III. ENCORE INACHEVÉE, LA RÉFORME DE LA POLITIQUE IMMOBILIÈRE DE L'ÉTAT NE RÉSOUT PAS LES CONFLITS D'OBJECTIFS ET SON MANQUE DE VISION DE LONG TERME

A. UNE REFONTE LARGEMENT INACHEVÉE...

1. Certaines évolutions du CAS demeurent à préciser

Si la maquette budgétaire du CAS proposée intègre la nouvelle orientation de la politique immobilière de l'État, de nombreux points restent en suspens, de sorte qu'il est difficile d'appréhender la portée réelle des évolutions projetées . En particulier, vos rapporteurs spéciaux veilleront aux décisions qui seront prises s'agissant :

- des règles de fonctionnement et de la charte de gestion du CAS , qui ne sont pas encore arbitrées, notamment pour la mutualisation des crédits, alors même qu'elle constitue un point central du CAS ;

- de l'avenir des loyers budgétaires , conservés en l'état à ce stade, mais pour lesquels il a été indiqué qu'une « réflexion va être conduite sur [leur] devenir, en lien étroit avec le mode de financement de la politique immobilière de l'État » . Vos rapporteurs spéciaux soulignent le rôle de cet outil tant pour la responsabilisation des ministères occupants , que pour l'intégration de la fonction immobilière dans le coût global d'une politique ;

- de la circulaire définissant les nouvelles normes de la stratégie immobilière de l'État , en remplacement des circulaires du 28 février 2007 et du 16 janvier 2009, qui en déterminent actuellement le cadre. Vos rapporteurs spéciaux déplorent que la discussion budgétaire ait lieu avant la publication de cette circulaire , qui doit intervenir avant la fin de l'année 2016 ;

- de la circulaire étendant la rénovation de la gouvernance de la politique immobilière à l'échelon régional.

Surtout, vos rapporteurs spéciaux critiquent l'absence d'évolution de la maquette de performance , préjudiciable à double titre : d'une part, en raison de sa faible portée déjà sous l'ancienne architecture du CAS, d'autre part, en raison de l'absence de prise en compte de l'extension des dépenses et des recettes retracées par le CAS . Pour rappel, l'indicateur de la mission sur le rendement d'occupation des surfaces, s'appuyant sur l'objectif cible de la politique immobilière de l'État de 12 mètres carrés de surface utile nette par poste de travail, ne porte que sur 31 % des surfaces tertiaires inventoriées pour l'État, les données étant incomplètes pour le reste des surfaces.

L'indicateur de l'ancien programme 309, mesurant le taux de couverture des opérations d'entretien lourd à caractère réglementaire ou préventif, n'est pas repris. Dans le cadre d'une réflexion d'ensemble sur l'avenir du CAS et des objectifs de la politique immobilière du CAS (cf. infra), vos rapporteurs spéciaux appellent à une refonte de la maquette de performance, en vue d'intégrer un indicateur relatif à l'entretien du parc, ainsi qu'à une dynamisation des produits tirés des redevances domaniales désormais retracées au sein du CAS.

Champ d'application de l'indicateur unique du CAS

« Rendement d'occupation des surfaces »

Source : commission des finances, à partir des données du rapport annuel de performances pour l'année 2017

2. Les difficultés de la généralisation du volet diagnostic des SDIR, éloignant l'élaboration de la stratégie

La mise en oeuvre du volet diagnostic des SDIR en région s'accompagne de certaines difficultés dans le recensement des données relatives à l'état du parc. En déplacement en région, vos rapporteurs spéciaux ont constaté la nécessité d'un effort pour entraîner les occupants, puis pour accompagner, retraiter et fiabiliser les informations transmises à la préfecture de région. De fait, les premières centralisations de données ont commencé au mois d'octobre 2016, mais nécessiteront des retraitements. Alors que la phase de diagnostic n'est que le préalable à la définition d'une stratégie globale d'arbitrage sur les cessions et les interventions à programmer, cette perspective demeure pour l'instant éloignée .

À cet égard, la région Île-de-France fait face à des enjeux spécifiques , en raison de la présence des administrations centrales, ce qui implique de nécessaires concertations et négociations. La région Île-de-France n'a toujours pas terminé la phase de diagnostic de son SDIR .

