N° 51

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 octobre 2018

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs ,

Par Mme Catherine TROENDLÉ,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François Pillet, Jean-Pierre Sueur, François-Noël Buffet, Jacques Bigot, Mmes Catherine Di Folco, Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, MM. Loïc Hervé, André Reichardt , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Vincent Segouin, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Sénat :

575 (2017-2018) et 52 (2018-2019)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 17 octobre 2018, sous la présidence de M. Philippe Bas, président, puis de M. François Pillet, vice-président , la commission des lois a examiné le rapport de Mme Catherine Troendlé et établi son texte sur la proposition de loi n° 575 (2017-2018) , visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs , présentée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues.

Depuis quelques années, un grand nombre de manifestations sur la voie publique sont émaillées de violences et dégradations d'une particulière gravité, comme en ont récemment témoigné les importants dégâts commis par les Black Blocs lors des manifestations du 1 er mai 2018 à Paris.

La proposition de loi comporte un double volet, préventif et répressif, que la commission des lois a approuvés et sécurisés, par l'adoption de 10 amendements de son rapporteur , afin de prévenir efficacement les atteintes à l'ordre public dans le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis.

Au titre du volet préventif , les préfets pourraient faire contrôler les effets personnels des passants (contrôles visuels et fouilles de sacs, palpations de sécurité) dans le périmètre et aux abords immédiats d'une manifestation ( article 1 er ). Ils pourraient aussi prononcer, à l'encontre des individus susceptibles de représenter une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public, des interdictions personnelles de manifester, assorties le cas échéant d'une obligation de pointage dans un commissariat ou une gendarmerie ( article 2 ). Serait également prévue la création d'un fichier national des personnes interdites de prendre part à des manifestations ( article 3 ).

Au titre du volet répressif , l'infraction de dissimulation volontaire du visage dans une manifestation, dans des circonstances faisant craindre des troubles à l'ordre public, actuellement punie d'une contravention de la 5 e classe, serait transformée en un délit puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ( article 4 ). L'infraction de participation à une manifestation ou à une réunion publique en étant porteur d'une arme serait étendue afin de viser aussi les abords immédiats de la manifestation et de sanctionner la tentative de ces délits ( article 5 ). Le champ de la peine complémentaire d'interdiction de manifester serait par ailleurs étendu ( article 6 ).

Dans sa rédaction initiale, la proposition de loi prévoyait en outre d'instaurer une présomption de responsabilité civile collective en matière de dommages causés à l'occasion d'une manifestation sur la voie publique. La commission des lois a préféré maintenir le régime de responsabilité sans faute de l'État tout en offrant la possibilité pour celui-ci d'exercer une action récursoire contre les personnes condamnées pour les violences ou dégradations à l'origine de ces dommages ( article 7 ).

La commission des lois a adopté la proposition de loi ainsi modifiée .

Mesdames, Messieurs,

Depuis quelques années, nombre de manifestations sur la voie publique sont émaillées de phénomènes de violence inédits, comme en ont récemment témoigné les multiples dégâts et dégradations attribués aux « Black blocs » lors des manifestations du 1 er mai 2018, à Paris.

Perpétrés par de petits groupes d'individus organisés et équipés appartenant à la mouvance contestataire radicale, qui se mêlent aux cortèges pacifiques, ces actes de violence et de dégradations ont des conséquences matérielles lourdes pour notre société tout autant qu'ils nuisent au libre exercice du droit de manifester sur notre territoire.

C'est également la sécurité de nos forces de sécurité intérieure, au premier rang desquelles nos forces mobiles, qui, à chaque rassemblement violent, est menacée.

La proposition de loi n° 575 (2017-2018) visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs , présentée par le président Bruno Retailleau et plusieurs de nos collègues du groupe Les Républicains, a pour objet de renforcer notre arsenal juridique afin de mieux prévenir ces phénomènes de violence dans les manifestations.

