Rapport général n° 140 (2016-2017) de M. Maurice VINCENT , fait au nom de la commission des finances, déposé le 24 novembre 2016

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N° 140

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2016

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances pour 2017 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

Par M. Albéric de MONTGOLFIER,

Rapporteur général,

Sénateur.

TOME III

LES MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES

ET LES DISPOSITIONS SPÉCIALES

( Seconde partie de la loi de finances )

ANNEXE N° 22

COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE : PARTICIPATIONS FINANCIÈRES DE L'ÉTAT

Rapporteur spécial : M. Maurice VINCENT

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Éblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 4061, 4125 à 4132 et T.A. 833

Sénat : 139 et 141 à 146 (2016-2017)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. La recapitalisation à venir du secteur énergétique constitue une réponse adaptée de l'État actionnaire pour accompagner la réorganisation de la filière nucléaire, à la suite des erreurs stratégiques commises jusqu'en 2011.

2. À cette fin, le compte spécial devrait être mobilisé en dépenses à hauteur de 7 milliards d'euros en 2017, avec un impact incertain sur les indicateurs maastrichtiens.

3. Dans un effort de transparence budgétaire qu'il convient de saluer, le compte spécial est pour la première fois présenté en déficit sur l'exercice 2017 (-1,5 milliard d'euros), afin de tenir compte du montant des recapitalisations à venir.

4. La mise en oeuvre d'un programme de cessions d'un montant minimum de 4 milliards d'euros sera toutefois nécessaire l'an prochain afin d'assurer la soutenabilité du compte sans abondement du budget général.

5. La programmation du compte ne tient pas compte des dépenses qui pourraient être engagées si l'État décidait de rester au capital d'Alstom, l'accord de prêt avec Bouygues prenant fin en octobre 2017.

6. Comme l'an passé, la valeur du portefeuille est en recul (- 23,8 %) et affiche une performance sensiblement inférieure à celle des marchés actions, l'indice CAC 40 ayant connu une baisse deux fois moins importante (- 11,54 %).

7. Cette évolution défavorable traduit principalement les difficultés propres à la filière énergétique française, dans la mesure où EDF, Engie et Areva présentent une performance moyenne trois fois inférieure à celle de leur benchmark européen.

8. Compte tenu du biais sectoriel qui caractérise le portefeuille de l'État actionnaire, l'évolution future de sa valeur est fortement liée au succès du redressement du secteur énergétique français.

9. Cette baisse de la valeur du portefeuille s'accompagne d'une diminution de son rendement qui a vocation à se poursuivre dans les années à venir, en raison principalement des évolutions de la politique de distribution d'EDF, d'Engie et d'Orange.

10. L'impact de cette évolution sur l'équilibre du budget général est loin d'être négligeable : si l'on compare le dividende versé en numéraire par ces trois entreprises au titre de l'exercice 2010 avec celui qui devrait être versé au titre de l'exercice 2017, la baisse s'élève à 2,8 milliards d'euros .

11. L'impact sur le déficit maastrichtien devrait en revanche rester limité, dans la mesure où la baisse du dividende versé en numéraire par EDF est compensée par une hausse du dividende versé en actions.

12. Dans un environnement de taux bas prolongé, la « mise en sommeil » de la politique de contribution du compte spécial au désendettement annoncée dans le cadre du présent projet de loi de finances est conforme à l'intérêt patrimonial de l'État actionnaire.

13. À l'avenir, la crédibilité de la programmation du compte spécial pourrait être améliorée sans pour autant contraindre le Gouvernement à dévoiler le montant des opérations de cessions envisagées pour l'année à venir.

Au 10 octobre 2016, date limite, en application de l'article 49 de la LOLF, pour le retour des réponses du Gouvernement aux questionnaires budgétaires concernant le présent projet de loi de finances, 31,6 % des réponses (6 sur 19) portant sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » étaient parvenues à votre rapporteur spécial.

PREMIÈRE PARTIE - UN COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE SOUS TENSION EN 2017

I. LA RECAPITALISATION DU SECTEUR ÉNERGÉTIQUE DEVRAIT MOBILISER L'ÉTAT À HAUTEUR DE 7 MILLIARDS D'EUROS

A. LA NÉCESSAIRE REFONDATION DE LA FILIÈRE NUCLÉAIRE

1. Les difficultés d'Areva, un héritage de multiples erreurs commises jusqu'en 2011

Pour le compte d'affectation spéciale (CAS) « Participations financières de l'État » (PFE), l'année 2017 sera marquée par la recapitalisation du secteur énergétique , dans le cadre du projet de « refondation de la filière nucléaire française » annoncé en juin 2015 par le Président de la République 1 ( * ) .

Ce projet de refondation est directement lié aux difficultés que traverse l'entreprise publique Areva , dont la perte nette cumulée depuis 2011 s'élève à 10 milliards d'euros.

Évolution du chiffre d'affaires et du résultat net d'Areva depuis 2010

(en millions d'euros)

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Chiffre d'affaires

9 104

8 872

9 342

9 062

8 336

4 199

Résultat net

883

- 2 503

- 99

- 494

- 4 833

- 2 038

Source : commission des finances du Sénat (d'après les résultats annuels du groupe)

Comme l'ont relevé différents rapports 2 ( * ) , ces difficultés ne peuvent être que partiellement expliquées par le fort ralentissement des activités nucléaire observé à la suite de l'accident de Fukushima, intervenu en 2011.

En effet, la soutenabilité de la trajectoire financière de l'entreprise a été mise à mal par de multiples erreurs commises avant l'accident.

Tout d'abord, la mise en oeuvre d'une stratégie d'expansion très ambitieuse financée par un endettement croissant et la cession de nombreux actifs , compte tenu de la faiblesse des flux de trésorerie opérationnels et de l'absence de recapitalisation majeure 3 ( * ) . Sur la période 2006-2012, les liquidités générées par les activités opérationnelles du groupe n'ont ainsi permis que de financer un quart des investissements réalisés 4 ( * ) , conduisant de ce fait à une forte hausse de l'endettement net (+ 356 %).

Évolution de l'endettement net d'Areva entre 2006 et 2012

(en millions d'euros)

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Évolution

Endettement net

865

1 954

3 450

6 193

3 672

3 548

3 948

+ 356%

Source : commission des finances du Sénat (d'après les résultats annuels du groupe)

Or, parmi les différents investissements réalisés, plusieurs projets « mal conduits » ou résultant « d'acquisitions discutables » 5 ( * ) se sont traduits par de lourdes provisions qui ont fortement pesé sur les résultats du groupe, en particulier :

- l'achat de la société minière Uramin en 2007 ;

- le projet de construction d'un premier réacteur EPR « clés en main » sur le site d'Olkiluoto 3 en Finlande, dont le contrat a été signé en 2003.

Enfin, ces difficultés ont été exacerbées par des rivalités persistantes au sein même de la filière nucléaire françaises . Dès 2010, prenant acte de « vicissitudes regrettables », François Roussely se prononçait ainsi dans un rapport remis au Président de la République pour une organisation « resserrée » de « l'Équipe France » du nucléaire, dont le groupe EDF deviendrait le chef de file 6 ( * ) .

2. La recapitalisation, une réponse adaptée de l'État actionnaire pour soutenir la filière nucléaire

C'est précisément cet objectif que poursuit aujourd'hui le Gouvernement dans le cadre de la refondation de la filière nucléaire annoncée en juin 2015 et dont les contours ont depuis été précisés.

Tout d'abord, les activités d'Areva liées aux réacteurs seraient rassemblées au sein d'une nouvelle entité appelée Areva NP, dont la majorité du capital serait cédée à EDF .

Le protocole d'accord 7 ( * ) formalisant ce projet de partenariat précise que la part d'Areva serait comprise entre 15 et 25 %, tandis que des partenaires minoritaires pourraient participer jusqu'à 34 %.

Les actifs et activités transférés porteraient sur « la conception et la fourniture de réacteurs nucléaires et d'équipements, la conception et la fourniture d'assemblages combustible, et les services à la base installée » mais excluraient notamment « des actifs, passifs et personnels liés à la réalisation du projet d'EPR Olkiluoto 3 ».

La réalisation de l'opération est envisagée « avant la fin 2017 ».

Par conséquent, Areva se recentrerait sur son « coeur de métier » qu'est le cycle du combustible nucléaire , dont les activités seraient regroupées dans une nouvelle entité juridique appelée NewCo.

Afin de cantonner les risques accumulés, l'entité juridique propre Areva SA jouerait le rôle de « structure de défaisance » 8 ( * ) .

Pour mener à bien la réalisation de ce projet, les entreprises publiques EDF et Areva, contrôlées directement et indirectement par l'État à hauteur de 85 % et 86,5 %, ont annoncé le lancement d'ici la fin de l'année 2017 d'une augmentation de capital à hauteur respectivement de 4 milliards d'euros 9 ( * ) et de 5 milliards d'euros 10 ( * ) .

Dans l'intervalle, Areva a trouvé un accord avec un groupe de banques pour un crédit-relais de 1,1 milliard d'euros, afin d'assurer « la liquidité de l'entreprise pour l'exercice 2016 » 11 ( * ) . Son remboursement est prévu pour janvier 2017.

S'agissant d'EDF, l'augmentation de capital permettra de faciliter la refondation de la filière nucléaire - l'investissement dans Areva NP étant estimé à environ 2,5 milliards d'euros 12 ( * ) - mais également d'assurer la soutenabilité de sa politique d'investissement ambitieuse , dans un contexte marqué par la libéralisation croissante du marché et une forte baisse du prix de l'électricité.

En complément, l'État actionnaire a par ailleurs annoncé qu'il percevra son dividende en actions au titre des exercices 2016 et 2017 , comme il avait déjà accepté de le faire au titre de 2015.

B. LE POIDS DES DÉFAILLANCES PASSÉES

1. Un impact en dépenses évalué à 7 milliards d'euros pour le compte d'affectation spéciale

L'État actionnaire a annoncé qu'il souscrirait via l'APE à ces augmentations de capital :

- à hauteur de 3 milliards d'euros pour EDF 13 ( * ) ;

- pour un montant qui peut être estimé à 4 milliards d'euros pour Areva 14 ( * ) .

Au total, le compte devrait donc être mobilisé en dépenses à hauteur de 7 milliards d'euros en 2017 pour recapitaliser le secteur énergétique.

2. Un impact incertain sur les indicateurs maastrichtiens

En principe, une prise de participation ou une cession est traitée comme une opération financière en comptabilité nationale, sans impact sur le déficit au sens de Maastricht . En effet, dans la mesure où l'État reçoit en contrepartie de son (dés)investissement un actif financier de même valeur, il n'y a pas de modification du besoin de financement des administrations publiques.