Pourtant, tant la mise aux normes environnementales et d'accessibilité que la réforme territoriale doivent conduire à une programmation rapide de travaux sur le parc immobilier . La mise aux normes d'accessibilité dans le cadre du dispositif des agendas d'accessibilité programmée (Ad'AP) 95 ( * ) , engageant l'État à mettre en accessibilité l'ensemble des établissements recevant du public d'ici 2024, nécessite, pour les édifices relevant des préfets de région, des investissements estimés à 112,6 millions d'euros, dont 63,4 millions d'euros relevant du CAS 96 ( * ) .

3. Investie du pilotage stratégique du parc, la DIE continue pourtant de se heurter à des acteurs et logiques pluriels

Malgré les efforts de recensement du parc déjà conduits, certains types de biens immobiliers demeurent largement méconnus de la DIE . À cet effet, le référé de la Cour des comptes du 25 juillet 2016 sur le logement des douaniers par la « masse des douanes » 97 ( * ) a souligné la nécessaire appréhension du parc de logement de l'État. Cet établissement public administratif, placé sous la tutelle du ministre chargé des douanes, est détenteur d'un parc de logement remis en dotation par l'État et peut recourir au marché privé pour compléter son offre de logements. La Cour des comptes recense ainsi, en 2014, 3 324 logements domaniaux et 968 logements locatifs réservés auprès de bailleurs privés ; en regard, le taux d'occupation des biens domaniaux n'est que 68 % en moyenne, et souvent bien inférieur en province . Votre rapporteur spécial Michel Bouvard relève ainsi l'exemple de l'ensemble immobilier situé à Veigy-Foncenex en Haute-Savoie : les retraités de la direction générale des douanes et des droits indirects qui y résidaient ont été délogés, sans pour autant être remplacés. Le bien est désormais totalement inoccupé, alors même que cette zone fait face à un fort besoin de logements en raison de la présence de nombreux travailleurs frontaliers .

Selon les informations transmises, la DIE s'est depuis saisie des questions relatives au parc de logements de l'État, et une réflexion est en cours pour le recenser puis définir un pilotage interministériel. Vos rapporteurs spéciaux appellent à une gestion performante de ces biens immobiliers, avec la définition de normes d'utilisation adaptées , tout en soulignant la spécificité, au sein de ce parc, des logements dédiés aux militaires et aux gendarmes.

Plus largement, la différence entre une direction de l'immobilier de l'État et une direction immobilière de l'État peut être constatée s'agissant de la conduite des opérations immobilières. L'analyse d'un échantillon de missions du budget général de l'État souligne que la logique d'une politique immobilière de l'État structurée et pilotée par la DIE demeure encore théorique . Or, à défaut d'une politique immobilière réellement unifiée et appréhendée selon une approche durable, la fonction immobilière peut soulever des difficultés , comme l'illustrent trois exemples :

- le rapport d'information de la commission des finances du Sénat sur l'enseignement français à l'étranger 98 ( * ) relève que le schéma pluriannuel de stratégie immobilière 2016-2020 ne bénéficie pas d'un financement sécurisé . Alors que 50 % des établissements font face à des besoins de travaux immobiliers, et que la mise en sécurité renforce les tensions sur les dépenses immobilières, l'enquête de la Cour des compte souligne que l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger « ne connaît ni le montant des dotations qu'elle recevra, ni le niveau des avances de l'Agence France Trésor dont elle pourrait à l'avenir bénéficier » ;

- la conduite et le financement du nouvel ensemble immobilier « Ségur-Fontenoy » 99 ( * ) , pourtant une des opérations structurantes de la modernisation de la politique immobilière de l'État, ont été externalisés à la Société de valorisation foncière et immobilière (SOVAFIM) ; en contrepartie, l'État s'est engagé, en 2013, à lui verser des loyers pour un montant total de 370 millions d'euros jusqu'en 2029. Toutefois, afin de s'assurer contre les risques de taux d'intérêt, la SOVAFIM a conclu un swap , alors même que cette opération ne pouvait pas être contractée sur toute la durée de l'emprunt, de sorte qu'il a fallu le délier, entraînant une perte de 900 000 euros pour la SOVAFIM . Cet exemple interroge sur la valeur ajoutée pour l'État de recourir à un acteur tiers pour la conduite de ses opérations immobilières ;

- le chantier de rénovation du quadrilatère Richelieu , site historique de la Bibliothèque nationale de France, a démarré en 2011 sous la maîtrise d'ouvrage de l'OPPIC ; sa phase 1 a été achevée en mai 2016 avec un retard de près de 30 mois et un coût actualisé en augmentation de 9 % (232,4 millions d'euros). Sept avenants ont été signés entre juillet 2011 et juillet 2015, notamment en raison des tergiversations sur l'installation de l'École nationale des chartes ou de la découverte imprévues de plomb et d'amiante. Ce programme souligne les progrès nécessaires s'agissant du pilotage immobilier , ainsi que le s surcoûts entraînés par l'éclatement de la gouvernance de la politique immobilière.

