II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Un surcoût Opex marqué par une sous-budgétisation chronique et une absence de solidarité interministérielle contraire aux dispositions de la loi de programmation militaire

La loi de finances pour 2018 avait inscrit un niveau de crédits au titre du surcoût des opérations extérieures (Opex) s'élevant à 345 millions d'euros en dépenses de personnel pour le titre 2 (245 millions d'euros pour les Opex et 100 millions d'euros pour les missions intérieures) et de 405 millions d'euros hors titre 2.

Comme l'avait prévu votre rapporteur spécial lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018 102 ( * ) , compte tenu du niveau de consommation des années antérieures, cette provision totale de 750 millions d'euros a été significativement dépassée, la dépense au titre des Opex et des Missint s'élevant in fine à un niveau record de 1,36 milliard d'euros .

L'écart à la prévision reste significatif, même s'il est largement inférieur à celui constaté lors de l'exécution 2017 .

Évolution des surcoûts Opex et Missint

(en CP, en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après des données de la direction du budget

La couverture des besoins de financements additionnels a été réalisée en 2018 par la loi de finances rectificative 103 ( * ) , qui ouvre 404,19 millions d'euros au bénéfice du programme 178 et compense intégralement ces ouvertures par des annulations du même montant touchant d'autres programmes de la mission. Des virements et des redéploiements internes ont également été effectués.

Financement du surcoût Opex-Missint non prévu par la dotation budgétaire

(en CP, en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

La compensation intégrale au sein de la mission « Défense », par des annulations et reploiements, des ouvertures de crédits nécessaires au financement du surcoût résultant des Opex et des Missint est contraire au principe de financement interministériel figurant à l'article 4 de la précédente loi de programmation militaire et repris dans la loi de programmation militaire 2019-2025, aux termes duquel « en gestion, les surcoûts nets [...] non couverts par cette provision font l'objet d'un financement interministériel. Hors circonstances exceptionnelles, la participation de la mission Défense à ce financement interministériel ne peut excéder la proportion qu'elle représente dans le budget général de l'État ». Ainsi que le relève la Cour des comptes dans sa note relative à l'exécution budgétaire 2018 de la mission « Défense », « le Parlement a adopté, à moins de cinq mois d'intervalle, deux positions contradictoires ».

Si le mécanisme de solidarité interministérielle devrait avoir moins à jouer à mesure que la dotation budgétaire Opex-Missint sera augmentée, son absence totale dès 2018 constitue une contravention flagrante et regrettable de la nouvelle loi de programmation militaire. Il conviendra que la clause de sauvegarde prévue à l'article 4 du projet de loi de programmation militaire, permettant un financement interministériel de ceux-ci, soit effectivement activée .

Votre rapporteur spécial estime que la sincérité de l'évaluation du coût des Opex constitue en réalité la seule vraie solution à cette difficulté chronique . Comme le relève la Cour des comptes ; « au fur et à mesure que progressera cette sincérité, la justification même de ce mécanisme disparaîtra dans son principe ».

Votre rapporteur spécial note, à cet égard, que la hausse progressive de la provision Opex et Missint prévue dans le projet de loi de programmation militaire, qui passera de 650 millions d'euros en 2018 à 850 millions en 2019 puis à 1,1 milliard d'euros à compter de 2020 - qui répond à une demande constante de votre commission des finances - va dans le bon sens . Compte tenu des niveaux constatés au cours des dernières années, et sauf réduction significative des engagements français à l'étranger et sur le territoire national, cette hausse ne devrait cependant pas permettre de couvrir l'intégralité des surcoûts. La prévision reste, en effet, largement inférieure à la moyenne des dépenses constatées en la matière depuis 2018.

Provision annuelle au titre des opérations extérieures et des missions intérieures prévue par la loi de programmation militaire 2019-2025 104 ( * )

(en CP, en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

2. Une exécution du schéma d'emplois inférieure aux prévisions, traduisant les difficultés de recrutement et de fidélisation des armées...

Le schéma d'emplois exécuté au 31 décembre 2018 s'établit à + 346 ETP, en retrait de 172 ETP par rapport à la loi de finances pour 2018 (+ 518 ETP). Cet écart résulte essentiellement des départs de personnels militaires supérieurs aux prévisions.

Concernant le personnel militaire, ce sous-effectif est porté essentiellement par les sous-officiers et les militaires du rang des trois armées. Il relève de départs supplémentaires, imputables à une forte concurrence du secteur privé, alors même que les recrutements sont portés à des niveaux élevés (environ 26 000, hors volontaires du service militaire volontaire et hors apprentis). Ce constat a d'ailleurs incité votre rapporteur spécial à mener actuellement un contrôle budgétaire sur la gestion des ressources humaines du ministère des armées.

En gestion, afin de réduire le sous-effectif prévisionnel, la DRH-MD a autorisé certains employeurs à dépasser leurs cibles, en compensation des sous-effectifs portés par d'autres. Ce sous-effectif de personnel militaire est en partie compensé par le sureffectif de personnel civil, porté par le SRHC, la DGSE et la DGA, tandis que le SSA présente également un sous-effectif.

