Rapport n° 295 (2018-2019) de M. René DANESI , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 6 février 2019

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N° 295

SÉNAT

• SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

• Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 février 2019

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant la ratification de l' accord de coopération en matière de partenariat et de développement entre l' Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République islamique d' Afghanistan , d'autre part,

Par M. René DANESI,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Bernard Cazeau, Robert del Picchia, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean-Marc Todeschini , vice-présidents ; M. Olivier Cigolotti, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Philippe Paul, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont , secrétaires ; MM. Jean-Marie Bockel, Gilbert Bouchet, Michel Boutant, Olivier Cadic, Alain Cazabonne, Pierre Charon, Mme Hélène Conway-Mouret, MM. Édouard Courtial, René Danesi, Gilbert-Luc Devinaz, Jean-Paul Émorine, Bernard Fournier, Jean-Pierre Grand, Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, MM. Jean-Louis Lagourgue, Robert Laufoaulu, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Rachel Mazuir, François Patriat, Gérard Poadja, Ladislas Poniatowski, Mmes Christine Prunaud, Isabelle Raimond-Pavero, MM. Stéphane Ravier, Hugues Saury, Bruno Sido, Rachid Temal, Raymond Vall, André Vallini, Yannick Vaugrenard, Jean-Pierre Vial, Richard Yung .

Voir les numéros :

Sénat :

158 et 296 (2018-2019)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi du projet de loi n° 158 (2018-2019) autorisant la ratification de l'accord de coopération en matière de partenariat et de développement entre l'Union européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République islamique d'Afghanistan, d'autre part.

Cet accord de coopération en matière de partenariat et de développement constitue la première relation conventionnelle entre l'Union européenne (UE) et l'Afghanistan. Il a été signé le 18 février 2017 à Munich.

L'Union européenne est présente en Afghanistan depuis le milieu des années 1980. Son implication s'est développée plus particulièrement depuis 2001. Depuis cette date, elle a apporté un soutien à l'Afghanistan de 3,7 milliards d'euros. C'est le montant de l'aide au développement le plus important jamais attribué par l'UE. Une enveloppe de 1,4 milliard d'euros est prévue pour la période 2014-2020. Par ailleurs, entre 2007 et 2016, l'Afghanistan a accueilli la seule mission de politique de sécurité et de défense commune (PSDC) en Asie (voir Infra ).

Votre commission tient, en préambule, à rappeler que 90 soldats français sont morts en Afghanistan et à rendre hommage à leur mémoire, sans oublier les trop nombreux blessés.

L'Afghanistan est un pays à la situation sécuritaire dégradée depuis des décennies et dont la croissance économique reste insuffisante, alors même qu'il bénéficie d'un important soutien de la communauté internationale avec plus de 40 milliards de dollars d'aide versés depuis 2001 et la présence de la mission Resolute Support (RSM) de l'OTAN, qui a succédé à la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) sous la direction de l'OTAN, entre 2003 et 2014 et qui apporte formation, conseil et assistance aux forces de défense et de sécurité afghanes.

Le présent accord s'inscrit dans le contexte de la « décennie de transformation » 2015-2024 de l'Afghanistan et de la nouvelle stratégie de l'UE à l'égard de l'Afghanistan pour la période postérieure à 2016 . Cette stratégie a notamment pour objectif de renforcer la dimension politique de la relation en dépassant le simple rôle de bailleur de fonds de l'UE.

Cet accord constitue le nouveau cadre juridique régissant les relations entre l'UE et l'Afghanistan . Il consacre la nouvelle stratégie de l'UE à l'égard de l'Afghanistan adoptée en 2017 dont il reprend les quatre piliers : paix et sécurité, renforcement de la démocratie, développement économique et humain, enjeux migratoires.

Comportant peu de dispositions contraignantes, il prévoit un dialogue politique plus régulier et vise à instaurer des c oopérations dans les domaines politique et économique ainsi que des coopérations sectorielles . Il a vocation à remplacer la déclaration politique conjointe UE-Afghanistan adoptée le 16 novembre 2005.

Le présent accord est un accord mixte qui, pour entrer totalement en vigueur, doit être également approuvé ou ratifié par les États membres. En effet, il porte à la fois sur des matières relevant de la compétence exclusive de l'Union européenne, telles que la politique commerciale commune, et sur des matières relevant de la compétence partagée entre l'Union et les États membres, telles que l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

Dans l'attente de son entrée en vigueur, certaines dispositions de l'accord - dans les domaines relevant de la compétence exclusive de l'Union, notamment la mise en oeuvre de la politique étrangère commune - sont appliquées, à titre provisoire, depuis le 1 er décembre 2017.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en premier . La ratification de cet accord formalise l'attachement de l'UE au développement de l'Afghanistan et vise à promouvoir la paix et la stabilité dans ce pays ainsi que la sécurité régionale. La France, dont l'action bilatérale avec l'Afghanistan est forcément limitée par la dégradation sécuritaire, souhaite inscrire son action dans le cadre européen.

PREMIÈRE PARTIE : LA PREMIÈRE RELATION CONVENTIONNELLE ENTRE L'UE ET L'AFGHANISTAN

I. L'AFGHANISTAN, UN PAYS À L'ÉCONOMIE FRAGILE ET À LA SITUATION SÉCURITAIRE ET POLITIQUE DÉGRADÉE

1. Un pays parmi les moins avancés malgré un important soutien de la communauté internationale

L'Afghanistan est un pays d'Asie centrale d'une superficie d'un peu plus de 650 000 km 2 , dont 85 % de montagnes. Il compte 35,5 millions d'habitants et se compose de nombreux groupes ethniques (pachtounes, tadjikes, ouzbèkes, hazaras et turkmènes principalement), les pachtounes étant l'ethnie majoritaire. Il s'agit d'une population très jeune, dont 47 % ont moins de 15 ans.

L'indice de développement humain était de 0,479 en 2016, ce qui classe l'Afghanistan dans la catégorie des pays les moins avancés (169 e rang sur 188 pays évalués par le Programme des Nations unies pour le développement).

Selon le rapport du Secrétaire général de l'ONU de février 2018 sur la situation en Afghanistan, la croissance économique reste faible à cause du conflit, de l'incertitude entourant la réglementation et de la corruption généralisée. La croissance a légèrement augmenté, récemment, passant de 2,2 % en 2016 à 2,6 % en 2017, avant de retomber à 2,2 % en 2018, ce qui est insuffisant pour garantir la progression du revenu par habitant, d'autant que le taux de chômage des 15-25 ans est de 42 %.

L'Afghanistan demeure par ailleurs le premier producteur au monde d'opium et d'héroïne . La production continue d'augmenter, en dépit du plan d'action 2015-2019 contre la production et le trafic de drogue adopté par le gouvernement afghan. Le rapport sur l'Afghanistan publié en novembre 2017 par l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) estime que la production potentielle d'opium représenterait 9 000 tonnes et 1,4 milliard de dollars par an.

Depuis une quinzaine d'années, des progrès ont toutefois été accomplis dans l'accès à l'eau, à l'électricité, aux soins de santé et à l'éducation de base ainsi que dans l'autonomisation et la représentation des femmes. Les effectifs scolaires sont ainsi passés d'un million à 8,9 millions d'élèves (dont 42 % de filles) entre 2002 et 2017 mais le taux d'alphabétisation qui, selon l'Unesco, était de 38,17 % en 2015, reste faible. En revanche, les taux de mortalité infantile et maternelle ont baissé de 34 % par rapport à leur niveau de 2003.

De nouvelles difficultés sont cependant à craindre, car en octobre 2018, le coordinateur humanitaire des Nations unies dans les pays en guerre a annoncé qu'au moins 3 millions d'Afghans se trouvaient en situation d'urgence alimentaire absolue, suite à l'importante sécheresse de l'été dernier dans le Nord et l'Ouest du pays.

L'Afghanistan bénéficie pourtant d'un large soutien financier de la part de la communauté internationale, puisqu'il a reçu, depuis 15 ans, 150 milliards de dollars d'aides de la part des donateurs bilatéraux et multilatéraux.

À la Conférence ministérielle des donateurs sur l'Afghanistan du 4 et 5 octobre 2016 à Bruxelles, co-présidée par l'Union Européenne et l'Afghanistan, les donateurs (75 pays et 26 organisations internationales) ont approuvé, dans la continuité des conférences de Tokyo (2012) et de Londres (2014), le programme de réformes présenté par le gouvernement afghan et se sont engagés à apporter une aide financière internationale d'environ 13,6 milliards d'euros sur la période 2017-2020, avec l'objectif de soutenir l'Afghanistan pour qu'il poursuive sur la voie de la stabilité politique et économique ainsi que sur celle de la consolidation de l'Etat et du développement.

Les 27 et 28 novembre 2018, une conférence ministérielle sur l'Afghanistan, co-présidée par l'Afghanistan et les Nations unies, s'est tenue à Genève, en présence de 61 Etats. Cette « réunion de mi-parcours » a permis de dresser un premier bilan de la Conférence des donateurs de 2016 et de rappeler le soutien de la communauté internationale au processus de paix inclusif engagé par le gouvernement afghan (offre de négociation sans condition), d'appeler les Talibans à y participer, sans remettre en cause les acquis des dernières années en matière de droits de l'Homme, d'appeler les Etats de la région à oeuvrer pour la paix, de saluer la préparation de l'élection présidentielle de 2019, dans le respect de la Constitution, et de soutenir les réformes engagées pour la « décennie de la transformation 2015-2024 ». Les commentateurs ont souligné l'absence, lors de cette conférence, du secrétaire général des Nations unies, du secrétaire d'Etat américain ainsi que de l'ambassadeur américain Zalmay Khalizad, envoyé spécial pour la paix en Afghanistan, le Pakistan n'étant représenté que par un diplomate de troisième rang.

Durant cette conférence cependant, le commissaire européen à la Coopération internationale et au développement Neven Mimica a signé avec le ministre des Finances afghan Mohammad Humayon Qayoumi un paquet d'aides pour un montant total de 474 M€ (voir Infra ).

La prochaine conférence des donateurs est prévue en 2020.

Les services du Ministère de l'Europe et des affaires étrangères, (MEAE) 1 ( * ) ont indiqué à votre rapporteur, qu'à l'occasion de cette conférence, les Américains, avec le soutien des Britanniques, ont demandé la séparation des deux voies dédiées respectivement aux élections et au processus de paix, tandis que les Russes appelaient à poursuivre leur processus (format de Moscou, voir Infra ) en lien notamment avec les Etats centrasiatiques.

2. Un pays à la situation sécuritaire dégradée et d'émigration vers l'Europe

Depuis plusieurs décennies, l'Afghanistan a été le théâtre de nombreux conflits armés : invasion soviétique à la fin des années 1970, établissement d'un régime islamique par les Talibans en 1996 et renversement de ce régime en novembre 2001 par la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis après les attentats du 11 septembre.

En décembre 2001 , le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté une résolution 1386 autorisant le déploiement de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) à Kaboul et aux alentours, afin d'aider à stabiliser l'Afghanistan et à créer les conditions d'une paix durable. Entre août 2003 et décembre 2014, l'OTAN a pris la direction des opérations de la FIAS, plus longue opération jamais menée par elle puisqu'elle a compté jusqu'à 130 000 hommes provenant de 50 pays membres et partenaires. Entre 2001 et 2012, la France a compté jusqu'à 3 850 hommes au sein de la FIAS.

Au sommet de Lisbonne de 2010 , les dirigeants des pays de l'OTAN, en accord avec le Gouvernement afghan, ont décidé la restitution de la pleine responsabilité de la sécurité en Afghanistan aux forces afghanes , à la fin de l'année 2014. Ce transfert a été précédé d'une phase transitoire commençant en 2011 dans les régions relativement stables.

Le 1 er janvier 2015 , après la fin officielle de la FIAS le 28 décembre 2014, l'OTAN a lancé la mission Resolute Support (RSM), afin d'apporter formation, conseil et assistance aux forces de défense et de sécurité afghanes (ANDSF).

Lors du sommet de l'OTAN du 9 juillet 2016 à Varsovie, il a été décidé que la RSM serait maintenue au-delà de 2016, mais selon une nouvelle approche fondée sur l'évolution de l'environnement. Actuellement, la mission RSM regroupe environ 16 000 soldats de 39 pays et alliés. La France ne fournit pas d'effectifs mais contribue financièrement, à hauteur de 78,8 M€ pour la période 2017-2021.

Le 21 août 2017, le Président Trump a réaffirmé l'engagement des Etats-Unis en Afghanistan en soutien aux autorités afghanes sur les plans politique, économique et militaire, l'objectif poursuivi étant de parvenir à une négociation avec les Talibans souhaitant déposer les armes et à une réconciliation nationale. Cette déclaration américaine a été suivie par l'envoi de 3 000 combattants supplémentaires dans la mission RSM portant ainsi le contingent américain à 10 000 hommes, sans compter les 5 000 personnels déployés à titre national dans l'opération Freedom Sentinel.

Enfin, en juillet 2018, le sommet de Bruxelles a permis aux Alliés et à leurs partenaires opérationnels de réaffirmer leur détermination à inscrire leur engagement en Afghanistan dans la durée, que ce soit sur le plan opérationnel ou financier, afin de développer les conditions propices à la poursuite du processus de paix conduit par les Afghans. À cette occasion, les Etats-Unis ont appelé leurs Alliés à renforcer leurs effectifs dans la mission non combattante Resolute Support , notamment afin d'accompagner la stratégie américaine en Afghanistan. En réponse à cet appel, le Royaume-Uni a confirmé le déploiement de 440 militaires supplémentaires dans la région de Kaboul, tandis que le Qatar et les Emirats Arabes Unis ont annoncé leur souhait d'intégrer la coalition alliée en Afghanistan.

En décembre 2018, la presse américaine a évoqué un possible retrait de la moitié des troupes américaines stationnées en d'Afghanistan (environ 7 000 soldats sur les 14 000 qui y sont déployés), sans préciser davantage le calendrier.

Depuis le sommet de Varsovie de 2016, les dirigeants des pays de l'Alliance ont aussi pris l'engagement d'assurer, jusqu'à la fin 2020, le soutien financier (financement d'une partie des soldes) des forces de défense et de sécurité afghanes, dont les effectifs étaient de 308 693 personnels fin octobre 2018, via le fonds d'affectation spéciale de l'OTAN pour les forces armées afghanes ( ANA Trust Fund ), créé en 2012. Lors du sommet de Bruxelles de juillet 2018, les Alliés ont décidé de poursuivre leurs contributions à ce fonds au moins jusqu'en 2024. En mai 2018, il dépassait les deux milliards de dollars. Le gouvernement afghan s'est engagé, de son côté, à verser, à ce fonds, au moins 500 millions de dollars par an. La France n'alimente pas ce fonds.

On rappelle qu'il existe également un fonds d'affectation spéciale pour l'ordre public en Afghanistan (LOFTA) géré par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et l'Afghanistan Security Forces Fund (ASFF) des Etats-Unis.

En dépit des efforts de la communauté internationale et de l'élimination d'Oussama ben Laden le 2 mai 2011, la situation sécuritaire du pays reste dégradée. Selon les informations transmises par les services du MEAE 2 ( * ) , les forces armées afghanes ont échoué au cours des derniers mois à accroître leur emprise territoriale, sans pour autant reculer face aux insurgés .