De ce fait, le solde du compte d'affectation spéciale, en tant que support des opérations financières conduites par l'État actionnaire, n'a généralement pas d'impact sur le déficit maastrichtien.

La situation est toutefois différente s'agissant du cas particulier de la recapitalisation d'une entreprise publique.

Lorsque l'opération est considérée comme une opération financière, son impact sur les indicateurs maastrichtiens est identique à celui d'une prise de participation .

Toutefois, une telle opération peut dans certains cas être qualifiée de transfert de capital . Son impact sur le déficit au sens de Maastricht est alors analogue à celui d'une opération budgétaire classique .

Le traitement comptable des recapitalisations est apprécié par Eurostat au cas par cas selon le principe général suivant : « l'apport de capitaux doit être traité en opération non financière toutes les fois qu'il s'agit d'une opération sans contrepartie », c'est-à-dire lorsque « l'administration ne reçoit pas en échange un actif financier de même valeur » 15 ( * ) .

À titre d'exemple, la recapitalisation de France Télécom en 2003 a été qualifiée d'opération financière, l'État ayant agi en « investisseur avisé ». Financée via un emprunt garanti, elle a dégradé le ratio d'endettement à hauteur de 0,6 point du PIB, soit 9 milliards d'euros, mais n'a eu aucun impact sur le déficit maastrichtien 16 ( * ) .

À l'inverse, Eurostat a considéré que la recapitalisation du groupe Dexia en 2012 par la France et la Belgique ne pouvait être considérée comme une opération financière 17 ( * ) , compte tenu de l'absence de perspective de rentabilité - et ce contrairement à la première recapitalisation effectuée en 2008. L'opération a ainsi dégradé le déficit maastrichtien de la France et de la Belgique à hauteur respectivement de 0,1 point de PIB et de 0,7 point de PIB 18 ( * ) .

Pour se prononcer, Eurostat indique qu'il importe surtout de déterminer si l'administration anticipe « un retour sur investissement , sous la forme d'un flux futur de dividendes et/ou sous la forme d'une augmentation de la valeur de l'actif financier qui représente son droit sur l'entreprise » 19 ( * ) .

À cet égard, si la recapitalisation d'EDF devrait sans problème être qualifiée d'opération financière, la situation est moins évidente pour Areva, qui a accumulé des pertes importantes et ne distribue plus de dividendes depuis 2010.

La 19 juillet dernier, la Commission européenne a d'ailleurs ouvert une enquête approfondie afin d'évaluer la compatibilité du financement de la restructuration d'Areva par l'État français avec les règles de l'Union européenne sur les aides d'État, les lignes directrices exigeant notamment que les bénéficiaires « élaborent un plan de restructuration solide qui leur permette de devenir viables à long terme sur la base d'hypothèses réalistes » 20 ( * ) .

En pratique, lorsque l'entreprise a accumulé des pertes , Eurostat fait la distinction entre deux cas de figure , comme l'indique la décision de 2003 sur « les apports de capitaux par les administrations publiques dans des entreprises publiques » 21 ( * ) .

Le premier cas concerne les entreprises publiques qui affichent des pertes mais pour lesquelles « des investisseurs privés (en incluant des nouveaux investisseurs) participent de façon substantielle à l'apport de fonds » . Sous réserve que « certaines conditions relatives aux investisseurs privés sont satisfaites (notamment pour ce qui concerne leurs droits et risques, similaires à ceux qui incombent à l'administration publique) », l'apport de fonds peut alors être traité en opération financière dans sa totalité.

Le deuxième cas concerne les opérations pour lesquelles l'administration publique intervient seule . Dans une telle situation, l'apport de fonds est en principe traité en opération non financière dans la limite du montant des pertes à couvrir et en opération financière pour sa partie excédentaire. Une exception est toutefois prévue en cas de « restructuration fondamentale » de l'entreprise : l'apport de fonds peut alors être traité en opération financière dans sa totalité « s'il existe un large consensus quant à la forte probabilité que l'entreprise redevienne bénéficiaire dans un avenir proche ». À l'inverse, s'il apparaît « une incertitude sur les futurs effets de la restructuration », l'apport est traité en opération non financière dans la limite du montant des pertes.

Au regard de cette grille d'analyse, une partie de la recapitalisation d'Areva pourrait poser problème.

En effet, Areva a d'ores et déjà annoncé que l'augmentation de capital d'un montant global de 5 milliards d'euros devrait être répartie à hauteur de 2 milliards d'euros au niveau d'Areva SA et de 3 milliards d'euros au niveau de NewCo 22 ( * ) .

Or, Areva SA constitue une structure de défaisance : il est donc peu probable qu'un investisseur privé participe à l'opération. La presse spécialisée a ainsi indiqué que si des investisseurs privés pourraient participer à hauteur d'un tiers à la recapitalisation de NewCo, la recapitalisation d'Areva SA devrait être « assumée en totalité par l'État français » 23 ( * ) , ce que tendent à confirmer les déclarations d'Emmanuel Macron devant votre commission des finances en mai dernier 24 ( * ) .

En l'absence de perspective de rentabilité, il existe donc un risque que cette partie de l'opération soit qualifiée d'opération non financière par Eurostat.

II. LA SOUTENABILITÉ DU COMPTE REPOSE SUR LA MISE EN oeUVRE D'UN PROGRAMME VOLONTARISTE DE CESSIONS

A. UN EFFORT DE TRANSPARENCE INÉDIT EN DÉPENSES POUR TENIR COMPTE DES RECAPITALISATIONS À VENIR

1. La programmation du compte spécial repose traditionnellement sur des bases purement conventionnelles

Le compte spécial retrace en recettes, à titre principal, les produits des cessions de participations conduites par l'État. Du coté des dépenses, le compte spécial peut financer des prises de participation, mais aussi contribuer au désendettement de l'État par le versement de dotations à la Caisse de la dette publique.

Depuis la création du compte d'affectation spéciale dans le cadre du premier budget voté selon les principes de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) 25 ( * ) en 2005, la programmation du compte a toujours présenté un caractère purement formel.

À partir de 2007 26 ( * ) , cinq milliards d'euros sont ainsi inscrits en dépenses comme en recettes , sauf lorsqu'un versement du budget général est prévu pour des opérations qui ne relèvent pas du périmètre de l'APE 27 ( * ) . À titre d'exemple, en 2014, une ligne spécifique de la programmation permettait de tenir compte en dépenses du versement de la cinquième tranche du mécanisme européen de stabilité (MES) et des dotations en capital de plusieurs actions du programme d'investissements d'avenir, en contrepartie de l'inscription d'un versement équivalent du budget général en recettes.

Même dans ce dernier cas, le compte spécial est donc toujours par construction présenté à l'équilibre dans le cadre du projet de loi de finances : son impact sur le solde d'exécution de la loi de finances n'est véritablement pris en compte qu'au moment de la loi de règlement.

2. La remise en cause du caractère purement formel de la programmation des dépenses du compte dans le cadre d'un effort de transparence inédit

Par exception, le compte spécial est toutefois présenté en déficit de 1,5 milliard d'euros sur l'exercice 2017 dans le cadre du présent projet de loi de finances.

Évolution de l'équilibre du compte prévu par le projet de loi de finances

(en millions d'euros)

2016

2017

Programme

Recettes

Crédits

Recettes

Crédits

731 - Opérations en capital intéressant les participations financières de l'État

-

3 000

-

6 500

732 - Désendettement de l'État et d'établissements publics de l'État

-

2 000

-

0

Total au niveau du compte

5 000

5 000

5 000

6 500

Solde prévisionnel

0

- 1 500

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Si la prévision de recettes est toujours fixée conventionnellement à 5 milliards d'euros, la prévision de dépenses a été portée à 6,5 milliards d'euros, afin de tenir compte du montant des recapitalisations à venir.

Compte tenu de cet effort de transparence budgétaire sans précédent, le compte spécial contribue donc pour la première fois négativement à la prévision du solde d'exécution du projet de loi de finances.

Évolution du solde prévisionnel des comptes spéciaux

(en millions d'euros)

PLF 2016

PLF 2017

CAS Pensions

0,7

2,2

CAS Participations financières de l'État

0

- 1,5

CCF Avances aux collectivités territoriales

0,8

0,4

CCF Prêt à des États étrangers

- 0,5

- 0,1

CCF Prêts à des particuliers et à des organismes privés

- 0,1

- 0,1

CCF Soutien financier au commerce extérieur

-

4,3

Autres

0,2

0,2

Solde des comptes spéciaux

1,1

5,4

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

B. UN PROGRAMME VOLONTARISTE DE CESSIONS DEVRA ÊTRE MIS EN oeUVRE POUR RÉPONDRE AU BESOIN DE FINANCEMENT DU COMPTE EN 2017

1. Un besoin de financement du compte évalué à 7,5 milliards d'euros minimum

Outre les opérations liées à la recapitalisation du secteur énergétique, quatre dépenses sont d'ores et déjà prévues au titre de l'année 2017, pour un montant total de 515 millions d'euros :

- le versement d'une fraction du reliquat de l'augmentation de capital du Laboratoire français du fractionnement et de biotechnologies souscrite en octobre 2015, pour un montant de 90 millions d'euros ;

- une contribution aux recapitalisations et aux augmentations de capital de différentes banques multilatérales de développement, pour un montant évalué à 145 millions d'euros 28 ( * ) ;

- la dernière tranche du programme de renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement (AFD) décidé en 2014, pour un montant prévisionnel de 280 millions d'euros.

En 2017, le besoin de financement du compte peut donc être estimé à 7 ,5 milliards d'euros au minimum.

2. En l'absence de versement du budget général, la soutenabilité du compte repose sur une hausse des cessions en 2017

À ce stade, le Gouvernent exclut l'hypothèse d'un abondement du budget général pour assurer la soutenabilité du compte spécial.

Aussi, les dépenses programmées pour 2017 devront être financées soit par des cessions, soit par les crédits résultant du solde positif du compte reporté à l'issue de l'exercice 2016.

En effet, pour les comptes d'affectation spéciale, le dernier alinéa de l'article 21 de la loi organique relative aux lois de finances dispose que « les autorisations d'engagement et les crédits de paiement disponibles en fin d'année sont reportés sur l'année suivante », pour un montant « qui ne peut excéder le solde du compte ». Par conséquent, le premier alinéa du II du même article interdit, « sauf dérogation expresse prévue par une loi de finances », tout versement au profit du budget général, d'un budget annexe ou d'un compte spécial à partir d'un compte d'affectation spéciale.

En 2015, le solde de l'exercice était à l'équilibre.

