III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : REJETER LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE

Au terme d'un débat approfondi, votre commission n'a pas adopté la proposition de loi organique de notre collègue André Gattolin , dans l'attente d'un débat à venir, plus large, sur les réformes institutionnelles.

A. UN DÉBAT, PLUS GLOBAL, SUR LES RÉFORMES INSTITUTIONNELLES : LE SÉNAT COMME « CLÔNE » DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE ?

1. Les projets de réforme institutionnelle

La proposition de loi organique n° 744 (2017-2018) ne peut pas être examinée indépendamment des projets, plus larges, de réforme institutionnelle .

En effet, le Gouvernement a déposé en mai dernier trois projets de loi « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace ». Le premier texte relève du domaine constitutionnel, le deuxième du domaine organique et le dernier de la loi ordinaire.

Débuté en juillet 2018 à l'Assemblée nationale, l'examen du projet de loi constitutionnelle a été interrompu ; sa reprise est annoncée pour le début de l'année 2019, tout comme l'examen du projet de loi ordinaire et du projet de loi organique.

Or, ces projets de loi comportent plusieurs dispositions qui pourraient remettre en cause les spécificités du Sénat mais également l'équilibre des pouvoirs entre l'Exécutif et le Parlement .

À titre d'exemple, le nombre de parlementaires serait réduit de 30 % : l'effectif de l'Assemblée nationale passerait de 577 à 404 députés et celui du Sénat de 348 à 244 sénateurs.

Aussi cette réforme risque-t-elle de créer des « déserts démocratiques » , pour reprendre l'expression de notre collègue Philippe Bas, président de la commission des lois 42 ( * ) .

D'après les premières simulations, une quarantaine de départements et de collectivités à statut particulier ne compteraient plus qu'un seul sénateur, contre onze aujourd'hui . Cette évolution pourrait remettre en cause la capacité du Sénat à représenter les territoires, quelques années seulement après l'interdiction pour un parlementaire d'exercer un mandat exécutif local 43 ( * ) .

En outre, le projet de loi organique pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace tend à supprimer, uniquement pour les prochaines élections sénatoriales, le principe du renouvellement partiel, au bénéfice d'un renouvellement intégral du Sénat en 2021 .

Le calendrier des élections sénatoriales

§ État du droit

§ Projet du Gouvernement

Source : commission des lois du Sénat

Mentionné aux articles 25, 32 et 68-2 de la Constitution, le renouvellement partiel garantit la permanence du Sénat et son rôle modérateur .

Pour notre ancien collègue Paul Girod, le renouvellement partiel permet au Sénat « d'exprimer une certaine permanence de la France, au-delà de sa diversité, et d'assurer la préservation des repères fondamentaux du pays, que peuvent parfois occulter certaines modes et certains empressements » 44 ( * ) .

La proposition de loi organique de notre collègue André Gattolin supprimerait une autre spécificité du Sénat (l'âge d'éligibilité de ses membres), alors que la Haute assemblée a toujours souhaité « maintenir un écart significatif avec l'âge d'éligibilité des députés » 45 ( * ) .

Suivant son rapporteur, votre commission considère que l'ensemble de ces sujets doivent être examinés conjointement, dans le cadre d'un débat plus large sur les réformes institutionnelles et l'avenir du bicamérisme. Elle rappelle également que l'âge d'éligibilité des sénateurs est déjà passé de 35 à 24 ans sous la V ème République, sur proposition de la Haute Assemblée.

2. La nécessité de préserver l'intérêt du bicamérisme

« Le bicamérisme n'a d'intérêt que si l'identité de chaque assemblée et son apport particulier sont respectés », comme l'a déclaré notre collègue Philippe Bas, président de la commission des lois 46 ( * ) .

De même, votre rapporteur fait siens les mots de notre collègue Jérôme Bignon qui, alors député, a déclaré en 2003 : « la différence d'âge [entre les deux chambres] est une richesse. N'uniformisons pas les mandats, les modes d'élection et les périodes de renouvellement car nous risquerions de sombrer dans un bicamérisme affadi » 47 ( * ) .

Le Sénat doit notamment préserver ses liens avec les collectivités territoriales , qu'il est chargé de représenter au titre de l'article 24 de la Constitution.

Comme le relèvait notre ancien collègue Jean Cluzel, « l'expérience de la gestion locale donne au sénateur un éclairage particulier, difficilement remplaçable, sur la réalité sociale qu'aborde l'action politique. Ici, les constructions de l'esprit, séduisantes et aux trois quarts inapplicables, ne sont plus de mise, car l'ingéniosité des textes ne résiste pas à la complexité des réalités humaines » 48 ( * ) .

Cette expérience locale est d'autant plus nécessaire lorsqu'il s'agit d'examiner des problématiques aussi complexes que la revitalisation de l'échelon communal, les services publics de proximité, la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI) ou la suppression de la taxe d'habitation.


* 42 Propos rapportés par Public Sénat, le 4 octobre 2018.

* 43 Loi organique n° 2014-125 du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.

* 44 Rapport n° 427 (1998-1999) fait au nom de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi et les propositions de loi concernant l'élection des sénateurs. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : www.senat.fr/rap/l98-427/l98-427_mono.html .

* 45 Rapport n° 333 (2002-2003) de notre regretté collègue Jacques Larché, op. cit ., p. 25.

* 46 Compte rendu intégral de la séance du Sénat du 19 septembre 2013.

* 47 Compte rendu intégral de la séance de l'Assemblée nationale du 7 juillet 2003.

* 48 Jean Cluzel, Le Sénat dans la société française , éditions Economica, 1990, p. 196.

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