À la fin 2018, l'emprise territoriale du gouvernement afghan reste d'environ 55,5 % du territoire mais il semblerait que les zones disputées soient de plus en plus étendues (70 % des districts selon les Talibans), ce qui ne permet pas d'entrevoir une victoire prochaine d'un camp ou d'un autre. Les observateurs constatent une forte activité des Talibans avec des combats de plus en plus meurtriers pour les forces de sécurité afghanes, les Talibans semblant disposer désormais d'un véritable commandement organisé, de leurs propres forces spéciales et d'équipements proches de ceux des armées conventionnelles. L'année 2018 aurait vu une hausse des tués et blessés parmi les forces de sécurité (il n'y a plus de comptabilisation depuis 2016). La période électorale , notamment, a été marquée par une recrudescence de violences de la part des Talibans (149 morts à Mastung en juillet dernier et attaque du 18 octobre dont a réchappé le commandant en chef des forces de l'OTAN en Afghanistan, le général Scott Miller).

En 2017, la mission d'assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA) a rapporté 3 438 morts et 7 015 blessés, dont 65 % attribués aux forces anti-gouvernementales (45 % aux Talibans, 10 % à l'Ei-K et 13 % à des groupes indéterminés) ; dont 20 % aux forces pro-gouvernementales et 15 % à différentes causes.

En janvier 2019, le Président Ashraf Ghani a indiqué que 45 000 membres des forces de sécurité afghanes avaient été tués depuis son arrivée au pouvoir en septembre 2014.

L'Etat Islamique au Khorasan (EI-K) - la branche régionale de Daech, dont l'existence a officiellement été annoncée en janvier 2015 - est toujours à l'origine d'attaques terroristes contre la communauté chiite et les institutions afghanes , particulièrement à Jalalabad, même si elle a essuyé, dans son bastion du Nord, une lourde défaite face aux Talibans à la fin du printemps et a perdu son émir afghan suite à une opération aéroterrestre le 25 août 2018. En 2016, on estimait que l'Ei-K représentait environ 8 000 hommes. Les Talibans et l'EI-K se livrent des combats importants , comme au mois de juillet dans le district de Darzab.

Dans ce contexte de dégradation de la situation sécuritaire, les Afghans sont nombreux à prendre la route de l'exil . Les migrants afghans représentent, après les Syriens, le deuxième flux d'entrées dans l'Union européenne et le premier groupe de mineurs non accompagnés depuis 2015. Les demandes d'asile afghanes auprès de l'UE étaient de 196 255 demandes en 2015 et de 190 250 demandes en 2016. En 2017, elles ont chuté pour s'établir à 49 280 demandes. Sur les six premiers mois de 2018, 19 706 demandes d'asile afghanes ont été présentées dans l'UE.

La relation entre l'UE et l'Afghanistan dans le domaine migratoire est désormais régie par un accord politique conclu le 2 octobre 2016 à Kaboul, le « projet d'action conjointe pour le futur sur les questions migratoires UE-Afghanistan » (« Joint Way Forward on Migration Issues »). Cet accord, bien que juridiquement non contraignant, permet cependant de clarifier les procédures et les délais en matière de réadmission. Il se révèle efficace et l'on observe une augmentation des retours forcés depuis l'UE (Voir Infra ).

En France, la demande d'asile afghane a fortement augmenté à partir de la fin de l'année 2015 : de 2 122 premières demandes en 2015, elle est passée à 5 646 en 2016 et à 6 062 en 2017. En 2018, l'OFPRA a enregistré 9 439 demandes. Ces chiffres placent l'Afghanistan au deuxième rang des nationalités de primo-demandeurs, en France, en 2017 et au premier rang en 2018 (voir Infra ).

3. Un pays à la situation politique fragile, où plusieurs processus de paix sont en cours

Dans ce contexte de détérioration de la situation sécuritaire, les institutions politiques restent faibles . De plus, le reflux d'Afghans en provenance des pays voisins - de l'Iran pour des raisons économiques notamment liées à la dépréciation de la monnaie iranienne ainsi que du Pakistan - complique la situation sociale.

Le gouvernement d'unité nationale d'Ashraf Ghani, qui a succédé à Hamid Karzai 3 ( * ) en 2014, est affaibli en raison de nombreuses dissensions internes - divergences notamment entre le Président Ghani et le chef de l'exécutif Abdullah Abdullah -, de nombreux reports des échéances électorales, de l'incapacité à lutter contre les attentats meurtriers et de la corruption des élites.

Les élections présidentielles, initialement prévues le 20 avril 2019, viennent d'être reportées au 20 juillet 2019. Elles suscitent de nombreuses inquiétudes, compte tenu du climat de violence dans lequel se sont déroulées les élections législatives des 20 et 21 octobre 2018, reportées depuis 2015 - plus de 80 morts dont 10 candidats pendant la campagne électorale. Au 22 janvier 2019, 16 candidats se sont officiellement déclarés, parmi lesquels, le Président Ghani, le chef de l'exécutif Abdhullah Abdhulla et l'ancien conseiller de la sécurité nationale du Président Ghani, Hanif Atmar font figure de favoris.

Les élections législatives, qui se sont déroulées dans la plupart des provinces afghanes, ont en outre été entachées d'irrégularités et de fraudes (12 000 plaintes déposées devant la commission des recours). Au total, la communauté internationale y a contribué à hauteur de 100 millions de dollars dont 20 millions versés par l'UE. Les résultats ont été proclamés le 14 janvier 2019 et le nouveau parlement devrait être intronisé dans les semaines qui viennent - 68 des 250 sièges sont réservés aux femmes. La mission électorale de l'UE a jugé peu crédible le chiffre de participation de 4 millions sur 8,8 millions et les observateurs ont constaté de nombreux cas de fraude et de corruption.

Il faut rappeler cependant l'existence de la mission d'assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA) , mise en place par la résolution 1401 du Conseil de sécurité du 28 mars 2002 et renouvelée depuis, chaque année, au mois de mars, dont le mandat est d'apporter une aide sous forme de bons offices au processus de paix afghan, un appui aux élections, la surveillance de la situation des droits de l'Homme et la promotion de la gouvernance et de la coopération régionale.

Pour apporter une réponse à cette situation complexe, plusieurs processus de paix sont en cours, sans qu'aucun résultat décisif n'ait pu être obtenu à ce jour.

Un processus inter-afghan, appelé « processus de Kaboul » a été lancé en juin 2017 par le Président Ghani. L'envoyé spécial de l'UE pour l'Afghanistan a participé activement à la deuxième session de ce processus qui s'est tenue le 28 février 2018. Toutefois, après avoir accepté un cessez-le-feu de trois jours en juin, les Talibans ont rejeté, le 19 août 2018, l'offre d'un second cessez-le-feu.

L'UE soutient ce processus de paix « Afghan-led et Afghan-owned » , (conduit et pris en charge par les Afghans). Actuellement des réflexions sont en cours quant au soutien que pourrait apporter la France au processus de paix inter-afghan dans le cadre d'une éventuelle initiative européenne de médiation entre le gouvernement afghan et les Talibans.

Il existe une initiative américaine , qui est soutenue par l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. Le représentant spécial américain de la Maison blanche pour la réconciliation en Afghanistan, Zalmay Khalilzad - le Président Trump lui a donné six mois pour boucler le dossier - s'est ainsi entretenu avec la représentation talibane installé à Doha (Qatar) - non reconnue par les autorités afghanes - du 14 au 16 novembre 2018 après un premier entretien en octobre. Depuis juillet 2018, La nouvelle approche américaine est plus ouverte à des discussions directes avec l'insurrection. Les médias afghans ont récemment évoqué l'existence d'un projet d'accord de paix américain préparé par un think Tank proche de Washington, sans que les autorités afghanes y étaient associées 4 ( * ) et prenant en compte l'essentiel des exigences des Talibans. Lundi 28 janvier 2019, Zalmay Khalilzad a annoncé être parvenu « à une ébauche d'accord de paix » avec le principal mouvement insurgé. Selon lui, les Talibans se sont engagés à empêcher que leur territoire ne serve de base arrière à des mouvements terroristes mais continuent en revanche de refuser de parler avec le gouvernement de Kaboul. Ce même jour, le Président Ghani a rappelé qu'une telle négociation ne pouvait se faire sans le gouvernement afghan et dans la précipitation.

Face à l'initiative américaine, il existe une initiative russe . Le 9 novembre 2018, la Russie a ainsi organisé une troisième conférence sur l'Afghanistan , après celles des 15 février et 14 avril 2017, pour permettre un dialogue entre instances officielles afghanes (Haut Conseil pour la paix) et Talibans, représentés par une délégation de Doha, en présence des puissances régionales, notamment de l'Inde, de la Chine, de l'Iran, du Pakistan ainsi que des Etats-Unis (représentation au niveau Premier ou troisième secrétaire).

Enfin, il faut également signaler une initiative ouzbèke . Une conférence a ainsi eu lieu à Tachkent, le 27 mars 2018, pour la construction d'un consensus régional et une intégration économique de l'Afghanistan en Asie centrale.

4. Un pays, source d'inquiétudes dans la région et au-delà

Selon les informations transmises par les services du MEAE 5 ( * ) à votre rapporteur, la dégradation des conditions de sécurité en Afghanistan fait courir un risque de déstabilisation aux pays d'Asie centrale .

Trois des cinq Etats de cette partie du monde ont une frontière avec l'Afghanistan, plus ou moins facile à surveiller, selon leur topographie : le Tadjikistan (1340 km), le Turkménistan (744 km) et l' Ouzbékistan (134 km). Les importantes minorités tadjikes (25 à 32% de la population), ouzbèkes (6 à 9%) et turkmènes (1 à 3%) résidant en Afghanistan contribuent à la fois au commerce local et aux migrations transfrontalières. La porosité des frontières alimente les craintes d'infiltration de terroristes en Asie centrale, en particulier de groupes porteurs d'un agenda global (Etat islamique, Mouvement Islamique d'Ouzbékistan). Enfin, l'Asie centrale est l'une des principales routes de transit de la production afghane d'opiacés (9 000 tonnes en 2017, contre 4 800 en 2016).

Quant à la relation entre l'Afghanistan et le Pakistan , elle continue de souffrir d'un déficit de confiance mutuel . Des contacts bilatéraux ont néanmoins repris depuis quelques mois, à l'initiative d'Islamabad (visite du chef d'état-major des armées pakistanais à Kaboul en octobre 2017, visite du Premier ministre pakistanais à Kaboul début avril 2018) et un cadre de dialogue, centré autour de groupes de travail, a été mis en place ( Afghanistan Pakistan Action Plan for Peace and Solidarity , APAPPS, une conférence des oulémas pakistanais et afghans dans le but d'adopter une fatwa condamnant le recours à la violence et aux attentats suicides contre les civils est prévue prochainement dans ce cadre).

Comme tous les acteurs régionaux, le Pakistan a été appelé à soutenir la stratégie américaine pour l'Asie du Sud, initiée en août 2017. La pression exercée par les Etats-Unis sur le Pakistan s'est fortement accrue ces derniers mois.

La Chine , quant à elle, voit dans la dégradation de la situation en Afghanistan une menace sécuritaire directe pour son territoire, car elle considère que les territoires de part et d'autre de la frontière afghano-pakistanaise peuvent jouer le rôle de base arrière pour des mouvements islamistes ou séparatistes Ouïghours au Xinjiang. Elle s'investit de plus en plus en Afghanistan, afin de développer ses projets économiques continentaux et d'agir contre les groupes associés à l'EI-K à ses frontières (annonce fin janvier 2017 de l'établissement d'une base militaire chinoise au Nord-Est de l'Afghanistan, inauguration d'un corridor commercial aérien sino-afghan le 6 novembre 2018).

L'Inde redoute l'effondrement du système politique afghan au profit du Pakistan. Elle exclut toute intervention de même qu'une coopération militaire trop affichée, tout en maintenant un engagement civil fort.

Il faut également noter que la Russie et l'Iran se sont réinvestis ces derniers mois dans le conflit afghan, en apportant un soutien aux Talibans , perçus comme un rempart contre l'implantation de l'EI-K.

II. LA POURSUITE DU SOUTIEN DE L'UE AU DÉVELOPPEMENT DE L'AFGHANISTAN ET LE RENFORCEMENT DU DIALOGUE POLITIQUE

L'Union européenne est présente en Afghanistan depuis le milieu des années 1980 avec la création d'un bureau de soutien de la Commission européenne à Kaboul, puis d'un bureau de la direction générale pour la protection civile et les opérations d'aide humanitaire européennes de la Commission européenne (DG ECHO) en 1993.

Depuis décembre 2001, l'Union européenne a apporté un soutien à l'Afghanistan de 3,7 milliards d'euros. Il s'agit de l'aide au développement la plus importante jamais attribuée par l'UE à un pays :

- 2002-2006 : 1 milliard d'euros dont développement rural, sécurité alimentaire (236 millions d'euros) ; infrastructures économiques (106 millions d'euros) ; réforme du secteur public (393 millions d'euros) ; secteur de la santé (94 millions d'euros) ; déminage (66 millions d'euros) ; droits de l'Homme et société civile (21 millions d'euros) ; coopération régionale (53 millions d'euros) ;

- 2007-2010 : 700 millions d'euros dont développement rural, sécurité alimentaire (183 millions d'euros); gouvernance, y compris police et justice (244 millions d'euros) ; santé (122 millions d'euros) ;

- 2011-2013 : 586 millions d'euros dont développement rural et agriculture (188 millions d'euros) ; santé (125 millions d'euros) ; gouvernance et Etat de droit (245 millions d'euros).

Lors de la conférence ministérielle des donateurs sur l'Afghanistan qui s'est déroulée à Bruxelles en octobre 2016 (Voir Supra) , l'UE a annoncé un engagement de 1,39 milliard d'euros au titre de l'Instrument de coopération au développement (ICD).

Le programme indicatif pluriannuel 2014-2020 de l'UE, adopté avec les autorités afghanes, distingue quatre secteurs de concentration de l'aide : l'agriculture et le développement rural, pour un montant de 337 millions d'euros ; la santé, pour un montant de 274 millions d'euros ; la professionnalisation de la police et l'Etat de droit, pour un montant de 319 millions d'euros ; et la responsabilisation de l'Etat via un encouragement au processus de démocratisation, pour un montant de 163 millions d'euros. 300 millions seront par ailleurs versés en fonction des résultats et des progrès effectués par les autorités afghanes, conformément à ce qui a été agréé dans le « Cadre de responsabilité mutuelle de Tokyo ».

En totalisant l'aide de l'UE et l'aide accordée à titre bilatéral par les Etats membres, l'Union européenne est le second donateur en Afghanistan après les Etats-Unis (5,6 milliards de dollars entre 2017 et 2020). La majorité des fonds européens sont canalisés via les deux principaux fonds fiduciaires présents en Afghanistan : le fonds fiduciaire de reconstruction de l'Afghanistan (ARTF), administré par la Banque mondiale et le fonds d'affectation spéciale pour l'ordre public (LOTFA) administré par le programme des Nations unies pour le développement (PNUD).