Solde des exercices 2014 et 2015

(en millions d'euros)

2014

2015

Recettes

6 867,7

3 449,8

Dépenses

7 285,7

3 419,8

Solde de l'exercice

- 418

30

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Aussi, le solde cumulé du compte spécial reporté sur 2016 reste au niveau atteint à la fin de l'exercice 2014, soit 2,4 milliards d'euros.

Évolution du solde cumulé du compte depuis 2012

(en millions d'euros)

2012

2013

2014

2015

Solde de l'exercice

- 494

1 220

- 418

30

Solde cumulé

1 567

2 787

2 369

2 399

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Si le montant du solde cumulé disponible en 2017 ne sera connu qu'à l'issue de la gestion 2016, il peut toutefois faire l'objet d'une première estimation.

En dépenses, les opérations réalisées en 2016 s'élèvent à 1,23 milliard d'euros au 31 août.

Dépenses effectuées au 31 août 2016

(en millions d'euros)

Bénéficiaire

Objet de l'opération

Coût

Commissariat à l'énergie atomique

Avance de trésorerie dans le cadre du reclassement des titres Areva

376

Agence française de développement (AFD)

Deuxième tranche du renforcement en fonds propres de l'AFD

280

BpiFrance Participations

Acquisition de l'intégralité des titres de la société FSI-Équation, qui détient 25,7 % de la société Eramet

245,6

Le Nickel

Première tranche du prêt accordé à la société filiale d'Eramet afin de lui permettre de mettre en oeuvre un plan de redressement de sa compétitivité

150

Banques multilatérales de développement

Recapitalisations, souscriptions et augmentations de capital

135,8

Laboratoire français de fractionnement et de biotechnologies (LFB)

Deuxième libération de l'augmentation de capital de 2015

40

Société pour le logement intermédiaire (SLI)

Troisième libération de la souscription au capital de 2015

2,8

Agence française de développement (AFD) et Société immobilière de Guyane (SIGUY)

Deuxième libération de l'augmentation de capital de 2015 de la SIGUY par l'intermédiaire de l'AFD

2,5

Source : commission des finances du Sénat (d'après les réponses au questionnaire budgétaire)

En recettes, les opérations effectuées s'élèvent à seulement 78,6 millions d'euros à la même date.

L'essentiel des recettes provient des trois opérations suivantes :

- la réduction de capital de la Française des jeux, à la suite d'une augmentation du capital social par incorporation de réserves, pour un montant de 66,1 millions d'euros ;

- le remboursement du solde de l'avance en compte courant d'associé accordée en 2003 à la Société immobilière de Guyane (SIGUY) par l'intermédiaire de l'AFD, pour un montant de 5,5 millions d'euros ;

- la distribution de plusieurs fonds de capital-risque par Bpifance Investissement, pour un montant de 4,7 millions d'euros.

À la date du 31 août 2016, l'ensemble des opérations effectuées sur le compte d'affectation spécial fait donc apparaître un déficit de près de 1,2 milliard d'euros.

D'après les informations transmises par l'APE, cinq opérations supplémentaires devraient mobiliser le compte spécial en dépenses d'ici la fin de l'exercice 2016 :

- la deuxième libération de la souscription au capital de la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures (AIIB), pour un montant estimé à 122 millions d'euros ;

- une avance d'actionnaire de 63 millions d'euros au profit de la société FSI-Équation, afin que cette dernière puisse souscrire à l'émission d'obligations d'Eramet ;

- la libération de la souscription au capital de la Société pour le logement intermédiaire (SLI), pour un montant estimé à 16 millions d'euros ;

- la souscription à une nouvelle augmentation de capital de Radio France, pour un montant de 28 millions d'euros ;

- le rachat d'Areva TA aux côtés du CEA et de DCNS, décidé en 2015 compte tenu du caractère stratégique de cette structure, qui conçoit et assure la maintenance des réacteurs nucléaires de propulsion navale (d'après les informations parues dans la presse spécialisée, l'APE participerait à l'opération à hauteur de 50 % mais la valorisation retenue n'est pas connue) 29 ( * ) .

Sur le plan des recettes, le versement du produit de la cession des aéroports de Lyon et Nice, dont le montant s'élève à 1,76 milliard d'euros, est attendu pour novembre 2016.

Au total, d'après le présent projet de loi de finances, la variation du solde du compte spécial devrait toutefois s'élever à 1,1 milliard d'euros à l'issue de l'exercice 2016, d'autres recettes non dévoilées à ce jour devant permettre d'abonder le compte d'ici la fin de l'année.

Variation anticipée du solde des comptes spéciaux
à l'issue de l'exercice 2016

(en millions d'euros)

2016

CAS Pensions

0,7

CAS Participations financières de l'État

1,1

CCF Avances aux collectivités territoriales

0,8

CCF Prêt à des États étrangers

- 0,2

CCF Prêts à des particuliers et à des organismes privés

- 0,1

Autres

0,5

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Aussi, le résultat anticipé de l'exercice 2016 devrait permettre de porter le solde cumulé du compte de 2,4 milliards d'euros à 3,5 milliards d'euros en 2017 .

En supposant que ce solde reporté soit entièrement épuisé en 2017, la mise en oeuvre d'un programme de cessions d'un montant minimum de 4 milliards d'euros en 2017 serait donc nécessaire afin de combler le besoin de financement du compte sans abondement du budget général.

Or, sur les trois derniers exercices, les recettes du compte spécial hors versements du budget général s'élèvent en moyenne à 2,4 milliards d'euros .

La soutenabilité du compte repose donc sur l'hypothèse d'une hausse de 65 % du montant des recettes tirées des cessions par rapport à la moyenne des derniers exercices.

Il peut être noté que l'hypothèse sous-jacente retenue par le Gouvernement est encore plus volontariste : pour un montant prévisionnel de dépenses de 7,5 milliards d'euros, les recettes devront atteindre 6 milliards d'euros pour que le déficit du compte à l'issue de l'exercice 2017 se limite à 1,5 milliard d'euros, comme prévu dans le cadre du présent projet de loi de finances. À titre de comparaison, la valeur du portefeuille coté juridiquement cessible de l'État est estimée à 33,8 milliards d'euros par la Cour des comptes, pour une valeur globale de 67,5 milliards d'euros 30 ( * ) .

Un tel montant de cessions ne serait pas inédit : en 2007, les recettes du compte hors versement général s'élevaient par exemple à 7,7 milliards d'euros.

Évolution des recettes du compte spécial
hors versements du budget général

(en millions d'euros)

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Recettes

17 180

7 725

2 080

515

534

635

621

2 751

1 857

2 646

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Toutefois, le besoin de financement pourrait être revu à la hausse si l'État actionnaire décidait de faire jouer la clause de l'accord lui permettant d'acquérir une partie du capital d'Alstom auprès de Bouygues.

III. LE CHOIX DE RESTER AU CAPITAL D'ALSTOM DEVRA ÊTRE TRANCHÉ AU SECOND SEMESTRE 2017

A. L'ÉTAT, UN ACTIONNAIRE-LOCATAIRE JUSQU'EN OCTOBRE 2017

1. L'État actionnaire détient 20 % des droits de vote d'Alstom dans le cadre d'un prêt de titres

En 2003, le groupe Alstom, après avoir annoncé d'importantes pertes, a bénéficié de la part de l'État actionnaire d'un train de mesures visant à permettre le redressement de sa trajectoire financière 31 ( * ) . Dans ce cadre, l'État actionnaire prend à l'été 2004 une participation au sein du groupe à hauteur de 21 %, pour un montant de 720 millions d'euros.

Si la Commission européenne approuve les aides octroyées par la France à Alstom, son accord est alors conditionné à des conditions strictes parmi lesquelles figure l'obligation, pour l'État actionnaire, de sortir du capital du groupe « dans les 12 mois qui suivent l'obtention par Alstom d'un rating "investment grade" » 32 ( * ) .

Aussi, l'État actionnaire est contraint de sortir du capital d'Alstom en juin 2006 en cédant ses titres au groupe Bouygues pour 2 milliards d'euros, soit une plus-value de 1,26 milliard d'euros 33 ( * ) .

En 2014, l'État conditionne toutefois son approbation de l'alliance entre General Electric et Alstom à la conclusion d'un accord lui garantissant les « droits de gouvernance » nécessaires pour « garantir l'intérêt de long terme d'Alstom » 34 ( * ) .

À cette fin, un accord est conclu Bouygues en juin 2014 donnant à l'État l'option d'acquérir jusqu'à 20 % du capital d'Alstom.

Pendant la période de vingt mois suivant la finalisation de la transaction avec General Electric, l'accord prévoit en outre que l'État bénéficie de la part de Bouygues d'un prêt de titres Alstom lui permettant d'exercer 20 % des droits de vote et d'accéder au conseil d'administration de l'entreprise, afin d'accompagner son recentrage autour de l'activité « Transport ».

2. L'accord de prêt avec Bouygues prendra fin en octobre 2017

Ce prêt de titres d'une durée de vingt mois conclu avec Bouygues est entré en vigueur le 4 février 2016 35 ( * ) .

Principaux actionnaires d'Alstom au 12 février 2016

(en %)

Source : commission des finances du Sénat (d'après Euronext)

Si l'État est ainsi devenu l'actionnaire de référence d'Alstom, il n'est toutefois qu'un « actionnaire-locataire » dont le bail prendra fin en octobre 2017 , posant ainsi la question de l'opportunité d'exercer les options d'achat prévues dans le cadre de l'accord avec Bouygues.

B. L'ACCESSION À LA PROPRIÉTÉ, UN CHOIX QUI DEVRA ÊTRE TRANCHÉ AU SECOND SEMESTRE 2017

1. L'État bénéficie d'un accès privilégié à un bloc de titres représentant 20 % du capital d'Alstom

Pour rester au capital d'Alstom, la solution la plus simple pour l'État actionnaire consisterait à activer la clause lui permettant d'acquérir jusqu'à 20 % du capital d'Alstom auprès de Bouygues , compte tenu du caractère disséminé du reste de l'actionnariat de l'entreprise.

En pratique, l'accord avec Bouygues prévoit « une série de trois options d'achat, séquencées dans le temps », dont la première est entrée en vigueur le 28 janvier 2016 36 ( * ) .

