EXAMEN DES ARTICLES
TITRE IER - STRATÉGIE EN FAVEUR DE L'ÉGALITÉ RÉELLE OUTRE-MER

Article 1er - Affirmation de l'objectif d'égalité réelle entre les outre-mer et l'hexagone

Le présent article vise à inscrire dans la loi le principe d'égalité réelle entre les territoires ultramarins mentionnés à l'article 72-3 de la Constitution et l'hexagone comme une priorité de la Nation. Ce principe est issu d'une proposition du rapport de M. Victorin Lurel, remis au Premier ministre, sur l'égalité réelle en outre-mer.

Dans sa version initiale, cet article définissait les deux objectifs des politiques publiques mises en oeuvre dans les territoires ultramarins pour atteindre cette égalité :

- la réduction des écarts de développement entre les territoires ultramarins et l'hexagone, en matière économique, sociale, environnementale, d'accès aux services publics et à la culture. Ainsi, le développement était apprécié dans sa définition la plus large, et non plus limité aux seuls aspects économiques ;

- la réduction des écarts des niveaux de vie et de revenus au sein de chaque territoire d'outre-mer.

Les politiques de convergence mises en oeuvre dans ce cadre, par le biais des plans et des contrats de convergence prévus aux articles 4 et suivants, devraient favoriser l'application d'un modèle propre de développement durable des territoires ultramarins, dans le respect de l'unité nationale.

Cet objectif d'égalité réelle s'appliquerait à l'ensemble des territoires ultramarins, à l'exception des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) et Clipperton qui ne sont pas habitées de façon permanente.

À l'initiative de son rapporteur, la commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté un amendement de réécriture globale de l'article 1 er afin de rendre sa rédaction « plus prescriptive et plus complète que celle du projet de loi initial » : en particulier, la nouvelle rédaction vise à reconnaître aux populations d'outre-mer le droit à l'égalité réelle et précise que l'État et les collectivités concernées s'engagent, et non plus contribuent, à mettre en oeuvre ce droit.

Cet amendement a élargi le contenu des politiques publiques destinées à atteindre l'égalité réelle au domaine sanitaire, à l'accès aux soins, à l'éducation et à la culture. Il a également été précisé que les politiques de convergence devaient accélérer les efforts d'équipement. Il a rappelé également l'inclusion des collectivités ultramarines dans leur environnement régional, à travers notamment l'adoption d'un projet de développement durable spécifique. Ainsi, chaque territoire ultramarin serait, dans ce cadre, incité à définir un modèle de développement qui soit adapté à ses spécificités économiques, sociales et environnementales. Enfin, l'article 1 er issu des travaux de la commission des lois de l'Assemblée nationale précise que les politiques de convergence doivent instaurer l'égalité entre les femmes et les hommes et lutter contre toutes les formes de discriminations.

En séance publique, le contenu des politiques publiques permettant de parvenir à l'égalité réelle entre l'hexagone et les territoires ultramarins a été complété, par deux amendements identiques du rapporteur et de M. Serge Letchimy, aux nouvelles technologies et à l'audiovisuel, qualifiés d'importants leviers de développement. Un amendement de Mme Maina Sage a également affirmé la nécessité de prendre en compte la réalité géographique des territoires ultramarins - éloignement, superficie, vulnérabilité face aux changements climatiques et isolement - pour la définition des politiques de convergence. Enfin, un amendement du rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale a précisé que les territoires d'outre-mer participent au rayonnement de la France.

Votre rapporteur se félicite de l'apport de l'Assemblée nationale qui a donné à l'article 1 er une normativité plus forte que celle du projet de loi initial. Cet article permet de concrétiser l'engagement de la République en faveur des territoires d'outre-mer, en permettant de définir les bases d'une stratégie destinée à bâtir un modèle économique et social valorisant davantage les atouts ultramarins au sein de leur environnement régional. Lors de l'examen de la loi n° 2016-1657 du 5 décembre 2016 relative à l'action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional, votre rapporteur avait déjà insisté sur le fait que le développement économique de ces collectivités se trouvait plus dans leur environnement géographique immédiat que dans leurs relations avec l'hexagone.

Néanmoins, il regrette que l'ambition de parvenir à une égalité réelle entre les territoires d'outre-mer et l'hexagone ne soit aussi clairement affirmée qu'à la fin de la législature actuelle, alors qu'elle aurait dû irriguer les différents textes applicables aux outre-mer adoptés depuis 2012. En outre, l'absence d'objectifs chiffrés et de délai de réduction des écarts de développement risque d'amoindrir le principe même d'égalité réelle, ainsi que l'avait relevé le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi.

