B. UN IMPACT PLUS MODÉRÉ EN 2018 DE DIFFICULTÉS RÉCURRENTES D'ADMINISTRATION QUI MÉRITENT UNE ATTENTION SOUTENUE

1. La charge des refus d'apurement a été considérablement allégée par rapport aux exercices précédents, mais de nouvelles déconvenues ne sont pas à exclure

L'exécution des crédits en 2018 fait état d'une charge au titre des refus d'apurement européen de 177,8 millions d'euros nets correspondant à divers événements, dont une sanction financière de 178 millions d'euros au titre d'un apurement comptable exigible du fait des retards de paiement de la campagne 2015. La dépense consécutive aux refus d'apurement, qui a bénéficié d'un paiement anticipé en 2017 d'une tranche exigible en 2018 pour 138 millions d'euros (soit un total de passif de 322,8 millions d'euros en 2018) témoigne, malgré cette opération de paiement anticipé, d'une réduction très nette par rapport aux montants des dépenses correspondantes constatées ces dernières années.

Évolution des refus d'apurement
entre 2009 et 2018

Source : Cour des comptes

La moyenne annuelle de la charge budgétaire liée aux refus d'apurement sur la période 2009-2018 a atteint environ 300 millions d'euros avec une contribution importante des charges constatées à ce titre en fin de période. En effet, la moyenne annuelle de la charge de refus d'apurement a été de l'ordre de 500 millions d'euros au cours des années 2014 à 2018.

Dans ce contexte, l'année 2015 a été particulièrement néfaste avec la notification par la Commission européenne de la décision ad hoc 47 pesant 1,146 milliard d'euros qui a été la composante principale des charges supportées ces dernières années.

Vos rapporteurs spéciaux ont consacré un rapport 23 ( * ) à la chaîne de paiements agricoles, publié au mois de janvier de l'année en cours, qui, sur la base d'une enquête confiée par votre commission des finances à la Cour des comptes sur les paiements agricoles et de la consultation de diverses sources, a été l'occasion de relever les points de vulnérabilité de notre chaîne de paiements agricoles et de formuler 9 recommandations principales, auxquelles ils renvoient.

Dans le cadre du présent projet de loi de règlement, force est d'observer que les dépenses engagées, ainsi que le concours des exploitants à cet effet, pour mettre à jour notre registre parcellaire graphique, qui fonde la plupart des aides aux agriculteurs (les aides surfaciques) ont permis de désamorcer des motifs récurrents de sanctions financières, sans toutefois (voir infra) les éliminer tous.

Il n'en reste pas moins que le montant des charges consécutives aux refus d'apurement, qui, cette année sont principalement dues à l'application des règles sur les délais de paiement (et non à des refus d'apurement de conformité) a conduit en 2018 à gaspiller près de 200 millions d'euros sur les retours européens de la France, appelant à une vigilance constante sur une meilleure administration des aides européennes.

D'ores et déjà, une tranche de 120 millions d'euros de refus d'apurement devrait impacter l'exécution budgétaire en 2019, d'autres notifications pouvant intervenir 23 ( * ) .

Au-delà, il conviendra de mettre en oeuvre le « choc de simplification » que l'ensemble des parties prenantes semblent appeler de leurs voeux, afin de se prémunir contre les conséquences sans doute excessives que tire la Commission européenne, des manquements qu'elle est conduite à constater lors de ses audits. Les conditions d'administration de la politique agricole commune, sa « faisabilité », méritent d'être une composante à part entière de la prochaine PAC.

De la même manière, il conviendra de clarifier la distribution des responsabilités entre l'État, son opérateur, l'Agence de services et de paiement (ASP), et les régions.

2. Un coût d'administration élevé des interventions agricoles de la PAC

Le coût d'administration des aides versées aux exploitants a été particulièrement élevé ces dernières années du fait des recrutements nécessités par le traitement des mesures mises en oeuvre pour pallier les dysfonctionnements de la chaîne régulière des paiements agricoles et pour rattraper les retards accumulés mais aussi des investissements nécessaires pour améliorer le registre parcellaire graphique (les prestations courantes de l'Institut national de l'information géographique et forestière ; ex IGN) coûtant chaque année 8 millions d'euros) et les outils informatiques mobilisés par l'ASP.

Le RAP pour 2018 ne documente pas le coût de gestion des aides de la PAC en cours d'année - les dotations versées à l'ASP pour plus de 45 millions d'euros en 2018 destinées à mettre à niveau ses outils informatiques pris en défaut devant la diversité extrême des droits des exploitants devraient l'alourdir sans que ces investissements puissent nécessairement être amortis puisqu'aussi bien une nouvelle PAC s'annonce-, mais il illustre les difficultés rencontrées pour les maîtriser.

Coût de gestion des aides de la PAC

Source : rapport annuel de performances 2018

Les cibles ne sont régulièrement pas atteintes, les coûts de gestion des dispositifs non surfaciques du second pilier étant particulièrement lourds. Nul doute qu'une décomposition des coûts de gestion des aides surfaciques du second pilier désormais intégrés dans le premier indicateur montrerait que l'administration des interventions correspondantes suppose des coûts supérieurs aux aides surfaciques du premier pilier (hors prise en compte des pénalités afférentes).

