E. DES INTERROGATIONS SUBSISTENT SUR L'IMMOBILIER...

1. Sur le montant et l'échelonnement de l'effort

D'importants investissements sont indispensables pour transformer en profondeur l'environnement de vie des soldats. Si ces investissements doivent se traduire rapidement par « des actions visibles, concrètes et adaptées aux situations locales » 44 ( * ) , le « wifi gratuit en garnison » annoncé par la ministre lors de la présentation du plan Familles le 31 octobre 2017, ne saurait constituer une réponse suffisante. Votre commission a pu régulièrement constater, ces dernières années, la vétusté, voire le délabrement de nombreuses installations.

Les investissements à venir doivent permettre de rompre rapidement avec une décennie de dégradation progressive du patrimoine immobilier.

Or « l'infrastructure opérationnelle et l'infrastructure de vie courante sont encore insuffisamment financées. En matière d'entretien, les sommes dévolues par mètre carré de surface de nos emprises demeurent notoirement insuffisantes » 45 ( * ) .

Sur le contenu des investissements, la seule précision apportée par le rapport annexé concerne le plan relatif aux infrastructures des lycées militaires. Votre commission regrette que l'effort important que la LPM prévoit en faveur des infrastructures ne soit pas davantage détaillé .

D'après les informations fournies, l'axe 1 « LPM à hauteur d'homme » est doté de 1 milliard d'euros en moyenne sur la période 2019-2023, soit 5 milliards d'euros sur la durée totale de la programmation. Cet axe 1 se décline en deux volets : 450 millions d'euros en moyenne par an pour l' « amélioration des conditions d'exercice du métier des armes » (construction et entretien des sites d'entraînement) et 550 millions d'euros en moyenne par an, pour « l'amélioration du quotidien du soldat » (maintenance lourde, entretien, hébergement et logement familial, dont le plan Familles).

Votre commission sera particulièrement attentive à l'échelonnement dans le temps de cet effort en faveur de « l'amélioration des conditions d'exercice du métier des armes » et de « l'amélioration du quotidien du soldat », qu'elle estime urgent et prioritaire . Il doit être échelonné de façon équilibrée sur la durée de la programmation. Il ne saurait, en tout état de cause, être excessivement reporté en fin de période .

Il conviendra également d'être attentifs à ce qu'il n'y ait pas de déformation de l'effort en faveur des programmes capacitaires et au détriment des infrastructures de vie des militaires, comme ce fut le cas sous la précédente LPM.

Ce point est sensible, dans la mesure où environ 1,5 milliard d'euros d'opérations d'investissement ont été repoussées au-delà de la période couverte par programmation (voir encadré).

Des investissements reportés après 2025

Au total, ce sont de l'ordre d'1,5 milliard d'euros d'opérations d'investissement qui ont été repoussées au-delà de la période couverte par programmation.

Ces investissements concernent :

- pour environ 500 millions d'euros des opérations incluses dans le périmètre des grands programmes d'infrastructure, notamment SCORPION, RAFALE, MRTT, les appontements Milhaud, Barracuda-ISBN et la rénovation électrique des ensembles portuaires ;

- pour environ 500 millions d'euros, des opérations d'adaptation capacitaires de l'armée de terre (dont 280 millions d'euros pour le soutien des équipements, 70 millions d'euros pour l'hébergement des engagés volontaires de l'armée de terre -EVAT- et 150 millions d'euros pour les besoins de formation, d'instruction, de commandement et soutien technique) ;

- 300 millions d'euros pour la remise à niveau des aires aéronautiques et des escales de l'armée de l'air, notamment celles d'Evreux, de Bordeaux, de Luxueil, de Nancy, de Mont de Marsan et de Villacoublay ;

- 250 millions d'euros, enfin, pour des réhabilitations au profit de la Marine, dont 60 millions d'euros pour les sémaphores, 80 millions d'euros pour la réorganisation des flottilles, 40 millions d'euros pour des investissements à la pyrotechnie de Toulon et 20 millions d'euros pour la protection du plan d'eau de Lorient.

Par ailleurs, certains besoins sont susceptibles de se déclarer en cours de programmation . Le risque financier associé à ces besoins est aujourd'hui évalué à environ 700 millions d'euros, dont 450 millions d'euros pour des investissements de sécurité-protection informatique et 100 millions d'euros pour le projet immobilier qui pourrait accueillir les effectifs et les installations dédiés au renforcement des capacités de cyber défense.

L'effort consacré à la maintenance permettra une diminution de la proportion du patrimoine à risque « très élevé », qui devrait passer de 3 % en début de programmation à 0,2 % en fin de programmation. Cependant, cet effort ne permettra pas de remettre à niveau l'ensemble du patrimoine . Ainsi, la part du patrimoine à risque élevé devrait presque doubler , passant de 35% en début de période à près de 60 % en fin de période.

2. Sur sa soutenabilité

L'évolution prévue des effectifs totaux sur la période 2019-2025 ne permettra pas de renforcement des services de soutien . Pour faire passer l'effort d'investissement de 1,3 milliard d'euros à 2 milliards d'euros, sans augmenter les effectifs des soutiens, le ministère compte sur une professionnalisation accrue des services et sur un recours plus fréquent à l'externalisation. Les services devront donc affronter simultanément des mesures de réorganisation et la montée en puissance du plan de charge immobilier, ce qui constituera pour eux un important défi.

L'augmentation de l'efficience des services de soutien est souhaitable, mais il convient de tenir compte de l'important effort de réduction des effectifs déjà consenti au cours de la dernière décennie par la fonction « infrastructure ». Si le développement de l'externalisation peut apporter des réponses, il est essentiel de conserver une compétence « infrastructure » suffisante en interne, afin de préserver un savoir-faire spécifique difficilement remplaçable et d'assurer la soutenabilité de l'effort prévu par la LPM.