Votre commission a adopté l' amendement COM-84 de son rapporteur tendant à insérer à l'article 1 er les dispositions prévues aux articles 2 et 3, portant sur le caractère concerté des politiques publiques de convergence et sur leur prise en compte des caractéristiques des collectivités ultramarines.

Elle a en outre adopté l' amendement COM-2 de Mme Lana Tetuanui visant à élargir les objectifs des politiques de convergence, destinées à parvenir à une égalité réelle entre les territoires ultramarins et l'hexagone, à la formation professionnelle.

Votre commission a adopté l'article 1 er ainsi modifié .

Articles 2 et 3 (supprimés) - Définition des politiques publiques en faveur de l'égalité réelle dans les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie

Afin d'atteindre l'égalité réelle entre les territoires d'outre-mer et l'hexagone et au sein de chaque collectivité ultramarine, les articles 2 et 3 mettent en exergue la nécessité d'une approche adaptée tenant compte de la diversité des réalités des territoires ultramarins.

Néanmoins, le champ d'application du concept d'égalité réelle et les modalités de prise en compte des spécificités diffèrent pour les collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution, d'une part, et pour les collectivités relevant de l'article 74 de la Constitution et la Nouvelle-Calédonie, d'autre part.

En ce qui concerne les départements et régions d'outre-mer, l'article 2 prévoit qu'en application de l'article 73 de la Constitution, les politiques de convergence qui y seraient appliquées devraient prendre en compte les contraintes et les caractéristiques particulières de ces territoires (superficie, environnement, patrimoine culturel et naturel). Pour cela, l'État et les collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution
- les régions et départements d'outre-mer de Guadeloupe et de La Réunion, les collectivités territoriales de Guyane et de Martinique et le Département de Mayotte - pourraient s'appuyer sur les trois leviers institutionnels que sont le recours aux adaptations, aux expérimentations et aux habilitations prévues aux articles 37-1, 72 et 73 de la Constitution.

Des dispositions similaires sont prévues à l'article 3 pour les collectivités relevant de l'article 74 de la Constitution, la Nouvelle-Calédonie et les collectivités qui la composent, avec de surcroît la mention de l'obligation pour l'État d'apporter « un concours actif dans le cadre de la mise en oeuvre de cette démarche ». Les collectivités concernées pourraient également recourir à des expérimentations et à des adaptations, respectivement prévues aux articles 37-1 et 72, d'une part, ainsi qu'à l'article 74-1 de la Constitution, d'autre part.

À l'article 2, la commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté un amendement de précision et un amendement rédactionnel de son rapporteur ainsi qu'un amendement de Mme Huguette Bello précisant que le développement des outre-mer devait prendre en compte la situation géographique de ces territoires. En séance publique, ont été adoptés un amendement de M. Boinali Said, sous-amendé par le rapporteur, tendant à prévoir l'association des acteurs économiques et sociaux à la définition des politiques publiques applicables dans les territoires ultramarins, et deux amendements de Mme Maina Sage tendant à inclure la richesse du patrimoine terrestre et maritime et la superficie des collectivités de l'article 73 de la Constitution dans la définition des politiques publiques de convergence. Les mêmes amendements ont été adoptés à l'article 3, auxquels s'ajoute un amendement de simplification rédactionnelle du rapporteur.

Votre rapporteur s'interroge sur la nécessité de ces deux articles qui ne font que rappeler la faculté, pour les collectivités ultramarines relevant des articles 73 et 74 de la Constitution, ainsi que la Nouvelle-Calédonie, de recourir à des expérimentations et à demander à être habilitées pour adapter le droit qui leur est applicable. Par ailleurs, les modalités de définition des politiques publiques destinées à assurer la convergence entre les territoires ultramarins et l'hexagone sont définies par les articles 4 et suivants, relatifs aux plans et aux contrats de convergence. Enfin, la prise en compte des contraintes et des caractéristiques particulières de chaque territoire d'outre-mer est déjà abordée à l'article 1 er .

C'est pourquoi votre commission a adopté les amendements de suppression COM-85 et COM-86 des articles 2 et 3 de son rapporteur, après avoir intégré certaines de ces dispositions à l'article 1 er .

Elle a ainsi supprimé les articles 2 et 3.

