III. LA POSITION DE VOTRE RAPPORTEUR : UN MÉCANISME PERTINENT, MAIS DES MODALITÉS ET UNE PORTÉE À SURVEILLER

A. UN ACCORD PARACHEVANT LE MÉCANISME DES DÉCLARATIONS PAYS PAR PAYS

L'accord proposé complétant le mécanisme de déclarations pays par pays des groupes d'entreprises multinationales constitue un jalon important . En effet, au cours des négociations, deux options ont été envisagées pour la collecte des déclarations :

- prévoir le dépôt local d'une déclaration par chaque entité du groupe ;

- faire reposer l'obligation déclarative sur la société mère pour le compte du groupe, ce qui impliquait ensuite une transmission aux États d'implantation des différentes entités du groupe.

Afin de limiter la charge administrative des entreprises et de protéger la confidentialité des données, les États ont privilégié la deuxième solution en février 2015, au cours des négociations sur le projet BEPS : il s'agit du mécanisme principal de dépôt, tandis que la première solution ne s'applique qu'à titre secondaire 33 ( * ) . La société mère, qui centralise les données comptables et définit la stratégie du groupe, est donc investie de la responsabilité de déposer la déclaration pays par pays auprès de sa juridiction fiscale de résidence. Entendu par la commission des finances du Sénat le 9 mars 2016, le directeur du centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE, Pascal Saint-Amans, rappelait ainsi le processus de négociation : « initialement, nous avions prévu que la déclaration se fasse dans tous les pays où la société opère. Mais certains pays ont insisté pour obtenir quelques garanties quant à la confidentialité de ces informations, et donc pour que la déclaration soit faite dans l'État du siège, charge à lui de la transmettre, via les accords d'échange d'information, aux pays où sont établies des filiales. Il s'agit également de garantir par là une bonne utilisation de l'information » .

Dans ces conditions, un accord international doit intervenir entre les États ayant introduit le dispositif dans leur législation nationale pour prévoir le principe et les modalités de l'échange automatique et réciproque des déclarations pays par pays.

Si l'accord proposé ne constitue qu'un des trois types d'accords prévus pour convenir de cet échange , votre rapporteur relève qu'il s'inscrit toutefois dans un cadre multilatéral , dans le prolongement des travaux du projet BEPS, et réunit un grand nombre de puissances économiques. De plus, se plaçant dans le truchement de la convention multilatérale sur l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale de 1988, son articulation avec les autres accords internationaux qui pourraient intervenir pour prévoir l'échange automatique des déclarations est assurée 34 ( * ) . De fait, par rapport au cadre actuel, il permet une double avancée :

- d'une part, il étend le champ de l'échange automatique effectif au sein de l'Union européenne à la fin de l'année 2017 pour les déclarations portant sur l'exercice 2016. Sur les quarante-neuf pays signataires, seuls vingt-et-un sont des États membres de l'Union européenne ; l'accord réunit la signature de dix-neuf des vingt-cinq premières économies mondiales en termes de PIB nominal 35 ( * ) . Surtout, il agrège à l'échange automatique des déclarations pays par pays la République populaire de Chine, le Japon, la Corée du Sud, la Suisse, ainsi que le Canada. Selon les données de l'Association française des entreprises privées (AFEP), neuf des dix pays hébergeant le plus grand nombre de sièges sociaux des 500 plus grandes entreprises mondiales seraient ainsi parties à l'accord , représentant 59 % des sièges sociaux de ces groupes 36 ( * ) . Toutefois, ces considérations demeurent suspendues à la ratification effective de l'accord par les différents États parties ;

