C. UN EXAMEN MÉTHODIQUE DU « STOCK » DES SUR-TRANSPOSITIONS PÉNALISANTES POUR L'ÉCONOMIE

L'examen du « stock » des écarts de transposition existants, dont les effets se sont cumulés au fil des ans, est une priorité. Le rapport d'information du Sénat sur les sur-transpositions préjudiciables aux entreprises présenté en juin 2018 par le président Danesi met ainsi l'accent sur la nécessité d'identifier celles-ci, avec l'aide des opérateurs économiques, et de supprimer les sur-transpositions injustifiées, dont il donne un certain nombre d'illustrations qui montrent combien leur maintien est pénalisant pour la compétitivité des entreprises françaises.

1. Un exercice de recensement et d'analyse

En décembre 2017, le Premier ministre a chargé les inspections générales des finances, de l'administration et des affaires sociales ainsi que les conseils généraux de l'environnement et du développement durable, de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies, de l'agriculture, de l'alimentation et des espaces ruraux d'identifier les sur-transpositions effectuées en droit national qui peuvent s'avérer « pénalisantes pour la compétitivité des entreprises, l'emploi, le pouvoir d'achat ou l'efficacité des services publics ». Ce rapport inter-inspections lui a été remis en avril 2018. Il n'a pas été publié mais les rapporteurs de la commission spéciale en ont eu communication, à leur demande.

Lors de son audition par la commission spéciale 15 ( * ) , la ministre chargée des affaires européennes a précisé que ce rapport, à partir duquel le Gouvernement a sélectionné les mesures de suppression de sur-transpositions législatives figurant dans le projet de loi, servirait de base de départ à l'élaboration du rapport « relatif à l'adoption et au maintien, dans le droit positif, de mesures législatives ou réglementaires allant au-delà des exigences minimales du droit de l'Union européenne », dont le Gouvernement a annoncé la publication avant le 1er juin 2019 lors de la discussion du projet de loi pour un État au service d'une société de confiance dit « Essoc » 16 ( * ) . Ce rapport analysera en particulier l'opportunité de modifier ou de supprimer les sur-transpositions législatives ou règlementaire ainsi identifiées.

Le travail de recensement et d'analyse des écarts de transposition conduit par la mission inter-inspections a permis d'identifier 137 directives entrées en vigueur avant le 31 décembre 2017 et ayant fait l'objet d'au moins un écart de transposition, législatif ou règlementaire, soit plus de 220 sur-transpositions qui portent parfois sur plus de dix dispositions, dont 132 sont de nature législative .

MÉTHODOLOGIE DE L'INVENTAIRE DES SUR-TRANSPOSITIONS
DE DIRECTIVES EUROPÉENNES DRESSÉ PAR LA MISSION INTER-INSPECTIONS

La notion de sur-transposition a été envisagée de manière large comme comprenant les contraintes ajoutées à ce qui résulte strictement de la directive, l'extension de son champ d'application, l'introduction d'obligations plus étendues ou plus contraignantes que celles prévues par la directive et la non exploitation de facultés dérogatoires autorisées par la directive.

Dans un premier temps, la mission s'est tournée vers quelques 200 fédérations professionnelles, des syndicats, des associations, des représentants des collectivités territoriales, des autorités de régulation et des services administratifs, pour identifier les écarts de transposition en lien avec le Marché intérieur. Elle a invité les intéressés à s'exprimer sur le sujet en s'efforçant d'identifier les préoccupations des différents intervenants.

Elle a ensuite sollicité l'avis des administrations centrales des ministères concernés et de certaines autorités de régulation sur les analyses des professionnels et des associations. Ainsi que l'a indiqué la Ministre lors de son audition par la Commission « la mission s'est efforcée d'instaurer une débat contradictoire à distance entre professionnels, justiciables de la réglementation et services administratifs responsables de son élaboration et de son application ». Elle a estimé que, ce faisant, « de façon générale, la mission a entendu toutes les parties qui demandaient à l'être ».

Dans une seconde phase, la mission s'est efforcée de caractériser le caractère pénalisant des écarts de transposition au regard des priorités fixées par la lettre de mission du Premier ministre : emploi, pouvoir d'achat, compétitivité, efficacité des services publics. L'hypothèse a été faite que lorsque ces professionnels ou ces collectivités n'attiraient pas spontanément l'attention sur une directive de leur secteur, la sur-transposition bénéficiait d'une présomption d'absence d'écart de transposition pénalisant.

Le rapport ne porte pas de jugements de valeur ou d'opportunité sur les écarts pénalisants recensés. Il ne comporte pas non plus d'éléments de droit comparé permettant de connaître les choix de transposition opérés par d'autres États membres. Conformément à la circulaire du 26 juillet 2017, il met à la disposition des administrations concernées un inventaire par grands secteurs d'activité sous forme de tableaux de recensement assortis des éléments d'information recueillis auprès des parties et services consultés.

