C. CHAPITRE III - DES ENTREPRISES PLUS JUSTES

1. Section 1 - Mieux partager la valeur

Alors que le Sénat avait adopté conformes cinq articles sur les 14 articles de cette section, l'Assemblée nationale est revenue sur une partie significative des principales modifications de fond apportées par le Sénat.

À l'article 57, les députés ont supprimé l'unification des taux dérogatoires de forfait social applicables à l'épargne salariale à 10 %. Sont donc maintenus, en plus du taux normal à 20 %, trois taux dérogatoires de 8 %, 10 % et 16 %, ce qui ne facilite pas la lisibilité de ce prélèvement pour les entreprises. En simplifiant l'architecture des taux dérogatoires, le Sénat entendait impulser le retour à l'esprit initial du forfait social lors de sa création en 2009 : assujettir les sommes versées dans le cadre de l'épargne salariale, exonérées de cotisations sociales, à une contribution ayant un taux unique et raisonnable. Ce dernier était de 2 % en 2009.

L'Assemblée nationale est également revenue sur deux dispositions adoptées par le Sénat :

- tout d'abord, l'obligation de mettre en place un plan d'épargne d'entreprise en cas de signature d'un accord d'intéressement afin de favoriser l'affectation des sommes concernées à la constitution d'une épargne salariale. Les députés ont jugé qu'il s'agissait d'une contrainte excessive pour les entreprises ;

- ensuite, la possibilité offerte aux entreprises qui mettraient en place pour la première fois un accord d'intéressement de pouvoir le signer à n'importe quel moment de l'année.

Les députés ont toutefois conservé la nouvelle procédure de sécurisation des exonérations de cotisations et contributions sociales attachées aux primes d'intéressement , lorsqu'une fois transmis à l'administration, l'accord d'intéressement n'a pas fait l'objet d'observation dans les quatre mois suivant le dépôt. Dans le texte adopté par le Sénat, à l'expiration de ce délai, l'absence de réponse de l'administration valait « rescrit social ». À l'initiative du Gouvernement, les députés ont étendu à six mois le délai laissé à l'administration pour adresser ses remarques à l'entreprise.

L'Assemblée nationale a supprimé l'article 57 bis DA, inséré par le Sénat en séance publique à l'initiative de votre rapporteur, qui adaptait les règles de répartition de la réserve spéciale de participation dans les entreprises de travail temporaires en particulier la condition d'ancienneté pour l'éligibilité au dispositif.

Constatant d'une part, les très faibles montants de participation versés aux salariés de ces entreprises et d'autre part, le volume important des sommes ne pouvant être versées du fait d'une forte mobilité des salariés, le Sénat avait étendu la condition d'ancienneté à six mois minimum afin d'augmenter la quote-part des salariés temporaires ayant un lien durable avec l'entreprise. Il prévoyait également une procédure de réaffectation dans la RSP des sommes de participation non versées, pour une distribution au cours des exercices suivants.

À l'article 58, l'Assemblée nationale a confirmé la suppression de l'obligation de mettre en place un plan d'épargne entreprise (PEE) lorsqu'une entreprise souhaite proposer un plan d'épargne retraite collectif (Perco) à ses salariés. Le Sénat avait décidé de maintenir cette obligation au motif de favoriser l'épargne salariale en offrant au salarié une gamme complète de placements de moyen terme (PEE) et de long terme (Perco). En permettant de ne proposer qu'un Perco, les députés prennent le risque que le salarié préfère un versement direct de ses primes d'intéressement ou de participation.

Enfin, à l'article 59 ter , l'Assemblée nationale a maintenu le principe de l'élection des représentants des salariés porteurs de parts au sein des conseils de surveillance des fonds communs de placement d'entreprise (FCPE). Elle a toutefois rétabli l'exclusion des représentants de l'entreprise lors des opérations de vote, une mesure qui apparaissait pourtant comme pouvant désinciter les entreprises à développer l'actionnariat salarié.

2. Section 2 - Repenser la place des entreprises dans la société

Concernant l'objet social et la raison d'être des sociétés (article 61), votre commission spéciale avait affiné la rédaction et amélioré la codification des dispositions proposées, dans le code civil et le code de commerce, selon lesquelles toute société est « gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité » et peut se doter, dans ses statuts, d'une « raison d'être (...) en vue de laquelle elle entend affecter des moyens dans le cadre de son activité ». Surtout, votre commission avait cherché à supprimer tout risque juridique et contentieux , en précisant que la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux s'effectuait « dans les conditions prévues par la loi », de façon à éviter d'imposer de nouvelles obligations aux sociétés . En séance publique, toutefois, le Sénat a supprimé cet article, compte tenu des contraintes supplémentaires qu'il pouvait faire peser sur les entreprises. Dans ces conditions, l'Assemblée nationale a simplement rétabli son texte, sous réserve de quelques coordinations nouvelles . Nos collègues députés n'ont toutefois pas rétabli, pour modifier les statuts d'une société afin d'y mentionner une raison d'être, l'exigence d'une assemblée générale extraordinaire réunie spécialement sur ce seul ordre du jour.