Durant la conférence de Genève sur l'Afghanistan des 27 et 28 novembre 2018, le commissaire européen à la Coopération internationale et au développement Neven Mimica a signé, avec le ministre des Finances afghan Mohammad Humayon Qayoumi, un paquet d'aides pour un montant total de 474M€, constitué des programmes suivants :

- un programme de consolidation de l'Etat ( state-building contract ) , sous forme d'appui budgétaire, visant à soutenir la réforme du secteur public, la lutte contre la corruption, les services publics ou encore la gestion des finances publiques (311 millions d'euros) ;

- un programme de réforme du secteur de la justice pour soutenir le bureau du procureur général afghan (31 millions d'euros) ;

- un programme dans le domaine de la santé et de l'alimentation , cohérent avec les priorités du gouvernement afghan (80 millions d'euros) ;

- un instrument ad hoc dédié à soutenir le processus électoral , et notamment les élections présidentielle et provinciales en 2019 (15,5 millions d'euros) ;

- et d'un programme dans le domaine migratoire , destiné à favoriser la réintégration des personnes retournées en Afghanistan, portant le total de l'action de l'Union européenne en matière migratoire dans la région à près de 230 millions d'euros (37 millions d'euros).

S'agissant des enjeux de paix et de sécurité, la mission de politique de sécurité et de défense commune (PSDC) civile EUPOL Afghanistan - seule mission de PSDC en Asie - a appuyé les efforts de professionnalisation de la police nationale afghane, la réforme institutionnelle du ministère de l'intérieur afghan et le développement des liens entre la police et la justice (liens avec le procureur général, promotion des droits de l'Homme et des questions de genre dans le travail de la police notamment), depuis son lancement le 15 juin 2007. Prolongée à plusieurs reprises, la mission disposait d'un budget de 57,75 millions d'euros en 2015.

Depuis la fin de cette mission le 31 décembre 2016, l'action de l'Union européenne auprès de la police afghane se poursuit au travers de l'Instrument contribuant à la Stabilité et à la Paix (IcSP), qui finance également des actions de réconciliation, ainsi que par l'instrument de coopération au développement (ICD).

La Direction de l'UE du MEAE 6 ( * ) dresse un bilan mitigé de cette mission. En effet, si la mission a participé à l'émergence en Afghanistan d'une force de police (formation de plus de 10 000 officiers supérieurs et formateurs, création d'une police de proximité, promotion des questions de genre etc.), les résultats semblent bien fragiles (taux d'attrition élevé, difficultés pour les instructeurs d'exercer leur mission dans les conditions de sécurité dégradées etc.).

L'Union européenne apporte également un soutien financier aux initiatives afghanes en matière de réconciliation. Elle a ainsi octroyé 3 millions d'euros en application de l'accord de septembre 2016 conclu entre le gouvernement afghan et le groupe Hezb-e-Islami pour que ledit groupe abandonne la lutte armée et s'intègre dans la vie politique afghane.

Plus récemment, l'Union européenne a adopté une nouvelle stratégie à l'égard de l'Afghanistan pour la période postérieure à 2016. Cette stratégie est fondée sur la communication conjointe de la Commission européenne et de la Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité publiée le 24 juillet 2017, ainsi que sur les conclusions du Conseil adoptées le 16 octobre 2017. Elle repose sur les quatre piliers suivants :

- la promotion de la paix, de la stabilité et de la sécurité régionale : la stratégie rappelle le soutien de l'UE à un processus de réconciliation « Afghan-led et Afghan-owned » visant un règlement politique dans le respect des droits de l'Homme et le rejet du terrorisme, notamment sur la base du Processus de Kaboul lancé par le gouvernement afghan en juin 2017. Elle marque également la volonté de l'UE de soutenir, y compris financièrement, le gouvernement afghan, dans le cadre des négociations de réconciliation. La dimension régionale du processus de paix est également soulignée, tout comme le soutien aux efforts afghans en matière de lutte contre la production et le trafic de stupéfiants, ainsi que le soutien à la réforme du secteur de la sécurité ;

- le renforcement de la démocratie, de l'Etat de droit et des droits de l'Homme, la promotion de la bonne gouvernance et de l'émancipation des femmes : les actions de l'UE visent notamment à renforcer la crédibilité, l'inclusivité et la transparence des élections en Afghanistan ainsi que le soutien à la liberté d'expression, par le biais du renforcement des capacités des institutions afghanes et d'un dialogue formalisé sur les droits de l'Homme, en particulier les droits des femmes ;

- le soutien au développement économique et humain de l'Afghanistan : l'objectif de l'UE est de contribuer à la mise en place d'un climat économique transparent et favorable au secteur privé et à l'investissement mais aussi de favoriser les rentrées fiscales du gouvernement afghan. L'efficacité de l'aide - destinée en priorité au secteur agricole - et une meilleure gestion des finances publiques constituent deux des principales priorités de l'UE ;

- et la prise en compte des défis liés aux enjeux migratoires : S'il s'agit d'un enjeu de longue date avec l'Afghanistan, il est pour la première fois identifié comme l'un des piliers de la stratégie de l'UE vis-à-vis de l'Afghanistan (deuxième nationalité en termes de nombre de personnes arrivées illégalement en Europe en 2015 et 2016). L'UE cherche à répondre aux causes profondes des migrations et à favoriser la réintégration durable des ressortissants afghans de retour dans leur pays d'origine. La relation entre l'UE et l'Afghanistan dans le domaine migratoire est désormais régie par un accord politique juridiquement non contraignant, intitulé « Projet d'action conjointe pour le futur sur les questions migratoires UE-Afghanistan » (« Joint Way Forward on Migration Issues »), signé à Kaboul le 4 octobre 2016, dont l'objet principal est de clarifier les procédures et les délais en matière de réadmission.

Actuellement, l'UE s'interroge sur le rôle qu'elle pourrait jouer en Afghanistan, compte tenu de l'importance de la stabilité de l'Afghanistan pour la sécurité de l'UE (importance de l'immigration afghane en Europe, émergence de Daech au Nangarhar). Elle ne veut plus se contenter d'occuper le rôle traditionnel de bailleur de fonds d'aide au développement mais entend jouer aussi un rôle politique. Pour autant, l'UE maintient son engagement en faveur de l'aide au développement et de la promotion des droits de l'Homme, en particulier des droits des femmes et des enfants.

Enfin, on notera qu'alors que l'UE était représentée, depuis 2001, par un Représentant spécial de l'UE (RSUE) pour l'Afghanistan occupant également le poste de chef de la délégation européenne à Kaboul, ce poste a été scindé en deux, le 1 er septembre 2017. La France était opposée à cette scission.

Depuis cette date, il y a donc, d'une part, un chef de délégation européenne basé à Kaboul, M. Mayaudon, de nationalité française, chargé des aspects bilatéraux de la relation UE-Afghanistan, notamment des échanges avec les autorités et les groupes politiques afghans sur place et, d'autre part, un envoyé spécial de l'UE (ESUE) pour l'Afghanistan, M. Kobia de nationalité belge, basé à Bruxelles (département Asie du Service européen pour l'action extérieure, SEAE), qui a la responsabilité de la dimension internationale et régionale de la situation dans le pays, du processus de paix et des contacts avec le représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour l'Afghanistan.

Selon les informations transmises par les services du MEAE 7 ( * ) , l'ESUE mène une diplomatie active, en vue d'accroître la visibilité de l'UE. Sa stratégie porte notamment sur une approche politique et non plus seulement axée sur le développement en vue de traduire, au niveau politique, l'investissement financier de l'Union européenne dans le pays. Sa stratégie vise à :

- rehausser les liens avec les pays d'Asie centrale qui jouent un rôle marginal dans le processus de paix ;

- renforcer la coopération entre l'Afghanistan et les puissances de la région (Russie, Inde, Chine) et travailler davantage sur les convergences existantes avec ces Etats (lutte contre le terrorisme et trafic de stupéfiants avec la Russie par exemple).

- ainsi qu'à accentuer le rôle de l'UE dans les processus de paix en cours.

Enfin s'agissant des relations commerciales entre l'Union européenne et l'Afghanistan, il faut noter que l'Afghanistan est le 147e partenaire commercial de l'Union européenne. Ces relations commerciales représentaient, en 2016, 294 millions d'euros, un montant en baisse régulière depuis 2012 (un milliard d'euros d'échanges en 2012, 537 millions en 2014). L'Union européenne est structurellement bénéficiaire . En 2016, les exportations européennes vers l'Afghanistan ont représenté, 269 millions d'euros ( principalement des machines, des équipements de transports et de la nourriture ), tandis que les importations en provenance d'Afghanistan se chiffraient à 25 millions d'euros (pour l'essentiel des matières premières et des produits manufacturés).

Il est nécessaire de rappeler que l'Afghanistan, faisant partie des pays les moins avancés (PMA), bénéficie du régime « tout sauf les armes » (TSA) du système de préférences généralisées (SPG) de l'Union européenne, qui lui accorde un accès en franchise de droits au marché européen, à l'exception du commerce d'armes et de munitions au titre du règlement du Parlement européen et du Conseil n° 978/201247 du 25 octobre 2012. Toutefois, ces préférences TSA peuvent être suspendues dans des circonstances exceptionnelles, notamment dans le cas de violations graves et systématiques des principes définis dans les conventions fondamentales relatives aux droits de l'Homme et au droit du travail.

III. LE CARACTÈRE MODESTE DE LA RELATION BILATÉRALE FRANCO-AFGHANE

La coopération française en Afghanistan est ancienne - la Délégation archéologique française en Afghanistan (DAFA) a été créée dès 1922 -. Le pays suscite l'intérêt de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) françaises, qui sont, pour certaines, présentes depuis les années 1980.

Entre 2001 et 2012, la France a compté jusqu'à 3 850 hommes au sein de la Force internationale d'assistance et de sécurité (FIAS) (Voir Supra ).

Plusieurs visites bilatérales de haut niveau ont eu lieu depuis le retrait des troupes françaises en 2012. Les dernières en date sont celle du ministre de l'Europe et des affaires étrangères à Kaboul en novembre 2017 et celles du chef de l'exécutif afghan Abdullah à Paris en novembre 2018. En outre, en marge du sommet de l'OTAN, le 11 juillet dernier, le Président de la République et son homologue afghan ont évoqué la perspective d'un dialogue axé sur les questions sécuritaire et de renseignement ainsi que sur les migrations - prévention des départs et facilitation des retours -.

Depuis 2012 également, la France et l'Afghanistan sont liées par un traité bilatéral d'amitié et de coopération signé le 27 janvier 2012 , pour 20 ans. Ce traité - entré en vigueur le 1 er décembre 2012 - inscrit l'engagement de la France dans la durée et le fait passer d'une dominante militaire à une dominante civile. Il est complété par un plan d'action à 5 ans présentant les projets de la France dans les domaines de la sécurité (formation militaire et de la police), de la coopération scientifique, culturelle et technique (agriculture, recherche, éducation, santé, archéologie, gouvernance), des infrastructures (irrigation, électrification) ainsi que dans les domaines de l'économie et du commerce.

En application de ce traité, la France a consacré plus de 130 millions d'euros au développement civil de l'Afghanistan. Pour la période 2017-2021 - la France s'est engagée à verser 100 millions d'euros - la coopération bilatérale est recentrée sur les domaines historiques d'interventions de la France que sont l'éducation (lycées francophones Esteqlal et Malalai ; bourses universitaires), la santé (Institut Médical Français pour l'Enfant), la culture (Institut français d'Afghanistan) et la préservation du patrimoine (Délégation archéologique française en Afghanistan). Pour l'instant, la contribution effective s'élève à 5 millions d'euros.

Dans le domaine de la coopération bilatérale de défense et de sécurité, l'accent est mis sur l'appui à l'ANCOP ( Afghan National Civil Order Police ) et au NPCC ( National Police Command Center ), sur la formation des cadres militaires (IHEDN, Ecole d'Etat-major, Ecoles d'application et de formation d'officiers, Saint-Cyr) ainsi que sur l'enseignement de la langue française.

La France soutient également la mission de conseil, de formation et d'assistance de l'OTAN « Resolute Support » (RSM) par le biais de sa contribution au budget général de l'OTAN (10,3%), sans avoir de troupes sur le terrain et sans contribuer au financement direct des forces armées afghanes.

Sans surprise, le commerce franco-afghan est faible en raison principalement des conditions de sécurité. Pour autant, au cours des dix dernières années et en dépit d'échanges relativement modestes, la France a toujours dégagé un excédent commercial vis-à-vis de l'Afghanistan. Après s'être contractées en 2013 et en 2014 (45 millions d'euros en 2012, 25 millions d'euros en 2013, 17 millions d'euros en 2014) les exportations françaises (produits des industries agroalimentaires, produits pharmaceutiques, produits en caoutchouc et en plastique) ont augmenté en 2015 pour atteindre 21,8 millions d'euros tandis que les importations en provenance d'Afghanistan représentaient 6 millions d'euros en 2015.

SECONDE PARTIE : LES STIPULATIONS DE L'ACCORD

Cet accord est le fruit de négociations, engagées en 2011, puis débloquées 8 ( * ) en 2015, suite à l'élection du Président Ghani. Signé le 18 février 2017, à Munich, il constitue la première relation conventionnelle entre l'UE et l'Afghanistan et a pour objet d'institutionnaliser la relation entre les deux parties en lui offrant un cadre général. Il remplacera la déclaration politique conjointe UE-Afghanistan adoptée le 16 novembre 2015.

Cet accord s'inscrit dans le contexte de la « décennie de transformation » 2015-2024 de l'Afghanistan et de la nouvelle stratégie de l'UE adoptée en 2017 (voir Supra ) dont il reprend les quatre piliers : paix et sécurité, renforcement de la démocratie, développement économique et humain, enjeux migratoires. Il marque aussi l'engagement de l'UE en faveur du processus de paix en Afghanistan. L'Union européenne participe, en effet, au « processus de paix de Kaboul » lancé par le Président Afghan M. Achraf Ghani en juin 2017.

Cet instrument a pour objet de donner une dimension plus politique à la relation et d'étendre la coopération bilatérale à de nouveaux domaines pour dépasser la relation entre bailleur de fonds et récipiendaire, pour couvrir les enjeux de politique et de sécurité (mise en oeuvre du statut de Rome instaurant la Cour internationale pénale, lutte contre le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive, trafic de drogue, protection des droits de l'Homme). Sont également prévues une coopération économique et commerciale (commerce et investissement) ainsi que des coopérations sectorielles (justice, énergie, transport, éducation, culture, santé, agriculture, environnement, modernisation de l'administration publique).

Il souligne aussi l'importance de la coopération régionale pour stimuler la croissance économique et renforcer la stabilité politique dans la région ainsi que pour restaurer le rôle de l'Afghanistan en tant que pont terrestre entre l'Asie centrale, l'Asie du Sud et le Proche-Orient. Il prévoit notamment le soutien du processus d'Istanbul sur la sécurité et la coopération régionales.

Dans l'attente de son entrée en vigueur, certaines dispositions de cet accord mixte sont appliquées à titre provisoire , depuis le 1 er décembre 2017, dans la mesure où elles relèvent de la compétence de l'UE : article 2 (principes généraux) ; article 3 (dialogue politique) ; article 4 (droits de l'homme) ; article 5 (égalité entre les hommes et les femmes) ; titre III (coopération au développement) ; titre IV (coopération en matière de commerce et d'investissements) ; l'article 28 (coopération dans le domaine des migrations) ; titre VII (coopération régionale) ; titre VIII (cadre institutionnel) et titre IX (dispositions finales) dans la mesure où les dispositions de ce titre se bornent à assurer l'application provisoire de l'accord.

