EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 15 février 2017, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, a procédé à l'examen du rapport de Mme Michelle Demessine autorisant l'adhésion de la France au deuxième protocole relatif à la convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé.

Mme Michelle Demessine, rapporteure . - Monsieur le Président, mes chers collègues, le deuxième Protocole relatif à la Convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé a été adopté en 1999. Il n'avait jusqu'ici pas fait l'objet d'une procédure d'adhésion par la France. Nous examinons aujourd'hui, après l'Assemblée nationale, le projet de loi autorisant sa ratification.

Après la Seconde guerre mondiale, la communauté internationale a progressivement développé des instruments juridiques pour sanctionner les atteintes aux biens culturels durant les conflits armés. La convention de La Haye de 1954, texte fondateur, a permis aux tribunaux internationaux de prononcer des condamnations pénales contre des personnes ayant détruit des biens culturels, en ex-Yougoslavie ou au Mali. Un deuxième protocole lui a été adjoint en 1999. C'est lui que nous examinons aujourd'hui.

Avant de vous présenter ses dispositions et les changements qu'il implique pour notre pays, je voudrais vous présenter les circonstances qui ont motivé l'adhésion tardive de la France, 17 ans après l'élaboration du Protocole n° 2.

Nous avons tous le souvenir des premières destructions délibérées de monuments historiques au début des années 2000, notamment celle des Bouddhas de Bâmiyân par les talibans afghans. Depuis 2012, vous le savez mes chers collègues, ces dégradations ont pris un caractère extrêmement préoccupant. On ne compte plus les monuments uniques au monde ou les sites archéologiques détruits par les extrémistes, des mausolées maliens de Tombouctou au Tétrapyle de Palmyre, en passant par les ruines assyriennes de Nimrod. Ces monuments inestimables ont été vandalisés et détruits à l'explosif de manière délibérée, au nom d'une prétendue lutte contre « l'idolâtrie » et le « paganisme ».

Même si - ne soyons pas naïfs - les destructions de biens culturels ne sont pas une nouveauté en période de guerre, il y a donc bien une situation d'urgence liée à l'actualité. Pourquoi la France a-t-elle alors attendu 17 ans ?

Comme d'autres grands pays, la France considérait à l'époque que les stipulations du protocole allaient beaucoup plus loin que celles figurant dans la Convention de La Haye de 1954. Les deux principaux points de blocage étaient les suivants :

- premièrement, l'alinéa b) de l'article 13-2 du protocole stipule qu'il est nécessaire, je cite, « d'éviter, ou, en tout cas, de réduire au maximum les dommages causés à un bien culturel à protection renforcée » ;

- deuxièmement, l'alinéa c) de l'article 13 exige qu'un éventuel ordre d'attaque mettant en cause l'intégrité de biens culturels soit donné « au niveau le plus élevé du commandement opérationnel » après « un délai raisonnable pour redresser la situation », condition qui paraît un peu vague.

Ces deux dispositions posaient des difficultés d'application opérationnelle au regard des règles d'engagement de nos forces armées.

Néanmoins, plusieurs évolutions techniques et juridiques rendent l'adhésion à présent possible. Je précise d'emblée que la France a l'intention de formuler des « réserves interprétatives » lui permettant de lever totalement les difficultés identifiées :

- tout d'abord, les nouveaux moyens technologiques (la précision des armes notamment) que les forces armées françaises ont désormais à leur disposition, sont compatibles avec la disposition qui impose « d'éviter ou, en tout cas, de réduire au minimum les dommages causés » aux biens culturels ;

- ensuite, notre droit pénal est aujourd'hui conforme à l'essentiel des stipulations du protocole de 1999 ;

- enfin, le gouvernement a d'ores et déjà formulé des « réserves interprétatives » sur les articles 13, 15 et 16, permettant d'écarter les interprétations les plus restrictives des notions de « légitime défense immédiate » et de « nécessité militaire impérative ».

Pour éclairer ces éléments, laissez-moi à présent vous présenter les principaux apports du Protocole II par rapport aux instruments précédents :

- premièrement, il autorise la prise en compte des conflits non internationaux ou asymétriques, qui constituent à présent l'essentiel des combats dans lesquels sont engagées nos forces ;

- deuxièmement, il impose une plus grande exigence quant aux mesures préventives, en temps de paix, de protection du patrimoine culturel via « l'établissement d'inventaires » ou encore « de mesures d'urgence contre les risques d'incendie ou d'écroulement » ;

- troisièmement, il prévoit un encadrement juridique plus strict de la notion de « nécessité militaire impérative », qui seule permet des atteintes licites aux biens culturels en temps de guerre. Cette notion n'était pas définie dans la convention de 1954. À présent, pour viser licitement un bien culturel, il faut qu'il soit « par sa fonction (...) transformé en objectif militaire » et qu'« il n'existe pas d'autre solution possible pour obtenir un avantage militaire équivalent » ;

