LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES
LOIS
Après avoir entendu Mme Nicole
Belloubet, garde des sceaux, ministre de la
justice, le mercredi 30 janvier 2019, la commission des lois,
réunie le mercredi 6 février 2019, sous la présidence de
M. Philippe Bas, président, a
examiné, en nouvelle lecture, le rapport de
MM. François-Noël Buffet et Yves
Détraigne, rapporteurs, et établi ses
textes sur le projet de loi n° 269 (2018-2019) de
programmation 2018-2022 et de réforme
pour la justice et sur le projet de loi organique
n° 268 (2018-2019) relatif au renforcement de l'organisation
des juridictions (procédure
accélérée).
Alors que le Sénat était saisi en premier lieu
de ces projets de loi dans la continuité des travaux de la commission
des lois sur le redressement de la justice, l'Assemblée nationale, en
première lecture, a largement rétabli le texte initial du
Gouvernement, tout en y ajoutant une série de mesures soulevant de
sérieuses difficultés. Réunies le 13 décembre 2018
sur ces deux projets de loi, les commissions mixtes paritaires n'ont
pas été conclusives.
Dans la perspective de l'examen en nouvelle lecture, la
commission avait organisé, le 30 janvier 2019, une table ronde
avec les représentants des avocats, des magistrats et des fonctionnaires
de greffe, afin de renouer le dialogue et de trouver des solutions
d'avenir sur la réforme de la justice, au vu du texte résultant
des travaux de l'Assemblée nationale et compte tenu de la forte
hostilité exprimée au sein des milieux judiciaires
contre la réforme telle que l'envisage le Gouvernement.
Cette table ronde a montré que les options retenues en
première lecture par le Sénat étaient plus
équilibrées et de nature à mieux répondre aux
inquiétudes exprimées par les milieux judiciaires, tant
en matière d'accès au juge et de protection des personnes les
plus fragiles, concernant la justice civile, que de protection des
libertés et des droits de la défense, concernant la
procédure pénale, ou de maintien de la proximité de la
justice, concernant la réforme de l'organisation judiciaire de
première instance.
Lors de son audition par la commission, le 30 janvier 2019
également, Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la
justice, a confirmé la volonté du Gouvernement de ne pas
revenir sur les dispositions les plus contestées figurant dans le texte
adopté par l'Assemblée nationale.
Dès lors, dans un esprit de compromis et de dialogue
avec les milieux judiciaires, afin de montrer ce que devrait être une
réforme à la fois ambitieuse et à l'écoute des
professionnels de la justice, les rapporteurs ont proposé de
procéder à une véritable nouvelle
lecture, sur la base de trois principes :
- accepter les améliorations et ajouts de
l'Assemblée nationale lorsqu'ils ne soulevaient pas de
difficultés de principe ;
- refuser les ajouts discutables de l'Assemblée
nationale ;
- réintroduire les modifications apportées
par le Sénat en première lecture, tout en prenant en compte sur
un certain nombre de sujets les critiques des représentants du monde
judiciaire.
Les amendements adoptés par le Sénat en nouvelle
lecture pourraient être présentés par les
députés au stade de la lecture définitive des projets de
loi. En effet, en vertu de l'article 45 de la Constitution,
l'Assemblée nationale doit reprendre, en lecture
définitive, le dernier texte voté par elle, en nouvelle lecture,
modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements
adoptés par le Sénat : seuls les amendements
adoptés par le Sénat sont alors recevables à
l'Assemblée nationale.
Sur le projet de loi de programmation 2018-2022 et de
réforme pour la justice, la commission a donc adopté 147
amendements, dont 131 à l'initiative de ses rapporteurs. Sur le
projet de loi organique relatif au renforcement de l'organisation des
juridictions, elle a adopté 25 amendements à
l'initiative de ses rapporteurs.
