II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOS RAPPORTEURS SPÉCIAUX

1. Une budgétisation sincère de l'AAH, mais une sous-évaluation persistante de la prime d'activité malgré des efforts de meilleure budgétisation en loi de finances initiale

Vos rapporteurs pointent, depuis plusieurs années, les sous-budgétisations massives concernant notamment la prime d'activité et l'allocation aux adultes handicapés.

Ils avaient néanmoins salué, lors de l'examen des crédits prévus en loi de finances pour 2018 , une « volonté louable de rendre plus sincère la budgétisation des crédits après des années de sous-budgétisation ». Toutefois, au vu de « l'effet volume » de ces prestations, qui sont extrêmement dynamiques et des revalorisations envisagées, vos rapporteurs estimaient que les risques de dépassement budgétaires étaient encore prégnants, notamment s'agissant de la prime d'activité.

Ainsi, comme indiqué précédemment, si aucune ouverture de crédits n'a été nécessaire pour l'allocation aux adultes handicapés, des crédits supplémentaires ont été nécessaires pour financer les dépenses liées à la prime d'activité.

S'agissant de l'AAH, vos rapporteurs saluent ainsi les efforts entrepris et la budgétisation sincère de la prestation. Les prévisions en loi de finances initiale reposaient, pour la première fois, sur les évaluations faites par la DREES et la CNAF.

Écart entre la prévision et l'exécution des dépenses d'AAH (en CP)

(en millions d'euros)

2010

2011

2012

2014

2015

2016

2017

2018

Crédits demandés

6 234,2

6 938,2

7 515,2

8 400,3

8 513,1

8 605,5

9 052,3

9 734,8

Crédits consommés

6 624,6

7 150,0

7 806,2

8 482,1

8 831,0

9 051,7

9 389,6

9 690,0

Écart

390,4

211,8

291,0

81,8

317,9

446,2

337,3

-44,8

Source : commission des finances du Sénat d'après documents budgétaires et Cour des comptes

S'agissant de la prime d'activité, malgré des efforts visant à rendre plus sincère la budgétisation, une ouverture de crédits de 261,5 millions d'euros de crédits de paiement a été nécessaire . Toutefois, le montant de cette sous-budgétisation s'avère moins important que celui des années précédentes. Vos rapporteurs s'interrogent, à cet égard, sur les prévisions faites pour 2019, au vu de la montée en charge très forte de la prime d'activité sur les premiers mois de l'année.

Écart entre la prévision et l'exécution des dépenses
de la prime d'activité (en CP)

(en millions d'euros)

2016

2017

2018

Crédits demandés

3 938

4 338

5 379,6

Crédits consommés

4458*

5 320

5 599,6

Écart

520

982

220

* à périmètre constant

Source : commission des finances du Sénat d'après documents budgétaires

2. Les mineurs non accompagnés (MNA) et la protection juridique des majeurs demeurent des sujets de tension budgétaire

S'agissant du dispositif d'accueil et d'orientation des mineurs non accompagnés (MNA), les crédits exécutés, en 2018, s'élèvent à 145,1 millions d'euros : 48,9 millions d'euros ont été consommés au titre des dépenses d'évaluation et de mise à l'abri et 96,2 millions d'euros au titre de la prise en charge partielle par l'État des dépenses d'aide sociale à l'enfance.

Les dépenses consacrées aux mineurs non accompagnés ont ainsi été multipliées par 7 entre 2017 (20,2 millions d'euros) et 2018 . Cette hausse s'explique par l'aide « exceptionnelle » apportée par l'État au titre du financement d'une partie des dépenses d'aide sociale à l'enfance et par le nombre croissant de mineurs non accompagnés pris en charge par les conseils départementaux : 10 200 en 2015, et plus de 28 000 en 2018.

Toutefois, comme indiqué dans leur rapport budgétaire à l'occasion du projet de loi de finances pour 2019, vos rapporteurs craignent que cette enveloppe soit insuffisante, au vu de la croissance exponentielle du nombre de mineurs non accompagnés et du montant dépensé en 2018.

Ils ont ainsi fait part de leurs inquiétudes à la ministre des solidarités et de la santé, Mme Buzyn et sa secrétaire d'État, Mme Dubos, à l'occasion de leur audition par la commission des finances le 26 juin 2019 . Ils les ont alertées sur l'insuffisance de ces crédits et la situation financière particulièrement délicate de certains départements.

De nouvelles modalités de financement des dépenses de mise à l'abri
et d'évaluation des départements

Ce dispositif piloté par les départements a été expérimenté en 2013 et pérennisé par la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant.

