographie et de l'image animée (CNC)

- Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

- Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (CNOUS)

- Chancellerie de l'Université de l'Académie de Paris

- École des hautes études en sciences sociales (EHESS)

- École nationale de la magistrature (ENM)

- École pratique des hautes études (EPHE)

- Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (FSTTAR)

- Institut français du cheval et de l'équitation (IFCE)

- Institut géographique national (IGN)

- Institut national de la recherche agronomique (INRA)

- Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

- Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA)

- Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP)

- Mines Paris Tech

- Musée du Louvre

- Muséum national d'histoire naturelle (MNHN)

- Office national d'études et de recherche aérospatiales (ONERA)

- Office national des forêts (ONF)

- Pôle emploi

- Université Paris 1 Panthéon - Sorbonne

- Voies navigables de France (VNF)

Opérateurs présents sur un site :

- Opérateurs présents dans le parc de la Villette

Source : questionnaire budgétaire pour 2017

A l'occasion du lancement de la conférence nationale de l'immobilier public 92 ( * ) , le secrétaire d'État chargé du budget et des comptes publics précisait : « l'ambition de la réforme que nous menons : dépasser progressivement le coeur de cible initial du parc de bureaux de l'État, pour couvrir l'immobilier spécifique et celui des opérateurs , voire lancer des passerelles vers les collectivités locales. (...) Je fixe un principe clair : par-delà le statut ou la nature du parc, aucune situation ne justifie de transiger sur l'exigence de la performance, et de mutualisation des ressources et des compétences. Dès lors, rien de ce qui est immobilier ne doit être étranger à la DIE ».

Pour autant, vos rapporteurs spéciaux soulignent l'ampleur des efforts à conduire , dans la mesure où la première campagne des SPSI, initiée en 2009, n'a pas permis d'agréger les opérateurs de l'État à la dynamisation de la politique immobilière. Ainsi, si la majorité des 556 opérateurs recensés en 2010 a rendu un SPSI dans les délais impartis, seulement 253 d'entre eux ont été jugés conformes par les services de France Domaine. D'après les éléments transmis à vos rapporteurs spéciaux par la DIE, « tous les opérateurs ne se sont pas appropriés les critères fondamentaux de la politique immobilière de l'État tels que le respect du ratio d'occupation de 12 mètres carrés de surface utile nette par poste de travail ou le respect des plafonds de loyer. Des marges des progrès sont incontestables » 93 ( * ) . En outre, la volonté de la DIE d'établir un recensement transversal du parc immobilier à l'échelle d'un territoire se heurte à certains obstacles. La fonction immobilière est parfois prise en charge directement par des structures ministérielles ad hoc , à l'instar de l'opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture ( OPPIC ).

En particulier, la situation des universités, qui représentent à elles seules 18 millions de mètres carrés et 62 % du patrimoine immobilier des opérateurs, demeure imprécise . En mars 2016, le secrétaire d'État de l'enseignement supérieur a commandé aux inspections générales des finances et de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche un rapport sur la dévolution du patrimoine immobilier aux universités . Dans le rapport rendu en septembre 2016 94 ( * ) , la mission dresse un bilan globalement positif de l'expérimentation de la dévolution conduite en 2011-2012 en matière d'entretien et de gestion du parc, et plaide pour une relance du processus de dévolution , tout en soulignant qu'elle doit s'accompagner d'une sécurisation des financements immobiliers de l'État à moyen terme et d'une plus grande ouverture aux universités des conditions de valorisation de leur patrimoine immobilier, pour l'instant contrainte en vertu du principe de spécialité des établissements publics. Selon les informations de vos rapporteurs spéciaux, plusieurs universités, initialement désireuses de faire partie de la nouvelle expérimentation, ont finalement renoncé à se porter candidates compte tenu des conditions proposées, notamment s'agissant du manque de perspective dans l'accompagnement financier. S'il convient alors de s'interroger sur la réelle volonté de conduire une nouvelle expérimentation, à ce stade, vos rapporteurs spéciaux notent que toute reprise du processus de dévolution devra veiller à assurer une dévolution équilibrée du patrimoine, sauvegardant les intérêts patrimoniaux de l'État, et prenant en compte la capacité réelle des universités à gérer et entretenir leur parc immobilier .

Dans ces conditions, au-delà des évolutions annoncées ou ébauchées, vos rapporteurs spéciaux soulignent que la nouvelle étape de la politique immobilière de l'État demeure à ses prémices . Si certains sujets attirent leur vigilance, d'autres traduisent la poursuite d'une politique immobilière enserrée dans des objectifs et ambitions contradictoires .


* 84 Cf. la note d'analyse de l'exécution budgétaire 2015 pages 26 et suivantes, juin 2016.

* 85 Rhône-Alpes, Pays de la Loire, Haute Normandie, Basse Normandie, et Réunion.

* 86 Présentation au conseil de l'immobilier de l'État du bilan de l'expérimentation du SDIR en Pays de la Loire, séance du 24 février 2016.

* 87 Les SPSI étaient limités au département, et aux administrations concernées par la réforme de l'administration territoriale de l'État (RéATE), et l'analyse des besoins était rarement complétée par une analyse économique étayée.

* 88 Circulaire du 6 juillet 2014 relative à la mobilisation du foncier public pour le logement.

* 89 À l'exception de l'immobilier tertiaire de la direction des services judiciaires, de la protection judiciaire de la jeunesse et de la direction de l'administration pénitentiaire, qui ont été intégrées au dispositif.

* 90 Questionnaire budgétaire.

* 91 Ce qui exclut notamment Pôle Emploi, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.

* 92 Conférence nationale de l'immobilier public, le 6 juin 2016.

* 93 Questionnaire budgétaire.

* 94 « La dévolution du patrimoine aux universités », rapport de l'Inspection générale des finances et de l'Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche, septembre 2016.

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