Concernant la société à mission (article 61 septies ), l'Assemblée nationale a rétabli la plupart des dispositions contraignantes que le Sénat, sur proposition du rapporteur de sa commission spéciale, avait supprimé dans un souci de simplification. Sont ainsi réinsérés le comité de mission, les effets de seuil avec la possibilité de désigner un simple référent se substituant à ce comité dans les entreprises de moins de 50 salariés, l'obligation d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou encore les modalités de contrôle de la mission.

Les dispositions relatives au fonds de pérennité (article 61 octies ) ont été largement modifiées par nos collègues députés. En effet, la commission spéciale a supprimé la codification dans le code de commerce que le Sénat avait adopté, mais elle a également réaffirmé la dimension philanthropique du fonds qui apparaissait comme le principal défaut du dispositif pour le Sénat. Tout en affirmant que « la portée normative (...) est limitée », le rapport indique que la « portée politique et symbolique est particulièrement forte ». Ainsi la nouvelle version de l'article 61 octies crée à nouveau une confusion entre un fonds à vocation économique (la pérennité d'entreprise privée) et les structures à vocation philanthropique comme les fondations reconnues d'utilité publique.

Pour ce qui concerne les possibilités de contrôle d'une entreprise par une fondation reconnue d'utilité publique (61 nonies A), la commission spéciale de l'Assemblée nationale n'a pas jugé utile de modifier le texte adopté par le Sénat. Toutefois, lors de la séance publique, les amendements de nos collègues députées du groupe LaRem Nadia Hai et Coralie Dubost, rapporteure, ont d'une part réintroduit la liste des actions autorisées que le Sénat avait supprimée par crainte d'une interprétation limitative (l'approbation des comptes de la société, la distribution de ses dividendes, l'augmentation ou la réduction de son capital ainsi que les décisions susceptibles d'entraîner une modification de ses statuts), et d'autre part substitué au report d'entrée en vigueur fixé au 1 er janvier 2022 par le Sénat une application à compter de la première modification des statuts après la publication de la loi.

L'Assemblée nationale a rétabli, dans le dispositif relatif à l'augmentation du nombre d'administrateurs salariés dans les conseils (article 62), le rapport au Parlement. Elle a en revanche conservé la dérogation pour les holdings familiales ayant un flottant inférieur à 20 % et n'a réintroduit ni la mention de l'égalité des droits entre les administrateurs salariés et les autres administrateurs, ni la disposition prévoyant le remboursement des frais de garde et de trajets.

Pour ce qui concerne la formation des administrateurs salariés (article 62 bis ), la commission spéciale a modifié le délai tel que défini par le Sénat : au lieu de prévoir une formation devant se terminer avant le conseil d'administration arrêtant les comptes, nos collègues députés ont préféré une obligation de débuter la formation dans les quatre mois suivant son élection ou sa désignation. Elle a revanche conservé le délai prévu, par le Sénat, pour les entreprises bénéficiant aujourd'hui de la dérogation prévue au quatrième alinéa des articles L.225-23 et L.225-71 du code de commerce.

La commission spéciale de l'Assemblée nationale a par ailleurs rétabli purement et simplement deux articles tels qu'adoptés en première lecture par nos collègues députés. Elle est ainsi revenue à la sur-transposition que le Sénat avait supprimée concernant la transparence sur les écarts de rémunération (article 62 ter ) ; nos collègues députés ont en outre adopté, lors de la séance publique, un amendement de notre collègue députée Coralie Dubost, rapporteure, substituant à la référence de « chaque mandataire social » la liste des mandataires que sont le président du conseil d'administration, le directeur général et les directeurs généraux délégués. Le second article rétabli apparaît comme la modification la plus dangereuse puisqu'il s'agit de la nullité des délibérations auxquelles a participé un administrateur ou un membre du conseil de surveillance nommé en violation des règles de représentation équilibrée des deux sexes (article 62 quinquies A). Le Sénat, notamment par la voix de son rapporteur, n'a eu de cesse de dénoncer l'insécurité juridique inhérente à cette modification de la loi qui pèsera lourdement sur les entreprises et sur tous les tiers avec lesquelles elles sont en relation.

En adoptant les amendements de nos collègues députés Nadia Hai et Cédric Roussel, du groupe LaREM, la commission spéciale de l'Assemblée nationale a rétabli les articles 61 undecies , 61 terdecies et 61 quaterdecies assouplissant le régime des sociétés civiles de placement immobilier (SCPI). Ces articles avaient été supprimés par la commission spéciale du Sénat qui avait jugé qu'ils n'avaient pas de lien avec le texte initial du projet de loi, conformément à l'article 45 de la Constitution.

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