EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Faisant le constat de plusieurs dizaines de médiateurs déjà institués dans tous les niveaux de collectivités territoriales et d'une attente renouvelée de plus de proximité de la part de nos concitoyens, la proposition de loi de notre collègue Nathalie Delattre vise à encourager le développement de ce mode alternatif de règlement des litiges.

Elle poursuit pour cela deux objectifs :

- celui d'imposer l'institution d'un médiateur territorial dans certaines collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale, d'une part ;

- celui de créer un cadre juridique propre à cette catégorie de médiation, d'autre part.

Consacrant dans la loi une pratique existante dans les territoires, le médiateur territorial s'inscrirait toutefois dans un cadre juridique déjà bien fourni en outils de médiation destinés à résoudre à l'amiable des litiges susceptibles de s'élever entre les collectivités territoriales et leurs administrés.

Votre commission s'est donc refusée à accroître inutilement les charges des collectivités territoriales et a supprimé l'obligation d'instituer un médiateur territorial fixée à l' article 1 er de la proposition de loi .

Néanmoins, convaincue par les arguments de notre collègue Nathalie Delattre et des différentes personnes entendues par le rapporteur de l'utilité du médiateur territorial qui peut favoriser une régulation bienveillante des aléas de l'administration, votre commission a approuvé la philosophie de la proposition de loi.

Au terme d'un examen approfondi et d'un travail conjoint de votre rapporteur avec l'auteur de la proposition de loi, votre commission a donc approuvé la consécration législative d'un cadre juridique propre à cette catégorie de médiation.

Elle a toutefois souhaité en renforcer la sécurité juridique, notamment en l'articulant mieux avec les dispositifs déjà en vigueur, comme la médiation administrative.

Ainsi, elle a adopté neuf amendements , dont sept à l'article 1 er de la proposition de loi, visant notamment à mieux :

- définir les compétences et les fonctions du médiateur territorial ;

- garantir son indépendance et son impartialité ;

- encadrer le régime procédural pour assurer sa transparence et sa lisibilité pour les parties.

Elle a également approuvé les moyens requis pour assurer la saisine effective du médiateur et adapté l'application dans le temps et en outre-mer de la proposition de loi ( articles 2 et 3 ).

À l'initiative de son rapporteur, votre commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée .

I. ALORS QUE LA MÉDIATION EST DÉJÀ POSSIBLE SOUS DIVERSES FORMES, LA PROPOSITION DE LOI TEND À CRÉER UN CADRE JURIDIQUE PROPRE AUX MÉDIATEURS TERRITORIAUX ET À IMPOSER LEUR INSTITUTION DANS CERTAINES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET INTERCOMMUNALITÉS

La proposition de loi tend à généraliser la pratique de la médiation dans les collectivités territoriales en imposant l'institution d'un médiateur territorial dans certaines d'entre elles et dans certains établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Il serait compétent pour les différends entre ladite collectivité et ses administrés.

Cette nouvelle catégorie de médiateur consacrée par la loi s'inscrirait au sein d'un paysage où plusieurs modes alternatifs de règlement des litiges coexistent en matière administrative.

La médiation constitue un mode alternatif de règlement des différends 1 ( * ) qui a pour objet principal de prévenir la judiciarisation de ces derniers. Elle fait intervenir un tiers, le médiateur, qui s'efforce de proposer aux deux parties une proposition de solution de leur différend, qu'elles sont ensuite libres d'accepter ou non. Le médiateur n'est en revanche pas investi du pouvoir d'imposer sa décision comme l'est le juge.

Dès lors, l'accord résultant d'une médiation est une source d'obligations des deux parties l'une envers l'autre. Il n'a toutefois pas de force exécutoire : si l'une des parties n'exécute pas l'accord volontairement, l'autre partie ne peut l'y contraindre. L'accord de médiation ne peut recevoir force exécutoire que s'il est homologué par un juge.

Traditionnellement, la médiation diffère de la conciliation, autre mode alternatif de règlement des litiges bien connu, qui vise à rapprocher les points de vue sans forcément que le conciliateur ne propose de solution au litige. Le Conseil d'État rappelle toutefois, dans une étude de 2010 sur la médiation 2 ( * ) , que les notions n'ont pas de raison d'être distinguées en droit, hormis le fait qu'une conciliation peut avoir lieu sans tiers ; les distinctions éventuelles entre les deux modes n'ayant d'effet que lorsque les textes attribuent à tel ou tel terme un régime juridique différent.