Article 3 bis - Affirmation de la continuité territoriale comme priorité de l'action de l'État

Introduit à l'Assemblée nationale, en commission des lois, à l'initiative de notre collègue Stéphane Claireaux, avec un avis favorable du rapporteur, M. Victorin Lurel, le présent article prévoit le maintien ou la mise en place de liaisons territoriales continues entre les différentes composantes du territoire de la République, à travers une offre de transports continus et réguliers. Selon la dernière phrase, cette continuité territoriale devrait être assurée « indépendamment de l'obtention d'une quelconque autorisation préalable émanant d'un État tiers ».

L'objectif recherché est de répondre aux difficultés rencontrées par les habitants de certains territoires ultramarins qui ne disposent pas d'une desserte aérienne directe entre leur territoire et l'hexagone et qui doivent, dès lors, transiter par le territoire d'un État tiers et, pour cela, obtenir une autorisation préalable émanant de cet État.

Cette situation concerne Saint-Pierre-et-Miquelon, dont les habitants ne peuvent rejoindre l'hexagone qu'en passant par le Canada, la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna, dont les dessertes aériennes sont assurées via Tokyo, ou encore la Polynésie française, dont les habitants doivent faire escale à Los Angeles pour gagner la France hexagonale.

Si les personnes de nationalité française sont exemptées de visa pour le Japon, elles doivent disposer d'une autorisation de voyage pour transiter aux États-Unis (Esta) et au Canada.

Bien que votre rapporteur soit favorable à la mobilisation des moyens nécessaires pour assurer la continuité territoriale de la République, il estime que la précision selon laquelle cette continuité devrait être assurée « indépendamment de l'obtention d'une quelconque autorisation préalable émanant d'un État tiers » se heurte aux règles de droit international qui affirment la souveraineté des États sur leur territoire 5 ( * ) .

Par ailleurs, cette disposition, dont la rédaction est très large, concernerait également les liaisons aériennes directes assurées entre l'hexagone et les territoires ultramarins, pour lesquelles le survol de certains États tiers peut nécessiter l'obtention d'une autorisation administrative en application de l'article 1 er de la Convention de Chicago du 7 décembre 1944, ratifiée par la France, qui stipule que « les États contractants reconnaissent que chaque État a la souveraineté complète et exclusive sur l'espace aérien au-dessus de son territoire ».

Lors de l'examen du texte en séance publique à l'Assemblée nationale, le Gouvernement, pointant les difficultés soulevées par cette disposition, avait déposé un amendement 6 ( * ) de suppression de la dernière phrase de l'article 3 bis . Malgré l'avis favorable du rapporteur de la commission des lois, cet amendement n'avait pas été adopté.

Partageant les réserves émises par le Gouvernement, votre commission a adopté un amendement COM-87 de son rapporteur supprimant cette phrase.

Si l'objectif poursuivi par nos collègues députés est d'alléger les formalités administratives imposées aux nationaux qui souhaitent voyager entre l'hexagone et les territoires ultramarins, lorsque ce voyage implique de transiter par un État tiers, votre rapporteur estime que le meilleur moyen d'y parvenir, sans porter atteinte à la souveraineté de ces États tiers, est d'inviter le Gouvernement à engager la négociation de conventions internationales avec les États concernés.

Votre commission a adopté l'article 3 bis ainsi modifié .

Article 3 ter - Affirmation d'un objectif de construction de logements

L'examen de cet article a été délégué au fond à la commission des affaires économiques par votre commission des lois.

Lors de sa réunion, la commission des affaires économiques a adopté l' amendement COM-163 de son rapporteur, M. Michel Magras.

En conséquence, votre commission a adopté l'article 3 ter ainsi modifié .

Article 3 quater (supprimé) - Pouvoirs d'enquête en matière de santé publique en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie

L'examen de cet article a été délégué au fond à la commission des affaires sociales par votre commission des lois.

Lors de sa réunion, la commission des affaires sociales a adopté l' amendement de suppression COM-202 de son rapporteur, Mme Chantal Deseyne.

En conséquence, votre commission a adopté cet amendement et supprimé l'article 3 quater .