- d'autre part, il rend effectif le mécanisme déclaratif prévu par l'action 13 de BEPS pour les États parties mais non membres de l'Union européenne. En prévoyant l'échange automatique des déclarations entre juridictions parties, il permet d'étendre doublement le champ des entités que l'administration fiscale française pourra connaître : par la voie de l'échange automatique, mais également par l'activation possible du mécanisme de dépôt secondaire . Dès lors qu'une société mère d'un groupe d'entreprises multinationales réside fiscalement dans une juridiction non partie à un accord d'échange automatique, une entité locale doit être désignée par le groupe pour procéder au dépôt de la déclaration. Toutefois, cette possibilité reste suspendue à la publication de l'arrêté fixant la liste des États et territoires qui ont adopté une législation rendant obligatoire le dépôt d'une déclaration et qui ont conclu avec la France un accord permettant leur échange automatique et le respectent. Selon les informations communiquées par la direction de la législation fiscale, cette liste sera publiée dans le courant de l'année 2017, « dès qu'une information suffisamment complète sur l'état de la mise en place de la déclaration pays par pays dans les autres juridictions sera disponible, afin que les multinationales qui opèrent en France puissent connaître en temps utile l'étendue de leur obligation déclarative ».

De fait, la conclusion rapide de cet accord multilatéral permettra la mise en oeuvre de l'échange automatique dès le premier exercice de dépôt des déclarations (2016). Selon les modalités prévues, les premiers échanges interviendront entre les États ayant ratifié l'accord multilatéral dix-huit mois après le dernier jour de l'exercice fiscal sur lequel porte la déclaration, soit à partir de juillet 2018. Les différents acteurs bénéficieront ainsi d'un certain recul lors de l'examen à mi-parcours des actions du projet BEPS prévu en 2020.

La conclusion rapide de cet accord multilatéral s'explique notamment par le fait qu'il s'inscrit dans le sillage de l'accord multilatéral introduisant la « norme commune de déclaration » et l'échange automatique de renseignements en matière bancaire, signé le 24 octobre 2014 sous l'égide de l'OCDE et intervenant également par le truchement de l'article 6 de la convention de 1988.

Par ailleurs, alors que la doctrine s'interroge sur les traductions réelles des préconisations de BEPS 37 ( * ) , il convient de relever la spécificité de ce dispositif, nécessitant le recours à des formes juridiques contraignantes, déjà intervenues pour certains États parties. Si des accords bilatéraux doivent encore être négociés pour étendre le champ de l'échange automatique des déclarations pays par pays, notamment avec les États-Unis, cette recommandation de BEPS est désormais inscrite dans le droit.

Contrairement à d'autres actions de BEPS relevant d'un droit mou , sans portée juridique contraignante, l'accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l'échange des déclarations pays par pays fixe des modalités précises et prévoit des garanties relatives à la confidentialité et à l'utilisation des données collectées. En cas de non-respect de ces principes ou de non transmission des données, un État peut décider de suspendre l'échange automatique à l'égard d'une autre juridiction.


* 33 À titre de rappel, le mécanisme secondaire s'applique dans trois cas : lorsque la juridiction de résidence de la société mère ne prévoit pas le dépôt de la déclaration, lorsqu'elle n'a pas convenu d'un accord d'échange automatique, ou lorsque l'échange automatique n'est pas effectif. Dans ces conditions, il est prévu qu'une entité locale désignée par le groupe et agissant au nom de la société mère ultime procède au dépôt de la déclaration.

* 34 L'article 27 de la convention amendée organise l'articulation entre la convention et les autres accords internationaux, notamment les accords d'échange de renseignements fiscaux, dans la perspective de permettre l'application du texte prévoyant la coopération la plus efficace.

* 35 Sur la base des données du Fonds monétaire international d'avril 2016 portant sur l'année 2015. Les États-Unis (1 er ), la Russie (12 e ), l'Indonésie (16 e ), la Turquie (18 e ) et l'Arabie-Saoudite (20 e ) ne l'ont pas signé.

* 36 « Fiscalité européenne : des propositions récentes susceptibles d'avoir un impact important sur les entreprises françaises », AFEP, 2016.

* 37 Voir par exemple « Mise en oeuvre du projet BEPS : le moment de vérité approche », étude de Grégory Abate, Droit fiscal n° 5, 4 février 2016.

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