C. LA DÉCLARATION PAYS PAR PAYS ENTRAÎNERA DES CONSÉQUENCES, TANT POUR LES ADMINISTRATIONS FISCALES QUE POUR LES ENTREPRISES

1. L'administration fiscale disposera du portrait des groupes d'entreprises, renforçant l'acuité de ses contrôles

Parachevé par la mise en place d'un échange automatique entre administrations fiscales des États parties, le mécanisme de déclaration pays par pays complète les outils permettant d'appréhender la politique de prix de transfert d'un groupe d'entreprises multinationales. Compte tenu des obligations déjà en vigueur en matière de documentation des prix de transfert, la déclaration pays par pays ne constitue pas tant un renforcement des informations à la disposition des services fiscaux qu'un moyen de mieux les utiliser , notamment en décloisonnant les différentes données relatives à un même groupe. À l'appui de la cartographie des implantations et des activités de chaque entité d'un groupe, il sera possible d'opérer une première analyse des risques et de hiérarchiser les évaluations approfondies à conduire au moyen des documentations déjà fournies. C'est en ce sens que la déclaration pays par pays s'inscrit au sein de l'action 13 en complément des obligations documentaires.

En effet, l'apport de ce mécanisme est double , en ce qu'il complète l'information à la disposition des administrations fiscales en présentant un portrait des plus grandes firmes internationales, et qu'il renforce l'effectivité des dispositifs préexistants de documentation des prix de transfert. Si l'échange des renseignements relatifs à ces fichiers demeure régi par le principe d'une demande présentée par une juridiction à une autre 42 ( * ) , l'échange automatique des déclarations pays par pays supprime un obstacle à sa mise en oeuvre. En effet, pour formuler une demande de renseignement auprès d'une autre juridiction, il est nécessaire de disposer d'éléments suffisants conduisant à l'analyse approfondie. Grâce aux déclarations pays par pays et aux éventuelles difficultés ainsi révélées, l'administration fiscale requérante disposera plus facilement de ces éléments.

De plus, les coûts de collecte de la déclaration pays par pays par la direction générale des finances publiques seront limités, dans la mesure où elle sera produite en même temps que la liasse fiscale.

Dans le processus d'analyse des prix de transfert, la déclaration pays par pays s'insère en amont des phases d'enquête et de contrôle , pour en renforcer la précision. Une meilleure programmation des contrôles fiscaux peut ainsi être attendue, ce qui pourrait indirectement contribuer à accroître le rendement budgétaire. Entendu par la commission des finances de l'Assemblée nationale le 24 novembre 2015, le directeur général des finances publiques Bruno Parent précisait ainsi la portée de ces dispositions : « quant à savoir si le programme BEPS et les travaux de l'OCDE permettront de produire des recettes significatives, l'objectif global est de localiser les assiettes en cohérence avec le lieu où se produit la valeur ajoutée. Si le système fonctionne bien, ce n'est pas dans le ressort du contrôle fiscal que les recettes s'accroîtront mais bien dans l'assiette normale d'entreprises payant leurs impôts. Nous avons l'espoir que cela génère des recettes supplémentaires (...). Je défie quiconque de parvenir à estimer cette recette supplémentaire. »

Selon les informations transmises par la direction de la législation fiscale, les services fiscaux ont anticipé la mise en oeuvre de ce mécanisme, en conduisant plusieurs évolutions informatiques préalables à une exploitation effective des données fournies . Il s'agit en particulier de :

- l'identification précise des personnes concernées par les informations transmises au moyen de leur numéro d'identification fiscale, en assurant l'appariement automatique entre les données d'identification transmises et les données d'identification des contribuables déjà présentes dans les bases de données de l'administration fiscale française. Le format d'échange des données du mécanisme de déclaration pays par pays défini par l'OCDE rend ainsi obligatoire la transmission du numéro d'identification fiscale pour chaque entité concernée ;

- l'intégration automatique des données reçues dans les applications existantes du système d'informations des services fiscaux ;

- une fois ces préalables effectués, les dispositifs de recoupements et d'analyse-risque trouveront à s'appliquer. L'application renforcée du datamining au sein de la programmation du contrôle fiscal s'appuiera notamment sur les données des déclarations pays par pays.

Dans ces conditions, le processus d'évaluation et de contrôle des prix de transfert se trouvera désormais complété. En effet, dans le cas où, sur la base de l'analyse initiale de la déclaration pays par pays, étayée par une analyse approfondie des documentations relatives aux prix de transfert, l'administration fiscale identifie une anomalie, elle peut recourir aux dispositions de l'article 57 du code général des impôts. Aux termes de cet article, « les bénéfices indirectement transférés à [des entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France], soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités » et entrent dans l'établissement de l'impôt sur les bénéfices dû. En 2014, les services fiscaux ont eu recours à 394 reprises à ces dispositions, pour un montant de rehaussements en base de 3,6 milliards d'euros 43 ( * ) . En outre, les rappels en matière de prix de transfert peuvent être assortis des majorations prévues à l'article 179 du code général des impôts, à savoir 40 % de droits supplémentaires en cas de manquements délibérés et 80 % en cas de manoeuvres frauduleuses.