Comme l'indique la Cour des comptes, le cours plancher prévu par la première option d'achat était de « 35 euros, moins une décote de 2 à 3 % » 37 ( * ) . À la date à laquelle l'accord a été conclu (22 juin 2014), le cours d'Alstom était de seulement 28 euros, soit un niveau 25 % inférieur au prix plancher négocié avec Bouygues avant décote. En réalité, ce prix correspondrait au niveau qui permettait alors à Bouygues de déboucler son investissement dans Alstom au coût d'acquisition historique, sans perte ni bénéfice 38 ( * ) . Dans le cadre de l'offre publique de rachat d'actions d'Alstom lancée en 2015 afin de redistribuer aux actionnaires une partie du montant de la vente des activités « Énergie » à General Electric, il peut d'ailleurs être observé que le prix unitaire proposé par l'entreprise était précisément de 35 euros. À cette occasion, 28,5 millions d'actions détenues par Bouygues ont été rachetées par Alstom, pour un montant total de 996 millions d'euros 39 ( * ) .

Depuis l'accord, le cours de l'entreprise a de nouveau baissé et semble désormais stabilisé autour de 24 euros.

Évolution du cours de l'action Alstom depuis septembre 2013

(en euros)

Source : Yahoo ! Finance

2. Le coût de la levée totale de l'option d'achat peut être estimé à 1,1 milliard d'euros

D'après les informations transmises par le Gouvernement, la dernière option d'achat prévue par l'accord pourrait être levée au prix de marché.

Le nombre de titres prêtés à l'État étant de 43,8 millions 40 ( * ) , le coût de la levée des options peut donc être estimé à 1,1 milliard d'euros , en supposant que le cours reste au niveau actuel.

Interrogée sur le devenir de l'État au capital d'Alstom, l'APE a indiqué à votre rapporteur spécial ne pas être « en mesure d'être plus précis sur la stratégie qui sera adoptée ».

En tout état de cause, il reviendra au Gouvernement issu de la majorité élue en 2017 de décider au second semestre 2017 de l'opportunité pour l'État actionnaire de rester au capital du groupe.

DEUXIÈME PARTIE - L'AVENIR DU COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE

I. UNE RENTABILITÉ DU PORTEFEUILLE DURABLEMENT ORIENTÉE À LA BAISSE

Schématiquement, la rentabilité d'un investissement boursier peut être évaluée en faisant la somme, rapportée au prix d'achat de l'action :

- de la plus ou moins-value en capital , qui correspond à la différence entre le prix d'achat du titre et son cours actuel ;

- des revenus de détention , c'est-à-dire des revenus perçus par l'investisseur en tant qu'actionnaire, le plus souvent sous la forme de dividendes.

En 2016, la rentabilité totale du portefeuille de l'État actionnaire, qui intègre les plus-values latentes ou réalisées ainsi que les dividendes distribués, devrait de nouveau être négative .

Évolution de la rentabilité totale
du portefeuille de l'État actionnaire

(en %)

2014

2015

2016

(prévision LFI 2016)

2016

(prévision actualisée)

Rentabilité totale

2,78 %

- 9,82 %

6 %

- 5 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Pour comprendre les causes de cette évolution défavorable de la performance globale du portefeuille de l'État actionnaire et déterminer si elle a vocation à perdurer, il est donc nécessaire d'examiner successivement l'évolution tendancielle de sa valeur et de son rendement, même si les dividendes versés en numéraire par les entreprises à participations publiques ne transitent pas par le compte spécial mais sont directement imputés sur le budget général.

A. L'ÉVOLUTION DE LA VALEUR DU PORTEFEUILLE DE L'ÉTAT ACTIONNAIRE DÉPENDRA FORTEMENT DU REDRESSEMENT DU SECTEUR ÉNERGÉTIQUE FRANÇAIS

1. La valeur du portefeuille de l'État actionnaire est pénalisée par son biais sectoriel

Entre le 30 juin 2015 et le 30 juin 2016, la valeur du portefeuille de l'État actionnaire a reculé de 23,8 % 41 ( * ) .

Comme l'an passé, cette évolution est sensiblement inférieure à celle des marchés actions , l'indice CAC 40 ayant connu une baisse deux fois moins importante sur la même période (- 11,54 %) 42 ( * ) .

Le Gouvernement souligne néanmoins dans le rapport relatif à l'État actionnaire que cette contre-performance s'explique notamment par « la détérioration générale des indices sur les valeurs énergétiques, auxquelles le portefeuille de l'Agence reste fortement exposé » 43 ( * ) .

Il est vrai que les valeurs énergétiques représentent 51 % du portefeuille de l'État actionnaire. Hors énergie, la valeur du portefeuille affiche ainsi un recul de 7,4 % sur un an , soit une performance supérieure à celle du CAC 40.

Composition sectorielle du portefeuille coté de l'État actionnaire

(en %)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

2. Cette évolution défavorable traduit principalement les difficultés propres à la filière énergétique française

Toutefois, une analyse plus fine suggère que l'évolution défavorable de la valeur du portefeuille de l'État actionnaire s'explique principalement par les difficultés propres au secteur énergétique français .

En effet, les principales valeurs énergétiques du portefeuille affichent une performance moyenne trois fois inférieure à celle de leur benchmark européen 44 ( * ) .

Comparaison de l'évolution de la valeur des entreprises énergétiques françaises par rapport à leur benchmark européen

(en %)

Valeur au 30 juin 2015

Valeur au 30 juin 2016

Évolution sur un an

E.ON

10,83

8,18

- 24 %

Enel

4,06

3,98

- 2 %

Gas Natural

20,34

17,67

- 13 %

Iberdrola

6,04

6,09

1 %

RWE

19,29

14,19

- 26 %

Moyenne du benchmark

-

-

- 13 %

EDF

20

10,97

- 45 %

Engie

17,04

14,55

- 15 %

Areva

7,56

3,25

- 57 %

Moyenne des valeurs françaises

-

-

- 39 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après Yahoo ! Finance)

Au total, les valeurs énergétiques européennes se sont globalement comportées comme le CAC 40, suggérant ainsi que l'essentiel de la sous-performance du portefeuille de l'État actionnaire s'explique par les difficultés spécifiques que traversent actuellement les entreprises du secteur français de l'énergie.

Comparaison de l'évolution de la valeur de différents portefeuilles entre le 30 juin 2015 et le 30 juin 2016

(en %)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires et Yahoo ! Finance)

À l'avenir, il serait souhaitable de disposer de ce type de comparaison pour chacun des cinq principaux secteurs du portefeuille de l'État actionnaire dans le dispositif de performance afin d'apprécier de façon plus fine si l'évolution de la valeur de ce dernier traduit un simple biais sectoriel ou une moindre performance intrinsèque des entreprises françaises.

Cette évolution apparaît d'autant plus nécessaire que la diminution de la valeur du portefeuille s'accompagne d'une baisse de son rendement.

B. LA DIMINUTION DU RENDEMENT DU PORTEFEUILLE DEVRAIT SE POURSUIVRE, AVEC UNE INCIDENCE LIMITÉE SUR LE DÉFICIT MAASTRICHTIEN

1. La dynamique baissière des dividendes perçus par l'État en numéraire observée en 2015 devrait s'accélérer

Compte tenu de la structure du portefeuille actuel de l'État actionnaire, le niveau des dividendes tirés des participations et affectés au budget général dépend principalement de la situation financière de trois entreprises : EDF, Engie et Orange.

Au titre de l'exercice 2010, ces entreprises ont ainsi versé 80 % des dividendes perçus pour l'ensemble du portefeuille.

Décomposition par entreprise des dividendes perçus au titre de l'exercice 2010 par l'État actionnaire pour l'ensemble du portefeuille

(en %)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les réponses au questionnaire budgétaire)

Or, le niveau du dividende versé en numéraire par chacune de ces trois entreprises tend à diminuer.

Avec l'arrivée de Free sur le marché de la téléphonie mobile et la dégradation de la situation macroéconomique, la politique de distribution d'Orange a été revue à la baisse à plusieurs reprises , passant de 1,4 euro par action au titre de l'exercice 2011 à 0,6 euro par action depuis l'exercice 2014, soit une perte de recettes de 285 millions d'euros par an pour le budget général 45 ( * ) .

S'agissant d'EDF, l'entreprise a laissé aux actionnaires l'option de percevoir le dividende 2015 en actions afin de préserver sa trésorerie et de consolider ses fonds propres. L'État a consenti à cette option. Le 22 avril dernier, la reconduction de cette mesure pour les exercices 2016 et 2017 a été décidée dans le cadre d'un plan d'action plus vaste comprenant notamment une réduction des charges opérationnelles et un projet d'augmentation de capital. L'État actionnaire a annoncé qu'il percevra son dividende en actions au titre des exercices 2016 et 2017, comme il avait déjà accepté de le faire au titre de 2015. Pour le budget général, la perte de recettes en année pleine s'élève à 2 milliards d'euros .

S'agissant d'Engie, l'État actionnaire a consenti une première baisse d'un tiers du dividende (de 1,5 euro à 1 euro par action) à compter de l'exercice 2014, soit une perte de recettes d'environ 420 millions d'euros par an pour le budget général à niveau de participation constant 46 ( * ) .

Compte tenu du niveau de distribution élevé du groupe par rapport à ses concurrents et des interrogations concernant la soutenabilité de sa trajectoire financière, dans un contexte marqué par l'évolution défavorable des marchés de l'énergie, Engie a annoncé en février 2016, avec l'accord de l'État actionnaire, une nouvelle baisse de son dividende (de 1 euro à 0,7 euro par action) à compter de l'exercice 2017, en marge d'un plan stratégique à trois ans destiné à recentrer l'entreprise sur les marchés les plus porteurs et les moins volatils. Pour l'État, la perte budgétaire sera de 240 millions d'euros en année pleine.

Au total, si l'on compare le dividende versé par ces trois entreprises au titre de l'exercice 2010 avec celui qui devrait être versé au titre de l'exercice 2017, la baisse s'élève à 2,8 milliards d'euros.

Estimation de l'évolution des dividendes perçus en numéraire au titre des exercices 2010 et 2017 pour EDF, Engie et Orange

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

Dans ce contexte, il n'est pas surprenant que le montant global des dividendes tirés des participations de l'État actionnaire et affectés au budget général soit en baisse de 1,1 milliard d'euros en 2015 .

Évolution des dividendes versés au budget général depuis 2010

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Toutefois, l'impact de l'évolution de la politique de distribution des trois entreprises précitées sur les recettes non fiscales du budget général ne se matérialisera complètement qu'en 2018, compte tenu du calendrier de versement des dividendes .

En effet, un acompte au titre de l'exercice en cours est généralement payé aux actionnaires en octobre. Le solde n'est versé que l'année suivante (le plus souvent en juin), une fois le résultat de l'exercice connu. Ainsi, au cours de l'année 2017, l'État percevra le solde du dividende d'Engie au titre de l'exercice 2016 et l'acompte du dividende d'Engie au titre de l'exercice 2017. La baisse du dividende décidée par Engie à compter de l'exercice 2017 ne se matérialisera donc complètement qu'en 2018 dans le budget de l'État.