I. L'INSTITUTIONNALISATION D'UNE RELATION PLUS POLITIQUE ENTRE L'UE ET L'AFGHANISTAN

L'article 1 er dresse la liste des objectifs de ce partenariat, notamment le soutien de la paix et de la sécurité en Afghanistan, la promotion d'un développement durable de l'Afghanistan ; l'instauration d'un dialogue politique régulier, y compris sur la promotion des droits de l'Homme, l'égalité entre hommes et femmes ainsi que la participation de la société civile ; la coopération au développement ; le développement du commerce et de l'investissement entre les parties ; la coordination dans le domaine des enjeux mondiaux.

L'accord a également pour objet de soutenir le développement des institutions afghanes.

Après avoir rappelé que « le peuple afghan (...) est le propriétaire légitime et le moteur du processus de stabilisation, de développement et de démocratisation en Afghanistan », l'article 2 liste les principes généraux qui guident l'action des parties : le respect des principes démocratiques et des droits de l'Homme ; les objectifs de développement fixés au niveau international, notamment les objectifs du Millénaire pour le développement adoptés par l'Afghanistan ; les principes de bonne gouvernance, notamment la séparation des pouvoirs et la lutte contre la corruption.

L'article 3 instaure un dialogue politique régulier, qui peut, le cas échéant, avoir lieu au niveau ministériel.

A. LA COOPÉRATION POLITIQUE

1. La coopération dans le domaine des droits de l'Homme, de l'égalité entre les hommes et les femmes et de la société civile

Les parties conviennent de coopérer à la promotion et à la protection effective des droits de l'Homme (article 4), au renforcement des stratégies, des politiques et des programmes liés à l'égalité entre les hommes et les femmes dans tous les secteurs de la vie économique, culturelle, politique et sociale, afin notamment de permettre aux femmes d'exercer pleinement leurs droits fondamentaux, notamment l'éducation (article 5). L'article 6 insiste sur le rôle et la contribution de la société civile dans le processus de coopération et de dialogue prévu par le présent accord.

Le respect des principes démocratiques, des droits de l'Homme et de l'Etat de droit est élevé au rang d'élément essentiel de l'accord pouvant conduire à l'adoption unilatérale de mesures appropriées (voir Infra ), comme la suspension du présent accord ou d'accords spécifiques dans tout domaine de coopération mentionné dans le présent accord.

La nomination au sein de la délégation de l'Union européenne à Kaboul, entre 2015 et 2017, de deux conseillers politiques chargés, respectivement de l'Etat de droit et des droits de l'Homme et des questions liées au genre, doit permettre de favoriser la mise en oeuvre de ces dispositions.

2. La consolidation de la paix

À l'article 7, les parties soulignent leur attachement aux efforts en faveur de la paix et de la réconciliation menés par l'Afghanistan, tout en posant, comme condition préalable, sa nécessaire appropriation par le peuple afghan.

Les parties rappellent également l'importance d'un dialogue avec les pays de la région et du rôle des femmes dans la résolution des conflits et la consolidation de la paix, conformément à la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité des Nations unies.

3. Le soutien en faveur de la sécurité internationale

L'Afghanistan a finalement accepté les stipulations de l'article 8 auxquelles il était hostile de prime abord et qui avaient conduit au blocage des négociations. Les parties s'engagent finalement à promouvoir le statut de Rome instituant la Cour pénale internationale (CPI), ratifié par l'Afghanistan le 10 février 2003 et réaffirment que « des mesures doivent être adoptées en premier lieu au niveau national en coopération avec la CPI pour traiter les crimes les plus graves qui touchent la communauté internationale ».

En novembre 2017, la procureure générale de la CPI a commencé une enquête sur les exactions commises par les Talibans dans les zones sous leur contrôle, en vue d'une possible saisine de la Cour.

Aux termes de l'article 9, les parties s'engagent également en faveur de la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive (ADM) et de leurs vecteurs dans le cadre des conventions et traités multilatéraux auxquels ils sont parties. Cet engagement constitue le second élément essentiel de l'accord dont la violation constitue un « cas d'urgence spéciale » justifiant que l'une des parties prenne des mesures appropriées, de manière unilatérale (voir Infra ). Cette coopération vise notamment à mettre en place un système national efficace de contrôle des exportations et du transit des marchandises liées aux ADM.

Les parties s'engagent, en outre, à coopérer afin de renforcer les moyens institutionnels pour atténuer les risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC)

L'article 10 est consacré à la lutte contre la fabrication, le transfert et la circulation illicites d'armes légères et de petits calibres (ALPC) et souligne l'importance de disposer de régimes nationaux de contrôle du transfert d'armes conventionnelles conformes aux normes internationales en vigueur.

L'article 11 traite de la lutte contre le terrorisme sous toutes ces formes, y compris la radicalisation des jeunes. Les parties s'engagent à coopérer sur les questions en rapport avec la lutte contre les activités terroristes et à échanger des informations, ainsi qu'à mettre en oeuvre la stratégie antiterroriste des Nations unies.

Cet accord devrait ainsi permettre d'institutionnaliser et de structurer la coopération et les échanges existant déjà en ce domaine entre l'UE et l'Afghanistan. Ceci est d'autant plus essentiel que les questions sécuritaires constituent une dimension fondamentale de la relation politique globale que l'UE doit entretenir avec l'Afghanistan et que le contexte sécuritaire afghan est appelé à demeurer durablement tributaire de la persistance de menaces d'ampleur : actions violentes perpétrées par le mouvement taleb et ses alliés du réseau Haqqani, montée en puissance de l'Etat islamique au Khorasan, tentatives de Daech de continuer à s'implanter en Afghanistan, en favorisant le transfert vers la wilaya Khorassan de combattants terroristes depuis le Levant, lutte d'influence et surenchère dans la violence entre les organisations terroristes.

L'accroissement des échanges d'information devrait permettre à l'UE et à ses Etats membres, dont la France, de mieux cibler encore les actions de coopération pouvant être mises en place pour aider les autorités afghanes à renforcer leurs capacités d'anticipation et de réponse à ces menaces.

B. LA MISE EN PLACE D'UN COMITÉ MIXTE CHARGÉ DU SUIVI DE LA MISE EN oeUVRE DE L'ACCORD

L'article 49 prévoit l'institution d'un comité mixte , composé de représentants des parties du niveau le plus élevé possible. Il se réunira, tour à tour, à Kaboul et à Bruxelles. Sa présidence est exercée alternativement.

Le comité veille ainsi au bon fonctionnement et à la bonne application du présent accord. Il a aussi pour mission de résoudre les différends liés à l'application ou à l'interprétation du présent accord, en examinant les informations présentées par les parties et à mener des consultations.

Le comité mixte peut également décider de constituer des comités spéciaux ou des groupes de travail dont il détermine la composition, la mission et le fonctionnement.

Ce comité mixte s'est réuni pour la première fois le 1 er février 2018 à Bruxelles. Coprésidé par le ministre des Finances afghan Eklil Hakimi et le directeur exécutif Asie-Pacifique du Service européen pour l'action extérieure (SEAE) Gunnar Wiegand, il a permis de discuter de la mise en oeuvre de l'agenda de réforme afghan agréé à la Conférence de Bruxelles d'octobre 2016, de l'état de la coopération entre l'Union européenne et l'Afghanistan, en particulier les droits de l'Homme, l'égalité entre les femmes et les hommes, la coopération au développement, les enjeux commerciaux et d'investissement, les questions migratoires, la coopération régionale et les enjeux de connectivité.

Le comité mixte a décidé de la mise en place de deux groupes de travail spéciaux, dédiés respectivement aux droits de l'Homme, à la bonne gouvernance et aux migrations ainsi qu'au développement économique et social.

La prochaine réunion du comité mixte se tiendra à Kaboul en 2019.

II. L'EXTENSION DES DOMAINES DE COOPÉRATION ENTRE L'UE ET L'AFGHANISTAN

A. LA COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT

Le titre relatif à la coopération au développement (article 12) a pour principal objectif l'éradication de la pauvreté, le développement durable et l'intégration de l'Afghanistan dans l'économie mondiale, conformément aux objectifs du Millénaire pour le développement et tout critère ultérieur de développement en référence aux Objectifs de développement durable (ODD) et aux objectifs de l'Agenda 2030.

Cette coopération prend en compte les programmes et les stratégies de l'Afghanistan en matière de développement, notamment la stratégie du Gouvernement afghan en matière d'économie et de développement intitulée « Realising Self-Reliance : Commitments to Reforms and Renewed Partnership » présentée lors de la Conférence de Londres de 2014, ainsi que les engagements mutuels pris lors des conférences internationales sur le développement de l'Afghanistan, à Bonn en 2011, à Tokyo en 2012 et à Londres en 2014. Au cours de la Conférence de Bruxelles sur l'Afghanistan , co-présidée par l'Union européenne et l'Afghanistan, le 5 octobre 2016 , la communauté internationale représentée par 75 pays et 26 organisations internationales a pris l'engagement d'affecter 13,6 milliards d'euros sur la période 2017-2020 pour le développement de l'Afghanistan (Voir Supra ).

Le présent accord oblige à prendre en considération, dans tous les domaines de la coopération au développement, les questions relatives aux droits de l'Homme, à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes, à la démocratie, à la bonne gouvernance , à la durabilité environnementale, au changement climatique, à la santé, au développement institutionnel et au renforcement des capacités institutionnelles, à la lutte contre la corruption, à la lutte contre la drogue et à l'efficacité de l'aide.

Les parties peuvent mobiliser des ressources supplémentaires, sous la forme d'une combinaison de subventions et de prêts, auprès de bailleurs de fonds, afin d'accroître l'incidence de l'aide européenne. Ces dispositions doivent permettre de développer de nouveaux mécanismes d'assistance européenne à l'Afghanistan , tels que le recours à l'assistance budgétaire directe : en marge de la conférence de Bruxelles sur l'Afghanistan du 5 octobre 2016, l'Union européenne a signé, pour la première fois avec ce pays, un contrat d'appui à la consolidation de l'Etat ( state-building contract , SBC) pour un montant de 200 millions d'euros . Conçu comme un instrument de soutien aux Etats en situation de fragilité ou de transition démocratique, il doit permettre à l'administration publique de fournir les services les plus élémentaires à la population, et de libérer ainsi des capacités financières pour que l'Etat partenaire prenne des mesures pour favoriser la paix et la stabilité macroéconomique du pays. Dans le cas de l'Afghanistan, ce contrat d'appui à la consolidation de l'Etat a trois objectifs : la réforme du secteur public et la lutte contre la corruption ; la fourniture de services de base et l'égalité entre les femmes et les hommes ; ainsi que la gestion des finances publiques, afin de favoriser la mobilisation des ressources domestiques et la transparence. L'ambition de l'Union européenne est ainsi de soutenir le gouvernement afghan dans son objectif déclaré de transition vers l'autonomie, en augmentant sa légitimité et en lui permettant de mettre en oeuvre les mesures décidées au sein du Cadre de développement national afghan (ANDF) adopté en amont de la Conférence de Bruxelles.

S'agissant d'aide au développement, il faut rappeler que l'Agence française de développement (AFD) a commencé à intervenir en Afghanistan en 2004 et a ouvert une agence à Kaboul en 2009. Cette agence a été fermée pour des raisons de sécurité, en octobre 2017, si bien que le suivi des projets se fait désormais depuis Islamabad au Pakistan. Cette action s'articule avec le Traité d'amitié et de coopération franco-afghan signé le 27 janvier 2012, dont l'objectif est « d'accompagner l'Afghanistan dans sa phase de transition » et « de maintenir une coopération au-delà ».

L'intervention de l'AFD porte, à titre principal, sur la santé et l'hydraulique urbaine, et de manière secondaire, sur l'éducation, l'amélioration de l'habitat et l'électrification rurale. L'intervention de l'AFD en faveur de l'Etat afghan a été de l'ordre de 10 millions d'euros entre 2005 et 2013 et de 5 millions d'euros en 2014, en termes de subventions et d'engagements annuels. De 2015 à 2018, aucun nouvel engagement n'a pu être pris sur les crédits propres à l'AFD.

B. LA COOPÉRATION EN MATIÈRE DE COMMERCE ET D'INVESTISSEMENTS

Aux termes de l'article 13 , les parties nouent un dialogue sur le commerce bilatéral et multilatéral. Le soutien à l'accession de l'Afghanistan à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) est explicitement mentionné.

Outre le développement et la diversification des échanges, il est prévu d'améliorer la prévisibilité des conditions d'accès au marché, de promouvoir le développement économique régional et de recourir au programme « Aide pour le commerce de l'OMC », en vue d'approfondir les relations bilatérales entre l'Union européenne et l'Afghanistan en matière de commerce et d'investissements.

L'Union européenne a développé sa propre stratégie d'aide pour le commerce en 2007 - stratégie renouvelée en 2017 - qui constitue, avec ses Etats membres, le premier fournisseur d'aide pour le commerce. Pour l'année 2015, les engagements de l'Union européenne en la matière ont atteint un niveau de 13,16 milliards d'euros.

L'Union européenne a lancé, en novembre 2016, une initiative intitulée « Afghanistan : le commerce pour la croissance économique et la coopération régionale (ATEG) », financée sur trois ans pour un montant de 4,5 millions d'euros. Elle sera mise en oeuvre par le Centre international pour le commerce (ITC) de l'OMC et des Nations unies. Son objectif est de renforcer la capacité des décideurs politiques afghans à formuler et à mettre en oeuvre la politique commerciale du pays, à la suite de l'adhésion de l'Afghanistan à l'OMC en juillet 2016, et de sa ratification de l'accord sur la facilitation des échanges de l'organisation. Dans ce cadre, le présent accord doit contribuer au développement de programmes européens de renforcement des capacités afghanes en matière commerciale,

D'autres accords peuvent être conclus, entre l'Union européenne et l'Afghanistan, en matière commerciale, si besoin et si ces accords présentent un intérêt mutuel.

L'article 14 est relatif à la clause de la nation la plus favorisée que les deux parties s'accordent mutuellement.

La coopération s'étend également en matière de sécurité alimentaire et sur les questions sanitaires et phytosanitaires (article 15), à l'élimination des obstacles techniques au commerce (article 16), dans le domaine douanier - partage d'expertise entre les autorités douanières et simplification des procédures - en vue de garantir un environnement commercial transparent (article 17), à la promotion des investissements directs étrangers (article 18), du commerce des services (article 19) et de la circulation des capitaux (article 20).

Les parties pourront également coopérer à la mise en place d'un mécanisme de passation des marchés publics moderne et efficace en Afghanistan (article 21). Elles reconnaissent l'importance de la transparence et du respect de la légalité dans le domaine commercial (article 22).

En outre, les parties conviennent de protéger et de faire respecter les droits de la propriété intellectuelle, y compris les indications géographiques (article 23).

C. LA COOPÉRATION DANS LES DOMAINES DE LA JUSTICE ET DES AFFAIRES INTÉRIEURES

1. La justice et la police nationale afghane

L'article 24 souligne l'importance de la consolidation de l'Etat de droit et du renforcement des institutions, dont la mission est de faire appliquer la loi, y compris l'administration de la justice et le système pénitentiaire. Les parties conviennent ainsi de promouvoir de plus amples réformes des forces de police afghanes.

L'Union européenne continuera, notamment, à soutenir le développement du secteur de la justice et de la police nationale afghane.

