EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Il ressort d'un baromètre des sports et loisirs de nature en France, paru en 2016 1 ( * ) , que trois Français sur quatre de plus de 15 ans déclarent pratiquer régulièrement un sport ou une activité de loisirs de nature (randonnée, vélo, escalade...), soit un total de 34,5 millions de personnes.

Toujours selon cette enquête, ces activités ont un impact socioéconomique non négligeable puisque les sports et loisirs de nature génèrent 5,6 milliards d'euros de dépenses par an.

La promotion de ces pratiques, qui constituent un atout touristique important pour de nombreuses collectivités territoriales, est au coeur des préoccupations des auteurs de la proposition de loi n° 439 (2016-2017) visant à adapter le droit de la responsabilité des propriétaires ou des gestionnaires de sites naturels ouverts au public, présentée par le président Bruno Retailleau, M. Michel Savin et plusieurs de nos collègues.

Selon l'exposé des motifs de ce texte, elle se heurte à un environnement juridique inadapté, en ce qu'un propriétaire ou un gestionnaire de site naturel, qui n'a commis aucune faute, peut voir sa responsabilité de plein droit engagée sur le fondement de la responsabilité du fait des choses, qui découle de l'article 1242 du code civil, à l'occasion d'un dommage causé par une pierre qui roule ou une branche qui tombe.

Bien que la mise en cause des personnes privées ou publiques sur ce fondement soit extrêmement rare, le simple fait de risquer de supporter une telle responsabilité suffit à dissuader les propriétaires d'autoriser l'accès à leurs terrains et les fédérations à assumer la gestion de ces sites, sauf à en renforcer excessivement l'aménagement pour sécuriser les pratiquants, au prix d'une dénaturation des espaces .

Partageant pleinement les objectifs des auteurs de la proposition de loi, votre rapporteur s'est engagé dans la recherche d'une solution équilibrée de partage de responsabilité entre le propriétaire ou le gestionnaire du terrain, qui doit mettre en oeuvre tous les moyens dont il dispose pour assurer des conditions de sécurité optimales à l'exercice des sports et des activités de loisirs de nature, et les pratiquants, à la recherche d'une nature intacte, qui doivent prendre conscience que, malgré toutes les diligences entreprises par le propriétaire ou le gestionnaire du site, le risque « zéro » n'existe pas quand on pratique l'escalade, l'alpinisme, le vélo ou la randonnée dans des sites naturels, peu ou pas aménagés.

I. UN TEXTE QUI VISE À ALLÉGER LA RESPONSABILITÉ CIVILE DES GARDIENS DE SITES NATURELS POUR ENCOURAGER LE DÉVELOPPEMENT DES SPORTS DE NATURE

1. La promotion des sports de nature entravée par un régime de responsabilité civile sévère pour les gardiens de sites naturels

L'objectif de ce texte est de favoriser le développement des sports de nature qui s'exercent dans des sites peu aménagés, propriétés de personnes privées ou relevant du domaine privé des personnes publiques, car ces activités constituent un atout touristique important pour de nombreuses collectivités territoriales.

Or, le développement de ces activités sportives pourrait être entravé par une application stricte des règles de droit commun de la responsabilité civile. En effet, même lorsqu'ils appartiennent à une personne publique, ces espaces sont soumis au régime de la responsabilité du fait des choses, régi par le premier alinéa de l'article 1242 du code civil, ancien article 1384 2 ( * ) . Ainsi, le propriétaire ou le gestionnaire du site naturel, en tant que gardien de la chose, peut voir sa responsabilité engagée de plein droit en cas de dommage causé à l'occasion du passage du public dans ces espaces.

Les auteurs de la proposition de loi estiment que ce régime est « inadapté à la dangerosité intrinsèque de la pratique des sports de nature et au caractère naturel et sauvage des espaces qui les accueillent . Ce régime fait peser sur les propriétaires de ces terrains ou sur les gestionnaires à qui ils délèguent cette responsabilité, un risque juridique démesuré ».

Le dépôt de la proposition de loi fait suite à un jugement du 14 avril 2016, par lequel le tribunal de grande instance (TGI) de Toulouse a condamné la fédération française de la montagne et de l'escalade (FFME), gestionnaire du site naturel en cause pour le compte d'une commune, ainsi que son assureur, à indemniser, à hauteur d'1,2 million d'euros, la victime d'un accident d'escalade survenu à la suite de l'effondrement d'un rocher, sur le fondement de la responsabilité du fait des choses 3 ( * ) . Le tribunal a considéré que la FFME était gardienne de la chose à l'origine du dommage, en l'espèce le bloc de pierre.

