On m'a dit : « Résigne-toi »

Mais je n'ai pas pu.

Et j'ai repris mon arme.

Emmanuel d'Astier de la Vigerie, 1943

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le texte qui vous est soumis aujourd'hui dépasse le cadre d'une loi ordinaire, non par sa portée juridique, qui est conditionnée par sa nature de loi de programmation, mais par sa dimension politique, qui est considérable. L'engagement que le Gouvernement entend solennellement souscrire devant le Parlement de faire remonter en puissance nos armées tranche nettement avec les évolutions budgétaires que celles-ci ont connues depuis la fin de la Guerre froide. Mais, ce faisant, le Gouvernement ne fait en définitive que tirer la conclusion nécessaire à laquelle conduisent une vision claire de la situation de notre pays, de la montée des périls auxquels il est confronté et des attentes de nos concitoyens. Votre commission souligne cette nécessité depuis longtemps, et encore il y a un an à travers son rapport 2 % du PIB : les moyens de la défense nationale 1 ( * ) . Le caractère évident de la nécessité de redresser notre effort de défense ne diminue en rien, du reste, le mérite du Président de la République et du Gouvernement d'en avoir, à travers ce texte, tiré les conséquences institutionnelles.

Mais là n'est pas le fait majeur qu'exprime ce projet de LPM. L'élément décisif pour la défense de la Nation qu'il révèle, c'est la convergence extraordinaire et sans précédent récent des attentes des Français en ce domaine : c'est le renouveau d'un esprit de défense qui est intimement lié à la construction de la nation française. Que ce soit de façon explicite ou dans une intuition inconsciente, nos concitoyens ont une claire perception des nouvelles menaces qui pèsent sur notre pays. Celles-ci sont multiples, tenant tant au cercle vicieux de l'affaiblissement du multilatéralisme et du nouvel expansionnisme des puissances étatiques, qu'à l'éruption en Europe du terrorisme djihadiste.

Quoique de nature et de forme très différentes, ces deux défis convergent pour se fondre dans une contestation radicale du modèle démocratique occidental, qui repose depuis les Lumières sur la construction progressive d'un Etat de droit dont la cellule fondamentale et sacrée est le citoyen doté de droits inaliénables. Face à ces menaces simultanées et relativement soudaines, la France aurait pu se figer dans le repli sur soi et se lamenter dans un déclinisme défaitiste, qui a malheureusement parfois bonne presse. Cela aurait été trahir son histoire et tourner le dos à son destin.

Bien au contraire, et l'examen de ce texte en sera la démonstration, c'est dans l'épreuve que la nation française montre sa valeur et sa détermination. L'inversion de tendance budgétaire dont ce texte est porteur pour nos armées était indispensable ; elle n'est pas, en elle-même, suffisante, ni pour le message que la Nation doit adresser aux hommes et aux femmes qui ont décidé de consacrer leurs vies, parfois jusqu'au sacrifice ultime, à sa défense ; ni pour le signal que nous devons adresser à nos alliés, à nos partenaires, à nos adversaires et à nos ennemis.

Ce texte ne vous est pas soumis à l'heure des choix : l'heure des choix est passée. Il reste à les clarifier et à les expliquer. Lorsqu'il a écarté la question de la dissuasion nucléaire du champ de la Revue stratégique, le Président de la République, chef des armées en application de notre Constitution, a symboliquement exprimé que la question n'était pas de savoir si la France devait ou pouvait rester maîtresse de son destin, mais de savoir quels en étaient les moyens les plus efficaces.

La dissuasion nucléaire, qui occupe une place importante dans cette LPM, n'est en effet pas une option militaire parmi d'autres, mais avant tout une affirmation politique. Elle est l'un des quatre piliers de l'indépendance nationale dans sa conception gaullienne, avec l'indépendance alimentaire, l'indépendance énergétique et l'autonomie industrielle. Mais ce choix gaullien s'inscrit dans la perpétuation d'un principe fondateur de la Révolution française, qui a porté l'idée républicaine à travers les épreuves depuis dix générations : vivre libre ou mourir. C'était vrai alors ; cela l'était encore au plateau des Glières ; et cela l'est toujours aujourd'hui.