S'agissant des réformes de la police, l'UE les soutiendra, notamment par le financement des forces de police dans le cadre du programme pluriannuel 2014-2020 et dans la continuité de la mission civile EUPOL Afghanistan, qui s'est achevée le 31 décembre 2016, via les différents instruments extérieurs de l'UE, tels que l'Instrument contribuant à la Stabilité et à la Paix (IcSP) et l'Instrument de coopération au développement (ICD)

La mission de PSDC civile EUPOL Afghanistan (voir Supra ), qui s'est déroulée entre 2007 et 2016, avait trois objectifs : professionnalisation de la police nationale afghane, réforme institutionnelle du ministère de l'intérieur, développement des liens entre la police et la justice (liens avec le Procureur général, promotion des droits de l'Homme et des questions de genre dans le travail de la police notamment). Elle a permis l'émergence en Afghanistan d'une véritable force de police même si les résultats obtenus semblent encore fragiles.

Afin de ne pas perdre l'acquis de la mission, une mission de conseil ( EU Police Advisory Team ) réduite et rattachée, dans un premier temps, à la délégation de l'UE à Kaboul, a été lancée au 1 er janvier 2017 pour poursuivre le travail de conseil auprès des autorités afghanes (réforme du ministère de l'intérieur et de la police nationale). Ce projet est financé à hauteur de 7,5 millions d'euros sur l'IcSP pour 2018-2019 et sera financée à l'avenir sur l'ICD.

Cette action de l'UE via l'ICD contribuera à améliorer la situation, au moyen, d'une part, du Fonds d'affectation spéciale pour l'ordre public en Afghanistan (LOFTA) et, d'autre part, de l'équipe consultative de l'UE chargée des questions de police.

Le projet assurera un soutien stratégique en vue de la transformation de la police nationale afghane en une police civile et cherchera à permettre au ministère de l'intérieur et à la police nationale afghane d'exécuter efficacement leurs tâches, grâce à une force de police professionnelle. Plusieurs conseillers seront nommés au ministère de l'intérieur afin d'appuyer la réorientation et la réforme stratégique, de renforcer la responsabilité institutionnelle fondée sur un contrôle interne et une meilleure gestion de l'information et enfin de soutenir la professionnalisation des forces de police afghanes.

S'agissant du soutien aux réformes de la justice afghane, l'UE finance déjà le projet de fourniture du service public de la justice par le truchement du fonds fiduciaire de la Banque mondiale pour la reconstruction de l'Afghanistan (ARTF). À l'avenir, l'UE prévoit de soutenir l'accès à la justice des citoyens afghans et les capacités du bureau du procureur général afghan à hauteur de 31,5 millions d'euros.

2. La lutte contre les drogues illicites

Les parties conviennent de coopérer pour lutter contre les drogues illicites en Afghanistan. L'article 26 a notamment pour objet de renforcer les structures afin de prévenir la production illicite de stupéfiants ; d'offrir une assistance technique et administrative à l'Afghanistan ; de démanteler les réseaux criminels transnationaux notamment par l'échange d'informations et la formation aux techniques d'enquêtes spéciales. Cette approche est complétée par une coopération régionale. Les actions de coopération se fondent sur les principes communs aux conventions internationales pertinentes, en particulier, celles des Nations unies.

C'est un sujet important car l'Afghanistan est le premier producteur mondial (80 à 90% de la production mondiale) d'opium et d'héroïne et que la production ne cesse d'augmenter en dépit du plan d'action gouvernemental 2015-2019 contre la production et le trafic de drogue. Selon l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, la production potentielle d'opium est estimée à 9 000 tonnes et représente 1,4 milliard de dollars par an. 150 tonnes d'héroïne seraient acheminées chaque année vers le marché européen par la route des Balkans.

Par ailleurs, la drogue entretient l'instabilité afghane , dont les trafiquants tirent profit : le faible contrôle sécuritaire des autorités facilite la production et les trafics ; les revenus de la drogue financent les groupes insurgés et une corruption à tous les niveaux de l'Etat. Selon l'ONUDC, 85% des cultures de pavot à opium seraient situées sur des territoires sous domination des Talibans . Il existe par ailleurs de plus en plus de raisons de croire que les revenus de la drogue sont en partie captés par la wilaya Khorassan de Daech.

L'abondance de drogue représente aussi de manière croissante un défi de santé publique , car elle encourage la consommation locale de produits stupéfiants (12,6 % de la population adulte consommerait de la drogue) et s'accompagne de risques sanitaires majeurs (nombre important de toxicomanes et d'usagers de drogues atteints du virus de l'hépatite C et du VIH).

Face à ces menaces, la France, l'Union européenne et nos partenaires entretiennent une coopération nourrie avec l'Afghanistan, notamment pour renforcer les capacités des services répressifs et pour soutenir des projets visant à mettre les agriculteurs en capacité de renoncer à la culture du pavot (développement alternatif). Une lutte efficace contre le problème de la drogue passe avant tout par une prise de conscience de la part des autorités et une stratégie à même d'articuler répression (éradication de cultures, lutte contre les trafics), développement alternatif, santé et coopération régionale. L'article 25 relatif à la coopération dans la lutte contre la criminalité organisée, économique et financière et la corruption, notamment par la mise en oeuvre des conventions des Nations unies pertinentes, s'insère pleinement dans cette logique.

Le principal défi pour la communauté internationale est de mieux coordonner les actions de lutte contre le narcotrafic au profit de l'Afghanistan. La France y contribue dans le cadre du mini-groupe de Dublin créé en 2014, groupe informel réunissant les principaux donateurs en matière de lutte contre la drogue (États membres de l'Union européenne, États-Unis d'Amérique, Japon, Norvège, Canada et l'ONUDC), dont elle assure la présidence pour la zone Afghanistan-Pakistan. Elle promeut également la coopération régionale au sein de l'Initiative du Pacte de Paris qui est une initiative française et russe, lancée en 2003, et qui réunit aujourd'hui plus de 50 pays et organisations internationales mobilisés dans la lutte contre les trafics d'opiacés en provenance d'Afghanistan.

L'Union européenne soutient la lutte contre les stupéfiants également par le biais de l'ICD, qui finance notamment un programme de l'ONUDC s'inscrivant dans le cadre de l'Initiative du pacte de Paris pour favoriser la coopération entre l'Afghanistan et les pays situés sur les routes de trafic de l'héroïne.

L'article 27 vise la coopération en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Il s'agit principalement de permettre des échanges d'informations utiles dans le cadre des législations respectives des parties et de l'adoption de normes appropriées dans ce domaine, comme celles adoptées par l'UE et les organismes internationaux actifs comme le Groupe d'action financière (GAFI).

3. Les migrations

Les enjeux migratoires constituent des enjeux de longue date pour l'UE.

L'article 28 vise la coopération dans le domaine des migrations, afin d'empêcher les flux migratoires irréguliers. Les parties s'engagent à entamer un dialogue approfondi et à coopérer dans ce domaine, conformément à l'approche globale de l'UE sur la question des migrations et la mobilité et aux conventions internationales applicables. L'accord ouvre également la voie à la conclusion, à la demande de l'une des parties, d'un accord de réadmission juridiquement contraignant (paragraphe 4 de l'article 28), similaire à celui signé entre l'Union européenne et le Pakistan en 2009.

Selon les informations transmises par le MEAE 9 ( * ) , les migrants afghans représentent, après les Syriens, le deuxième flux d'entrées dans l'Union européenne et le premier groupe de mineurs non accompagnés depuis 2015.

Depuis cette date également, les flux d'Afghans en méditerranée ne tarissent pas. En 2017, les Afghans représentaient la troisième nationalité la plus présente dans les îles grecques en provenance de Turquie (3 471 personnes, soit 11 % du total). En 2018, ils constituent la première nationalité la plus représentée parmi les arrivées sur les îles grecques depuis la Turquie (9 469 personnes, soit 28 % du total)

Ces flux migratoires importants vers l'Europe se traduisent par une demande d'asile élevée, qui tend à se déplacer au sein de l'UE.

L'Union européenne a observé un bond des demandes d'asile afghanes à partir de 2015, avec 196 255 demandes en 2015 et 190 250 demandes en 2016. En 2017, la demande d'asile afghane a chuté en Europe pour s'établir à 49 280 demandes. Sur les six premiers mois de 2018, 19 706 demandes d'asile afghanes ont été présentées dans l'UE.

En France, la demande d'asile afghane a fortement augmenté à partir de la fin de l'année 2015 (2 122 premières demandes). On enregistre 9 439 demandes en 2018 contre 6 062 en 2017. Le taux d'acceptation, s'il reste relativement élevé, suit une tendance à la baisse, en passant de 88,1 % en 2017 à 72,8 % en 2018.

La coopération avec les autorités afghanes en matière de réadmission constitue l'un des quatre piliers de la nouvelle stratégie de l'Union européenne à l'égard de l'Afghanistan, et les conclusions du Conseil Affaires étrangères du 16 octobre 2017 « saluent la mise en oeuvre en cours du projet d'action conjointe pour le futur sur les questions migratoires UE-Afghanistan et des arrangements bilatéraux des Etats membres sur les migrations, et soulignent l'importance de poursuivre et d'améliorer ces efforts en vue de leur mise en oeuvre effective, en accord avec le droit européen et spécifiquement en accord avec les droits fondamentaux et les principes généraux du droit international ».

Le présent accord a pour objectif de contribuer à favoriser la mise en oeuvre du « Projet d'action conjointe pour le futur sur les questions migratoires » (« Joint Way Forward (JWF) »), signé, à Kaboul, le 2 octobre 2016, entre l'Union européenne et l'Afghanistan. Cet instrument non contraignant contient des dispositions opérationnelles précises en matière de retour et de réadmission et des dispositions relatives à des programmes d'aides au retour et à la réinsertion ainsi qu'à la lutte contre les filières d'immigration clandestine. L'Afghanistan a marqué son engagement en poursuivant l'application de ce texte qu'il aurait pu dénoncer au terme de la période initiale de deux ans et les résultats sont visibles. Les retours forcés depuis l'UE ont été multipliés par 3 par rapport à 2015 et par 2 par rapport à 2016. Ainsi, sur les 4 455 éloignements prononcés en 2017, 1 519 ont été exécutés et sur les 4 415 prononcés en 2018, 1 501 ont été exécutés. La France a exécuté un peu moins de vingt retours forcés en 2018 mais entend augmenter ces derniers en 2019.

L'article 29 instaure une protection consulaire européenne en Afghanistan tandis que l'article 30 prévoit que les parties coopèrent pour augmenter le niveau de protection des données à caractère personnel.

D. LA COOPÉRATION SECTORIELLE

Dans le cadre de cet accord, les parties s'engagent à approfondir leur coopération dans un grand nombre de secteurs comme la modernisation de l'administration publique aux niveaux national et infranational (article 31), la gestion des finances publiques (article 32), la bonne gouvernance dans le domaine de la fiscalité (article 33), le secteur des services financiers (article 34), le développement des capacités statistiques (article 35), la gestion des risques de catastrophes (article 36), le renforcement des capacités en matière d'exploitation, de développement, de traitement et de commercialisation des ressources naturelles (article 37) - le secteur minier fait l'objet d'une coopération accrue -, le secteur énergétique (article 39) et des transports (article 38), l'agriculture, l'élevage et les moyens de subsistance des communautés rurales en vue de garantir la sécurité alimentaire (article 42), la protection de l'environnement et l'adaptation au changement climatique (article 43) , la réforme du secteur de la santé et la prévention des grandes maladies (article 44).

S'agissant des ressources naturelles, le développement du secteur de l'extraction minière , qui devrait profiter au développement de l'économie afghane, pourrait aussi intéresser des entreprises françaises , qui pour l'instant sont peu présentes en Afghanistan. Outre des gisements de talc d'une valeur potentielle estimée à 1 000 milliards de dollars en 2010, le sous-sol afghan contiendrait de nombreux minerais essentiels aux technologies de la transition énergétique et aux technologies civilo-militaires, notamment du cuivre, du fer, de la bauxite, du chrome, du nickel, du mercure, de l'or, de l'argent, du plomb, du zinc, ou des terres rares .

Dans le domaine de la santé et de la culture, le savoir-faire français est présent et apprécié en Afghanistan.: « hôpital pour la mère et l'enfant de Kaboul », lycées français et bourses universitaires.

Outre une coopération dans le domaine de l'emploi et du développement social à l'article 41, une coopération est également prévue dans le domaine de l'éducation, de la recherche et de la formation professionnelle (article 38) avec des actions de sensibilisation sur les possibilités d'étude dans l'Union européenne et en Afghanistan, ainsi que la mise en oeuvre de programmes -Erasmus+ dans l'enseignement, Marie Sklodowska-Curie pour la mobilité et la formation des chercheurs, Horizon 2020 pour la recherche et l'innovation.

Les Parties conviennent également de coopérer dans le domaine des affaires culturelles (article 45) ; dans le domaine de la société de l'information, s'agissant notamment des produits liés aux technologies de l'information et de la communication (article 46). Elles favoriseront les échanges et le dialogue dans les domaines de l'audiovisuel et des médias (article 47).

E. LE CAS PARTICULIER DE LA COOPÉRATION RÉGIONALE

L'article 48 souligne l'importance des initiatives de coopération régionale pour restaurer le rôle de l'Afghanistan en tant que pont terrestre entre l'Asie Centrale, l'Asie du Sud et le Proche-Orient pour stimuler la croissance économique et renforcer la stabilité politique de la région. Les parties réaffirment leur soutien au processus d'Istanbul, créé en novembre 2011 sous la direction de la Turquie , afin de promouvoir la coopération politique entre l'Afghanistan et ses voisins, notamment au moyen de mesures de confiance comme convenu lors de la conférence ministérielle « Coeur de l'Asie » qui s'est tenue à Kaboul en juin 2012. L'UE soutient la mise en oeuvre effective de ces mesures de confiance.

III. DISPOSITIONS FINALES

Aux termes de l'article 50, l'Union européenne fournit une assistance technique et financière à l'Afghanistan pour la mise en oeuvre de cet accord.

L'article 51 instaure une coopération des parties en matière de lutte contre la fraude. Outre la mise en place d'une assistance financière, des mesures effectives devront être prises pour prévenir et combattre la fraude, la corruption et toute autre activité illégale portant atteinte à leurs intérêts financiers. Les autorités afghanes vérifieront régulièrement que les actions financées à l'aide de fonds de l'Union ont été exécutées correctement et transmettront à la Commission européenne toute information dont elles ont connaissance. En cas de soupçon de fraude ou de corruption, l'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) sera informé et pourra aider les autorités afghanes à mener des enquêtes et des poursuites. En outre, l'OLAF pourra être autorisé, à sa demande, à effectuer des contrôles et des inspections sur place en Afghanistan.

La lutte contre la corruption est identifiée comme une priorité de l'action européenne en Afghanistan. En 2016 et 2017, la délégation de l'Union européenne à Kaboul a organisé plusieurs campagnes anti-corruption, sur le rôle de la corruption dans les difficultés du processus de paix, et la présence de la corruption dans le secteur minier, toutes ponctuées par des événements de haut niveau organisés au palais présidentiel afghan, tandis que l'équipe consultative de l'UE (EUAT), sous la responsabilité du RSUE pour l'Afghanistan, a soutenu le centre judiciaire anti-corruption afghan (ACJC) via une formation des procureurs locaux sur la procédure d'enquête dans les cas de corruption.