3. Un patrimoine immobilier qui ne doit pas être bradé

a) Une LPM qui ne repose enfin plus sur des recettes exceptionnelles de cessions

Au cours de la précédente LPM, les armées ont été redéployées sur le territoire, au travers de décisions de restructurations qui ont induit des créations, densifications, dissolutions et réorganisations. Au 31 décembre 2017, le parc immobilier des armées représente une surface de 273 000 hectares au total. Cette surface s'est réduite de 17 % entre 2008 et 2013. Au cours de la LPM 2014-2018, le patrimoine immobilier du ministère des armées s'est stabilisé (-0,5 %).

La réorganisation des états-majors et leur transfert sur le site de Balard peuvent, en particulier, être considérés comme un succès, du fait des synergies ainsi permises.

Par souci de « sincérisation » des ressources et afin de sécuriser la trajectoire financière, le présent projet de LPM repose intégralement sur des crédits budgétaires, à l'exclusion de toute recette exceptionnelle. Il était en effet opportun que cette LPM ne repose pas sur des recettes exceptionnelles.

Cette LPM assure, en outre :

- la reconduction du régime particulier de cession des immeubles du ministère des armées, sans qu'ils aient été déclarés inutiles à l'Etat ;

- un taux de retour au ministère de l'intégralité des produits : « Hors périmètre de la loi de programmation militaire, le budget des armées bénéficiera d'un taux de retour de l'intégralité du produit des cessions immobilières du ministère » (paragraphe 465 du rapport annexé) et « Sur le plan financier, les produits de cessions immobilières et de redevances d'occupation du domaine réalisés pendant la période 2019-2025 seront affectés en priorité au profit des infrastructures de défense. Le ministère des armées pourra enfin recevoir une indemnisation lors du transfert des immeubles inutiles à ses besoins vers d'autres départements ministériels » (paragraphe 212).

b) Garantir le retour au ministère des armées des futurs produits immobiliers

Les produits de cessions immobilières attendus sur la période 2019-2025 sont importants, même s'ils sont bien inférieurs aux recettes générées par dix ans de restructurations (soit 1,4 milliard d'euros de recettes exceptionnelles sur la période 2008-2017). Ces produits sont évalués pour 2019-2025 à environ 500 millions d'euros. Ils proviendront principalement des cessions des sites parisiens du Val de Grâce et de l'îlot Saint-Germain.

Votre commission souhaite sécuriser le retour à la défense de ces futurs produits de cession .

Le mécanisme qui permet un taux de retour des produits de cession de 100 % arrive à terme le 31 décembre 2019. Il convient d'inscrire clairement ce principe pour l'avenir dans la loi elle-même , plutôt que dans le rapport annexé. Il conviendrait que ce retour puisse également être assuré pour les redevances générées par la mise à disposition de terrains ou d'emprises militaires à des tiers exploitants d'activités rémunératrices, comme par exemple des producteurs d'énergies renouvelables.

Par ailleurs, la loi du 18 janvier 2013, dite loi « Duflot » 46 ( * ) a introduit la possibilité d'appliquer une décote pouvant aller jusqu'à 100 % de la valeur vénale du prix des terrains cédés par l'État et ses établissements publics sur leur domaine privé, quand ils sont affectés à la construction de logements dont une partie au moins est constituée de logements locatifs sociaux. Cette loi prévoit également, au profit de l'administration qui subit cette décote, une possibilité de réservation, à titre gratuit, d'une partie de ces logements sociaux.

Pour le ministère des armées, les montants de décote ont représenté un manque à gagner de 24,3 millions d'euros entre 2014 et 2016. Ce dispositif devrait, par ailleurs, être appliqué lors de la cession de la partie centrale de l'îlot Saint-Germain à Paris, entraînant une perte de recettes considérable, de l'ordre de 50 millions d'euros. En contrepartie, 50 logements, sur un total de 250, seront réservés au personnel militaire.

À l'initiative du Sénat et pour préserver les ressources de la défense, la loi n°2015-917 du 28 juillet 2015 portant actualisation de la LPM sur 2015-2019 précisait : « jusqu'au 31 décembre 2019, lorsqu'il s'agit de terrains occupés par le ministère de la défense, le taux de la décote consentie en application [de la loi du 18 janvier 2013] ne peut excéder 30 % de leur valeur vénale ».

Cette disposition, qui figurait au II bis de l'article L. 3211-7 du code de la propriété des personnes publiques, a été abrogée, à l'initiative de l'Assemblée nationale, par l'article 55 de la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016. Votre commission souhaite vivement la réintroduire .

Enfin, il est heureux qu'en contribuant à la réalisation de logements sociaux à l'intérieur de Paris, la défense ait, à tout le moins, obtenu la réservation d'une partie de ces logements pour le personnel militaire.

Toutefois, étant donné la pénurie de logements en Ile-de-France, et les temps de trajet pour les personnels habitant à l'extérieur de Paris, votre commission estime que ce droit de réservation est très insuffisant .

Elle s'interroge, plus fondamentalement, sur la cession du bâtiment de l'ancien hôpital du Val-de-Grâce, qui lui paraît inopportune . Étant donné le contexte sécuritaire actuel, la défense peut-elle se passer de toute emprise d'envergure à l'intérieur de Paris, et ne loger les militaires qu'en périphérie, ce qui leur impose de longs trajets qui affaiblissent, en définitive, le dispositif ?


* 44 Audition du général Jean-Pierre Bosser, chef d'état-major de l'armée de terre, par votre commission le 4 avril 2018.

* 45 Même audition.

* 46 Loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social.

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