Encore faut-il observer que l'indicateur ne tient pas compte d'un ensemble de coûts imputés à d'autres entités nationales ou européennes, qu'il s'agisse des coûts supportés par les Agences de l'eau ou le ministère des finances au titre de ses missions de contrôle ou de ceux couverts par le prélèvement sur ressources au profit du budget européen liés aux contrôles de la Commission européenne ou de la Cour des comptes européenne. Il conviendrait d'ajouter encore les coûts croissants exposés par les Régions dans le cadre de l'exercice de leur responsabilité en tant qu'autorité de gestion.

En bref, un empilement de coûts résultant de la superposition des intervenants grèvent la gestion des aides européennes sans résultats appréciables en termes de qualité de l'administration d'aides qui ont donné lieu aux sanctions financières rappelées plus haut et dont certaines exigibles depuis des années sont encore en attente de liquidation à ce jour.

3. Un retour mais encore incomplet au calendrier normal de versements des aides

Les dysfonctionnements de la chaîne des paiements agricoles n'ont pas seulement valu des pénalités financières très lourdes imputées sur le budget de la mission AAFAR ces dernières années, elles ont également entraîné des retards dans le paiement des aides au point que certaines d'entre elles n'avaient tout simplement pas été budgétées dans les lois de finances.

Pour accompagner les exploitants des avances de trésorerie remboursables ont été mises en place jusqu'en 2017. À leur propos, quelques observations peuvent être faites, l'une pour relever que les conditions monétaires qui ont prévalu au cours de la période récente ont eu l'heureux effet de réduire la charge financière pour le budget de l'État desdites avances, circonstance indépendante de l'action directe de l'État et dont le renouvellement ne serait pas assuré si, d'aventure, de nouvelles avances remboursables devaient être nécessaires, l'autre pour souligner que toutes les aides n'ont pas pu donner lieu à une même couverture par les avances remboursables. Pour certaines des aides (les mesures agroenvironnementales et climatiques - MAEC -, les aides bios...), l'absence de référence claire a gêné la mise en place d'avances remboursables. Enfin, outre les difficultés occasionnées aux exploitants par un mécanisme soumis au plafonnement de minimis et lourd à mobiliser, il faut rappeler que le taux d'avance n'a jamais été de 100 %, des marges plus ou moins importantes selon le type d'aide étant appliquées par l'administration.

En toute hypothèse, le retour à un calendrier normal de versement des aides est une bonne nouvelle pour les exploitants, mais qui se trouve quelque peu ternie par deux considérations.

En premier lieu, tous les retards de paiement ne sont pas rattrapés. Si, pour la campagne 2015, les paiements ont été démarrés en 2017 et achevés en 2018, les aides de la campagne 2016 (hors aides du 1 er pilier de la PAC, qui, sous l'aiguillon d'une réglementation menaçant d'un dégagement d'office les crédits européens non exécutés en bon temps, ont fait l'objet d'un retour à paiement prioritaire) n'ont été payées qu'à hauteur de 90 % des dossiers (pour un montant de l'ordre de 300 millions d'euros, les dossiers les plus difficiles restant à régler). En ce qui concerne la campagne 2017, 75 % des dossiers auraient été payés. Quant à la campagne 2018, s'agissant des MAEC et des aides bio, les paiements auraient été de 50 % pour les premières et de 30 % pour les secondes.

Vos rapporteurs spéciaux insistent pour que les aides correspondant à des priorités fortes de la politique agricole du pays ne fassent pas l'objet d'une attention de second ordre.

À cet égard, la réglementation européenne qui aboutit à accorder une priorité d'exécution aux aides de premier pilier introduit un biais de sélection incohérent avec les objectifs affichés de la PAC. Il convient d'en obtenir l'assouplissement.

Cet objectif s'impose d'autant plus que la pression exercée par le règlement financier européen nourrit une seconde crainte quant aux rattrapages des paiements réalisés à ce jour, celle qu'ils puissent avoir été effectués dans des conditions ne garantissant pas entièrement leur conformité, et qu'ainsi ils alimentent d'éventuelles sanctions financières subséquentes. Certes, le ministère de l'agriculture a pu se baser sur les efforts entrepris pour améliorer les infrastructures de paiement. Néanmoins, l'extrême diversité des points de contrôle prescrits et l'application de corrections forfaitaires par la Commission peuvent toujours entretenir des incertitudes sur l'issue de contrôles appliqués à des volumes déjà considérables d'opérations en temps normal et rendus pléthoriques lorsque s'y ajoute le traitement du stock.


* 1 Rapport d'information de MM. Alain Houpert et Yannick Botrel, fait au nom de la commission des finances n° 31 (2018-2019) - 10 octobre 2018 « Réparer la chaine de paiement des aides agricoles, un devoir pour nos finances publiques et notre agriculture »

* 23 Le ministère de l'agriculture et de l'alimentation semble considérer que les notifications de refus d'apurement définitifs lui parvenant au-delà de la fin d'un semestre peuvent être payées sur les crédits budgétaires de l'année suivante si bien que la chronique des refus d'apurement à imputer sur un exercice donné est connue assez tôt dans l'année.

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