N° 17

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 octobre 2019

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne, présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, tendant à garantir, au sein de la PAC, le système d' autorisation préalable de plantation viticole jusqu'en 2050 ,

Par Mme Gisèle JOURDA,

Sénatrice

et TEXTE DE LA COMMISSION

(Envoyé à la commission des affaires économiques.)

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet , président ; MM. Philippe Bonnecarrère, André Gattolin, Didier Marie, Mme Colette Mélot, MM. Cyril Pellevat, André Reichardt, Simon Sutour, Mme Véronique Guillotin, MM. Pierre Ouzoulias, Jean-François Rapin , vice-présidents ; M. Benoît Huré, Mme Gisèle Jourda, MM. Pierre Médevielle, René Danesi , secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jacques Bigot, Yannick Botrel, Pierre Cuypers, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mmes Pascale Gruny, Laurence Harribey, MM. Claude Haut, Olivier Henno, Mmes Sophie Joissains, Mireille Jouve, Claudine Kauffmann, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Pierre Laurent, Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Leleux, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Franck Menonville, Jean-Jacques Panunzi, Michel Raison, Claude Raynal, Mme Sylvie Robert .

Voir le numéro :

Sénat :

720 (2018-2019)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Les questions relatives à la vigne, à la qualité de nos productions en France et en Europe, ainsi qu'à l'avenir de nos vignerons font l'objet, de très longue date, d'une attention spécifique de la part du Sénat. L'enjeu, il est vrai, apparaît essentiel, tant pour notre économie, que pour nos territoires et nos concitoyens. En outre, au-delà de ces seuls facteurs, la vigne revêt également une dimension culturelle et historique affirmée, puisque la production de vin a été introduite en Gaule par les Grecs, dès l'Antiquité.

Toutes ces raisons expliquent que, dans un passé récent, la Haute assemblée ait su se mobiliser pour faire obstacle à une proposition de la Commission européenne tendant à remettre en cause les modalités de régulation de la vigne dans l'Union européenne.

Envisagé dès 1999 et officiellement présenté en 2008, un tel projet de réforme, s'il avait abouti, aurait débouché sur la libéralisation des activités vitivinicoles, au risque d'entraîner, comme par le passé, une crise de surproduction aux conséquences douloureuses.

À titre préventif, dès février 2007, suite à la publication d'une première communication de la Commission européenne explicitant sa démarche, notre ancien collègue Gérard César avait mis en garde contre la perspective d'une baisse des revenus des producteurs, dans un contexte d'évolution rapide des pratiques de consommation et de concurrence accrue des pays tiers. Les préoccupations qu'il exprimait avaient été largement entendues, dans la mesure où son rapport d'information avait été adopté à l'unanimité des membres de la commission des affaires économiques 1 ( * ) .

Par la suite, notre commission des affaires européennes s'est opposée à son tour avec force au projet de la Commission européenne tendant à abandonner le système de régulation de l'offre de produits vitivinicoles, connu sous les termes de « droits de plantation ».

Cette mobilisation a pris la forme de l'adoption par le Sénat de deux résolutions européennes 2 ( * ) respectivement le 1 er avril 2011 et le 20 février 2013, à l'initiative de Gérard César et Simon Sutour.

Nos efforts ont efficacement relayé ceux des professionnels et du Parlement européen, puisque le projet de réforme à l'étude a finalement été entièrement revu, pour aboutir à la préservation de l'actuel système de régulation jusqu'à l'horizon 2030, à la faveur de la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) pour la période 2014/2020.

C'est en ayant en tête ce résultat, acquis de haute lutte dans un passé récent, que votre rapporteur a pris l'initiative, le 11 septembre 2019, de déposer une proposition de résolution de résolution européenne, tendant à garantir, au sein de la PAC, le système d'autorisation préalable de plantation viticole jusqu'en 2050.

Enfin, l'expérience des crises de surproduction intervenues à la suite de la suppression des quotas laitiers (1 er avril 2015) et des quotas sucriers (1 er octobre 2017) renforce, selon nous, la nécessité d'agir de façon préventive en matière de réglementation. Il s'agit, à l'évidence, de deux contre-exemples à méditer, tant nos producteurs laitiers et sucriers peinent à s'adapter à un contexte de diminution et de volatilité des prix.

