II. LE PROJET DE LOI : LA SUPPRESSION DE CERTAINES DES SUR-TRANSPOSITIONS IDENTIFIÉES

La circulaire du 26 juillet 2017 prévoit que toutes les sur-transpositions identifiées qui n'auront pas pu être justifiées « feront l'objet d'un réalignement sur le niveau de contrainte exigé par l'Union européenne ». Le projet de loi s'inscrit en principe dans cette logique qui a d'ores et déjà conduit le Gouvernement à proposer des mesures sectorielles dans d'autres projets de loi.

A. DES MESURES SECTORIELLES DE SUPPRESSION DE SUR-TRANSPOSITIONS DANS LA LOI « ESSOC » ET LE PROJET DE LOI « PACTE »

Dans le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance, le Gouvernement a proposé qu'il soit renvoyé à des ordonnances pour corriger des situations de sur-transposition , notamment en matière d'application du taux effectif global (TEG), pour dispenser les TPE de l'obligation d'établir un rapport de gestion et revoir la responsabilité des agences de notation de crédit. Il a également souhaité alléger les modalités de consultation du public en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement, conformément à la directive 2010/75/UE.

La direction générale du Trésor a organisé en 2017 une consultation publique sur la sur-transposition dans le domaine financier . Clôturée fin novembre 2017, celle-ci a permis de faire remonter 209 mesures législatives ou réglementaires. Après étude, le Gouvernement propose de supprimer ou d'alléger certaines de ces dispositions de nature législative 20 ( * ) dans le plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (dit « Pacte »), dont une commission spéciale du Sénat vient d'engager l'examen après son adoption par l'Assemblée nationale.

B. UN PROJET DE LOI DE SUPPRESSION DE SUR-TRANSPOSITIONS PEU AMBITIEUX

Après consultation des comités et autorités publiques compétents de plein droit, de quelques instances spécialisées 21 ( * ) et du Conseil national d'évaluation des normes, le Gouvernement a sélectionné un ensemble de dispositions législatives qui, précise l'exposé des motifs du projet de loi, « ne correspondent à aucune priorité nationale identifiée et qui pèsent, de façon injustifiée, sur la compétitivité et l'attractivité de la France en Europe ».

La ministre des affaires européennes a précisé à cet égard, lors de son audition par la commission spéciale, que le projet de loi entendait « principalement combattre les sur-transpositions ayant un impact sur les entreprises et les citoyens dans un objectif de simplification normative et administrative. En revanche, les sur-transpositions protectrices de citoyens ont été maintenues ».

1. Une sélection limitée par le souci de promouvoir les priorités nationales et les négociations européennes en cours

Lors de son audition par la commission spéciale 22 ( * ) , la ministre chargée des affaires européennes a estimé qu'il ne fallait « pas renoncer une fois pour toutes à la faculté de marges de manoeuvre permettant de promouvoir des objectifs nationaux clairement définis ».

Elle a évoqué cet égard les priorités nationales en matière de santé ou de protection sociale qui justifient les règles applicables au paquet neutre de cigarettes et au recyclage des déchets, la programmation de la fin de la recherche et de l'exploitation des hydrocarbures, la conservation de la durée du congé de maternité (16 semaines en France contre 14 semaines au niveau européen) et le maintien d'un délai de rétraction en matière de crédit à la consommation.

La ministre a également signalé que certaines des obligations de droit national plus contraignantes que celles que prévoit le droit européen étaient en discussion au niveau européen, motif pour lequel il n'était pas proposé de les modifier. Tel est notamment le cas de l'objectif contraignant pour la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique fixé en l'état à 32 % par la France et à 27 % par l'Union européenne.

Comme la présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises, notre collègue Élisabeth Lamure, l'a rappelé à la ministre chargée des affaires européennes lors de son audition par la commission spéciale, les priorités nationales ne sauraient toutefois justifier le maintien de règles nationales plus exigeantes dès lors que des biens équivalents, produits dans l'Union européenne et non soumis aux contraintes de production qui pèsent sur les producteurs français, sont librement commercialisables en France.

2. Des secteurs non traités

Les dispositions modifiées sont regroupées sous quatre chapitres concernant neuf domaines : la publicité en matière de crédit, le droit des sociétés, le droit financier, la commande publique et les communications électroniques (chapitre I - Économie et finances), l'environnement, l'eau, et les transports ferroviaires de proximité (chapitre II - Développement durable), la cession des antibiotiques vétérinaires (chapitre III - Agriculture), enfin les archives publiques, les actions en restitutions de biens culturels et les organismes de gestion des droits afférents aux retransmissions d'émissions par câbles (chapitre IV - Culture).

