N° 410

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 11 avril 2018

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l' érosion de la base d' imposition et le transfert de bénéfices ,

Par M. Albéric de MONTGOLFIER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Vincent Éblé , président ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Yvon Collin, Bernard Delcros, Mme Fabienne Keller, MM. Philippe Dominati, Charles Guené, Jean-François Husson, Georges Patient, Claude Raynal , vice-présidents ; M. Thierry Carcenac, Mme Nathalie  Goulet, MM. Alain Joyandet, Marc Laménie , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Julien Bargeton, Jérôme Bascher, Arnaud Bazin, Yannick Botrel, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Mme Frédérique Espagnac, MM. Rémi Féraud, Jean-Marc Gabouty, Jacques Genest, Alain Houpert, Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Nuihau Laurey, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Sébastien Meurant, Claude Nougein, Didier Rambaud, Jean-François Rapin, Jean-Claude Requier, Pascal Savoldelli, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel .

Voir les numéros :

Sénat :

227 et 411 (2017-2018)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES FINANCES

Réunie mercredi 11 avril 2018, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur, sur le projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices.

Cette convention multilatérale permet l'application de certaines recommandations du projet « Base Erosion and Profit Shifting » (BEPS) conduit par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), réunissant plus d'une centaine de pays et de juridictions. Endossées par le G20 en novembre 2015 et articulées autour de quinze actions, ces recommandations du projet BEPS doivent toutefois être mises en oeuvre par les différents États , dans leur législation interne et dans leur réseau de conventions fiscales bilatérales. Il s'agit d'une étape essentielle pour concrétiser l'objectif de la démarche et lutter contre les phénomènes d'évitement de l'impôt .

La convention multilatérale que le présent projet de loi propose de ratifier a été signée à Paris le 7 juin 2017 par 68 territoires et réunit désormais 78 États signataires 1 ( * ) . Elle vise à assurer la mise en oeuvre de quatre des quinze actions du « paquet BEPS » au sein du réseau conventionnel bilatéral . Il s'agit de l'action 2 sur la neutralisation des effets des montages hybrides, de l'action 6 sur l'utilisation abusive des conventions fiscales, de l'action 7 sur l'utilisation artificielle du statut d'établissement stable et de l'action 14 sur les mécanismes de règlement des différends. Elle prolonge cette dernière action en déterminant les modalités de la procédure d'arbitrage (partie VI).

Prévue par l'action 15 du « paquet BEPS », la convention multilatérale constitue une démarche inédite en matière fiscale. Elle permet aux États parties d'intégrer les recommandations du « paquet BEPS » dans toutes les conventions fiscales bilatérales qu'ils désirent modifier, sans procéder à une négociation convention par convention. Il s'agit donc d' un « accélérateur » juridique qui rend possible une application rapide et effective de certaines recommandations du « paquet BEPS » , alors que la modification de chacune des conventions fiscales aurait probablement pris au total plusieurs décennies.

La convention multilatérale se caractérise par une grande flexibilité . Seuls trois articles, visant à prévenir l'utilisation abusive des conventions fiscales (articles 6 et 7) et à prévoir une procédure amiable de règlement des différends (article 16) constituent des normes minimales que toutes les juridictions s'engagent à respecter. Pour toutes les autres dispositions, les États peuvent choisir des options et formuler des réserves.

Par ailleurs, la convention multilatérale préserve le caractère bilatéral des relations fiscales entre partenaires conventionnels . Ses dispositions se superposent à celles des conventions fiscales bilatérales, sous réserve que les deux partenaires conventionnels l'aient accepté, qu'ils se soient accordés sur les articles modifiés et qu'ils aient choisi des options, réserves ou notifications qui le permettent. De fait, alors que la France a dressé une liste de 88 conventions fiscales qu'elle entend couvrir par l'instrument multilatéral, seule une cinquantaine d'entre elles seraient effectivement modifiées en l'état des signatures par ses partenaires.

Ces caractéristiques emportent trois conséquences.

Tout d'abord, elles rendent plus complexe l'appréhension des dispositions conventionnelles applicables par les acteurs économiques.

Ensuite, elles rendent difficile à envisager la portée initiale de l'instrument multilatéral , en fonction des choix actuels de deux partenaires conventionnels, mais aussi future, au gré des levées de réserves et de l'évolution des options qu'ils formulent.

Enfin, elles renforcent l'importance des choix effectués par chaque pays , lesquels demeurent provisoires jusqu'au dépôt des instruments de ratification.

À ce titre, la France a , à ce stade, opté pour une conception large de l'application de la convention multilatérale. En particulier, les articles 12 à 15 relatifs à la qualification des établissements stables ont été retenus sans réserve . Cette décision mérite d'être interrogée , dès lors que peu de pays comparables ont fait ce choix, et que les conséquences de la modification du seuil de qualification d'un établissement stable pour l'attribution de profit, non prévues par le « paquet BEPS », sont toujours en négociation à l'OCDE. Il pourrait en résulter des risques pour nos entreprises opérant à l'étranger et pour nos recettes fiscales , dont la base fiscale pourrait être réduite.

Dans ces conditions, tout en soulignant les apports de la convention multilatérale pour améliorer l'application du « paquet BEPS » en vue d'une meilleure lutte contre l'évitement de l'impôt, votre rapporteur invite le Gouvernement à :

- adopter une approche prudente sur les dispositions relatives à la qualification des établissements stables, d'autant que les négociations sur leurs conséquences en matière d'attribution de profits ne sont pas conclues ;

- assurer la sécurité juridique des acteurs économiques. S'il est utile , comme le prévoirait le Gouvernement, de publier des documents d'information lisibles (fiche présentant les effets de la convention multilatérale sur chaque convention fiscale bilatérale concernée, version consolidée desdites conventions...), il serait paradoxal que ceux-ci ne puissent être opposables à l'administration. Un risque de contentieux pourrait alors apparaître ;

- garantir l'information du Parlement sur l'évolution de l'application de la convention multilatérale.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances a adopté le projet de loi sans modification.


* 1 Selon l'OCDE, au 22 mars 2018.

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