En 2017, le montant des dividendes en numéraire tirés de ces trois participations devrait donc de nouveau baisser significativement par rapport au niveau de 2015 avec :

- dès 2016, l'impact en année pleine de la décision de percevoir le dividende d'EDF en numéraire (l'an passé, le solde du dividende 2014, versé en numéraire, s'ajoutait à l'acompte versé en actions au titre de l'exercice 2015) ;

- en 2017, l'impact partiel de la baisse du dividende d'Engie via la diminution de l'acompte versé au titre de l'exercice 2017.

Le présent projet de loi de finances prévoit ainsi une diminution de 1,1 milliard d'euros des dividendes versés en numéraire en 2016 par rapport à 2015.

Toutefois, l'impact sur les indicateurs maastrichtiens sera limité , dans la mesure où l'essentiel la baisse attendue entre 2015 et 2017 s'explique par le versement du dividende du versement d'EDF en actions.

2. L'essentiel de la baisse attendue s'explique par le versement du dividende d'EDF sous forme de titres, ce qui n'a pas d'impact sur le déficit maastrichtien

En application de l'article 3 de la loi organique relative aux lois de finances, les dividendes en numéraire sont versés au budget général de l'État - et non au compte d'affection spéciale « Participations financières de l'État ». Dans la mesure où leur versement se traduit par un encaissement budgétaire, les dividendes en numéraire ont donc un impact positif tant sur le solde budgétaire que sur le déficit au sens de Maastricht.

Contrairement aux dividendes en numéraire, les dividendes en actions sont affectés au compte spécial. Du fait de la nature mobilière de ces dividendes, leur versement ne permet pas d'améliorer le solde budgétaire de la loi de finances . Toutefois, si « recevoir des dividendes sous formes de titres ne se traduit pas par un encaissement budgétaire », cette opération « constitue pourtant bien une recette au sens du Système européen des comptes » 47 ( * ) . En effet, que le dividende soit versé en numéraire ou en actions ne modifie en rien le besoin de financement des administrations publiques, l'État actionnaire recevant dans les deux cas un actif financier de même valeur. Lorsque l'Insee corrige le résultat d'exécution des lois de finances pour obtenir le déficit de l'État au sens de Maastricht, les dividendes versés en actions font donc l'objet d'un retraitement. Ainsi, d'un point de vue maastrichtien, il est indifférent pour l'État actionnaire de percevoir un dividende en actions ou en numéraire.

Or, la majorité de la baisse des dividendes perçus en numéraire par l'État attendue d'ici 2017 est liée à EDF et sera compensée par une hausse des dividendes versés en actions, comme en 2015.

Évolution des dividendes versés depuis 2010

(en milliards d'euros)

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016 (prévision)

Dividendes en numéraire

4,3

4,4

3,2

4,2

4,1

3

1,9

Dividendes en actions

0,1

-

1,4

0,2

-

0,9

1,5

Total

4,4

4,4

4,6

4,4

4,1

3,9

3,4

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

En effet, si l'État a accepté de percevoir le dividende d'EDF en actions, le niveau du dividende est resté globalement identique.

Évolution du dividende par action versé par EDF

(en euro par action)

Source : commission des finances du Sénat (d'après EDF)

En 2015, la baisse du dividende par action observée (- 0,15 euro) est compensée en quasi-totalité par le versement d'une « prime de fidélité » de 0,11 euro, lié à la mise en oeuvre d'un dispositif prévoyant le versement d'un dividende majoré de 10 % aux actionnaires détenant leurs titres au nominatif depuis au moins deux années civiles en continu.

En 2017, seul l'impact partiel de la baisse du dividende d'Engie via la diminution de l'acompte versé au titre de l'exercice 2017 devrait donc se traduire par une dégradation du déficit maastrichtien. En supposant que le niveau de l'acompte reste constant (50 % du dividende total), l'impact peut être estimé à 120 millions d'euros.

II. LA « MISE EN SOMMEIL » DE L'OBJECTIF DE CONTRIBUTION DU COMPTE AU DÉSENDETTEMENT, UNE DÉCISION LOGIQUE

A. LA DÉCISION D'AFFECTER LE PRODUIT DES CESSIONS AU DÉSENDETTEMENT DOIT REPOSER SUR UN ARBITRAGE FINANCIER

1. Le niveau atteint par la dette publique peut sembler justifier l'affectation du produit des cessions au désendettement

Comme cela a été rappelé précédemment, le compte spécial peut financer des prises de participation mais aussi contribuer au désendettement de l'État par le versement de dotations à la Caisse de la dette publique. Sur le plan budgétaire, ces contributions sont imputées sur le programme 732 « Désendettement de l'État et d'établissements publics de l'État ».

Le niveau atteint par la dette publique peut sembler, en première analyse, justifier l'affectation d'une partie du produit des cessions au désendettement.

Trajectoire de la dette des administrations publiques

(en points de PIB)

2015

2016

2017

2018

2019

2020

Dette publique

96,2

96,1

96

95,1

92,9

90,1

Dette publique
(hors soutien financier à la zone euro)

93,1

93,1

93,1

92,2

90,2

90,1

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents budgétaires)

À cet égard, l'exécution 2014 a été marquée par la première contribution du compte spécial au désendettement depuis 2007 , avec un versement de 1,5 milliard d'euros à la Caisse de la dette publique. Cette évolution a été confirmée en 2015, avec un nouveau versement de 800 millions d'euros.

À moins d'un an des élections présidentielle et législatives, certains proposent d'amplifier ce mouvement en recommandant la mise en oeuvre d'un véritable « programme de privatisations [...] dont les recettes seront affectées à la réduction de la dette publique française » 48 ( * ) , à l'image ce qui a été réalisé sur la période 2006-2007 49 ( * ) .

Contribution du compte spécial au désendettement sur la période 2006-2007

(en milliards d'euros)

2006

2007

Total

Recettes hors versements du budget général

17,2

7,7

24,9

Contribution au désendettement

16,3

3,5

19,8

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

D'un point de vue économique, l'arbitrage entre désendettement et réinvestissement doit néanmoins reposer sur une analyse des bénéfices que l'État peut tirer de la détention à long terme d'actifs financiers .

2. L'arbitrage entre désendettement et réinvestissement doit néanmoins reposer sur une analyse des bénéfices que l'État peut tirer de la détention à long terme d'actifs financiers

À titre liminaire, il doit être rappelé qu'un plan de privatisations n'aurait aucun impact sur le déficit public au sens de Maastricht , dans la mesure où les cessions, qui constituent des opérations financières en comptabilité nationale, ne modifient pas le besoin de financement des administrations publiques.

En revanche, l'affectation du produit des cessions à la Caisse de la dette publique permet de réduire le niveau d'endettement au sens de Maastricht , dans la mesure où il s'agit d'un ratio exprimé en dette brute.

En privatisant, l'État renonce toutefois aux revenus futurs qu'il aurait pu tirer de la participation cédée, si bien que la dette nette ne s'en trouve pas améliorée . De ce fait, comme le relevait la Cour des comptes en 2007 dans son analyse du programme de privatisations, « l'emprise de l'objectif de réduction du ratio de dette brute au sens de Maastricht sur les décisions de cessions d'actifs, qui n'améliorent en rien la dette nette, peut ainsi conduire à des choix sous-optimaux en termes économiques et financiers » 50 ( * ) .

En effet, « au strict plan financier, une cession n'a de réelle justification que si le marché valorise l'actif concerné, au moment où il est cédé, à un prix supérieur aux flux nets de revenus que l'État peut espérer tirer de sa conservation » 51 ( * ) . À cet égard, la théorie financière distingue traditionnellement la valeur de marché d'un actif, c'est-à-dire sa « valeur négociable et constatée sur un marché à l'instant considéré », de sa valeur intrinsèque , qui correspond au niveau de prix « économiquement correct » 52 ( * ) . Ce dernier est calculé à partir d'une estimation de la valeur actualisée des revenus futurs que l'on peut espérer tirer de l'actif, ce qui nécessite notamment d'établir des projections concernant les revenus futurs et le taux d'actualisation 53 ( * ) .

Ainsi, une cession n'a de sens sur le plan financier que si l'État actionnaire estime que sa participation est surévaluée par les marchés financiers - autrement dit, si la valeur de marché de l'actif est supérieure à l'estimation par l'État de sa valeur intrinsèque. S'agissant des sociétés concessionnaires d'autoroutes, la Cour des comptes regrettait ainsi que « le produit financier immédiat attendu des privatisations a[it] primé sur toute autre considération » 54 ( * ) .

Une fois le débat de l'opportunité de la cession tranché, encore faut-il résoudre la question de l'affectation de son produit , ce qui suppose un arbitrage entre réinvestissement et contribution au désendettement.

Sur le plan financier, cet arbitrage doit principalement reposer pour l'État sur une comparaison entre les bénéfices qu'il peut espérer tirer à long terme de la détention d'actifs financiers et son coût de refinancement attendu sur les marchés financiers.

À cet égard, il peut être noté que la rentabilité historique des placements en actions en France s'élève à 6,6 % , après prise en compte des dividendes réinvestis et de l'inflation 55 ( * ) . Cette rentabilité est conforme aux niveaux observés aux États-Unis sur longue période, qui sont remarquablement stables depuis 1802.

Évolution de la rentabilité réelle annuelle moyenne du marché actions américains depuis 1802

(en %)

1802-1870

1871-1945

1946-2011

1802-2011

Rentabilité réelle annuelle moyenne

7,0 %

6,39 %

6,44 %

6,70 %

Source : Jeremy Siegel, « Long-term stocks returns unshaken by Bear Markets », Rethinking the equity risk premium , CFA Institute, 2011, p. 145-146

Aussi, même lorsque le coût de refinancement de l'État s'élevait à 4,5 %, la Cour des comptes estimait logiquement que « l'affectation d'une partie du produit des cessions d'actifs au Fonds de réserve des retraites plutôt qu'au désendettement, à des fins de réinvestissement dans un portefeuille de titres diversifiés, peut constituer un arbitrage financièrement pertinent » 56 ( * ) .

Au regard de cette grille d'analyse, privatiser pour réduire la dette maastrichtienne constituerait dans le contexte actuel un choix contraire à l'intérêt patrimonial de l'État.

B. DANS UN ENVIRONNEMENT DE TAUX BAS PROLONGÉ, PRIVATISER POUR RÉDUIRE LA DETTE MAASTRICHTIENNE CONSTITUE UN CHOIX SOUS-OPTIMAL

1. Compte tenu du coût de refinancement de l'État, l'affectation du produit des cessions au désendettement apparaît sous-optimal

Tout d'abord, il peut sembler inopportun d'engager un plan de privatisations de grande ampleur dans le contexte de marché actuel.