2. L'identification de secteurs particulièrement pénalisés

Le rapport met en évidence des écarts de transposition particulièrement pénalisants, notamment dans le domaine économique et financier, qu'il s'agisse du droit des sociétés (les seuils d'application des obligations d'informations comptables, financières et extra-financières) ou des services financiers (publicité et informations précontractuelles et contractuelles en matière de crédit à la consommation ou immobilier ou encore d'assurance non-vie), des marchés publics et des concessions de services publics, du droit de l'environnement (traitement des déchets et évaluation environnementale systématique) 17 ( * ) . Il relève également des sur-transpositions dans le champ social, qui alourdissent les coûts de production pour les entreprises (en particulier certaines valeurs limites d'exposition professionnelle réglementaires). Dans le secteur agricole, les écarts de transposition apparaissent concentrés sur les produits phytosanitaires et les médicaments vétérinaires.

Plusieurs de ces sur-transpositions avaient été signalées dans le cadre de la consultation des entreprises organisée par la commission des affaires européennes et la délégation sénatoriale aux entreprises.

Les justifications avancées par les administrations consultées n'ont pas fait l'objet d'un examen détaillé. Il apparaît toutefois qu'elles s'inscrivent souvent dans des objectifs d'intérêt général : protection de l'environnement, préservation de la santé publique, qu'il s'agisse de celle du consommateur ou du salarié, ou encore lutte contre la fraude.

3. Des sur-transpositions résultant souvent d'ordonnances non ratifiées ou ratifiées par voie d'amendement

Dans plusieurs cas, les sur-transpositions identifiées résultent d'ordonnances ratifiées sans véritable examen par le Parlement, à l'occasion d'un article voire d'un amendement figurant dans un projet dont l'objet était beaucoup plus large. Certaines ordonnances, pourtant promulguées depuis plusieurs années, n'ont toujours pas été soumises à ratification à ce jour.

On peut citer à cet égard l'article L. 533-22-2 du code monétaire et financier, que l'article 9 du projet de loi propose de revoir. Il résulte de l'article 18 de l'ordonnance n° 2013-676 du 25 juillet 2013 modifiant le cadre juridique de la gestion d'actifs 18 ( * ) , qui transposait la directive 2011/61/UE portant sur les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs. Il a été modifié par l'article 5 de l'ordonnance n° 2016-312 du 17 mars 2016 modifiant le cadre juridique de la gestion pour harmoniser le régime applicable aux fonds d'investissements alternatifs (FIA) et aux organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) avec la directive 2014/91/UE. À ce jour, cette dernière ordonnance n'a pas été ratifiée par le Parlement 19 ( * ) .

Le Parlement lui-même est à l'origine de certaines sur-transpositions . C'est ainsi que la soumission des syndics de copropriété aux obligations en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, définies par des directives de 2005 et 2006, qu'il est proposé de supprimer à l'article 7, a été introduite par l'Assemblée nationale. Quant à l'obligation de consultation de l'assemblée générale des actionnaires sur l'enveloppe globale des rémunérations versées aux preneurs de risques des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, que l'article 8 propose de supprimer, elle a été introduite par le Sénat en 2013, lors de l'examen de loi de séparation et de régulation des activités bancaires adoptée en anticipation des évolutions du droit de l'Union européennes.

Dans un sens contraire, on peut toutefois relever que le Sénat a souhaité s'opposer à certaines sur-transpositions . Tel fut notamment le cas de l'obligation de mise en conformité avec la norme IPv6 que l'article 13 du présent projet de loi propose de supprimer.


* 15 Le compte rendu de l'audition est annexé au présent rapport.

* 16 Introduit sur proposition du Gouvernement, l'article 69 de la loi n°2018-727 du 10 août 2018 prévoit que ce rapport « met à même toute organisation professionnelle d'employeurs ou toute organisation syndicale de salariés, représentatives au niveau interprofessionnel ou au niveau de la branche concernée, ou toute organisation représentant les entreprises du secteur concerné de lui adresser, pour la préparation de ce rapport, ses observations. Ce rapport étudie les différentes formes de sur-transposition pratiquées, leurs causes, leurs effets ainsi que leurs justifications. Il identifie les adaptations de notre droit nécessaires pour remédier aux sur-transpositions inutiles et injustifiées. »

* 17 Nombre de ces sur-transpositions avaient été signalées dans le cadre de la consultation des entreprises organisée par la commission des affaires européennes et la délégation sénatoriale aux affaires européennes.

* 18 Ordonnance prise sur la base de l'habilitation votée à l'article 18 de la loi n° 2012-1559 du 31 décembre 2012 relative à la création de la Banque publique d'investissement, ratifiée par l'article 25 de la loi n°2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises.

* 19 Ordonnance prise sur la base de l'habilitation figurant à l'article 29 de la loi n° 2014-1662 du 30 décembre 2014 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière.

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