Par ailleurs, l'extension de la transparence fiscale s'accompagne d'une modification des attentes de l'administration fiscale lors des contrôles. Prenant en compte l'existence de stratégies fiscales s'insérant dans les interstices de la légalité et disposant de renseignements plus étendus, elle s'attache à vérifier la réalité des descriptions avancées par le contribuable, en confrontant le comportement effectif au comportement décrit dans les différentes déclarations transmises 44 ( * ) . En parallèle, des initiatives ont été prises pour aider les entreprises à formaliser une politique de prix de transfert :

- l'administration fiscale met en ligne des exemples de schémas fiscaux qu'elle considère comme agressifs et qui ont fait l'objet de redressements, dans le but de dissuader les entreprises de recourir à de tels schémas ;

- afin de sécuriser juridiquement leur politique de prix de transfert, les entreprises peuvent recourir à l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, écartant tout rehaussement d'imposition lorsque « l'administration a conclu un accord préalable portant sur la méthode de détermination des prix [de transfert], soit avec l'autorité compétente désignée par une convention fiscale bilatérale destinée à éliminer les doubles impositions, soit avec le contribuable ».

2. Soumises à des contraintes supplémentaires, les entreprises pourront également s'en saisir comme d'un outil

Cette nouvelle approche entraînée par l'extension de la transparence fiscale concerne également les entreprises.

Tout d'abord, une nouvelle charge administrative s'impose aux grandes entreprises . Toutefois, les modalités retenues par l'action 13 de BEPS et inscrites dans le droit témoignent d' un certain équilibre . La difficulté pour les entreprises est de deux ordres :

- d'une part, pour collecter les informations nécessaires, ce qui implique le développement d'outils informatiques adaptés ;

- d'autre part, pour traiter et présenter les données requises, afin notamment d'éviter le risque d'une mauvaise interprétation. Il s'agira notamment de s'assurer de la cohérence des données communiquées dans les différentes déclarations et documentations fournies aux services fiscaux.

Lors des précédents travaux de la commission des finances du Sénat sur la déclaration pays par pays à destination des administrations fiscales, il avait été indiqué que le coût annuel de production des déclarations pour un groupe d'entreprises multinationales s'élevait à plusieurs millions d'euros. Les sociétés de conseil aux entreprises ont rapidement développé un service d'accompagnement à la mise en place de la déclaration pays par pays.

En particulier, outre l'assistance technique pour la préparation et l'élaboration de la déclaration, les cabinets de conseil proposent d'en effectuer une analyse, déterminant notamment les écarts entre l'allocation du profit et la substance des activités exercées . Cette revue peut ensuite alimenter une stratégie visant à améliorer la substance dans les pays les plus profitables. De fait, cette prestation souligne en creux la double portée du mécanisme de déclaration pays par pays pour les groupes d'entreprises multinationales :

- d'une part, le renforcement des outils d'analyse et de contrôle des prix de transfert conduit à une intériorisation des principes de détermination de ces prix par les entreprises. Au-delà du renforcement des renseignements de l'administration fiscale, le mécanisme peut contribuer à l'instauration d'une culture de conformité au sein des entreprises ;

- d'autre part, la revue des entités et des activités exercées conduit les groupes à une autoanalyse et renforce leurs propres connaissances et donc l'élaboration de leurs grandes orientations .

L'objectif poursuivi par la déclaration pays par pays de donner à l'administration fiscale une vision d'ensemble du groupe d'entreprises multinationales peut également conduire ce groupe à mieux gérer sa stratégie et sa communication fiscales .

En interne, les données collectées pourront servir à une analyse de la chaîne de valeur , indiquant la contribution des différentes sociétés du groupe à la génération du résultat global du groupe, compte tenu de leurs caractéristiques propres. La revue des données comptables et financières peut ainsi constituer une opportunité pour les directions fiscales de renforcer leurs prérogatives au sein des directions financières en identifiant des risques et en planifiant leur résolution.

Entendu par la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale le 7 décembre 2016, Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE, relevait à cet effet que « ces dispositions [de l'action 13 du projet BEPS] auront un impact majeur car les directeurs juridiques et fiscaux des entreprises considérées devront désormais expliquer à leurs présidents comment le groupe pourra justifier que tous ses profits soient abrités aux Bermudes. Je pense que l'obligation de reporting pays par pays entraînera une forte autorégulation en raison du risque de redressement fiscal encouru mais aussi en raison du risque de dommage à la réputation de l'entreprise » .

En externe, la déclaration pays par pays peut aussi amener le groupe à définir une communication fiscale active . L'extension de la transparence concerne désormais les données fiscales des grandes entreprises : elles font l'objet d'enquêtes fréquentes de la part des acteurs de la société civile et peuvent écorner leur image. Disposant des informations nécessaires et sensibilisée aux règles du système fiscal international, une entreprise pourrait ainsi choisir de définir une communication sur ce champ. Par exemple, depuis 2015, le groupe minier anglo-australien Rio Tinto publie un rapport 45 ( * ) présentant les différents montants d'impôts payés par pays, incluant l'impôt sur les bénéfices, les charges sociales, les droits de douanes, les taxes foncières, etc.


* 42 En particulier, l'article L. 188 A du livre des procédures fiscales prévoit la possibilité pour les services fiscaux de demander « à l'autorité compétente d'un autre État ou territoire des renseignements concernant un contribuable ».

* 43 Rapport d'information au Parlement pour 2014, sur le fondement de l'article 136 de la loi de finances pour 2011.

* 44 Voir « La transparence fiscale, nouvelle contrainte ou opportunité », étude de Pierre Escaut, avocat associé, PwC Société d'avocats, Revue de droit fiscal n° 30-35, 28 juillet 2016.

* 45 « Taxes paid in 2015 : a report on the economic contribution made by Rio Tinto to public finances ».

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