En effet, il est généralement admis que lorsque les marchés financiers entrent dans une phase de correction, les actifs ont tendance à être sous-évalués , compte tenu notamment de la difficulté pour les investisseurs de discriminer les risques pendant une période de turbulence. Les cours des entreprises sont alors exposés à des mouvements de sur-réaction et de mimétisme de la part des marchés financiers. À titre d'exemple, plusieurs études ont mis en évidence que les prix des actions étaient fortement sous-évalués par rapport aux fondamentaux après l'éclatement de la crise en 2008 57 ( * ) .

Aussi, un contexte de marché baissier est souvent jugé peu propice à la mise en place d'un plan de cessions de grande ampleur .

S'agissant du compte spécial, la crise de 2008 a d'ailleurs logiquement provoqué un effondrement des cessions réalisées par l'État actionnaire, suivi d'un rebond à partir de 2013 à la suite du net redressement des marchés actions observé à compter de 2012.

Évolution du produit des cessions depuis 2007

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Alors que la rentabilité du portefeuille de l'État actionnaire devrait pour la deuxième année consécutive se situer en territoire négatif, en raison de la correction générale observée sur les marchés actions européens depuis avril 2015 mais aussi de la déstabilisation des valeurs énergétiques françaises, le contexte actuel semble peu propice à la mise en oeuvre d'un plan de cessions d'une ampleur comparable à celui intervenu au cours de la période 2006-2007 .

Les gérants d'actifs anticipent d'ailleurs une progression de seulement 3 % du CAC 40 et de l'EuroStoxx 50 au cours des six prochains mois, ce qui laisserait les deux indices loin des niveaux d'avril 2015.

Évolution des indices CAC 40 et EuroStoxx 50

(en points, en %)

CAC 40

EuroStoxx 50

Niveau au 15 avril 2015

5 254

3 803

Niveau au 30 septembre 2016

4 448

3 002

Prévision moyenne des gérants à six mois

4 583

3 102

Écart entre le niveau au 15 avril 2015 et la prévision à six mois

- 12,8 %

- 18,4 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après le panel actions de l'Agefi et Yahoo ! Finance)

En tout état de cause, quand bien même le Gouvernement estimerait opportun sur le plan financier de mettre en oeuvre un tel plan, l'environnement de taux bas prolongé plaiderait clairement pour réinvestir le produit des cessions plutôt que de l'affecter au désendettement.

En effet, compte tenu notamment de l'orientation de la politique monétaire de la Banque centrale européenne, le coût de refinancement de l'État est aujourd'hui proche de zéro (voire même négatif pour l'endettement à court terme) et devrait rester durablement bas 58 ( * ) .

Pour l'État, affecter le produit des cessions au désendettement reviendrait ainsi sur le strict plan financier à abandonner une rentabilité réelle annuelle moyenne de 6,6 % pour s'épargner le versement, chaque année, d'un taux d'intérêt nominal proche de zéro.

2. La « pause » annoncée dans la contribution du compte au désendettement devra être prolongée aussi longtemps que le coût de refinancement restera proche des niveaux actuels

Dès l'examen du projet de loi de règlement pour 2015, votre rapporteur spécial plaidait ainsi pour une « pause » dans la contribution du compte spécial au désendettement, en écho aux propos tenus par le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique devant votre commission des finances le 25 mai dernier : « ce serait se tirer une balle dans le pied que d'utiliser le capital du compte d'affectation spéciale pour se désendetter » 59 ( * ) .

La programmation traditionnelle du compte spécial - 4 milliards d'euros consacrés au désendettement contre 1 milliard d'euros seulement pour le réinvestissement - avait été revue dès le projet de loi de finances pour 2016, qui prévoyait pour le désendettement et le réinvestissement respectivement 2 milliards d'euros et 3 milliards d'euros.

Un pas supplémentaire a été franchi avec le présent projet de loi de finances, qui ne prévoit plus aucune contribution du compte spécial au désendettement en 2016 et en 2017.

Il faut se féliciter de cette « pause » dans la contribution au désendettement, conforme à l'intérêt patrimonial de l'État et qui devra être prolongée aussi longtemps que son coût de refinancement restera proche des niveaux actuels.

III. LA RECHERCHE D'UNE PLUS GRANDE CRÉDIBILITÉ DANS LA PROGRAMMATION DU COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE

A. LE REFUS LÉGITIME DE DÉVOILER LE MONTANT DES OPÉRATIONS ENVISAGÉES PAR L'ETAT ACTIONNAIRE EST SUSCEPTIBLE DE PORTER ATTEINTE AU PRINCIPE DE CRÉDIBILITÉ BUDGÉTAIRE

1. Pour des raisons de confidentialité et d'opportunité parfaitement compréhensibles, le Gouvernement refuse de dévoiler le montant des cessions envisagées pour l'année à venir

Comme cela a été rappelé précédemment, la programmation du compte d'affectation spéciale a toujours présenté jusqu'au présent projet de loi de finances une double spécificité :

- les crédits inscrits à cette mission sont fixés à un niveau conventionnel , identique année après année (5 milliards d'euros depuis le projet de loi de finances pour 2007) et indépendant du montant des dépenses et des recettes réellement prévues ;

- le compte est par construction toujours présenté à l'équilibre dans le cadre du projet de loi de finances , si bien qu'il n'a, à ce stade de la procédure budgétaire, jamais d'impact sur la prévision du solde général d'exécution de la loi de finances.

Cette programmation atypique s'explique par le refus légitime du Gouvernement de dévoiler le montant des cessions envisagées pour l'année à venir, afin de préserver l'intérêt patrimonial de l'État . Comme chaque année, le projet annuel de performances annexé au présent projet de loi de finances indique ainsi que « pour des raisons de confidentialité, inhérentes notamment à la réalisation de cessions de titres de sociétés cotées, il n'est pas possible au stade de l'élaboration du projet de loi de finances, de détailler la nature des cessions envisagées. La stratégie de cession dépend en effet très largement de la situation des marchés, très difficile à anticiper, des projets stratégiques des entreprises intéressées, de l'évolution de leurs alliances ainsi que des orientations industrielles retenues par le Gouvernement. Dans ce contexte, le responsable du programme évalue les opportunités, en ligne avec les lignes directrices de l'État actionnaire, et peut proposer au ministre de réaliser une opération » 60 ( * ) .

Toutefois, ce mode de programmation est susceptible de porter atteinte à la crédibilité du budget, de son élaboration à son exécution.

2. Le choix de fixer les crédits du compte à un niveau conventionnel est toutefois susceptible de fragiliser la crédibilité de la programmation et de l'exécution du budget

Tout d'abord, le fait que le compte soit systématiquement présenté à l'équilibre au stade du projet de loi de finances, et ce indépendamment du montant des dépenses et des recettes réellement prévues, est susceptible de fausser la prévision du solde d'exécution de la loi de finances.

Par ailleurs, le caractère formel de la programmation permet au Gouvernement, au cours de l'exécution budgétaire, de gager des dépenses nouvelles par des annulations sur le compte d'affectation spéciale qui ne constituent pas des économies réelles pour le budget de l'État .

Dans son avis sur le projet de décret d'avance notifié le 23 septembre 2016, votre commission des finances relevait ainsi « que les annulations en autorisations d'engagement sur le compte d'affectation spéciale `Participations financières de l'État' ne constituent pas des économies réelles sur le budget de l'État dans la mesure où les crédits inscrits à cette mission sont fixés à un niveau conventionnel, identique d'année en année et indépendant du montant des dépenses  réellement prévues ; que les ouvertures qu'elles permettent se traduiront en revanche par une charge supplémentaire certaine sur le budget de l'État en 2016 et en 2017 » 61 ( * ) .

En l'espèce, les marges de manoeuvre du Gouvernement sont d'autant plus grandes que le niveau inscrit en recettes comme en dépenses depuis 2007 (5 milliards d'euros) est significativement plus élevé que les montants généralement constatés au stade de l'exécution.

Enfin, en raison du caractère formel de cette programmation, l'exécution ne saurait, comme pour les autres missions, être comparée à la prévision au moment de l'examen du projet de loi de règlement.

Or, la crédibilité de la programmation du compte pourrait être sensiblement améliorée sans pour autant forcer le Gouvernement à dévoiler le montant des cessions envisagées pour l'année à venir.

B. LA CRÉDIBILITÉ DE LA PROGRAMMATION DU COMPTE POURRAIT ÊTRE AMÉLIORÉE SANS PORTER ATTEINTE À L'INTÉRÊT PATRIMONIAL DE L'ÉTAT

1. En dépenses, l'effort de transparence inédit réalisé en 2016 pourrait être pérennisé

Dans un effort de transparence inédit, la prévision de dépenses du Gouvernement a été portée à 6,5 milliards d'euros en 2017 pour le compte spécial, afin de tenir compte du montant des recapitalisations à venir.

Comme le démontre la programmation proposée dans le cadre du présent projet de loi de finances, les opérations en capital prévues pour l'année à venir qui ont déjà été annoncées aux marchés peuvent donc être budgétées dans le compte spécial, en complément de la contribution envisagée au titre du désendettement.

En dépenses, l'effort de transparence inédit réalisé en 2016 pourrait ainsi être pérennisé.

2. En recettes, la programmation pourrait par exemple reposer sur la moyenne du montant des recettes constatées au cours des trois exercices précédents hors versements du budget général

En recettes, il apparaît que l'écart entre la prévision et l'exécution pourrait être significativement réduit avec l'adoption d'une inscription conventionnelle différente fondée sur la moyenne des recettes constatées au cours des exercices précédents.

En adoptant explicitement un tel système, aucune information ne serait donnée aux marchés financiers concernant le montant des opérations de cessions envisagées , préservant ainsi l'intérêt patrimonial de l'État actionnaire.

À titre d'illustration, fonder la programmation en recettes du compte spécial sur la moyenne des recettes constatées au cours des trois derniers exercices aurait permis depuis 2011 de réduire l'écart entre la prévision et l'exécution de 2,5 milliards d'euros en moyenne chaque année par rapport au système actuel fondé sur l'inscription systématique d'un montant conventionnel de cinq milliards d'euros en recettes.

Évaluation de la réduction de l'écart entre les recettes constatées en exécution et la prévision initiale en cas d'adoption d'un système fondé sur la moyenne

(en millions d'euros)

2011

2012

2013

2014

2015

Recettes constatées

634,6

620,8

2 751,2

1 857,0

2 645,6

Écart à l'inscription conventionnelle

4 365,4

4 379,3

2 248,8

3 143,0

2 354,4

Moyenne des trois derniers exercices

1 043,1

561,3

596,5

1 335,5

1 743,0

Écart à la moyenne des trois derniers exercices

408,5

59,5

2 154,7

521,5

902,6

Réduction de l'écart

3 956,9

4 319,8

94,1

2 621,5

1 451,8

Note de lecture : il s'agit des recettes constatées hors versements du budget général.