Vos rapporteurs spéciaux notent en ce sens qu'en l'état de la réforme proposée, une stratégie immobilière globale n'a pas été précisée . De plus, ils s'interrogent sur la valeur ajoutée des acteurs tiers intervenant dans la conduite de certains projets immobiliers , ainsi que sur les raisons présidant à leur intervention . Dans ces conditions, ils appellent de leurs voeux que la création de la direction de l'immobilier de l'État s'accompagne de la définition d'une logique d'ensemble et des rôles de chacun des acteurs.

L'ancienne école d'architecture de Nanterre,

chronique d'une décennie d'échecs

Construite en 1972 pour répondre à l'augmentation du nombre d'étudiants, l'école fut fermée en juillet 2004 dans le cadre de la refonte de la carte des écoles d'architecture parisiennes. Le bâtiment de 10 000 mètres carrés, situé en bordure du parc André Malraux et à proximité immédiate de la gare RER et de La Défense , a été remis par le ministère de la culture au service France Domaine pour cession par une décision du 6 décembre 2005.

Depuis, l'école d'architecture de Nanterre a fait l'objet de visées divergentes entre l'État propriétaire qui souhaite vendre et la ville de Nanterre qui souhaite l'acquérir à moindre prix pour l'exploiter dans le cadre de sa politique culturelle ; la question de la conservation du bâtiment pèse de surcroît sur tout projet.

En 2006, la mairie a fait part de son intérêt en vue de la réalisation d'équipements publics à vocation culturelle et de logements sociaux. Toutefois, en raison du prix proposé de 3,6 millions d'euros, pour une estimation domaniale de 26,45 millions d'euros, une procédure de cession par appel d'offres a été lancée en juin 2006. Si deux offres prévoyant la construction d'un nouvel ensemble à vocation de bureaux approchaient ce montant, France Domaine a finalement annulé la procédure en raison du classement du site en emplacement réservé par délibération du 27 juin 2006, prévoyant le maintien du bâtiment et l'accueil d'un équipement culturel et social accompagné de logements. Depuis, les différents projets envisagés par la ville de Nanterre n'ont pas abouti. Les services de la ville de Nanterre n'ont apporté aucune réponse aux demandes répétées de vos rapporteurs spéciaux .

De plus, deux difficultés supplémentaires augmentent la complexité du dossier :

- d'une part, la question du logement : si le site est inscrit sur la liste régionale des terrains mobilisables en faveur du logement, la révision du plan local d'urbanisme en date du 15 décembre 2015 a modifié la zone de référence du site. Cette modification du PLU interdit toute construction de logements sauf ceux nécessaires à l'exploitation des équipements ;

- d'autre part, la question de la conservation : le site est classé « bâtiment signalé d'intérêt », ce qui implique que la conservation - totale ou partielle - des éléments architecturaux caractéristiques du bâtiment devra être recherchée.

Dans ces conditions, la cession du bien est bloquée , conduisant à une dégradation du site et à des problèm es de sécurité en raison de la proximité immédiate d'un établissement scolaire , ayant justifié la mise en gardiennage depuis octobre 2011, renforcée fin 2015, par la direction départementale des finances publiques pour un coût annuel de plus de 50 000 euros .

Source : commission des finances du Sénat, à partir des informations de la DIE


* 95 Dispositif prévu par l'ordonnance n° 2014-1090 du 26 septembre 2014 relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées.

* 96 Questionnaire budgétaire.

* 97 « Le logement des douaniers par la Masse des douanes », référé de la Cour des comptes rendu public le 25 juillet 2016. La « Masse des douanes » est un établissement public national à caractère administratif, placé sous la tutelle du ministre chargé des douanes avec la mission de pourvoir au logement de ses agents.

* 98 « L'enseignement français à l'étranger et l'accès des élèves français à cet enseignement », rapport d'information d'Eric Doligé à suite de l'enquête demandée par la commission des finances du Sénat à la cour des comptes en application de l'article 58-2° de la LOLF.

* 99 Cette opération vise à visant à rassembler sur un site unique 2 363 postes de travail pour cinq autorités administratives indépendantes, dix services du Premier ministre ainsi que deux cabinets ministériels et le service du contrôle budgétaire et comptable ministériel (CBCM) auprès du Premier ministre.

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