Cette décision de première instance a suscité un vif émoi dans le milieu des sports de nature.

Selon les auteurs de la proposition de loi, « ce régime de responsabilité ne peut avoir pour effet que de freiner le développement des sports de nature, en incitant les propriétaires à refuser l'accès à leurs terrains, ou à susciter, pour les terrains faisant l'objet de conventions d'exploitation, une dénaturation des espaces naturels par un aménagement excessif visant à sécuriser les pratiques. Il déresponsabilise par ailleurs les usagers qui décident de s'aventurer dans des espaces naturels non aménagé s ».

Les personnes entendues par votre rapporteur ont estimé que cette décision du TGI de Toulouse avait déjà entraîné une réduction substantielle de l'engagement conventionnel des fédérations sportives gestionnaires vis-à-vis des propriétaires de sites naturels 4 ( * ) , compte tenu des risques encourus.

Par ailleurs, cette décision aurait également un impact important sur le coût des assurances pour les fédérations sportives et leurs adhérents. Selon les représentants de la FFME entendus par votre rapporteur, la condamnation du TGI de Toulouse a représenté cinq années de cotisations pour la fédération.

2. La mise en place d'un régime de responsabilité pour faute des gestionnaires et propriétaires de sites naturels

L'article unique de la proposition de loi prévoit de limiter l'engagement de la responsabilité des propriétaires ou des gestionnaires d'espaces naturels mis à la disposition du public en basculant d'un régime de responsabilité du fait des choses, engagée de plein droit dès lors que ses conditions sont réunies, à un régime de responsabilité pour faute du gestionnaire ou du propriétaire du site naturel.

Il ajoute un nouvel alinéa au début de l'article L. 365-1 du code de l'environnement, pour prévoir que la responsabilité civile des propriétaires ou des gestionnaires de sites naturels ne pourrait désormais être engagée, au titre de la circulation du public ou de la pratique d'activités de loisirs ou de sports de nature, qu'en raison de leurs actes fautifs.

Dans sa rédaction actuelle, ledit article L. 365-1 précise seulement les éléments à prendre en considération pour apprécier « la responsabilité civile ou administrative des propriétaires de terrains, de la commune, de l'État ou de l'organe de gestion de l'espace naturel », en cas d'accidents survenus à l'occasion de la circulation de piétons ou de la pratique d'activités de loisirs, « dans le coeur d'un parc national, dans une réserve naturelle, sur un domaine relevant du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres ou sur les voies et chemins visés à l'article L. 361-1 », c'est-à-dire les chemins figurant dans le plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée.

Ce dispositif ne prévoit pas d'exonération ou d'atténuation de responsabilité, mais invite seulement le juge à prendre en compte les particularités du milieu naturel pour contextualiser et atténuer le cas échéant la responsabilité du gardien de la chose. Ainsi, cette responsabilité doit être appréciée « au regard des risques inhérents à la circulation dans des espaces naturels ayant fait l'objet d'aménagements limités dans le but de conservation des milieux, et compte tenu des mesures d'information prises, dans le cadre de la police de la circulation, par les autorités chargées d'assurer la sécurité publique ».


* 1 Enquête réalisée en 2016 par l'institut BVA, à la demande du laboratoire sur les vulnérabilités et l'innovation dans le sport (L-Vis), du pôle ressources national des sports de nature (PRNSN) du ministère chargé des sports, de la fédération professionnelle des entreprises du sport et des loisirs (FPS), de la fédération française des industries sport et loisirs (FIFAS), des universités de Lyon et de Brest. Ce baromètre est consultable à l'adresse suivante :

http://doc.sportsdenature.gouv.fr/doc_num.php?explnum_id=601

* 2 Ce changement de numérotation date de l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, le 1 er octobre 2016.

* 3 TGI Toulouse, 24 avril 2016, RG n° 11/02112.

* 4 En effet, les fédérations sportives, intervenant par exemple dans le domaine de l'escalade ou de la randonnée, passent des conventions avec des propriétaires publics ou privés de sites naturels, qui ont pour objet de transférer la garde de la chose et de faire assumer les risques au gestionnaire et non plus au propriétaire du site en cas d'accident.

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