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Graphiquement, la courbe des recettes constatées en exécution est ainsi systématiquement plus proche de celle correspondant à la moyenne des recettes constatées au cours des trois derniers exercices que de celle correspondant à l'inscription conventionnelle de cinq milliards d'euros.

Comparaison entre les recettes constatées en exécution, la moyenne des recettes constatées au cours des trois exercices précédents et l'inscription conventionnelle de cinq milliards d'euros

(en millions d'euros)

Note de lecture : il s'agit des recettes constatées hors versements du budget général.

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

L'adoption d'un tel système, pourtant très simple, permettrait donc d'améliorer significativement la crédibilité de la programmation du compte spécial.

Elle limiterait en outre la possibilité, pour le Gouvernement, de gager les ouvertures de crédits prévues dans le cadre des décrets d'avance pour financer de nouvelles dépenses par des annulations sur le compte d'affectation spéciale, qui ne constituent pas des économies réelles sur le budget de l'État.

Des études complémentaires pourraient toutefois être engagées afin d'améliorer la capacité prédictive du système proposé, par exemple en prenant également en compte l'évolution des cours , dans la mesure où l'on peut supposer qu'un contexte de marché défavorable se traduit en moyenne par un montant plus faible de cessions.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 8 novembre 2016, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Maurice Vincent, rapporteur spécial, sur le compte d'affectation spéciale (CAS) « Participations financières de l'État ».

M. Maurice Vincent , rapporteur spécial . - Le compte d'affectation spéciale (CAS) « Participations financières de l'État » constitue le support budgétaire des opérations conduites par l'État actionnaire. En recettes, il retrace principalement les produits des cessions de participations. En dépenses, il peut financer des prises de participation, mais aussi contribuer au désendettement de l'État.

Habituellement, les crédits inscrits en dépenses comme en recettes sont fixés à un niveau conventionnel de 5 milliards d'euros, identique année après année, afin de ne pas donner d'information aux marchés. Le compte est donc par construction toujours présenté à l'équilibre dans le cadre du projet de loi de finances. Ensuite, en exécution, la réalité des opérations passées est examinée.

Cette année, le Gouvernement annonce pour la première fois que le compte ne sera pas équilibré, puisqu'il a inscrit 6,5 milliards d'euros de dépenses et 5 milliards d'euros de recettes, soit un déficit de 1,5 milliard qui contribue négativement au solde d'exécution de la loi de finances.

Cette nouvelle approche s'explique par la volonté de transparence du Gouvernement et par les besoins liés à la recapitalisation d'EDF et d'Areva. Il s'agit d'abord de soutenir le groupe Areva, dont les pertes cumulées s'élèvent à 10 milliards d'euros, en raison des nombreuses erreurs commises entre 2004 et 2011. Ces difficultés ont été exacerbées ces dernières années par la baisse de prix que connaît l'ensemble du secteur énergétique, dans un contexte de libéralisation croissante des marchés.

Le Président de la République a ainsi décidé de reconstituer les capacités financières de cette filière. Sur le plan financier, les deux groupes devraient bénéficier en 2017 d'une augmentation de capital de 9 milliards d'euros, dont 7 milliards d'euros apportés par l'État actionnaire. Sur le plan de l'organisation, Areva se reconcentrera sur son « coeur de métier », c'est-à-dire sur le cycle du combustible nucléaire. Ainsi, EDF va devenir le véritable « chef de file » du nucléaire français, récupérant les activités d'Areva liées aux réacteurs.

Le déficit de l'État au sens de Maastricht pourrait être affecté par le fait qu'une partie de la contribution de l'État à la recapitalisation d'Areva, estimée à 2 milliards d'euros, devrait être fléchée vers une structure de défaisance. Eurostat pourrait considérer que l'État n'agit pas en « investisseur avisé » pour cette partie de l'opération mais je serai optimiste en comptant comme le Gouvernement sur une appréciation globale de la recapitalisation par Bruxelles.

Je précise pour être tout à fait exhaustif que cette évaluation ne prend pas en compte le coût potentiellement associé à la décision de rester au capital d'Alstom, qui devra être tranchée en fin d'année prochaine. En effet, l'État n'est présent au capital d'Areva qu'en vertu d'un prêt de titres accordé par Bouygues, qui prendra fin en octobre prochain. Nous disposons toutefois d'une option pour racheter à Bouygues jusqu'à 20 % du capital d'Alstom. En 2017, le Gouvernement issu des élections de mai voudra-t-il lever cette option, pour un coût aujourd'hui estimé à 1,1 milliard d'euros ? La question reste posée.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - La présentation de ce CAS est particulière. Le niveau élevé des cessions attendues m'interpelle. Le rapporteur spécial a rappelé que le montant prévisionnel des dépenses est en réalité de 7,5 milliards d'euros. Aussi, une variation du solde limitée à 1,5 milliard d'euros en 2017 suppose la réalisation de 6 milliards d'euros de cessions. Ce ne serait pas totalement inédit puisqu'en 2007, les recettes ont atteint 7,7 milliards d'euros. Il me semble toutefois irréaliste de penser que les cessions atteindront un montant de 6 milliards en 2017, au regard du contexte de marché et des cessions réalisées les années précédentes. Comment le pourraient-elles ? Quels seraient les actifs cédés ? Ce ne sont plus des prévisions volontaristes mais irréalistes. Une prévision plus raisonnable, quoiqu'optimiste, est celle de la mise en oeuvre d'un programme de cessions d'un montant de 4 milliards d'euros, accompagné d'un épuisement du solde cumulé du compte, qui devrait s'élever à 3,5 milliards d'euros. Mais le solde du compte spécial serait alors dégradé de 2 milliards d'euros supplémentaires, ce qui pèserait d'autant sur le solde d'exécution de la loi de finances. Si l'on retient l'engagement de dépenses supplémentaires à hauteur de 1,1 milliard d'euros pour rester au capital d'Alstom, l'écart par rapport aux hypothèses du Gouvernement pourrait même atteindre 3,1 milliards d'euros ! S'agissant de l'impact sur le déficit de Maastricht, le rapporteur spécial a rappelé qu'il pourrait s'élever à 2 milliards d'euros.

M. Michel Bouvard . - Je constate le déséquilibre entre les dépenses et les recettes du CAS. Était-il alors judicieux d'annuler 800 millions d'autorisations d'engagement sur ce CAS dans le dernier décret d'avance ?

J'ai noté que la dernière tranche de financement de l'Agence française de développement était prévue. Qu'en est-il des fonds propres qui devaient être libérés pour Bpifrance ? L'an dernier, une dernière tranche restait à verser. Le sera-t-elle ?

Je partage les propos du rapporteur général sur les cessions, néanmoins quelques actifs restent valorisables. Le rapporteur spécial peut-il nous éclairer sur l'ouverture du capital de Réseau de transport d'électricité (RTE) ?

M. Marc Laménie . - EDF et Areva ont un savoir-faire et des moyens humains de grande qualité. Comment en est-on arrivé à la situation actuelle ?

M. Daniel Raoul . - J'ai écouté les observations du rapporteur spécial avec beaucoup d'intérêt. Quel gâchis dans l'équipe « électricité », qui aurait pu gagner de nombreux marchés... EDF rencontre des difficultés liées à la baisse des prix de l'énergie, mais ceux-ci vont remonter avec la mise en oeuvre de la COP 21 et la maintenance de nos centrales. L'arrêt de ces dernières, en Allemagne, a entraîné une hausse des tarifs.

M. Richard Yung . - Ce CAS traduit ce que devrait être une politique industrielle de l'État. Le plus important, ce n'est pas le niveau des recettes ou des dépenses, mais l'action structurelle de l'État. La restructuration du capital de Peugeot a été une réussite - peut-être, d'ailleurs, est-il temps de céder une partie de nos actions de ce constructeur.

Le rapporteur spécial a évoqué 9 milliards d'euros de recapitalisation, dont 7 milliards d'euros pris en charge par l'État. Qui fournira les 2 milliards d'euros restants ?

La concurrence entre Areva et EDF me rappelle celle qui règne entre la RATP et la SNCF. Au Vietnam, on m'avait fait part d'une grande incompréhension face à ces deux entreprises publiques françaises qui se disputaient publiquement l'appel d'offres pour le métro de Hanoï. J'espère qu'un timonier est à la barre.

M. Maurice Vincent , rapporteur spécial . - Effectivement, le montant de 6 milliards d'euros d'actifs publics vendus en 2017 est élevé, dans le contexte actuel. Mais ce n'est qu'une estimation à pondérer selon les décisions du Gouvernement dans les mois à venir. Le Gouvernement pourrait par exemple mobiliser davantage les excédents du CAS accumulés depuis plusieurs années, qui devraient s'élever à 3,5 milliards d'euros à la fin de l'exercice. L'équilibre du compte pourrait ainsi être préservé même si les cessions se limitaient à 4 milliards d'euros.

J'en viens au décret d'avance évoqué par Michel Bouvard. L'État n'avait pas besoin, cette année, des 800 millions d'euros qui ont été annulés, puisque le CAS va dégager un excédent de 1,1 milliard d'euros.

Le Gouvernement a jusqu'à juillet 2018 pour procéder à la libération du reste du capital de Bpifrance, pour un montant de 1,15  milliard d'euros.

S'agissant de RTE, c'est EDF, et non l'État, qui procèdera à la cession. L'opération en cours, menée avec la Caisse des dépôts et consignations, ne transitera pas par le CAS. Elle s'inscrit dans le plan de cessions de 10 milliards d'euros annoncé par l'entreprise.

Marc Laménie se demande comment on en est arrivé là. L'État actionnaire a failli gravement entre 2004 et 2011, en rejetant les demandes d'augmentation de capital du directoire, sans pour autant freiner sa stratégie d'expansion, si bien que la croissance a été financée par l'endettement et les cessions. Par ailleurs, le management a mal conduit certains projets - je pense par exemple à l'EPR finlandais - et réalisé des acquisitions discutables sans toujours en informer l'actionnaire, comme le montre l'affaire Uramin. Enfin, l'État, en tant que gestionnaire de la filière, n'aurait pas dû laisser se développer des rivalités persistantes au sein même de la filière nucléaire française.