L'article 52 prévoit un élargissement possible de la coopération au titre du présent accord, tandis que l'article 53 permet aux Etats membres de coopérer au niveau bilatéral avec l'Afghanistan.

Aux termes de l'article 54, le comité mixte est saisi de tout différend portant sur l'application ou sur l'interprétation de cet accord.

Conformément à la pratique habituelle de l'Union européenne, une « violation substantielle » de l'article 2 § 3 sur le respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l'article 9 § 2 sur la lutte contre la prolifération d'armes de destruction massive peut entraîner la suspension par l'une des parties du présent accord ou de tout autre accord sectoriel conclu dans les domaines de coopération mentionnés au présent accord.

Selon l'article 55, les parties conviennent d'accorder aux fonctionnaires et experts chargés de la mise en oeuvre du présent accord les facilités nécessaires à l'accomplissement de leurs tâches. Elles s'engagent également à veiller à leurs intérêts communs en matière de sécurité et divulgation d'informations (article 56).

Des précisions sont également apportées sur la définition des parties (article 57), l'application territoriale (article 58) et les versions de l'accord faisant foi (article 60).

Enfin, l'article 59 précise que l'accord est conclu pour une période initiale de dix ans et qu'il est automatiquement reconduit pour des périodes successives de cinq ans , sauf intention contraire de l'une des parties notifiée par écrit avec un préavis de six mois.

Cet instrument entrera en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant la notification de sa ratification par l'ensemble des parties.

À ce jour, l'accord a été ratifié par l'Afghanistan et par 14 Etats membres de l'Union européenne (Allemagne, Bulgarie, Croatie, Espagne, Estonie, Finlande, Hongrie, Irlande, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Portugal et République tchèque).

CONCLUSION

Après un examen attentif des stipulations de cet accord, la commission a adopté ce projet de loi autorisant la ratification de l'accord de coopération en matière de partenariat et de développement entre l'Union européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République islamique d'Afghanistan, d'autre part.

Cet accord revêt une grande importance dans le contexte actuel de recherche d'initiatives efficaces en matière de paix et est cité en exemple pour de futurs accords entre le gouvernement afghan et des factions d'insurgés.

Il devrait en outre permettre de combler le déficit de visibilité de l'UE en Afghanistan dû au fait que l'engagement en matière de développement de l'UE ne se traduit pas par une implication dans les pourparlers de paix.

Le présent accord n'entraîne aucune modification du droit interne français ainsi qu'aucune implication financière nouvelle.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 6 février 2019, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. René Danesi sur le projet de loi n° 158 (2018-2019) autorisant la ratification de l'accord de coopération en matière de partenariat et de développement entre l'Union européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République islamique d'Afghanistan, d'autre part.

Après l'exposé du rapporteur, un débat s'est engagé.

M. Christian Cambon, président . - Au regard du montant de l'aide accordée par l'Union européenne à l'Afghanistan et des résultats obtenus, le présent accord suscite légitimement quelques interrogations.

Mme Christine Prunaud . - Pourriez-vous, monsieur le rapporteur, nous confirmer que les crédits destinés à la police et à la justice sont considérés, dans le cas de l'Afghanistan, comme une aide au développement ? S'agissant de l'entrée de migrants afghans dans l'Union européenne, nous constatons effectivement l'augmentation des flux sur nos territoires. Pour autant, le fait que l'Afghanistan soit considéré comme un pays sûr, ce qu'il n'est certainement pas, permet le renvoi de nombreux migrants. Le protocole d'accord permettra-t-il une évolution en la matière ?

Mme Gisèle Jourda . - La teneur des propos tenus par le Professeur Dorronsoro devant notre commission me fait quelque peu douter du réalisme de l'article 5 du titre II du protocole relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes.

M. Richard Yung . - Le lien entre la description fort pessimiste de la situation afghane par M. Dorronsoro et le montant considérable des aides versées au pays par l'Union européenne ne semble guère évident. Nous devons évidemment aider les Afghans, mais les résultats n'apparaissent pas pour l'instant à la hauteur des investissements.

M. Alain Cazabonne . - Le rapport donne une estimation du trafic de drogue à partir de l'Afghanistan. Sur quel fondement est-elle calculée ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Je partage les interrogations de Gisèle Jourda sur l'article 5 du protocole : « la création d'un cadre adéquat » me semble très éloignée de la réalité. Nous avons déjà apporté une aide à la rédaction de la Constitution afghane, dont le volet relatif à l'éducation demeure inappliqué. Le présent protocole m'apparait donc très en retrait des besoins. Nous ne devons pas nous contenter d'un discours de bonne volonté.

M. Yannick Vaugrenard . - Je ressens un grand malaise compte tenu de l'audition précitée de M. Dorronsoro. Notre commission entérine traditionnellement les projets de ratification des traités et conventions, mais cet accord me semble excessivement éloigné de la réalité qui nous a été décrite, en particulier s'agissant de l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous devrions exprimer notre mécontentement lorsque des traités ne prennent aucunement en compte la situation réelle.

M. Christian Cambon, président . - Dans la perspective du débat prochain sur le projet de loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, il conviendra d'évaluer l'efficacité de nos actions. En Afghanistan, l'Agence française de développement (AFD) a fermé son antenne. L'Union européenne a versé 3,7 milliards d'euros à l'Afghanistan, soit un montant considérable ! Nous devons veiller au contenu des dépenses réalisées grâce aux aides versées et dresser le bilan des actions ainsi menées. En Afghanistan, les résultats ne sont guère probants en matière de droit des femmes et de lutte contre la drogue.

M. René Danesi, rapporteur . - Je partage votre scepticisme, compte tenu des propos tenus par le Professeur Dorronsoro devant notre commission. Mais il convient de rappeler que le présent protocole d'accord, signé en janvier 2017, a été négocié en 2016, alors que les diplomates pouvaient encore entretenir quelque espoir. Depuis, les États-Unis cherchent à se retirer de la guerre la plus coûteuse de leur histoire... L'Union européenne ne participe pas aux négociations conduites à Doha entre les États-Unis et les Talibans. Ces derniers, nous indiquait Gilles Dorronsoro, sont des bureaucrates capables d'administrer un État. Pour autant, et même si les milliards versés n'ont pas été parfaitement utilisés, l'Union européenne doit veiller à rester présente pour l'avenir, notamment sur les questions de sécurité. Pensez que, chaque année, un tiers de l'armée afghane s'évanouit dans la nature... Depuis 2001, l'Occident a échoué à fonder un État sans les Talibans. S'agissant des aides versées par la France, un abîme existe entre les engagements officiels et les montants effectifs, qui n'ont pas dépassé 5 millions d'euros en 2018.

Madame Prunaud, dans le cadre du présent protocole, le soutien à la justice et à la police ressort effectivement de l'aide au développement. Les besoins en la matière apparaissent considérables, d'autant qu'il ne peut y avoir de développement sans sécurité. Pour ce qui concerne les migrants afghans présents en France, je vous rappelle que 72 % d'entre eux ont obtenue l'asile en 2018. L'année dernière, seulement vingt personnes ont été reconduites à la frontière : vous conviendrez que ce chiffre ne donne pas une image bien féroce de la France. Bien que l'accord actuel ne soit pas contraignant, et à la différence de nombre de pays africains, l'Afghanistan accepte d'accueillir ses migrants en retour.

Plusieurs collègues m'ont logiquement interpellé sur l'application des droits fondamentaux en Afghanistan, notamment à l'endroit des femmes. Les Talibans assimilent les droits des femmes aux valeurs des occupants successifs de leur pays, notamment les Soviétiques et les Occidentaux, ainsi que nous le rappelait le Professeur Dorronsoro. L'égalité entre les femmes et les hommes demande un travail quotidien qui passe notamment par l'école. Deux ou trois générations seront nécessaires pour y parvenir. Hélas, tel n'était pas le souci majeur des États-Unis. L'Union européenne, en revanche, pourrait s'y investir.

Enfin, monsieur Cazabonne, les chiffres de mon rapport proviennent de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) qui évalue notamment la production de drogue par pays. Sa destination finale, en revanche, semble plus difficile à connaître avec certitude.

M. Christian Cambon, président . - La France a dépensé près de 850 millions d'euros par année passée en Afghanistan, où elle a perdu quatre-vingt-dix hommes. Pourtant, les informations données par notre rapporteur n'incitent pas à l'optimisme. La procédure applicable aux accords européens conduit à placer les Parlements nationaux devant le fait accompli, ce qui ne nous empêche nullement d'évaluer l'efficacité des actions d'aide au développement. Nous sommes cependant bien d'accord qu'il faudra continuer à aider ce pays.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté le rapport et le projet de loi précité.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Par le rapporteur, le jeudi 24 janvier 2019 :

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères

Mission des accords et traités

Mme Lucile CARREZ , rédactrice

Sous-Direction des relations extérieures de l'Union européenne

M. Louis DOUCET , rédacteur

Sous-Direction d'Asie méridionale

Mme Camille PETIT , sous-directrice

Mme Tatiana NAGORNA , rédactrice Afghanistan

Ministère de l'Intérieur

Direction générale des étrangers en France

Service des affaires internationales et européennes

Chargé de mission affaires internationales

Jean-François CAMIER

Par la commission, le mercredi 30 janvier :

Audition de M. Gilles Dorronsoro, professeur de science politique à l'Université Paris 1, sur la situation en Afghanistan.

ANNEXE : COMPTE RENDU DE L'AUDITION DE M. GILLES DORRONSORO, PROFESSEUR DE SCIENCE POLITIQUE À L'UNIVERSITÉ PARIS 1, SUR LA SITUATION EN AFGHANISTAN, LE MERCREDI 30 JANVIER 2019

M. Cédric Perrin, président . - Nous accueillons aujourd'hui M. Gilles Dorronsoro, professeur de sciences politiques à l'université de Paris 1, pour une audition consacrée à la situation en Afghanistan, dans la perspective de l'examen en commission, la semaine prochaine, du projet de ratification d'une convention entre l'UE et ce pays. C'est pour nous l'occasion de faire le point sur la situation dans ce pays, qui a après avoir été pendant plus de 10 ans, le plus important théâtre extérieur de nos armées, est un peu sorti du champ de nos radars.

Je rappelle que la France a perdu 90 hommes en Afghanistan et je ne voudrais pas commencer cette réunion sans leur rendre hommage.

La France s'est désengagée d'Afghanistan à partir de 2012 mais c'est en 2014 que les Etats-Unis et leurs alliés ont mis un terme à leur engagement armé dans ce pays, décidé à la suite des attentats du 11 septembre 2001 pour éradiquer la menace Al-Qaïda et soutenir le régime afghan mis en place après le renversement des Talibans. Malgré l'effort militaire considérable fourni par les puissances occidentales (jusqu'à 130 000 hommes déployés), les Talibans n'ont jamais été défaits et contrôlent aujourd'hui environ la moitié du territoire, menant une guérilla sans relâche contre les autorités afghanes. La situation s'est aggravée en 2014 avec l'apparition d'une branche régionale de Daech, qui se livre à une surenchère dans la violence.

Il faut cependant souligner qu'en dépit du désengagement décidé en 2014, quelque 18 000 militaires - dont environ la moitié américains - sont encore présents aujourd'hui sur le territoire afghan, principalement dans le cadre d'une mission otanienne de soutien et d'assistance aux forces afghanes (la mission Resolute support ). Ce sont ces effectifs dont le Président américain a récemment annoncé qu'il en souhaitait le retrait. Parallèlement, les Etats-Unis auraient amorcé des négociations avec les Talibans en vue d'aboutir à un accord de paix. Selon la presse, un projet d'accord détaillé serait déjà sur la table.

Professeur, quelle analyse faites-vous de la situation en Afghanistan, sur le plan sécuritaire et politique ? Pensez-vous que l'initiative américaine puisse aboutir et que les Talibans sont prêts à entrer sincèrement dans le jeu, à quelques mois des élections présidentielles afghanes (été 2019) ? Surtout, une initiative qui écarte le gouvernement afghan est-elle réellement susceptible de déboucher ?

Par ailleurs, est-ce bien dans l'intérêt des pays occidentaux ? Une telle négociation avec ce qu'il faut bien appeler un ennemi, de même que le retrait total des troupes, ne risquent-t-ils pas de livrer le pays à la violence et à l'arbitraire et de favoriser la déstabilisation de la région ? Voire à laisser le champ libre à d'autres puissances en quête d'influence ?

Dans un tel contexte, que peuvent faire l'Union européenne et la France ?

Professeur, vous disposez d'une douzaine de minutes pour votre propos liminaires, puis mes collègues vous poseront des questions. Je rappelle que cette audition est filmée et retransmise sur le site internet du Sénat.

M. Gilles Dorronsoro, professeur de science politique à l'Université Paris 1. - Merci pour votre invitation. Je ne suis pas sûr de répondre à l'ensemble de vos questions, mais je vais vous dresser un tableau aussi honnête que possible de la situation.

Dans le dossier afghan, il y a, comme dans le dossier syrien, une continuité entre la politique menée par le président Obama et celle du président Trump. Les deux présidents américains ont en effet fait du retrait de la présence américaine au Moyen-Orient une priorité, sans planification et sans prise en compte de l'intérêt de leurs alliés. En une décennie, les Etats-Unis ont perdu leur crédibilité comme puissance arbitre au Moyen-Orient et ce qui ce passe en Afghanistan n'est que la traduction locale de cette modification de l'équilibre des pouvoirs au Moyen-Orient.

J'articulerai mon propos en trois points :

- Quelle évaluation peut-on faire du régime afghan actuel ?

- Quels sont les intérêts américains et ceux de leurs interlocuteurs talibans?

- Quelles sont les difficultés d'un règlement pacifique ?

Au plan politique, la situation s'est dégradée de manière continue depuis 2014 et à ce stade aucune solution militaire ne serait en mesure d'inverser le cours des choses. Même l'envoi de renforts supplémentaires ne garantirait pas la survie du régime afghan qui risque l'implosion. Les élections présidentielles prévues au printemps 2019 ont été repoussées, l'administration territoriale a depuis longtemps disparu, de sorte que les populations rurales n'ont plus qu'un lien très distendu avec l'Etat central, les fonctions régaliennes (police, justice) ne sont plus assurées. Les forces de sécurité, dont le nombre a fortement augmenté depuis 2010-2011, souffrent de problèmes structurels : corruption (notamment pour les aspects logistiques), déperdition des connaissances tactiques enseignées par les forces armées occidentales, important turn over des effectifs (attrition, non renouvellement des engagements, désertions...) : l'armée perd ainsi un tiers de ses effectifs (estimés entre 200 000 et 250 000) chaque année. Le Président Ashraf Ghani a récemment déclaré que le nombre de tués parmi les forces armées avoisinait les 45 000 depuis le retrait des troupes occidentales. L'armée afghane n'est plus en mesure de protéger les territoires ruraux, les grands axes routiers et les villes de second rang qui sont des cibles pour les Talibans. Kunduz, Ghaznî, Farah ont ainsi été conquises récemment, sans que pour autant, la situation s'améliore dans ces villes. Bien que réduites, les forces armées occidentales jouent encore un rôle déterminant, notamment grâce à leurs moyens aériens. Sans elles, il est à craindre un effondrement rapide du régime actuel.