Le contenu du texte qui vous est soumis n'est que la déclinaison logique de ce cap idéologique, que la France a suivi depuis plus de deux siècles, y revenant invariablement si les secousses de l'histoire l'en faisaient dévier un moment. Les principaux marqueurs de ce texte ne sont que les différentes facettes du même bloc idéologique : l'hommage de la Nation à ses soldats, à leur professionnalisme et à leur valeur, exprimé dans ce texte par l'expression « à hauteur d'homme » ; le modèle complet d'armée, qui suppose le comblement dans les meilleurs délais des trous capacitaires creusés depuis le début de ce siècle ; la capacité à entrer en premier, traduction matérielle de notre autonomie de défense ; l'inversion de la courbe des effectifs ; la volonté de se saisir des nouveaux espaces de conflictualité (cyberespace, exo-atmosphérique) ; le renforcement du renseignement ; la préparation de l'avenir, avec la prise de conscience de la nécessité vitale de capter l'innovation duale et d'accélérer la diffusion de l'innovation dans l'équipement des forces.

Votre commission partage ce cadre idéologique et les objectifs concrets qui en découlent. Elle considère toutefois que la meilleure façon d'apporter sa contribution à cet effort est de jouer pleinement le rôle institutionnel que les commissions parlementaires chargées de la défense jouent depuis que Georges Clemenceau l'avait défini au Sénat pendant la Première Guerre mondiale. Il s'agit d'un dialogue responsable mais exigeant avec l'Exécutif.

A ce titre, votre commission sera particulièrement attentive à la façon dont le Gouvernement entend éviter les écueils qui s'annoncent :

- il s'agit naturellement de la trajectoire budgétaire annoncée, dont la pente en deuxième partie de programmation est très ambitieuse, pour ne pas dire audacieuse, et ce d'autant qu'elle interviendra après plusieurs étapes intermédiaires : le rendez-vous d'actualisation en 2021, en premier lieu ; et le rendez-vous démocratique des élections générales en 2022 ;

- il s'agit en second lieu du cadre de nos alliances et de nos coopérations, sur lequel cette LPM est largement bâtie. Là encore, le succès ou l'échec dépendront de la capacité de la France à faire partager à ses partenaires sa conception de l'effort commun et des objectifs stratégiques poursuivis. Sur ce plan, les questions sont multiples et difficiles : rapport entre l'Europe de la défense et l'OTAN, partenariats industriels équilibrés, vision commune sur le devenir des matériels, notamment dans une perspective d'exportation... Autant de sujets sur lesquels votre commission sera mobilisée tout au long de la période de programmation.

Ce rôle de votre commission dans le contrôle de l'action du Gouvernement se déploie dans une double profondeur : d'une part, le mandat sénatorial étant de six ans et le Sénat se renouvelant par moitié (ce qui permet la transmission dans la durée de la doctrine de votre commission), le contrôle de votre Haute Assemblée s'inscrit dans le temps long, au-delà des remous et des émotions du moment ; d'autre part, votre commission a considéré depuis de longues années que l'importance des questions de défense pour la nation conduisait à dépasser l'approche partisane. Pour cette raison, la majorité et l'opposition sénatoriales élaborent ensemble les rapports de la commission, chaque sujet faisant l'objet d'une approche conjointe. Cette méthode ne nie en rien les divergences politiques qui existent entre la majorité et l'opposition sénatoriales, mais elle permet en revanche d'assoir, à chaque fois que cela est possible, les positions de votre commission sur un large consensus, construit dans la durée.

C'est dans cet esprit que votre commission aborde la discussion du projet de LPM, sans esprit partisan, mais avec la volonté que les promesses d'aujourd'hui deviennent les réalisations de demain, pour renforcer nos armées et préserver l'avenir de la France.


* 1 Rapport d'information du Sénat n° 562 (2016-2017) de MM. Jean-Pierre Raffarin et Daniel Reiner, déposé le 24 mai 2017.

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