Composée de sept articles, la proposition de loi comporte deux volets : un volet préventif, d'une part, qui vise à prévenir, le plus en amont possible, la participation de ces individus violents aux manifestations et confère, à cette fin, de nouveaux pouvoirs à l'autorité administrative ; un volet répressif, d'autre part, qui tend à sanctionner plus sévèrement les individus ayant commis des actes de violence ou de dégradations lors de manifestations.

Consciente de la nécessité de doter les pouvoirs publics d'un arsenal adapté pour faire face à cette radicalisation des mouvances contestataires, votre commission s'est attachée, lors de l'examen de ce texte, à rechercher un équilibre entre les impératifs de sauvegarde de l'ordre public et de protection des droits et des libertés constitutionnellement garantis.

I. UN CADRE JURIDIQUE PROGRESSIVEMENT RENFORCÉ, MAIS QUI PEINE À RÉPONDRE À L'ACCROISSEMENT DES VIOLENCES DANS LES MANIFESTATIONS

La radicalisation de l'action des groupes et mouvances contestataires lors des manifestations conduit à s'interroger aujourd'hui sur l'efficacité de l'arsenal juridique de maintien de l'ordre dont s'est doté notre pays au cours des dernières années.

A. L'ÉMERGENCE DES « BLACK BLOCS » : UN OBSTACLE À L'EXERCICE DE LA LIBERTÉ DE MANIFESTER, UN DÉFI POUR LES POUVOIRS PUBLICS

Si les débordements et les actes de violence dans le cadre des manifestations ne sont pas récents, les pouvoirs publics sont confrontés, depuis quelques années, à l'émergence d'un phénomène social nouveau, communément désigné par l'expression « Black blocs », qui, par son ampleur et son niveau de violence, fait obstacle à l'exercice de la liberté de manifester et remet en question la conception traditionnelle de l'ordre public.

Apparus pour la première fois en France au début des années 2000 en marge des manifestations altermondialistes, les « Black blocs » sont des groupes éphémères, qui se forment et se dissolvent à l'occasion de chaque manifestation, avec pour seul objectif de se fondre aux cortèges pacifiques de manifestants en vue de commettre des dégradations et des actes de violence .

Regroupant des individus proches des mouvements anticapitalistes, antifascistes radicaux et altermondialistes, les « Black blocs » entendent, par leur action violente, faire passer des messages politiques qui tiennent, pour la plupart, à la haine de l'État et de toute forme d'autorité, au rejet de la mondialisation, du capitalisme et de la société de consommation. Leurs actions offensives ciblent donc, en premier lieu, les bâtiments institutionnels, le mobilier urbain, les bâtiments commerciaux et les équipements publicitaires. Les forces de l'ordre sont également, dans une moindre mesure, prises à partie et visées en ce qu'elles incarnent l'autorité de l'État.

N'intervenant pendant longtemps que de manière sporadique, les « Black blocs » ont connu récemment, sous l'effet combiné de trois facteurs, une montée en puissance qui place les pouvoirs publics face à un défi de taille en termes de maintien de l'ordre :

- leur présence s'est, tout d'abord, systématisée au cours des grandes manifestations nationales, comme en ont par exemple témoigné les manifestations organisées à Rennes en mai 2016 contre la « loi travail » ainsi que les manifestations des 1 ers mai 2017 et 2018 à Paris ;

- par ailleurs, le nombre de personnes participant ou se greffant à ces « Black blocs » a considérablement augmenté , principalement en raison d'une large communication sur les réseaux sociaux. Au cours de la seule manifestation parisienne du 1 er mai 2018, ce sont 1 200 « Black blocs » qui ont ainsi été dénombrés au sein et en marge des cortèges officiels à Paris, et près de 300 individus interpellés par les forces de l'ordre ;

- enfin, leur action paraît à la fois s'être radicalisée et perfectionnée sur le plan organisationnel , leur assurant une plus grande réactivité et une plus grande facilité à échapper aux forces de l'ordre.

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