La médiation se distingue également de la transaction, contrat par lequel les parties mettent fin à un litige né ou à naître en se faisant des concessions réciproques 3 ( * ) , ou encore de l'arbitrage, procédé par lequel un tiers règle le différend qui oppose plusieurs parties en exerçant la mission juridictionnelle qui lui a été confiée par celles-ci.

A. LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES SONT LIBRES DE METTRE EN PLACE DES MÉDIATEURS INSTITUTIONNELS POUR RÉSOUDRE À L'AMIABLE DES DIFFÉRENDS AVEC LEURS ADMINISTRÉS

Conformément au principe de libre administration des collectivités territoriales garanti par l'article 72 de la Constitution, certaines collectivités, en particulier les plus importantes, ont d'ores et déjà institué un médiateur, sans pour autant qu'une disposition législative ou réglementaire ne le leur impose.

L'association des médiateurs des collectivités territoriales 4 ( * ) entendue par votre rapporteur compte ainsi quarante-et-un membres, et estime à près d'une soixantaine le nombre total de médiateurs existants dans les différents niveaux de collectivités territoriales et les intercommunalités. Parmi leurs membres, figurent en majorité des médiateurs communaux (23), départementaux (14), et un nombre très limité de médiateurs régionaux (2), intercommunal (1) ou métropolitain (1). Peuvent être cités le médiateur de la ville de Paris, celui de la ville de Bordeaux ou encore celui de la ville d'Angers, ceux des conseils départementaux de la Gironde, de Charente-Maritime ou du Cantal, ainsi que ceux des régions Île-de-France et Provence-Alpes-Côte d'Azur, ou encore celui de la métropole européenne de Lille.

Recensement des médiateurs existants par catégorie
de collectivité territoriale ou d'intercommunalité

Médiateurs communaux

Médiateur intercommunal

Médiateurs départementaux

Médiateurs régionaux

Médiateur métropolitain

Angers
Bondy
Bordeaux
Bourges
Cergy
Fontenay-sous-Bois
Gap
La Rochelle
Lille
Marseille
Metz
Nevers
Nice
Pantin
Paris
Quimper
Rueil-Malmaison
Sèvres
Sisteron
Tarbes
Tourcoing
Tulle
Vence

Communauté d'agglomération Bourges Plus

Ardennes
Cantal
Charente-Maritime
Gironde
Ille-et-Vilaine
Maine-et-Loire
Mayenne
Moselle
Nièvre
Paris
Seine-Saint-Denis
Somme
Val-de-Marne
Val-d'Oise

Île de France
Provence-Alpes-Côte d'azur

Métropole européenne de Lille

Source : site internet de l'association des médiateurs des collectivités territoriales

Selon l'association, les matières qui donnent lieu à médiation dépendent bien évidemment des compétences du niveau de collectivité concerné : pour les communes, les différends concernent le plus souvent le stationnement, le voisinage, la voirie, le logement, l'eau et l'assainissement ou encore l'urbanisme ; pour les départements, l'aide sociale et la protection de l'enfance constituent les principaux domaines d'activité de la médiation, tandis que pour les régions, il s'agit plutôt de litiges concernant les lycées, les transports régionaux, la formation professionnelle ou encore la qualité de l'air.

Votre rapporteur note toutefois qu'aucun texte ne régit le champ de compétences des médiateurs territoriaux, qui peuvent donc être différents d'une collectivité à l'autre.

Dans le silence des textes, les modalités de nomination sont, là encore, hétérogènes. Ainsi, les médiateurs peuvent être nommés soit directement par l'exécutif local ou l'organe délibérant, pour une durée de plusieurs années qui parfois coïncide avec la durée du mandat électoral. Aucun principe d'incompatibilité n'étant légalement prévu, certains élus ou fonctionnaires sont médiateurs de leur propre collectivité, même s'il ne s'agit pas de la majorité des médiateurs. Le vivier est en partie constitué d'anciens élus ou de retraités, qui interviennent le plus souvent bénévolement, même si le profil des médiateurs semble se diversifier.

Les médiateurs institutionnels

Les médiateurs institués par les collectivités territoriales peuvent se définir comme des médiateurs institutionnels, sans pour autant que ce terme ait une quelconque portée juridique.

Il existe également de nombreux autres médiateurs institutionnels, intervenant directement auprès d'administrations ou d'organismes chargés d'une mission de service public.