Schémas d'emplois de la mission « Défense »

(en ETP)

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023-2025

Prévisions

LPM
2019-2025

450

300

300

450

1500

LFI

464

518

466

Exécution

760

346

Source : commission des finances, d'après le ministère des armées

En prenant en compte le retard accumulé sur les exercices précédents, le sous-effectif ministériel s'élève à - 583 ETPE, au regard d'un schéma d'emplois cible de 929 ETPE.

3. ... en partie responsable d'une sous-exécution exceptionnelle des dépenses de personnel

Contribution au CAS « Pensions » incluse, les dépenses de personnel (titre 2) se sont élevées à 20,4 milliards d'euros en 2018 , contre 20,1 milliards d'euros en 2017, soit un niveau de consommation inférieur à la prévision inscrite en loi de finances (20,6 milliards d'euros). Hors CAS « Pensions », les dépenses de titre 2 ont progressé de 100 millions d'euros, passant de 12 milliards d'euros en 2017 à plus de 12,1 milliards d'euros en 2018 .

Dépenses de personnel de la mission « Défense »

(en euros, en AE/CP)

Catégorie

Exécution 2017

Prévision
LFI 2018

Exécution 2018

Écart

Rémunération d'activité

10 254 964 704

10 182 506 544

10 393 836 178

211 329 634

Cotisations et contributions sociales

9 568 196 881

9 788 089 977

9 688 551 858

-99 538 119

Prestations sociales et allocations diverses

299 116 188

316 359 412

282 572 445

-33 786 967

Total Titre 2 (y.c. CAS Pensions)

20 122 277 773

20 286 955 933

20 364 960 481

78 004 548

Total Titre 2 (hors CAS Pensions)

12 004 906 007

11 936 213 730

12 114 525 406

178 311 676

FDC et ADP prévus

275 331 079

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Ainsi, hors redéploiements pour couvrir les surcoûts Opex et Missint, le ministère des armées aurait présenté un excédent en T2 (rémunération hors CAS « Pensions ») de 211 millions d'euros.

Des marges d'environ 150 millions d'euros ont été identifiées au cours de la gestion, liées pour une part significative (environ les deux tiers 105 ( * ) ) à la sous-réalisation des cibles en effectifs du personnel militaire . Par ailleurs, les départs de l'institution ont été plus importants que les prévisions alors que les recrutements, intervenus plus tardivement dans l'année, n'ont compensé que partiellement ces départs. On constate en outre de moindres dépenses d'indemnisation au titre du chômage, des aides aux restructurations (moindres attributions en pécules réalisées afin de limiter le dépassement des cibles en sorties définitives) et un niveau de réalisation inférieur à 2017 en indemnités de départ du personnel non-officier, en accidents du travail et maladies professionnelles - par nature difficiles à prévoir 106 ( * ) .

Ces marges ont été redéployées en fin de gestion vers le financement des Opex et des Missint : 38 millions d'euros vers des dépenses de masse salariale et 111 millions d'euros vers les dépenses hors masse salariale portées par le programme 178 « Préparation et emploi des forces ». Un mouvement de fongibilité asymétrique de 2,5 millions d'euros a également été réalisé au profit des ressources hors T2 du programme 212 « Soutien et emploi des forces », dans le cadre du plan « Familles ». Sur l'exercice, les crédits de personnel hors CAS « Pensions », présentaient un reliquat non consommé de 2,8 millions d'euros.

S'il peut être compréhensible qu'en phase de recrutement et de « remontée en puissance », des sous-consommations soient observées 107 ( * ) (celles de l'an dernier, déjà significatives, représentaient 88 millions d'euros), votre rapporteur spécial reste préoccupé par une telle différence entre la prévision et l'exécution . Il a toutefois pu constater, lors des auditions du secrétaire général pour l'administration du ministère de la défense que la mesure du problème avait été pleinement prise. Le ministère des armées a ainsi veillé à modifier sa méthode de construction budgétaire, qui sera dorénavant fondée sur les exercices passés et les départs observés, plutôt que sur un modèle purement prévisionnel comme c'était le cas jusqu'alors.

4. Une poursuite de l'augmentation des restes à payer, traduisant l'effort d'investissement de la mission

Le montant des restes à payer de la mission « Défense » au 31 décembre 2018, s'élevait, selon le compte général de l'État, à 53,4 milliards d'euros , soit une augmentation de 2,5 % par rapport à 2017.

Évolution des restes à payer

(en millions d'euros)

Par ailleurs, ce montant devrait mécaniquement croître du fait de l'augmentation des investissements prévue par nouvelle loi de programmation militaire, en matière d'armement, d'infrastructure et de maintenance. Votre rapporteur spécial ne peut, par conséquent, une nouvelle fois, que se féliciter du revirement opéré par le Gouvernement, qui a prévu dans la loi de programmation militaire 2019-2025 108 ( * ) que l'article 17 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 109 ( * ) , qui plafonne le montant des restes à payer de l'État à son niveau de 2017, ne s'applique pas au ministère des armées .