De manière générale, on relèvera tout d'abord que certains secteurs, dans lesquels des écarts de transposition préjudiciables ont pourtant été identifiés, sont laissés de côté par le projet de loi et ne sont pas non plus abordés dans des projets de loi sectoriels comme Pacte. Il en est ainsi, par exemple, en matière bancaire ou d'assurances (le format de l'information précontractuelle en matière d'assurance non-vie), de droit du travail (la définition du travail de nuit) ou encore de fiscalité énergétique.

Lors de son audition, la ministre a toutefois précisé que certaines sur-transpositions identifiées seraient revues dans le cadre de la transposition de nouvelles directives comme la directive « déchets » ou dans la suite des travaux des états généraux de l'alimentation pour ce qui est des conditions d'utilisation des produits phytosanitaires. Quant à la fiscalité énergétique, elle a indiqué que le sujet ferait l'objet d'une refonte complète.

3. Des réductions partielles d'écarts de transposition

Une simple comparaison entre les écarts relevés dans les tableaux établis par le rapport inter-inspections ou signalés par les entreprises dans le cadre de la consultation organisée par la commission des affaires européennes et la délégation sénatoriale aux entreprises, permet de constater que seuls quelques écarts de transposition sont retenus dans des secteurs pourtant abordés par le projet de loi.

Ainsi en est-il par exemple du format de l'information précontractuelle en la matière de crédit à la consommation qui n'est que partiellement alignée sur les normes européennes (art. 1 er ).

4. Des suppressions de sur-transpositions effectives

Le projet de loi propose de supprimer plusieurs catégories de sur-transpositions identifiées.

• La suppression d'obligations n'entrant pas dans le périmètre de certaines directives

De manière générale, le projet de loi propose de supprimer certaines obligations. C'est ainsi qu'il allège quelques-unes des exigences en matière de formalisme des publicités relatives au crédit à la consommation, s'agissant d'informations qui figurent à la fois dans les publicités, la documentation précontractuelle et les offres de prêts (art. 1 er ). Il supprime au même article (art. 1 er ) l'interdiction de mentionner la possibilité de remboursement différé. Ces exigences et cette interdiction ne figurent en effet pas dans la directive de 2008 sur le crédit à la consommation.

De même, le projet de loi supprime certaines mentions légales dans les publicités sur les crédits immobiliers, aujourd'hui prévues par le code de la consommation, alors qu'elles ne sont pas rendues obligatoires par la directive de 2014 sur le crédit immobilier (art. 2).

Il est également proposé de supprimer des formalités en matière de droit des sociétés prévues par la directive de 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés qui ont été étendues à des formes sociales alors qu'elles n'entrent pas dans le champ d'application de la directive (art. 3), ou encore l'obligation de publicité des actions en restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire national, obligation que n'impose pas la directive de 1993 (art. 26).

Sont également supprimées des obligations que la directive écarte explicitement comme celle de procéder par voie d'appels d'offres en matière de représentation légale en justice ou de prestations de conseil juridique associées à un probable contentieux (art. 11). Il en est de même pour les cas d'exemption de licence d'entreprise ferroviaire pour les entreprises qui exploitent uniquement certains services, exemptions prévues par la directive de 2012 établissant un espace ferroviaire unique mais que la France n'avait pas transposées (art. 21).

Conformément à la directive de 2008 relative aux déchets, le projet de loi exclue les sous-produits animaux et les produits dérivés ainsi que les explosifs déclassés de la réglementation relative aux déchets résultant de la transposition de la directive de 2008.

Enfin, le projet de loi propose la suppression de plusieurs formalités préalables maintenues en droit français lors de la transposition de la directive, en particulier la déclaration préalable de profession pour les petits utilisateurs finaux d'alcool dénaturé (art. 10), la notification à l'ARCEP par les opérateurs de télécommunications électroniques (art. 12), la déclaration de cession de médicaments vétérinaires contenant des substances antibiotiques (art. 24) et l'agrément des organismes de gestion collective des droits des câblodistributeurs (art. 27).

Au-delà, l'article 13 supprime une obligation, introduite à l'occasion de la transposition de la directive sur les équipements radioélectriques, de mise en conformité avec la norme IPV6 que n'impose pas cette dernière. Il pourrait même être considéré que cette disposition est contraire à la directive.