Articles 3 quinquies, 3 sexies (non modifiés) et 3 septies, 3 octies et 3 nonies (supprimés) - Rapports du Gouvernement au Parlement sur la garantie aux populations d'outre-mer de l'effectivité des mêmes droits dans divers domaines

Introduits en séance publique à l'Assemblée nationale et résultant d'amendements du Gouvernement, les articles 3 quinquies à 3 nonies prévoient la remise au Parlement , dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi, de cinq rapports destinés à regrouper les nombreux rapports prévus par la commission des lois de l'Assemblée nationale ou en séance publique, et organisés autour de cinq thèmes :

- l'énergie et l'environnement, avec une présentation de la situation des populations d'outre-mer en matière d'accès à l'énergie, au commerce électronique, l'attractivité fiscale ainsi que des conséquences de la suppression de la condition du paiement des cotisations sociales pour l'accès aux prestations sociales (article 3 quinquies ) ;

- la connectivité, dans les domaines des transports et des déplacements (article 3 sexies ) ;

- l'éducation et la formation (article 3 septies ) ;

- l'économie, avec un état des lieux de la collecte et du traitement statistique dans les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution ainsi qu'en Nouvelle-Calédonie. Ce rapport porterait notamment sur les modalités d'intégration du produit intérieur brut des collectivités d'outre-mer et de la Nouvelle-Calédonie dans le calcul du produit intérieur brut français. Actuellement, la comptabilité nationale ne prend pas en compte la richesse produite par les collectivités de Polynésie française, de Wallis-et-Futuna, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de la Nouvelle-Calédonie, s'élevant à quatorze milliards d'euros par an (article 3 octies ) ;

- les problématiques sociales, avec notamment un état des lieux de la situation des populations d'outre-mer en matière de lutte contre les addictions, en particulier l'alcoolisme (article 3 nonies ).

Ces rapports visent à présenter les moyens mis en oeuvre pour garantir aux populations d'outre-mer l'effectivité de droits identiques à ceux des populations métropolitaines dans les matières susmentionnées.

Constante dans sa position à l'égard des dispositions législatives prévoyant la remise d'un rapport au Parlement, votre commission considère que la production d'éléments statistiques, sur des sujets certes importants, constitue un objectif louable sans toutefois que le véhicule législatif apparaisse comme le moyen adapté.

En outre, ces rapports ne sont en pratique pas toujours remis au Parlement, a fortiori dans les délais impartis. Les exemples de rapports jamais remis au Parlement sont nombreux, tel celui prévu à l'article 37 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer relatif à la situation du marché du logement dans les départements et collectivités d'outre-mer, ou celui prévu à l'article 21 de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer portant sur les échanges commerciaux entre le marché intérieur des collectivités d'outre-mer et ceux des États voisins.

Aujourd'hui, rien n'interdit au Gouvernement de produire des données statistiques sur tout sujet. Plutôt que de proposer la remise au Parlement de rapports ponctuels, le Gouvernement devrait se doter des outils statistiques nécessaires pour suivre dans la durée l'évolution de la situation des collectivités ultramarines. Votre commission s'est en outre interrogée sur l'opportunité d' encombrer l'administration centrale de cinq rapports à remettre au Parlement au moment où les actions de convergence sont prioritaires, alors même que la direction générale des outre-mer (DGOM), par exemple, connaît une charge d'activité particulièrement dense.

Enfin, la remise des différents rapports prévus ne constitue en rien, comme cela a été évoqué à l'Assemblée nationale, une source d'information indispensable à la mise en place des contrats de convergence prévus par le texte. Si tel avait été le cas, le Gouvernement aurait dû produire ces données en amont du dépôt du projet de loi .

En conséquence, votre commission n'a conservé que les deux rapports présentant à ses yeux un intérêt dans le cadre des plans de convergence prévus par le présent projet de loi, en matière de développement économique, d'une part, (article 3 quinquies ) et de continuité territoriale, d'autre part (article 3 sexies ).

Par ailleurs, elle a adopté :

- les amendements de suppression COM-88 et COM-5 de l'article 3 septies , à l'initiative de son rapporteur et de M. Jean-Pierre Grand ;

- les amendements de suppression COM-89 et COM-6 de l'article 3 octies , également proposés à l'initiative de son rapporteur et de M. Jean-Pierre Grand ;

- enfin, les amendements de suppression COM-90, COM-7 et COM-203 de l'article 3 nonies , sur la proposition de son rapporteur, de Mme Chantal Deseyne, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires sociales et de M. Jean-Pierre Grand.

Elle a adopté ainsi les articles 3 quinquies et 3 sexies sans modification et supprimé les articles 3 septies , 3 octies et 3 nonies .


* 5 L'article 2 § 1 de la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945 affirme « le principe de l'égalité souveraine » de tous les États membres de l'Organisation des Nations Unies.

* 6 Amendement n° 293.

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