5. Un taux de réalisation insuffisant pour certains équipements pourtant majeurs pour les armées

Le taux de réalisation des principales opérations d'armement - qui mesure l'état d'avancement des commandes, des livraisons, des jalons techniques ou des étapes importantes du programme à franchir dans l'année considérée - s'est élevé à 62 % en 2018, pour une cible et une prévision fixées à 85 % .

Taux de réalisation des équipements

(en pourcentage)

2015

2016

2017

2018

2018

2018

Réalisation

Réalisation

Réalisation

Prévision PAP 2018

Réalisation

Écart

Progression dans la réalisation des opérations d'armement principales du système de forces dissuasion

100

100

90

100

10

Progression dans la réalisation des opérations d'armement principales du système de forces commandement et maîtrise de l'information

71,6

49,7

53

80

44,4

- 35,6

Progression dans la réalisation des opérations d'armement principales du système de forces projection- mobilité- soutien

85

93,3

81,4

80

76,7

- 3,3

Progression dans la réalisation des opérations d'armement principales du système de forces engagement et combat

69,8

84,4

72,8

85

65,2

- 19,8

Progression dans la réalisation des opérations d'armement principales du système de forces protection et sauvegarde

78

66,7

75

85

62,6

- 22,4

Progression dans la réalisation des opérations d'armement principales

75,4

67,2

65,8

85

62

- 23

Taux de réalisation des livraisons valorisées

62,7

93,3

79,1

85

84,1

- 0,9

Source : rapport annuel de performances pour 2018

Les systèmes de force « Commandement et maîtrise de l'information » et « protection et sauvegarde » sont marqués par des taux de réalisation particulièrement éloignés des cibles.

Pour le système de forces « Commandement et maîtrise de l'information », la progression dans la réalisation des équipements en 2018 atteint 44,4 %, soit - 35,6 points par rapport à l'objectif de 80 %. Cet écart est lié au non franchissement des jalons suivants : la livraison d'un radar HMA rénové, du 1 er radar tactique 3D, de 200 kits de numérisation SI Terre, de SIA V1, du 1 er niveau de capacité (SIA terre NC1), de 17 stations segment sol COMCEPT, de 300 TEOTAB, de 5 modules projetables SIA, de la fin de la composante PARADOS et du 1 er ALSR ; les commandes du centre ACCS de remplacement et de 46 modules projetables SIA ; le lancement des stades de réalisation CUGE et CONTACT intégration véhicule.

Pour le système de forces « Protection et sauvegarde », la progression dans la réalisation des équipements atteint 62,6 %, soit - 22,4 points par rapport à l'objectif de 85 %. L'écart avec l'objectif est lié à l'absence de livraison de l'installation SECOIA, de 12 missiles Aster 15, de 25 missiles MIDE et d'un B2M.

Votre rapporteur spécial ne peut que regretter les retards pris sur certains programmes , en particulier les livraisons de trois hélicoptères Tigre, de trois Rafale, de 2 Rafale rétrofités, de 10 Mirage 2000D rénovés (sur une commande de 50 aéronefs) et de 50 chars Leclerc rénovés, alors que ces derniers sont majeurs pour les armées .


* 102 Voir le tome 1 du rapport général n° 108 (2017-2018) de M. Albéric de Montgolfier sur le projet de loi de finances initiale pour 2018, fait au nom de la commission des finances, déposé le 23 novembre 2017, ainsi que l'annexe 3 « Défense » au tome III de ce rapport, par M. Dominique de Legge, rapporteur spécial.

* 103 Loi n° 2018-1104 du 10 décembre 2018 de finances rectificative pour 2018.

* 104 Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 105 Audition du secrétaire général pour l'administration et du directeur des ressources humaines du ministère des armées par votre rapporteur spécial.

* 106 Dans sa note relative à l'exécution budgétaire 2018 de la mission, la Cour des comptes donne les explications suivantes aux économies de T2 : de moindres dépenses d'indemnités opérationnelles (54 millions d'euros), l'accélération du rythme des recouvrements d'indus « LOUVOIS » (26 millions d'euros), des encaissements en attributions de produits supérieurs de 15 millions d'euros aux prévisions, de moindres dépenses hors-socle (28 millions d'euros), notamment pour les dépenses de chômage (14 millions d'euros).

* 107 Réciproquement, le secrétaire général pour l'administration du ministère des armées a indiqué en audition que les crédits de personnel de la mission ont connu d'importantes sous-consommations lors des années de déflations d'effectifs.

* 108 Cette disposition, qui ne figurait initialement que dans le rapport annexé, a été inscrite dans le texte de loi par l'Assemblée nationale et complétée par le Sénat en première lecture.

* 109 Loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018-2022.

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