Le retrait d'Afghanistan est désormais la ligne officielle des Etats-Unis qui ont engagé des négociations en ce sens à Doha. Cette stratégie fait suite à l'échec du renforcement des moyens militaires (« surge ») tenté lors du premier mandat de Barack Obama. Ce dernier avait donné le signal du départ en prévoyant le retrait de l'ensemble des troupes étrangères au plus tard fin 2014, de même Donald Trump a annoncé par un tweet le retrait de la moitié des troupes américaines, soit environ 7 000 hommes. Cette information ayant été ensuite démentie par le ministère de la défense, il est difficile de savoir ce qui va se passer. Toute la classe politique américaine est cependant favorable à cette ligne de retrait, personne ne défendant le maintien des troupes et la prolongation de la guerre. L'armée américaine, d'abord réticente au départ, s'est rangée à cette position.

Le programme des Talibans est stable : ils veulent un nouvel ordre constitutionnel (même s'ils ne demandent plus le rétablissement de la théocratie) tout en étant conscients de la nécessité d'assurer la continuité de l'Etat afghan, s'estimant les représentants d'un gouvernement en exil. A ce titre, ils se disent prêts à empêcher que le territoire afghan serve de base arrière aux mouvements terroristes, ce qui est crédible s'agissant de Daech, qu'ils combattent réellement, mais moins évident s'agissant d'Al-Qaïda qui leur a prêté allégeance et qui reste présent dans la région frontalière du Pakistan.

Contre cet engagement de combattre le terrorisme, les Etats-Unis ont à peu près tout accepté : le démantèlement de leurs bases, l'entrée des Talibans au gouvernement afghan...

Quels sont les obstacles à l'accord qui est en train de se dessiner? Je pense en effet que l'on parviendra à une forme d'accord. Le premier point, qui a surpris tout le monde, c'est l'absence du gouvernement de Kaboul. Les Américains, notamment l'ancien ambassadeur américain à Kaboul, Zalmay Khalilzad, négocient l'avenir de l'Afghanistan, mais le gouvernement afghan n'y est pas associé, d'où la protestation du Président afghan. Cet obstacle doit se comprendre dans sa double dimension. Premièrement, les Américains veulent négocier leur retrait plus que la stabilité de l'Afghanistan et deuxièmement le gouvernement de Kaboul est extrêmement faible et il n'est pas sûr que le Président Ghani puisse arriver à la table des négociations avec des positions qui reflèteraient un consensus des forces, notamment des forces locales qui le soutiennent plus ou moins. On se trouve donc dans une situation où Kaboul n'est pas associé mais où il n'est pas sûr non plus que Kaboul ait une position cohérente. Le deuxième élément, plus facilement gérable probablement, est l'attitude des puissances régionales. La défaite américaine est vécue positivement en Russie et en Iran pour des raisons évidentes. Pour la Russie, c'est la revanche après la défaite soviétique en Afghanistan, une humiliation supplémentaire du système américain. Les Russes, on l'a vu lors des dernières élections américaines, sont dans une véritable stratégie d'affaiblissement psychologique, d'humiliation des Etats-Unis et l'Afghanistan peut en faire partie. Pour l'Iran, c'est important, car cela enlève les troupes américaines à leurs frontières. Cela conforte sa sécurité régionale et peut lui permettre de jouer, de manière plus libre, avec les chiites afghans qui sont ses alliés préférentiels - les Talibans ayant aussi des contacts avec les Iraniens. Globalement pour la Russie et l'Iran, le retrait américain est plutôt un avantage, dans la mesure où ces deux puissances sont assez confiantes dans la possibilité qu'elles ont de faire en sorte que leurs frontières - les frontières d'Asie centrale liées aux intérêts russes s'agissant de la Russie - ne subissent pas de menace directe des Talibans. Entre les Talibans et les Iraniens notamment, il y a une cogestion de fait de la frontière, qui est annonciatrice d'accords informels plus larges.

Le problème possible, ce serait l'Inde parce que la victoire des Talibans est avant tout une victoire pakistanaise du point de vue indien. Le Pakistan s'est retrouvé, après le 11 septembre, dans une situation stratégique difficile, avec l'élimination de son principal allié et à sa place, une présence occidentale et surtout le retour de l'Inde en Afghanistan. Le Pakistan a alors eu une stratégie intelligente en aidant à la fois les Américains sur certains dossiers, comme la traque des groupes d'Al-Qaïda sur la frontière, et les Talibans jusqu'à leur victoire.

La raison centrale de l'échec américain en Afghanistan, c'est qu'aucune administration américaine n'a été capable de prendre en compte et de régler le problème pakistanais. Toute la stratégie américaine en Afghanistan supposait une coopération des Pakistanais alors que le Pakistan servait de sanctuaire aux Talibans. C'est un cas très particulier où un Etat est à la fois un ennemi et un allié et les Américains n'ont pas été capables de sortir de ce dilemme. L'Inde aurait le choix entre deux stratégies, soit adopter une position de retrait à l'égard des Talibans en espérant que leur nationalisme joue à la longue contre le Pakistan et les conduise vers une sorte d'alliance de revers avec l'Inde, soit appuyer le gouvernement de Kaboul ou des forces régionales pour s'opposer aux Talibans. Pour l'instant, il semblerait que les Indiens soient plutôt dans une position de retrait et qu'ils n'aient pas décidé d'une opposition frontale aux Talibans.

Pour finir, deux remarques. La première, les Etats-Unis ont toujours - sous les présidences de Barack Obama et de Donald Trump - spectaculairement affaibli leur position pendant les négociations, ce qui signifie que ce dossier est fondamentalement désinvesti. La seconde, la présence des groupes djihadistes transnationaux susceptibles de commettre des attentats aux Etats-Unis et en Europe - motif d'intervention des Etats-Unis en Afghanistan - n'est pas réglée. Les Talibans représentent la seule force capable de régler ce problème, or il n'existe plus aucun moyen de pression réel sur eux permettant de garantir que l'accord, si accord il y a, serait respecté. Voici donc la situation telle que je la vois.

M. René Danesi . - L'Union européenne et l'Afghanistan ont signé, le 18 février 2017, à Munich, un accord de partenariat et de développement. Cet accord, en cours de ratification par les Etats membres, je le présenterai à la commission la semaine prochaine. Il fait suite à une déclaration politique conjointe de 2005. Cet accord ambitieux porte sur des enjeux de paix et de sécurité, de renforcement de la démocratie, de développement économique et humain, de modernisation de l'administration publique, de contrôle des flux migratoires. Il ne comporte pas moins de soixante articles. Fidèle à ses valeurs, l'Union européenne (UE) a veillé à y intégrer des objectifs en matière de droits de l'Homme, y compris l'adhésion à la Cour pénale internationale, en matière de parité femmes/hommes, en matière de maintien de l'ordre public dont les pratiques doivent être améliorées. Pensez-vous que les valeurs de l'UE puissent effectivement prospérer dans ce pays largement tribal, à la corruption endémique et possédant des champs de pavot à perte de vue ?

Mme Christine Prunaud . - Ma question porte sur la politique migratoire. Y-a-t-il un accord de coopération entre la France et l'Afghanistan dans ce domaine ? Depuis plusieurs années, le nombre de refus de demandes d'asile augmente au motif que l'Afghanistan serait un pays sûr, ce qui n'est pas le cas pour moi. La mobilisation des puissances étrangères, comme vous nous l'avez indiqué, n'a pas servi à grand-chose. Je souhaiterais avoir votre avis sur la politique migratoire de la France à l'égard des Afghans qui cherchent refuge chez nous.

M. Jacques Le Nay . - Ma question porte également sur les migrations 72 % des Afghans qui ont fui leur pays sont renvoyés en Afghanistan sous prétexte de conditions de sécurité remplies, selon le ministère de l'intérieur. Quelle situation et quel avenir pour ces populations qui doivent sans cesse migrer ?

Qu'en est-il, dans un pays en guerre, de la situation particulièrement dramatique des interprètes et auxiliaires afghans qui ont coopéré avec nos forces armées lorsqu'elles étaient en opération en Afghanistan et que la France s'était engagée à protéger ? Certains ont été tués comme Qader Daoudzai à Kaboul le 20 octobre dernier alors qu'il préparait, une nouvelle fois, une demande de visa.

M. Pascal Allizard . - Vous n'avez pas parlé de la Chine dans « la configuration régionale » ; or la Chine est très présente au Pakistan. A-t-elle des implications en Afghanistan, appuie-t-elle les intérêts du Pakistan en Afghanistan ? Je voudrais aussi savoir si vous considérez que la détérioration des relations entre les Etats-Unis et le Pakistan a pesé sur la situation en Afghanistan ou si elle en est une conséquence. S'agissant des groupes afghans dits proches du Pakistan, échappent-ils aux contrôles des autorités afghanes ou pakistanaises ? Cela nous conduit à la question de la ligne Durand et des tribus pachtounes. Ce n'est pas un sujet récent puisque l'Inde britannique avait déjà des problèmes identiques avec les mêmes revendications de frontières de la part de l'Afghanistan. Dans cette zone tribale, faites-vous une réelle différence entre des Talibans afghans tournés vers des problématiques internationales et des Talibans pakistanais occupés par un conflit armé au nord-ouest du Pakistan et qui continue sur le Balouchistan, comme vous l'avez indiqué à propos de l'Iran.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Lors des mois écoulés, Washington et Kaboul ont accusé le Pakistan d'avoir un double langage, une forme de duplicité et sous couvert de propos antiterroristes, d'alimenter la violence pour défendre leurs propres intérêts domestiques ou géopolitiques. Partagez-vous cette analyse ? Une question relative à la prochaine loi d'orientation et de programmation de l'aide publique au développement : l'agence de l'aide française au développement (AFD) de Kaboul a dû fermer en 2017 au regard du contexte difficile de sécurité mais l'AFD continue à intervenir en Afghanistan depuis son agence basée à Islamabad. Pensez-vous qu'une aide publique au développement fait sens dans le contexte chaotique que vous venez de décrire ?

M. Gilles Dorronsoro .- Concernant l'accord de coopération avec l'UE et la question des valeurs, il faut bien admettre qu'il n'y a pas de coïncidence des valeurs entre l'Union Européenne et l'Afghanistan. Mais si la construction d'un système de démocratie libérale dans ce pays a échoué, ce n'est pas tant du fait de la résistance de la société afghane, qu'en raison du double langage tenu par les Occidentaux : d'une part, un appel au respect des droits de l'Homme et des valeurs occidentales, de l'autre, la transgression de celles-ci par les Occidentaux eux-mêmes (violation des droits humains par certaines forces armées, corruption). La société afghane est assez conservatrice, avec certes des nuances entre les villes et les campagnes, et son point d'équilibre (qu'incarnait notamment Hamid Karzaï) se trouve dans un islam conservateur. Il n'est pas possible de lui imposer des valeurs de l'extérieur. Ce que peut faire l'UE, c'est contribuer, de manière subtile et indirecte (ce qui n'a pas caractérisé jusqu'à présent les modes d'action des Occidentaux en Afghanistan) à soutenir et protéger des groupes fragiles, comme les femmes, ou des minorités. L'accord de coopération aura un intérêt - bien que modeste - quand le gouvernement afghan sera stabilisé car il sera l'occasion de contacts internationaux et un outil pour contenir les violations des droits.

Pour répondre à une autre question posée, non, l'Afghanistan n'est pas un pays sûr. Le lourd tribut payé par l'armée nationale afghane, près de 45000 soldats tués depuis le désengagement occidental en 2014, témoigne d'une insécurité persistante. La problématique de l'insécurité est d'ailleurs régionale. Dans les régions contrôlées par les Talibans ou par Al-Qaïda, la vie des représentants de l'État comme de certaines minorités religieuses, est directement menacée. L'insécurité est aussi liée à l'effondrement de l'économie afghane qui se traduit par un taux de chômage important et le dysfonctionnement des services régaliens, comme la police, le système judiciaire. Pour toutes ces raisons, les flux migratoires vers l'Europe ne tariront pas.

La question du sort des interprètes est symptomatique de la façon dont les Occidentaux ont agi en Afghanistan. La France aurait dû respecter la parole donnée et faire beaucoup plus au profit de ses interprètes afghans d'autant plus qu'ils ne représentent pas une population émigrée à risque, le comportement de la minorité afghane en France, très bien intégrée, en est l'illustration. À présent, ces interprètes se trouvent dans une situation très compliquée et on ne peut que déplorer l'absence de suivi efficace de ce dossier.

En ce qui concerne la Chine, elle considère l'Afghanistan comme une partie de son arrière-cour dont elle ambitionne d'exploiter les matières premières. Par ailleurs, dans une stratégie d'affaiblissement de son rival indien, elle est très proche du Pakistan, dont elle tend à devenir le partenaire privilégié au détriment des Etats-Unis. Ne voulant pas être en première ligne au plan diplomatique et politique, la Chine fait passer ses messages par le Pakistan.

S'agissant de la frontière afghano-pakistanaise, aucun des groupes insurgés afghans, aussi pro-pakistanais soient-ils, ne souhaitent reconnaître la ligne Durand. Pourtant, même si les solidarités tribales existent, les divergences tendent à se creuser de part et d'autre de la frontière entre des populations en réalité assez différentes..... S'ajoute à cela l'affirmation d'une identité nationale pakistanaise et d'une dynamique nationaliste afghane. Le Pakistan, par ailleurs, a entrepris d'ériger une séparation physique à la frontière pour parvenir à un découplage territorial et contrôler le passage des groupes. Les Talibans afghans sont radicalement différents des Talibans pakistanais, leur histoire, leur sociologie et leur programme politique diffèrent sensiblement. Les véritables coopérations des Talibans sont les solidarités de combat nouées avec les groupes transnationaux d'Asie centrale (« les tchétchènes ») ou encore Al-Qaïda. Jamais les Talibans afghans n'ont soutenu militairement les Talibans pakistanais car ils auraient risqué de perdre le soutien d'Islamabad. Il y a des différences fortes d'univers entre les Talibans afghans, qui sont très étatistes, voire bureaucrates, et politiquement habiles, et les Talibans pakistanais dont l'action est beaucoup plus improvisée et qui se montrent extrêmement violents à l'égard des notables.

Il est surprenant que les Américains aient mis près de 15 ans à réagir au double langage du Pakistan. En plus, à ce stade-là de la guerre, les protestations américaines sont incompréhensibles. C'est irrationnel et beaucoup trop tard. En revanche, la question est plutôt de savoir pourquoi en 2001 les Américains n'ont pas tapé du poing sur la table vis-à-vis du Pakistan. C'est sans doute parce qu'ils ont estimé qu'ils avaient besoin du Pakistan pour acheminer leur logistique et que les Pakistanais hébergeaient des bases américaines sur leur sol indispensables pour les frappes de drones, même si dans le même temps certains Pakistanais protégeaient Ben Laden. Enfin, il y a eu une manipulation des Américains par les responsables pakistanais.

Quant à l'aide au développement, l'essentiel des programmes devrait être déployé au profit des zones urbaines où les besoins sont considérables. Kaboul, qui est une ville très polluée comptant entre 4 et 5 millions d'habitants, ne dispose ainsi pas de réseau d'égouts. Il y a également des besoins considérables dans le domaine de l'éducation En revanche, il est très difficile de travailler en zone rurale.

