EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. LA JUSTE IMPOSITION DES ENTREPRISES NUMÉRIQUES : UN PROBLÈME MAJEUR RESTÉ LONGTEMPS SANS RÉPONSE

A. UNE ABSENCE D'INITIATIVE AU NIVEAU INTERNATIONAL, EN DÉPIT D'UN CONSTAT LARGEMENT PARTAGÉ

Conçues au début du 20 e siècle pour une économie largement physique et territorialisée, les règles de la fiscalité internationale se sont révélées très largement inadaptées à l'économie numérique , caractérisée par des entreprises qui, quelle que soit leur taille, peuvent se passer d'une présence physique sur le territoire d'où elles tirent leur revenu.

Il en résulte un décalage entre le lieu où les bénéfices sont taxés et celui où la valeur est créée ainsi que, par conséquent, une érosion des bases et des recettes fiscales des États concernés - alors même que ce secteur est l'un des plus dynamiques au monde et que ses entreprises les plus emblématiques sont parmi les premières en termes de capitalisation boursière.

Dans une étude fondée sur des modèles d'affaires types 3 ( * ) , la Commission européenne estime que le taux effectif moyen d'imposition des entreprises multinationales « numériques » est de 9,5 % , contre 23,2 % pour les entreprises multinationales « traditionnelles ».

Taux effectif d'imposition comparé des entreprises numériques et des entreprises traditionnelles

Entreprise domestique

Groupe multinational

Groupe multinational pratiquant une planification fiscale agressive

Modèles d'affaires « traditionnels »

20,9 %

23,2 %

16,2 %

Modèles d'affaires « numériques »

8,5 %

9 ,5 %

-2,3 %

Source : étude d'impact des propositions de la Commission européenne, d'après ZEW (2016) et ZEW (2017).

Hypothèses retenues (traduction : commission des finances) :

1. Dans le cadre de leur planification fiscale agressive, les entreprises ont recours au régime de propriété intellectuelle plus avantageux au sein de l'Union européenne.

2. Pour les groupes multinationaux, sont pris en compte les liens capitalistiques avec des pays membres de l'UE et certains pays tiers (notamment les États-Unis, le Canada, le Japon, la Norvège et la Suisse).

3. Le taux d'imposition de 9,5 % pour les entreprises numériques multinationales correspond à la moyenne du taux de 8,9 % pour les activités à destination des professionnels (B2B, pour business to business ) et du taux de 10,1 % pour les activités à destination des particuliers (B2C, pour business to consumer ).

À la demande du G20, l'OCDE 4 ( * ) s'est saisie de ce sujet dans le cadre du projet « BEPS » ( Base Erosion and Profit Shifting ) de lutte contre l'érosion des bases fiscales et le transfert de bénéfices, dont les quinze « actions » ont été présentées en octobre 2015. Toutefois, l'action 1 du plan BEPS, intitulée « Relever les défis posés par l'économie numérique », ne contient aucune proposition concrète sur le sujet , et se contente de prévoir la remise d'un rapport en 2020.

Le « rapport intérimaire » présenté le 16 mars 2018 prend acte de l'absence de consensus au niveau international : il ne formule aucune proposition mais décrit tout de même les différentes pistes possibles avec leurs avantages et leurs inconvénients. Un nouveau rapport d'étape est prévu en 2019, avant un rapport final en 2020.

Compte tenu des difficultés persistantes à avancer sur le sujet, plusieurs grands États membres de l'Union européenne, pour lesquels le décalage entre le nombre d'utilisateurs de services numériques et les recettes fiscales correspondantes est le plus important, ont pris position pour une intervention à l'échelle européenne . Dans une lettre du 8 septembre 2017 5 ( * ) , les ministres des finances de la France, de l'Allemagne, de l'Italie et de l'Espagne ont invité le Conseil de l'Union européenne à prendre une initiative sur le sujet, y compris le cas échéant sous la forme d'une « taxe égalisatrice » temporaire sur le chiffre d'affaires.

Les conclusions du Conseil ECOFIN 6 ( * ) de Tallinn du 5 décembre 2017 reprennent cette orientation : « la Commission est invitée à adopter des propositions pour relever les défis que pose l'imposition des bénéfices dans l'économie numérique, tout en tenant compte du fait que de nombreux États membres souhaitent que soient adoptées des mesures temporaires visant les produits tirés des activités économiques menées dans l'Union qui ne relèveraient pas du champ d'application des conventions en matière de double imposition ».


* 3 Centre for European Economic Research (ZEW), études réalisée pour la Commission européenne, TAXUD/2013/CC/120 : « Effective tax rates in an enlarged European Union - Final report 2016 » (2017) et « The Impact of Tax - planning on Forward - looking Effective Tax Rates » (2016).

* 4 Organisation de coopération et de développement économiques.

* 5 Lettre du 8 septembre 2017 de Bruno Le Maire, Wolfgang Schäuble, Pier-Carlo Padoan et Luis de Guindos, ministres des finances de la France, de l'Allemagne, de l'Italie et de l'Espagne, à Toomas Tõniste, ministre des finances de l'Estonie, sur l'initiative commune en matière de taxation des entreprises de l'économie numérique.

* 6 Conseil pour les affaires économiques et financières.

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