Ainsi, s'agissant des ajouts de l'Assemblée nationale,
en matière pénale principalement, la commission a accepté,
notamment, le retrait du contrôle des débits de boissons des
missions du procureur de la République, la suppression de la
participation de magistrats à diverses commissions administratives,
l'extension des possibilités d'anonymisation des policiers et gendarmes
dans les procédures, la mise en place d'un dossier entièrement
numérique dans le cadre de la procédure pénale, les
mesures pour améliorer les procédures d'entraide internationale,
les précisions relatives aux règles de sécurité
applicables autour des établissements pénitentiaires, les
clarifications apportées au régime des fouilles en
détention ou les dispositions visant à remédier à
des décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires
de constitutionnalité.
En revanche, la commission n'a pas accepté, en
particulier, la création du parquet national anti-terroriste,
l'habilitation à réformer la justice pénale des mineurs
par ordonnance, la mutualisation entre les greffes des conseils de prud'hommes
et les greffes des nouveaux tribunaux de première instance, ainsi que la
vaste réforme des tutelles introduite par voie d'amendements du
Gouvernement, dans une logique de recherche d'économies de gestion,
alors que les risques sont lourds pour la protection des personnes
concernées du fait de la suppression du contrôle du juge sur de
nombreux actes.
Enfin, sur les autres sujets, la commission a
décidé, pour l'essentiel, de reprendre les modifications
apportées par le Sénat en première lecture, tout en
prenant en compte quand il y avait lieu les observations formulées par
les représentants des milieux judiciaires.
En premier lieu, la commission a rétabli le
relèvement de la trajectoire budgétaire de la mission
« Justice », conduisant à faire
progresser ses crédits de 33,8 % de 2017 à 2022,
permettant la création de 13 700 emplois ainsi que
la construction de 15 000 places supplémentaires de
prison, en remplacement d'une progression des crédits de 23,5 %
et la création de 6 500 emplois sur la même période dans le
texte initial.
Ont également été rétablis,
notamment, la certification obligatoire des services en ligne de
règlement amiable des litiges, la suppression de l'extension de
l'obligation de tentative de règlement amiable préalable à
toute saisine du juge en matière civile, le maintien de la phase amiable
dans la procédure de divorce contentieux, le contrôle effectif des
comptes de gestion des tutelles ainsi que la possibilité de refuser une
procédure entièrement dématérialisée pour
les petits litiges civils ou les injonctions de payer. Concernant la
révision des pensions alimentaires par les caisses d'allocations
familiales, alors même qu'en première lecture le Sénat
avait choisi de limiter l'expérimentation prévue aux seules
hypothèses dans lesquelles les parties étaient d'accord sur le
nouveau montant, la commission a décidé de supprimer le
dispositif pour tenir compte des critiques exprimées par l'ensemble des
acteurs du monde judiciaire.
En matière de procédure pénale et
d'exécution des peines, elle a aussi rétabli la
possibilité de se faire assister par un avocat lors d'une perquisition,
l'obligation de présentation au procureur pour toute prolongation de
garde à vue, la limitation de l'extension à de nombreux
délits des techniques spéciales d'enquête, la suppression
de la procédure de comparution à délai
différé, la création d'une peine autonome de probation,
ainsi que la refonte du système de l'aménagement des peines, en
renforçant la responsabilité de la juridiction de jugement en la
matière, de façon à faire en sorte que la peine
prononcée soit en principe la peine exécutée.
Parmi les ajouts du Sénat en première lecture,
la commission a rétabli la réforme des tribunaux de commerce,
transformés en tribunaux des affaires économiques avec une
compétence étendue à toutes les entreprises, ainsi que la
réforme de l'aide juridictionnelle, avec le rétablissement d'une
contribution pour l'aide juridique modulable et la consultation obligatoire
d'un avocat avant toute demande d'aide juridictionnelle, afin d'assurer le
filtrage des demandes.
Enfin, en matière d'organisation judiciaire, la
commission a confirmé la suppression de la spécialisation de
certains tribunaux en matière civile et pénale au sein d'un
même département, et même à l'échelle de deux
départements dans le texte de l'Assemblée nationale, et
rétabli le dispositif d'encadrement de toute modification de la carte
judiciaire ainsi que les garanties de localisation des emplois pour les
fonctionnaires de greffe. Elle a supprimé l'expérimentation
concernant les cours d'appel.
La commission des lois a adopté le
projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice
et le projet de loi organique relatif au renforcement de l'organisation des
juridictions ainsi modifiés.
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