M. Gilbert Roger . - Les Occidentaux s'obstinent à mettre en place des systèmes démocratiques inspirés des nôtres. Il y a ainsi eu des élections législatives en octobre, on évoque une élection présidentielle. Ne serait-il pas plus pertinent d'échanger avec les Afghans sur le mode d'expression qui leur semblerait le plus approprié ?

M. Gilbert-Luc Devinaz . - Le rôle des services de renseignement pakistanais en Afghanistan a été prépondérant. Après 20 ans de guerre, quels enseignements devons-nous tirer des milliards de dollars dépensés et des dizaines de milliers de victimes de ce conflit ? Quelles leçons pour les Occidentaux lorsqu'ils interviennent à l'étranger ? Et vous évoquiez les promesses que les Talibans pourraient faire aux Américains pour déclencher le retrait définitif de leurs troupes, pouvez-vous nous préciser sur quoi elles porteraient ?

M. André Vallini . - J'aimerais partager avec vous le constat d'un paradoxe. Il y a quarante ans, des manifestations réclamaient le retrait des Américains du Vietnam et d'Amérique Latine. Aujourd'hui, on les conjure de ne pas se retirer de Syrie ou d'Afghanistan, voire d'intervenir au Venezuela.

M. Jean-Marc Todeschini . - Les discussions entre les Américains et les Talibans portent sur la rupture des liens que ces derniers entretiennent avec les groupes terroristes. Qu'en est-il précisément des liens entre les Talibans et Daech ? Des regroupements sont-ils en cours ? De plus, on sait que les uns et les autres tirent leurs ressources financières de la culture du pavot. Quelles mesures ont été prises sur le terrain pour éradiquer cette production ou lutter contre sa commercialisation ?

M. Jean-Marie Bockel . - La France a payé le prix du sang dans son engagement en Afghanistan. Quel rôle pourrait-on jouer aujourd'hui pour assurer au mieux la défense de nos intérêts ?

M. Gilles Dorronsoro .- Il n'y a pas de procédure alternative aux élections en Afghanistan. Seule une minorité du pays est tribalisée et selon des modes très différents. Donc le principe des élections est bien le système le plus consensuel. Les Talibans eux-mêmes semblent s'être ralliés à cette idée. Cependant, les élections telles qu'elles ont été conduites jusqu'ici sont un véritable désastre et participent directement de la déconstruction du régime. L'incapacité à recenser les électeurs, le système électoral lui-même dont sont exclus les partis et l'absence de commission électorale légitime, participent de ce rejet. En Afghanistan, être élu ne vous donne pas de capital politique, à la différence de ce qui existe dans nos pays.

Quant aux leçons de la guerre, les raisons internes de l'échec de l'intervention américaine en Afghanistan sont de plusieurs ordres. Tout d'abord les Américains ont considéré l'Afghanistan comme un terrain vierge où l'on pouvait faire absolument n'importe quoi. On a mis en place à la fois un régime légaliste et un régime où l'on tue des gens à partir de listes établies en secret, et avec des effets très déstabilisateurs pour le pays. On ne peut pas faire les deux à la fois, et j'espère que cette leçon-là sera retenue pour d'autres interventions. La guerre a eu un coût exorbitant, près de 1 000 milliards de dollars de coût direct pour les Américains, et un coût global de 1 500 milliards de dollars, ce qui en fait une des guerres les plus chères de l'Histoire. Ces coûts vont de pair avec une forme de privatisation de l'argent public, ou, pour dire les choses simplement, de corruption. L'armée américaine, notamment, et les grandes agences d'aide comme l'USAID, se sont lancées dans de grands programmes de sous-traitance portant sur des montants considérables et incontrôlables, ce qui a débouché sur une corruption très importante. Une grande partie de ces sommes est ainsi revenue dans les pays occidentaux. La guerre d'Afghanistan, mais aussi celle d'Irak, interrogent notre façon de faire la guerre. On ne peut pas continuer à faire de la guerre une espèce d'eldorado pour des groupes privés, c'est suicidaire pour les Occidentaux.

L'Afghanistan a également montré les limites du fonctionnement de l'OTAN. Ainsi, la différence de traitement entre Alliés quant au partage du renseignement a exclu les Français, notamment, du premier cercle d'échange des informations vitales à la conduite de la guerre. De même, les Américains ont refusé d'intégrer leurs alliés à leur réflexion autour de la stratégie à adopter en Afghanistan, empêchant les Européens de proposer d'éventuelles solutions alternatives. Enfin, l'extrême rigidité de l'appareil militaire de l'Alliance a rendu impossible toute adaptation aux changements stratégiques. Globalement, il y a eu un vrai problème de stratégie. La guerre n'était pas perdue au départ ; elle a été perdue par absence de réflexion et d'attention portée à la réalité du pays et des parties prenantes. Ainsi, la représentation donnée des Talibans comme des groupes de combattants mal organisés était tout à fait fausse. A la guerre, la stupidité se paye cher. On peut très bien expliquer que les Talibans défendent des valeurs qui ne sont pas les nôtres, ce qui est vrai, et qu'ils forment une très bonne machine de guerre, ce qui est vrai également. Cela pose la question de l'expertise occidentale, et au-delà des conflits d'intérêts des prétendus experts, qui les poussent à toujours proposer plus de moyens, plutôt qu'une remise à plat des options.

J'en viens au paradoxe du passage d'une demande de « US go home » à une attente d'implication des Etats-Unis. En réalité, on assiste au passage d'un système de sécurité à un autre. Le problème que cela souligne n'est pas tant le retrait américain d'Afghanistan ou de Syrie, mais bien plutôt les conditions erratiques et irrationnelles dans lesquelles il se produit. Il y a comme une stratégie américaine de déconstruction de ses propres positions, qui affecte directement les Européens, par exemple au travers de l'immigration ou du terrorisme.

Je ne comprends pas la rationalité de la politique des États-Unis en Afghanistan. Leur gestion du dossier syrien est également totalement irrationnelle. La mise en place d'une zone d'interdiction aérienne au nord de la Syrie aurait été possible en 2012 - 2013. Les États-Unis l'ont refusée. Ils n'ont pu que constater ensuite la prise de Mossoul. Comment la stratégie américaine de déconstruction de leurs propres positions peut-elle être aussi erratique, au risque de créer des déséquilibres régionaux dont l'Europe porte ensuite le poids ?

Concernant la question de la rupture des Talibans avec le terrorisme, je répondrai en distinguant l'État islamique et Al-Qaïda. Il n'existe pas de passerelle entre les Talibans et l'EI. Chacune de ces deux organisations aspire à monopoliser l'insurrection. En revanche, Al-Qaïda n'a pas d'objectifs en Afghanistan et ne fait pas d'ombre aux Talibans. Al-Qaïda est resté sur une ligne d'allégeance aux Talibans. C'est une des choses qui a été reprochée à cette organisation par les fondateurs de l'État islamique. Il sera difficile de vérifier que les Talibans ne donnent pas, au moins passivement, un sanctuaire à Al-Qaïda en Afghanistan.

Faire du contre-terrorisme en Afghanistan est illusoire. Nous ne disposons d'aucun moyen de contrôle. Nous ne nous sommes pas donné les moyens de faire pression sur les Talibans. Toutefois, ceux-ci souhaitent être reconnus comme un État au niveau international, représentés à l'ONU etc. C'est là que nous avons peut-être un levier qu'il faudra employer avec habileté.

Les Talibans ont été les seuls, historiquement, à mener un programme d'éradication de la culture du pavot en Afghanistan. Un nouveau programme de ce type est possible. Il faudra toutefois veiller à l'accompagnement social d'un tel programme et à la reconversion des terres.

Avons-nous des cartes à jouer en Afghanistan ? La coopération est un levier d'action si elle demeure contrôlable : en zone urbaine par exemple, ou avec les élites afghanes qui sont des relais d'influence potentiels. Le renseignement, notamment dans les zones tribales, est également un outil essentiel à la défense de nos intérêts. Enfin, nous pouvons essayer de jouer dans les négociations un rôle de facilitateur, de porter la parole des groupes à risque. Nous devons réintroduire dans la négociation des éléments qui concernent la vie concrète de la société afghane. Nos marges de manoeuvre sont réduites.

M. Ladislas Poniatowski . - J'ai récemment rencontré un ancien ministre des affaires étrangères d'Afghanistan. Je l'ai trouvé optimiste sur la constitution d'un gouvernement provisoire, dans lequel tout le monde serait représenté y compris le gouvernement actuel, les Talibans et des représentants de régions.

Le Pakistan, pays de 200 millions de musulmans, n'était pas effrayé par un Afghanistan peuplé de 10 millions d'habitants. Un Afghanistan de 35 millions d'habitants suscite en revanche un jeu beaucoup plus surprenant notamment vis-à-vis de la Chine. Le Pakistan a récemment obtenu une aide financière importante de l'Arabie Saoudite. Il est incité par les Américains à faire pression sur les Talibans pour que ceux-ci viennent siéger à la table des négociations. Le Pakistan joue un jeu compliqué. Il est sensible aux pressions financières. L'Afghanistan n'est pour lui qu'un terrain de jeu parmi d'autres.

M. Yannick Vaugrenard . - Une armée doit avoir un comportement conforme à l'idéologie qu'elle prétend défendre. Nous sommes actuellement confrontés aux dangers d'une privatisation du conflit. La situation est, me semble-t-il, cataclysmique. L'obscurantisme a gagné. Constater que l'islam conservateur est un point d'équilibre fait froid dans le dos. Si c'est le cas, cela veut dire que l'échec est absolu.

Vous nous avez indiqué que 1 500 milliards d'euros avaient été investis en Afghanistan mais Kaboul ne dispose toujours pas d'égouts... Dans ce type de conflit, n'est-il pas indispensable qu'il y ait, parallèlement à l'intervention militaire, une intervention économique aussi importante ?

Mme Gisèle Jourda . - En 2002, vous aviez publié des articles dans le Monde diplomatique, appelant la communauté internationale à pousser l'Afghanistan vers la modernité. Vous évoquiez la situation des femmes. Certes, on peut compter sur les Talibans pour éradiquer la culture du pavot, mais je ne voudrais pas qu'il y ait aussi éradication des droits des femmes et du droit à l'éducation. La question des femmes ne doit pas être accolée à celle des minorités. Les femmes ne sont pas une minorité. Je ne sais pas quel enfer se dessine avec l'arrivée des Talibans, se présentant comme un gouvernement en exil. Mais j'ai le sang qui se glace quand j'entends que les Talibans souhaiteraient siéger à l'ONU. Quelle est la situation réelle des femmes aujourd'hui en Afghanistan ? Ont-elles une place en politique ? Que peut-on faire dans la perspective de la reconstruction de ce pays ? Quels réseaux d'influence peut-on solliciter ?

M. Pierre Laurent . - Quel est l'état des forces en présence, hormis les Talibans ? Quelles sont les autres acteurs politiques ou sociaux qui pèsent dans la situation afghane aujourd'hui ?

M. Gilles Dorronsoro .- Je ne serai pas aussi optimiste sur la formation d'un gouvernement provisoire. Pour l'instant, nous ne savons pas comment vont se positionner les grandes puissances régionales. Pour autant, est-ce que ces puissances régionales sont en mesure de bloquer le jeu afghan ? On ne peut pas le savoir pour le moment.

Par rapport au succès de la stratégie pakistanaise, c'est certain, le Pakistan a atteint ses objectifs. Mais à moyen terme, les Afghans ne souhaitent pas devenir une province pakistanaise. L'arrogance des élites pakistanaises vis-à-vis de l'Afghanistan entraîne chez les Afghans une réaction de rejet, y compris chez les Talibans. Du reste, il n'est pas exclu que les Talibans souhaitent travailler en partie avec d'autres que les Pakistanais à l'avenir. Le Pakistan n'est pas en mesure de contrôler l'Afghanistan. Il y aura donc peut-être une possibilité de remettre en question cette alliance entre le Pakistan et les Talibans qui ne nous est pas favorable.

Quant au bilan final de l'intervention occidentale en Afghanistan, il me semble que l'on peut dire effectivement que l'obscurantisme a gagné dans ce pays.

Le point essentiel, c'est l'État. En effet, l'intervention des occidentaux n'était pas centrée sur l'État. Par conséquent, l'intervention économique en Afghanistan, qui a été très importante, a été d'une certaine façon contre-productive car elle ne venait pas construire ou renforcer les structures étatiques. À côté d'un discours officiel qui prônait la reconstruction des ministères et de l'appareil étatique afghan, les décisions notamment économiques se prenaient dans des circuits parallèles qui affaiblissaient le fonctionnement normal de l'État. Les Occidentaux ont eu une stratégie anti-étatique en Afghanistan, et la grande force des Talibans a été de se poser comme représentants un pouvoir de nature étatique, ce qui était attendu par la population. Dans les zones sous contrôle taliban, il y a des règles, il y a des jugements et en contraste avec l'anarchie qui semblait régner dans les zones sous contrôle occidental, les Talibans sont apparus comme un pouvoir certes ultra-conservateur, mais ordonné. En Afghanistan, la clé c'est l'État. Or les Talibans proposent un modèle étatique et les Occidentaux, eux, n'ont pas été capables de proposer un modèle étatique crédible. Au contraire, les Occidentaux ont même plutôt déstructuré tout ce qui pouvait ressembler à un Etat.

Quant aux droits des femmes, il y a une difficulté qui tient au fait que le corps des femmes devient un champ de bataille politique. Or, plus nous politisons la question des femmes, certes avec de bonnes raisons de le faire, plus cela conduit à faire de la question des femmes un élément de différenciation politique.

Il y a par exemple une mise en avant de la lapidation comme châtiment, alors même que ce n'est pas forcément la peine que préconisent le plus volontiers les juges. Mais cette mise en avant est une façon pour les Talibans d'affirmer que dans leur pays, ils ont la capacité d'appliquer littéralement le Coran.

La volonté occidentale de défendre les droits des femmes s'est heurtée d'une part à l'opposition des grandes familles religieuses, mais aussi, d'autre part, au fait qu'il s'agissait aussi là d'un des axes idéologiques de l'occupant soviétique. C'est un élément important de la difficulté : aujourd'hui, parler du droit des femmes en Afghanistan, cela rappelle à la fois l'occupant soviétique et l'occupant américain. Donc ce n'est pas facile d'en parler, même s'il faut le faire. Nous nous sommes mis dans une situation où, alors que nous voulons défendre les droits des femmes, on nous renvoie à notre occidentalité et à nos actions passées dans le pays.

Quant à la dernière question sur l'état des forces en présence, aujourd'hui le jeu est polarisé entre les Talibans, qui sont le seul groupe qui compte et avec qui il faut négocier, et le gouvernement afghan, avec ses divisions. Il n'y a plus rien entre les deux.


* 1 Réponses du Gouvernement aux questions de la commission.

* 2 Réponses du Gouvernement aux questions de la commission.

* 3 Le Président Hamid Karzai fut élu aux élections présidentielles de 2004 et de 2009.

* 4 Source : Le Monde du mardi 15 janvier 2019.

* 5 Réponses du Gouvernement aux questions de la commission.

* 6 Réponses du Gouvernement aux questions de la commission.

* 7 Réponses du Gouvernement aux questions de la commission.

* 8 Les discussion avaient achoppé sur la question de la Cour pénale internationale.

* 9 Réponses du Gouvernement aux questions de la commission.

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