Au titre de ce dispositif - dans le cadre prévu par le décret du 24 juin 2016 - , les départements qui engageaient des actions de mise à l'abri, d'évaluation et d'orientation des jeunes mineurs étrangers non accompagnés - c'est-à-dire sans parents et sans adulte titulaire de l'autorité parentale - pouvaient obtenir un remboursement des dépenses engagées sur la base d'un montant forfaitaire fixé à 250 euros par jour et par jeune, dans la limite de cinq jours , via le Fonds national de financement de la protection de l'enfance (FNFPE). Désormais, selon les nouvelles modalités prévues par le projet de loi de finances pour 2019, l'aide est augmentée à 500 euros par jeune évalué . Par ailleurs, un remboursement forfaitaire de l'hébergement des jeunes est également prévu, dans la limite de 90 euros par jour pendant les 14 premiers jours puis de 20 euros les 9 jours suivants. Ces financements devront aussi permettre de proposer un bilan de santé et une prise en charge sanitaire de premier recours aux jeunes concernés.

Par ailleurs, la loi de finances pour 2018 prévoyait également le financement par l'État d'une partie des dépenses d'aide sociale à l'enfance, qui s'élevait en 2018, à 12 000 euros par jeune supplémentaire pris en charge par les départements au 31 décembre 2017 par rapport au 31 décembre 2016. D'après les informations transmises à vos rapporteurs fin 2018, les modalités seraient revues à la baisse, pour 2019, puisque ce ne serait plus 12 000 euros par jeune supplémentaire mais 6 000 euros qui seraient financés par l'État.

Source : commission des finances du Sénat

Par ailleurs, l'exécution des crédits de la mission sur 2018 confirme également la poursuite de la progression du nombre de mesures de protection des majeurs , qui a augmenté de près 24 % entre 2010 (356 939) et 2018 (467 693).

Les crédits consommés - de 649,5 millions d'euros en 2017 à 646,9 millions d'euros en 2018 - sont relativement stables, en raison d'une réforme du barème de participation des majeurs protégés. Vos rapporteurs ne peuvent que déplorer cette diminution du financement public compensée par une augmentation de la participation des majeurs protégés.

3. L'aide alimentaire : un dispositif vital souffrant de difficultés de gestion

Le dispositif d'aide alimentaire est financé principalement par des crédits en provenance du fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD) qui sont complétés à hauteur de 15 % par des crédits nationaux .

Les crédits consommés en 2018 sont en hausse de 12,9 % par rapport à 2017, avec 49,27 millions d'euros de crédits de paiement. Toutefois, à périmètre constant, en neutralisant le remboursement de l'État, en 2017, fait à FranceAgrimer de 12,2 millions d'euros, les dépenses consacrées à l'aide alimentaire diminuent de 11,2 %.

Outre cette diminution des crédits sur 2018, c'est la fin de la programmation du FEAD qui interroge vos rapporteurs . Les dépenses des campagnes 2016, 2017 et 2018 n'ont pas encore fait l'objet d'appels de fonds, selon la Cour des comptes, dans sa note d'exécution budgétaire, alors que des appels de fonds auraient dû être lancés en mars et juin 2019. Vos rapporteurs - qui avaient mis en avant ces difficultés de gestion dans leur rapport d'information sur l'aide alimentaire en octobre 2018 289 ( * ) - s'inquiètent ainsi des conséquences budgétaires de cette fin de programmation, notamment pour FranceAgrimer, à la situation financière délicate.

Par ailleurs, alors que les négociations concernant la prochaine programmation s'engagent, vos rapporteurs jugent essentielle la pérennisation du FEAD et le maintien d'une enveloppe financière équivalente à l'actuelle programmation, comme ils ont pu le rappeler à la Secrétaire d'État, Mme Dubos, lors de son audition le 26 juin dernier devant la commission des finances. Vos rapporteurs demeureront ainsi attentifs à l'évolution des négociations et aux actions du Gouvernement pour défendre le modèle actuel.

4. L'égalité femmes-hommes : des progrès dans l'exécution budgétaire

Le taux d'exécution des crédits du programme 137 relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes s'élève à 97,3 % en crédits de paiement en 2018 , soit un taux en progression par rapport aux années précédentes. Ce programme faisait, en effet, l'objet d'une sous-exécution récurrente depuis 2014 .

Taux d'exécution du programme 137 relatif à l'égalité
entre les femmes et les hommes

Source: commission des finances du Sénat

Néanmoins, les crédits dédiés à l'aide financière à la réinsertion sociale et professionnelle (AFIS) des personnes prostituées ont été largement réduits en cours de gestion . Sur les 2,376 millions d'euros prévus en loi de finances pour 2018, 645 236 euros ont été consommés pour le financement de cette aide. Seules 80 personnes avaient bénéficié du dispositif, fin 2018, sur les 200 prévues. Cette sous-consommation des crédits, résulterait, pour les associations spécialisées, du manque de moyens de celles-ci pour faire vivre le dispositif, comme l'avaient noté vos rapporteurs dans leur rapport budgétaire pour le projet de loi de finances pour 2019.

Vos rapporteurs rappellent leur attachement à maintenir un niveau de financement suffisant aux associations - qui sont actuellement fragilisées - et souhaitent que le Gouvernement s'attèle à la mise en oeuvre effective du dispositif , en identifiant et levant les facteurs de blocage à la montée en charge de ce dispositif.