On relèvera par ailleurs que quelques-unes des modifications proposées ne constituent pas stricto sensu des suppressions de sur-transpositions. Ainsi l'adjonction, à l'article 16, de la prise en compte des dégâts causés par certains oiseaux migrateurs pour étendre, en tant que de besoin, la période de chasse, disposition qui n'a d'ailleurs pas été identifiée comme telle dans le rapport inter-inspections et sur la pertinence de laquelle votre rapporteure s'est interrogée.

• La transposition d'exemptions prévues par une directive et l'exploitation de dérogations qu'elle autorise

Quelques-unes des dispositions proposées introduisent dans le droit national des cas d'exemption prévus par la directive mais qui avaient été omis lors la transposition. Il en est par exemple ainsi pour certains cas d'exemption de la licence d'entreprise ferroviaire (art. 21).

D'autres dispositions exploitent des facultés de dérogation ouvertes par une directive. Ainsi l'article 4, qui met en oeuvre une dérogation optionnelle à l'obligation de soumettre une fusion par absorption à l'approbation de l'assemble générale de la société absorbante ouverte par la directive de 2017, ou l'article 5, qui introduit la catégorie des « moyennes entreprises » dans le code de commerce et allège pour celles-ci les obligations en matière d'information comptable et financière (établissement et publicité des comptes), en application d'une option ouverte par la directive comptable de 2013. Cette modification permettra aux entreprises françaises de bénéficier d'un allégement qui s'applique en particulier d'ores et déjà en Allemagne.

• La suppression d'extensions du champ d'application de la directive

La sur-transposition peut également consister en une extension du champ d'application d'une directive. Le projet de loi propose dans plusieurs de ses dispositions que le droit français se conforme au périmètre défini par le texte européen.

Tel est le cas de l'encadrement des rémunérations de certains salariés à risques (art. 9) dont le champ d'application est mis en conformité avec la directive de 2011 modifiée en 2014.

La suppression de l'obligation de séparation comptable des activités de gestion d'infrastructures et d'exploitation pour les services de transports ferroviaires locaux (art. 20) ou de la soumission des syndics aux obligations en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme à des acteurs (art. 7) s'inscrit dans la même logique.

Tel est également l'objet de la suppression de la mention de l'espace aérien surjacent en matière de définition des eaux marines qui ne figure pas dans la directive de 2014 établissant un cadre pour la planification de l'espace maritime (art. 18).

Dans la même logique, le projet de loi propose de revoir la qualification de trésor national appliquée à l'ensemble des archives publiques, périmètre que le Conseil d'État avait considéré comme déraisonnable dans son avis sur le projet de loi de transposition la directive de 2014, attirant au surplus l'attention sur le risque d'affaiblissement de la sécurité juridique des actions en restitution que la France déciderait d'engager en la matière.

5. La perspective annoncée d'un examen des dispositions de sur-transposition de nature réglementaire

Nombre de sur-transpositions relèvent du domaine réglementaire, comme les valeurs limites d'exposition à certaines poussières pour lesquelles le niveau d'exigence français est parfois très supérieur aux normes européennes et à ceux retenus dans les États voisins.

Le rapport d'information présenté par notre collègue René Danesi en a identifié un certain nombre qu'une proposition de résolution qu'il a déposée conjointement avec le président de la commission des affaires européennes et la présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises, invite le Gouvernement à corriger 23 ( * ) .

Lors de son audition, la ministre a annoncé que le Gouvernement allait lancer un exercice d'évaluation des sur-transpositions de nature réglementaire identifiées par le rapport inter-inspections, exercice dont le Parlement sera tenu informé.


* 20 Par exemple, les seuils d'application de la certification des comptes des entreprises qu'il propose de relever, comme en Allemagne, au niveau du planché fixé par la directive comptable.

* 21 Un tableau synoptique des consultations figure dans l'étude d'impact annexée au projet de loi, p. 43-44.

* 22 Le compte rendu de l'audition est annexé au présent rapport.

* 23 Proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à revenir sur les surtranspositions réglementaires pesant sur la compétitivité des entreprises françaises , texte n° 88 (2018-2019) de M. René DANESI, Mme Élisabeth LAMURE, M. Jean BIZET et plusieurs de leurs collègues, déposé au Sénat le 29 octobre 2018 et disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppr18-088.html.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page