Depuis 2015, l'article L. 421-1 du code des relations entre le public et l'administration est venu autoriser formellement le recours à ce mode de règlement des conflits par les collectivités territoriales, sans pour autant en faire une obligation. Ainsi, « il peut être recouru à une procédure de conciliation ou de médiation en vue du règlement amiable d'un différend avec l'administration 5 ( * ) , avant qu'une procédure juridictionnelle ne soit, en cas d'échec, engagée ou menée à son terme ».

Hormis ces dispositions très générales, aucun cadre juridique commun n'existe pour ces médiateurs. Certains sont institués par la loi, d'autres par le pouvoir réglementaire. Leurs modalités de nomination, tout comme la procédure suivie (saisine préalable du service administratif en cause) et les effets de la médiation (sur les délais de recours contentieux et la prescription), diffèrent d'un médiateur à l'autre.

Toutefois, ils interviennent tous gratuitement et la majorité d'entre eux sont réunis au sein du « Club des Médiateurs de services au public ».

Le médiateur des ministères économiques et financiers, compétent pour traiter les réclamations individuelles concernant le fonctionnement des services du ministère dans leurs relations avec les usagers, est nommé pour trois ans par arrêté du ministre chargé de l'économie. Il impose un recours gracieux préalable à sa saisine qui n'interrompt pas les délais de recours. Il peut faire appel aux services du ministère pour l'instruction des réclamations dont il est saisi 6 ( * ) .

Autre exemple, le médiateur national de Pôle emploi, institué par la loi en 2008 à l'article L. 5312-12-1 du code du travail, a pour mission de recevoir et traiter les réclamations individuelles relatives au fonctionnement de Pôle emploi. Aucun texte ne définit ses modalités de nomination. La loi précise seulement qu'il est placé auprès du directeur général de Pôle emploi. En pratique, il est nommé en accord entre le directeur général et le ministre de tutelle de cet établissement public administratif. Il est assisté par des médiateurs régionaux. Sa saisine doit être précédée d'un recours gracieux et elle n'interrompt pas, là non plus, les délais de recours contentieux.

Le médiateur de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur, créé en 2007 à l'article L. 23-10-1 du code de l'éducation, est compétent pour les réclamations concernant le fonctionnement du service public de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur dans ses relations avec les usagers et ses agents. Il est assisté d'un médiateur par académie. Aucun texte ne prévoit la procédure ou ses modalités de nomination. En pratique, sa saisine doit être précédée d'un recours gracieux et elle n'interrompt pas les délais de recours contentieux.

Le code de la commande publique offre également deux modes de règlement alternatif des différends lorsqu'un litige survient dans l'application d'une clause d'un contrat ou le déroulement d'un marché public, matière qui intéresse toutes les administrations parmi lesquelles les collectivités territoriales.

Le titulaire du marché ou la personne publique peuvent solliciter les comités consultatifs de règlement amiable des litiges (CCRA), qui peuvent être national ou locaux 7 ( * ) . Ils ont pour mission de rechercher des éléments de droit ou de fait en vue d'une solution amiable et équitable 8 ( * ) . La saisine d'un CCRA interrompt les délais de recours contentieux pour les marchés qui sont des contrats administratifs.

Le médiateur des entreprises, nommé pour trois ans par décret du Président de la République, est placé auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Il est compétent en cas de différend concernant l'exécution des marchés : « Le médiateur des entreprises agit comme tierce partie, sans pouvoir décisionnel, afin d'aider les parties, qui en ont exprimé la volonté, à trouver une solution mutuellement acceptable à leur différend » 9 ( * ) . Sa saisine interrompt les délais de recours contentieux pour les contrats administratifs. Dans le cadre de la nouvelle mission de médiation visant à résoudre de manière transversale les différends entre les entreprises et les administrations, sa saisine interrompt les délais de recours contentieux et suspend la prescription sur le fondement de l'article L. 213-6 du code de justice administrative. Il dispose d'un réseau de 60 médiateurs dans toute la France, dont 44 médiateurs régionaux au sein des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE).

Source : commission des lois

L'association des médiateurs des collectivités territoriales a établi une charte 10 ( * ) destinée à régir les principes de la médiation, que les membres de l'association s'engagent à respecter, mais qui n'a aucune portée contraignante. Cette charte prévoit notamment le respect de principes déontologiques tels que l'indépendance, l'impartialité et la confidentialité du processus de médiation, qui semblent indispensable à sa crédibilité.