5. Les agences régionales de santé : une meilleure consommation de budgets qui restent largement contraints

La subvention pour charges de service public versée aux agences régionales de santé (ARS) a baissé de 0,6 % entre 2016 et 2018. Toutefois, l'écart entre la loi de finances initiale et l'exécution, sur 2018, est inférieur aux années précédentes, avec une exécution à 584,1 millions d'euros. Cela constitue un taux de consommation des crédits de 99 % par rapport aux crédits ouverts .

Hors dépenses d'intervention, le nombre de jours de fonctionnement courant couverts par la trésorerie s'élève ainsi à 31 jours, contre 12 jours en 2017. Toutefois, dix ARS ont un nombre de jours de fonctionnement couvert inférieur à 31 jours . Surtout, la baisse de la dotation de fonctionnement des ARS s'explique par une baisse des dépenses de personnel . Entre 2016 et 2018, le plafond d`emploi a diminué de 4,3%. Il est, par ailleurs, sous-exécuté, comme en 2017 (- 93 ETPT). En outre, les charges de fonctionnement ont cru de plus de 72 % entre 2017 et 2018.

Vos rapporteurs restent ainsi vigilants sur la situation financière des ARS . Ils seront ainsi attentifs à l'évolution du stock de trésorerie et aux dotations prévues dans le prochain projet de loi de finances, qu'ils souhaitent d'un niveau suffisant afin de ne pas mettre en difficulté ces structures.

6. Des dépenses fiscales évaluées à 14,3 milliards d'euros qui pourraient faire l'objet d'un meilleur pilotage

En sus des crédits budgétaires alloués à la mission, sont rattachées 30 dépenses fiscales , dont la prévision actualisée pour 2018 s'établit à 14,3 milliards d'euros, soit un montant équivalent à 70 % des dépenses budgétaires de la mission. Les quatre dépenses fiscales 290 ( * ) les plus importantes représentent près de 65 % du montant total des dépenses.

Ces dépenses fiscales ont augmenté de 20 % en dix ans. La mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » constitue ainsi la troisième mission la plus importante en matière de dépenses fiscales derrière les missions « Économie » et « Cohésion des territoires ».

Néanmoins, il semble - comme ont pu le noter vos rapporteurs dans leur rapport à l'occasion du projet de loi de finances pour 2019 - que le pilotage de ces dépenses fiscales soit insuffisant. Comme la Cour des comptes l'a pointé dans sa note d'analyse de l'exécution budgétaire, les prévisions de ces dépenses sont souvent peu fiables et souvent sous-estimées, les évaluations inexistantes et le pilotage interministériel défaillant. À cet égard, vos rapporteurs estiment que la direction générale de la cohésion sociale ne peut mener, seule, cette réflexion sur l'évolution et le pilotage de ces dépenses, et doit être soutenue par la direction de la législation fiscale et la direction du budget dans l'exécution de cette mission.

7. Une maquette de performance perfectible

Vos rapporteurs considèrent que la maquette de performance de la mission peut être améliorée : certains indicateurs mériteraient d'être revus, et d'autres d'être crées .

Ainsi, s'agissant du programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes », vos rapporteurs regrettent l'absence d'indicateurs de performance pour deux dispositifs budgétairement sensibles de la mission : les ARS et la gestion des mineurs non accompagnés.

Il en va de même pour le programme 157 « Handicap et dépendance », dont la dépense consacrée à l'AAH est croissante, et dont aucun indicateur stratégique n'a été repris au titre du programme pour illustrer les objectifs « les plus représentatifs » de la mission .

Concernant le programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes », vos rapporteurs s'interrogent d'une part sur la pertinence du nouvel indicateur « mesurer l'impact de la culture de l'égalité » qui semble plus correspondre à un indicateur d'activité que de performance et d'autre part sur la suppression d'un sous-indicateur visant à mesurer le taux d'appels traités par le collectif féministe contre le viol . Cette suppression de la maquette de performance 2019 a été justifiée par le manque de moyens de la structure qui ne permettait pas de faire face à la forte hausse du nombre d'appels. Vos rapporteurs jugent quelque peu surprenante la suppression d'un indicateur au motif qu'il a de mauvais résultats.


* 289 Rapport d'information d'Arnaud Bazin et Éric Bocquet, fait au nom de la commission des finances du Sénat, « Un dispositif vital, un financement menacé ? Un modèle associatif fondé sur le bénévolat à préserver » (octobre 2018).

* 290 Il s'agit de l' abattement de 10 % sur le montant des pensions (y compris les pensions alimentaires) et des retraites (programme 157) : 4 387 millions d'euros ; de l'exonération des prestations familiales, de l'allocation aux adultes handicapés ou des pensions d'orphelin, de l'aide à la famille pour l'emploi d'une assistante maternelle agréée, de l'allocation de garde d'enfant à domicile, et, depuis le 1er janvier 2004, de la prestation d'accueil du jeune enfant (programme 304) : 1 897 millions d'euros ; de l'exonération de taxe d'habitation en faveur des personnes âgées, handicapées ou de condition modeste (programme 157) : 1 729 millions d'euros, et du crédit d'impôt, sur l'impôt sur le revenu, pour frais de garde des enfants de moins de six ans (programme 304) : 1 200 millions d'euros.

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