Pour mesurer les conséquences de ces erreurs, il faut préciser qu'aux 7 milliards d'euros de recapitalisation s'ajoute le choix de percevoir le dividende d'EDF en actions plutôt qu'en numéraire pendant trois ans, soit une perte de recettes pour le budget général de 6 milliards d'euros. Au total, le soutien de l'État aux fonds propres d'EDF et d'Areva s'élève donc à 13 milliards d'euros.

Depuis 2015, avec l'entrée en vigueur des directives européennes et la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, le prix de gros de l'électricité s'est effondré. EDF et Engie ont dû affronter des pertes de recettes très importantes. De plus, le système de couverture des prix de l'énergie retarde l'effet bénéfique de la hausse des prix pour le secteur.

En effet, Monsieur Yung, ce CAS reflète la politique industrielle du Gouvernement. L'État a bien fait d'investir dans Peugeot pour lui permettre de passer un cap difficile. Il pourrait certes vendre ses actions et enregistrer une plus-value - mais le directeur de l'Agence des participations de l'État a toutefois publiquement écarté cette hypothèse.

Les deux milliards d'euros de différence entre le montant total des recapitalisations d'Areva et d'EDF et le montant souscrit par l'État devraient être apportés par des investisseurs privés étrangers, peut-être chinois.

Mme Marie-France Beaufils . - Je voterai contre cette mission car les abandons de participations de l'État n'emportent pas l'adhésion du groupe CRC. Au contraire, l'État aurait intérêt à jouer pleinement son rôle d'actionnaire.

En outre, la contrainte qui pèse sur les prix d'EDF me préoccupe, car sa situation financière va s'en ressentir.

M. Maurice Vincent , rapporteur spécial . - Je vous propose d'approuver ce compte d'affectation spéciale.

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».

*

* *

Réunie à nouveau le jeudi 24 novembre 2016, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a décidé de proposer au Sénat d'opposer la question préalable au projet de loi de finances pour 2017.


* 1 Présidence de la République, communiqué de presse du 3 juin 2015.

* 2 Rapport d'information n° 3952 de l'Assemblée nationale sur la situation du groupe Électricité de France et de la filière nucléaire, déposé le 13 juillet 2016 par Marc Goua et Hervé Mariton ; Rapport particulier de la Cour des comptes sur les comptes et la gestion du groupe Areva pour les exercices 2006 et 2012, 30 juin 2013.

* 3 Une augmentation de capital de 900 millions d'euros a néanmoins été décidée en 2010.

* 4 Les Échos, « Les principaux extraits du pré-rapport de la Cour des comptes sur Areva », 12 mai 2014.

* 5 Rapport d'information n° 3952 de l'Assemblée nationale sur la situation du groupe Électricité de France et de la filière nucléaire, précité, p. 30.

* 6 François Roussely, « Avenir de la filière française du nucléaire civil », synthèse du rapport remis le 16 juin 2010, p. 13.

* 7 EDF, « Mise à jour du partenariat stratégique entre EDF et AREVA », communiqué de presse du 28 juillet 2016.

* 8 Compte rendu de l'audition le 25 mai 2016 d'Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, devant la commission des finances du Sénat.

* 9 EDF, « Convocation d'une Assemblée générale extraordinaire », communiqué de presse du 3 juin 2016.

* 10 Areva, « Deux étapes clefs du refinancement d'AREVA enclenchées », communiqué de presse du 27 janvier 2016.

* 11 Areva, « Résultats annuels 2015 », communiqué de presse du 26 février 2016.

* 12 Les Échos, « EDF s'accorde avec Areva sur la valeur de sa division réacteurs », 13 janvier 2016.

* 13 APE, « Face aux défis du secteur de l'énergie, l'État accompagne EDF dans sa stratégie de développement », communiqué de presse du 22 avril 2016.

* 14 Les Échos , « Martin Vial : "Nous prévoyons de nouvelles cessions sur le portefeuille coté" », 17 mai 2016.

* 15 Commission européenne, Manuel SEC95 pour le déficit public et la dette publique, édition 2002, p. 61.

* 16 Rapport n° 23 (2008-2009) de Philippe Marini relatif au projet de loi de finances rectificative pour le financement de l'économie, fait au nom de la commission des finances et déposé le 15 octobre 2008, p. 51.

* 17 Eurostat, « Recapitalisation of Dexia Group », Lettre de M. François Lequiller adressée à M. Jean-Marc Delporte, 19 mars 2013, p. 2.

* 18 Alexandre Garabedian, « Le sauvetage de Dexia vient gonfler les déficits belge et français », L'AGEFI Quotidien, 20 mars 2013.

* 19 Eurostat, « Apports de capitaux par les administrations publiques dans des entreprises publiques », 21 août 2003, p. 1.

* 20 Commission européenne, « Aides d'État: la Commission ouvre une enquête approfondie sur le financement de la restructuration d'Areva par l'État français », communiqué de presse, 19 juillet 2016.

* 21 Eurostat, « Apports de capitaux par les administrations publiques dans des entreprises publiques », 21 août 2003, p. 2

* 22 AREVA, « Lancement du transfert des activités du cycle du combustible nucléaire vers NewCo », communiqué de presse du 30 août 2016.

* 23 Les Échos , « La restructuration d'Areva sur le fil du rasoir », 16 juin 2016.

* 24 « Nous avons décidé de recapitaliser le nouvel Areva en deux fois : d'abord avec une structure de défaisance, entité juridique propre qui gérera le risque et qui devra être recapitalisée - cela relèvera du droit des aides d'État ; ensuite avec une recapitalisation du nouvel Areva avec l'entrée d'actionnaires minoritaires chinois et japonais - l'État intervient alors en tant qu'investisseur avisé, même si tout cela sera bien entendu ratifié à la Commission européenne. » (cf. compte rendu de l'audition le 25 mai 2016 d'Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, devant la commission des finances du Sénat).

* 25 Loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances.

* 26 Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2006, le montant inscrit en dépenses et en recettes était de 14 milliards d'euros.

* 27 Ce cas de figure s'est produit à deux reprises, en 2013 et en 2014.

* 28 Pour la participation au capital de la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures (AIIB) et de la Société interaméricaine d'investissement (SII), les montants sont exprimés en dollars américains dans les documents budgétaires. Le montant retenu en euros a donc été calculé à partir d'une hypothèse de taux de change de 1,09 euro pour un dollar.

* 29 La Tribune, « Pourquoi l'État va "nationaliser" Areva TA », 21 décembre 2015.

* 30 Cour des comptes, Note d'exécution budgétaire 2015, p. 6.

* 31 Pour plus de détails, se reporter à la décision de la Commission européenne du 7 juillet 2004 concernant les mesures d'aide mises à exécution par la France en faveur d'Alstom.

* 32 Commission européenne, « Feu vert conditionnel pour l'aide accordée à Alstom », communiqué de presse du 7 juillet 2004.

* 33 Rapport n° 23 (2008-2009) de Philippe Marini relatif au projet de loi de finances rectificative pour le financement de l'économie, fait au nom de la commission des finances et déposé le 15 octobre 2008, p. 49

* 34 Ministère de l'économie, du redressement productif et du numérique, « L'État a conclu un accord avec Bouygues lui donnant l'option d'acquérir jusqu'à 20 % du capital d'Alstom », communiqué de presse du 22 juin 2014.

* 35 APE, « Michel SAPIN et Emmanuel MACRON annoncent l'entrée en vigueur des accords entre Bouygues et l'État sur Alstom », 8 février 2016.

* 36 Cour des comptes, Note d'exécution budgétaire 2015, p. 30.

* 37 Ibid.

* 38 Les Échos, « 35 euros par action Alstom, pourquoi est-ce le chiffre magique pour Bouygues ? », 27 juin 2014.

* 39 Bouygues, « Résultats annuels 2015 », communiqué de presse publié le 24 février 2016, p. 4.

* 40 Bouygues, « Résultats annuels 2015 », communiqué de presse publié le 24 février 2016, p. 5

* 41 Rapport relatif à l'État actionnaire annexé au présent projet de loi de finances, p. 32.

* 42 Ibid.

* 43 Rapport relatif à l'État actionnaire annexé au présent projet de loi de finances, p. 30.

* 44 Les entreprises qui composent ce benchmark sont celles sélectionnées par l'APE pour examiner la politique de distribution d'EDF et d'Engie.

* 45 L'évaluation ne tient pas compte de l'impact de cette évolution sur BpiFrance, dont la participation au capital d'Orange s'élève à 9,6 %.

* 46 Depuis, l'État a mené deux opérations de cessions de titres Engie en 2014 (3,1 % du capital) et en 2015 (0,9 % du capital).

* 47 INSEE, « 3.107 - Passage du résultat d'exécution des lois de finances au déficit de l'État (S13111) au sens de Maastricht », p. 3.

* 48 Les Échos, « Nicolas Sarkozy : "Il faut un contre-choc fiscal de 25 milliards" », 3 février 2016.

* 49 Cette période a notamment été marquée par la privatisation de trois sociétés autoroutières, la revente de la participation dans Alstom au groupe Bouygues, la cession de 5 % du capital de France Télécom et la cession de 2,5 % du capital d'EDF.

* 50 Cour des comptes, Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, juin 2007, p. 74.

* 51 Ibid.

* 52 Laurent Batsch, « La théorie de la valeur de l'entreprise », Institut national de la statistique et des études économiques collecte (Insee), 2006.

* 53 Ibid.

* 54 Cour des comptes, Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, juin 2007, p. 74.

* 55 Autorité des marchés financiers (AMF), « La rentabilité historique des placements en France », La lettre de l'observatoire de l'épargne de l'AMF, numéro 6, décembre 2013.

* 56 Cour des comptes, Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, juin 2007, p. 74.

* 57 Cf. pour un exemple : Taisei Kaizoji et Michiko Miyano, « Stock Market Market Crash of 2008: an empirical study of the deviation of share prices from company fundamentals », Cornell University, 12 juillet 2016.

* 58 À titre de rappel, la Banque centrale européenne a amplifié en mars dernier son programme d'achats d'actifs décidé en janvier 2015. La mise en oeuvre de ce programme, qui devait initialement prendre fin en septembre 2016, a par ailleurs été prolongée jusqu'en mars 2017 ou « au-delà si nécessaire ». Le Gouvernement prévoit ainsi un redressement des taux à moyen et long terme au rythme de 75 points de base par an.

* 59 Compte rendu de l'audition le 25 mai 2016 d'Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, devant la commission des finances du Sénat.

* 60 Projet annuel de performances annexé au présent projet de loi de finances, p. 11.

* 61 Avis de la commission des finances du Sénat sur le projet de décret d'avance notifié le 23 septembre 2016, portant ouverture et annulation de 1 532 millions d'euros en autorisations d'engagement et 699 millions d'euros en crédits de paiement.

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