Cette charte délimite également la mission des médiateurs institutionnels territoriaux :

- faciliter la résolution des différends qui opposent les usagers des services publics à l'administration concernée pour éviter le recours au juge ;

- formuler des propositions pour améliorer les relations entre l'administration et les usagers, à la lumière des litiges qui leur sont soumis et des éventuels dysfonctionnements qu'ils constatent.

Cette même charte prévoit aussi la gratuité de la saisine du médiateur. Elle la subordonne à l'exercice préalable d'un recours 11 ( * ) gracieux ou hiérarchique auprès de l'administration, qui n'aurait pas abouti ou serait resté sans réponse. Le principe établi par la charte de l'association des médiateurs des collectivités territoriales se rapproche d'une forme de recours administratif préalable obligatoire (RAPO), procédure qui existe dans certaines matières en droit administratif 12 ( * ) . Ainsi, la plupart des médiateurs adhérents à l'association applique ce principe. En revanche, en l'absence de texte, la saisine d'un médiateur territorial n'est, par exemple, pas une cause d'interruption du délai de recours contentieux.

Les recours administratifs préalables

Conformément à l'article L. 410-1 des relations entre le public et l'administration, le recours gracieux est le recours administratif adressé à l'administration qui a pris la décision contestée, tandis que le recours hiérarchique est adressé à l'autorité à laquelle est subordonnée celle qui a pris la décision contestée.

L'exercice d'un recours gracieux ou hiérarchique interrompt le cours du délai du recours contentieux, fixé dans la plupart des cas à deux mois (article L. 411-2 du code des relations entre le public et l'administration). Le plus souvent, par le jeu des règles régissant les décisions d'acception ou de rejet de l'administration 13 ( * ) , ce délai est interrompu pour une même durée de deux mois. Un recours contentieux est alors possible dans un nouveau délai de deux mois.

Source : commission des lois

La charte rappelle également qu'aucune médiation n'est possible sur un litige ayant déjà fait l'objet d'une décision juridictionnelle, puisqu'il n'est pas possible de remettre en cause l'autorité de la chose jugée.

Il n'existe toutefois pas de statistiques globales permettant d'apprécier le taux de résolution amiable des litiges grâce à l'intervention des médiateurs intervenant auprès des collectivités territoriales.


* 1 Également dénommé mode alternatif de règlement des litiges.

* 2 Développer la médiation dans le cadre de l'Union européenne , étude du Conseil d'État remise au Premier ministre le 30 juillet 2010 à sa demande, p. 83 et 84. Ce document est consultable à l'adresse suivante : http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Etudes-Publications/Rapports-Etudes/Developper-la-mediation-dans-le-cadre-de-l-Union-europeenne

* 3 Articles 2044 et suivants du code civil.

* 4 Elle a été créée en 2013.

* 5 L'administration, au sens du code des relations entre le public et l'administration, comprend les administrations de l'État, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d'une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale (article L. 100-3 du code des relations entre le public et l'administration).

* 6 Décret n° 2002-612 du 26 avril 2002 instituant un médiateur du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.

* 7 Articles L. 2197-3 et R. 2197-1 et suivants du code de la commande publique.

* 8 Les comités consultatifs de règlement amiable des litiges (CCRA) émettent un avis non contraignant au sujet des dossiers dont ils sont saisis.

* 9 Articles L. 2197-4 et R. 2197-24 du code de la commande publique.

* 10 Charte des médiateurs des collectivités territoriales, consultable à l'adresse suivante :

http://www.amct-mediation.fr/la-charte-des-m%C3%A9diateurs-des-collectivit%C3%A9s-territoriales

* 11 L'exercice d'un recours ne suspend pas l'exécution de la décision de l'administration (Conseil d'État, 2 juillet 1982, Huglo ).

* 12 Par exemple en matière fiscale ou de contentieux militaire.

* 13 En application de l'article L. 231-1 du code des relations entre le public et l'administration, le silence gardé pendant deux mois par l'administration sur une demande vaut décision d'acceptation. Ce principe comprend toutefois de nombreuses exceptions, parmi lesquelles les demandes qui présentent le caractère d'une réclamation ou d'un recours administratif, desquelles sont susceptibles de relever les contestations soumises ultérieurement au médiateur territorial. Dans ce cas, le silence gardé pendant deux mois par l'administration vaut rejet.

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