- quatrièmement, il crée une nouvelle catégorie de protection des biens culturels, la « protection renforcée », pour les biens revêtant « la plus haute importance pour l'humanité ». Un nouveau « Comité pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé » aura le pouvoir d'inscrire des biens culturels sur une liste de « protection renforcée ». La « protection renforcée » interdit toute attaque ou utilisation militaire de ces biens ; elle peut toutefois être levée si le bien devient en soi un « objectif militaire ». À titre d'exemple, sur les théâtres d'opération des forces armées françaises, seul le tombeau des Askia au Mali est concerné par la protection renforcée ;

- cinquièmement, il instaure des obligations strictes en termes de poursuites pénales contre les auteurs d'atteintes graves aux biens culturels. L'article 16 oblige notamment les États adhérents à adopter une compétence large de leur justice pour la répression des atteintes aux biens culturels, incluant des non-ressortissants qui se trouveraient uniquement « présents » sur leur territoire. Cette hypothèse va plus loin que la clause de compétence quasi-universelle prévue dans notre droit pénal et a fait l'objet d'une réserve interprétative du Gouvernement français : seules les personnes ressortissantes d'un État partie au protocole et « résidant habituellement en France » pourront être inquiétées par le parquet, qui aurait le monopole du déclenchement des poursuites.

Les implications pour notre droit pénal et notre organisation administrative sont minimes. Elles comprennent :

- un élargissement limité des incriminations en matière d'atteintes aux biens culturels ;

- un élargissement de la compétence extraterritoriale de la justice française dans les limites de ce que notre droit pénal prévoit déjà pour d'autres traités internationaux, comme je l'ai déjà évoqué ;

- le renforcement ou l'actualisation des plans de sauvegarde des monuments ;

- l'élaboration d'une liste française de biens bénéficiant de la « protection renforcée », dont la logique voudrait qu'elle soit d'abord composée des 38 biens culturels français inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO.

Nous avons consulté le ministère de la défense sur les éventuelles difficultés qui pourraient être posées à nos forces armées par la nécessité d'appliquer ce protocole. Il apparaît en pratique que nous appliquons déjà ses prescriptions depuis plusieurs années et que l'armée de terre en particulier a été « moteur » sur ce sujet. Par exemple, il existe des listes de biens culturels en Irak et en Syrie qui sont intégrées à nos « strike lists » et qui ne peuvent être ciblés qu'avec l'autorisation du Chef d'état-major des armées, ce qui n'est encore jamais arrivé. En outre, il existe déjà depuis 2014 un « Memento sur la protection des biens culturels en cas de conflit armés », élaboré par le Centre de doctrine d'emploi des forces du ministère de la défense, qui constitue un document unique au sein de l'OTAN et qui est en cours de traduction pour être diffusé au sein de cette Organisation.

La signature du présent protocole constitue ainsi une démarche logique et conséquente de notre pays devant la gravité exceptionnelle des atteintes aux biens culturels que l'on constate dans les conflits contemporains. La France est en première ligne de ce combat, comme l'a montré son engagement aux côtés des Émirats arabes unis lors de la « Conférence internationale sur le patrimoine en péril » de décembre dernier. Il faut espérer que notre adhésion aura un effet d'entraînement sur d'autres grands pays.

Votre rapporteure vous invite donc à adopter le présent projet de loi, qui a été adopté par l'Assemblée Nationale le mardi 7 février 2017. Il sera examiné demain en séance publique, en procédure simplifiée.

Mme Nathalie Goulet. - C'est une convention qui va nous donner à tous bonne conscience...Je pense qu'il faut faire le lien avec la conférence d'Abu Dhabi de décembre 2016 et avec les dispositions sur les « Musées refuge » de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création : la question du déplacement des oeuvres d'art ou de leur utilisation pour le financement du terrorisme est connexe à celle de la protection des biens culturels. Il faut appliquer ces mesures de manière opérationnelle et pratique, afin notamment de pouvoir protéger des biens dans les pays voisins des conflits.

M. Daniel Reiner . - Nous sommes attachés à l'art et il faut rappeler l'importance de l'art lorsque la politique ou la guerre le menacent. De tout temps, au cours des conflits, on a rasé des villes ou détruit des oeuvres. Il faut montrer qu'on peut faire naitre l'avenir sans raser le passé ! La France aurait pu ratifier ce protocole plus tôt, étant à la tête des pays qui s'intéressent à ces sujets. Il s'agit de faire école auprès des populations locales, pas toujours conscientes elles-mêmes de la valeur de leur patrimoine, mais aussi auprès de pays pour qui cela n'est pas une priorité actuellement.

Mme Michelle Demessine . - Je suis d'accord avec Mme Nathalie Goulet : il faut faire davantage pour lutter contre le pillage, ce qui est d'ailleurs l'objet du premier protocole de 1954 ainsi que de la convention de 1970 contre le trafic illicite des biens culturels. On est au début d'une nouvelle prise de conscience. Les biens culturels sont utilisés comme des buts de guerre car c'est un moyen d'atteindre l'intégrité des hommes eux-mêmes ! En tout cas, notre pays a déjà une pratique très développée en la matière même si certaines dispositions du protocole nous gênaient. Les quelques réserves d'interprétation émises par le Gouvernement permettent de lever ces difficultés.

Suivant l'avis de la rapporteure, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.

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