Les enseignements de ces deux crises méritent d'être tirés : nous devons à tout prix éviter de prendre le risque de fragiliser, à l'avenir, la filière vitivinicole française et européenne.

I. L'INDISPENSABLE RÉGULATION DU SECTEUR DE LA VIGNE DANS L'UNION EUROPÉENNE, GRÂCE AU SYSTÈME DES AUTORISATIONS DES DROITS DE PLANTATION VITICOLES

Le régime connu sous le nom de « droits de plantation » repose sur une stricte limitation des nouvelles plantations de vigne.

• À l'origine, un système d'inspiration française

Le système des « droits de plantation » de la vigne a été introduit dans notre droit par les dispositions du décret n° 53-977 du 30 septembre 1953, rédigé sur la base du principe de stricte discipline d'encépagement. Au demeurant, l'objectif de cet instrument était alors autant quantitatif - il s'agissait de contrôler le rythme de croissance des surfaces plantées de vigne - que qualitatif, afin d'améliorer la qualité des vins au fil du temps sur les bons territoires. Le dispositif des « droits de plantation » a servi de support à une stratégie de replantation après arrachage, en distinguant les cépages recommandés et les cépages autorisés.

Dans leur version actuelle 3 ( * ) , ces dispositions sont désormais codifiées aux articles D. 665-1 à D 665-13 du code rural et de la pêche maritime. Elles s'appliquent aux vignes destinées à la production de vin sous signe de qualité - appellation d'origine ou indication géographique protégée - ainsi qu'aux vins sans indication géographique.

• Des dispositions ensuite reprises par l'Union européenne

Initialement, la Communauté économique européenne avait fait prévaloir une approche non interventionniste, en ne prévoyant pas de limitation des plantations ni d'instrument efficace de régulation du marché, pour faire face aux fortes variations annuelles de production. Il en est rapidement résulté un déséquilibre de marché, caractérisé par une très nette augmentation de la production, tandis que la demande demeurait stable.

Confrontées à une situation de crise, les autorités européennes se sont trouvées dans l'obligation de changer radicalement d'approche au milieu des années 1970. Ce tournant a pris la forme de la transposition du système français de régulation de la vigne dans la réglementation européenne.

C'est ainsi qu'au niveau communautaire, un régime de « droits de plantation » de la vigne a été institué en 1976 dans le cadre de l'Organisation commune des marchés (OCM) vitivinicole.

Afin de limiter la production de vins de table et de prévenir les excédents structurels de l'offre, les plantations nouvelles ont été tout d'abord interdites (1976/1978), puis sévèrement contrôlées. Le dispositif, initialement conçu comme temporaire, a été reconduit lors des réformes successives de l'OCM.

• Les « droits de plantation », un mécanisme indispensable pour adapter l'offre à la demande de vin

Il n'est pas inutile de rappeler que la viticulture européenne a connu de nombreux épisodes de surproduction au XX e siècle. En France, tout particulièrement, ces crises régulières ont revêtu un caractère structurel, à partir de 1907 et jusqu'aux années 1960/1970, malgré des périodes de répit durant les deux guerres mondiales.

C'est à l'aune de ce passé récent qu'il convient d'apprécier l'intérêt de garantir un développement maîtrisé de la production et le maintien de l'activité vitivinicole. Certes, le système des « droits de plantation » peut apparaître à certains observateurs et à certains économistes comme excessivement « dirigiste », dans la mesure où il limite strictement le développement des surfaces cultivées.

Pour autant, les avantages de ce dispositif juridique l'emportent nettement sur les inconvénients, dans la mesure où nos viticulteurs se trouvent, par là même, protégés contre les risques :

- de surproduction entraînant une baisse des prix ;

- de diminution du nombre d'exploitations familiales ;

- et de déprise de certaines zones viticoles ;

D'une façon générale, les « droits de plantation » contribuent à limiter la tendance à l'industrialisation excessive de la viticulture, que l'on trouve notamment à l'oeuvre en Chine, ou pour certaines productions du Nouveau Monde. Si une telle évolution venait à advenir dans l'Union européenne, ses effets seraient incompatibles avec la vocation à la fois socio-économique, environnementale, paysagère et touristique de nos territoires. À terme, il en résulterait, tout à la fois, une standardisation, un affaiblissement de la qualité, ainsi qu'une perte de réputation des vins français et européens.

• Le régime des « droits de plantation » actuellement en vigueur

Les dispositions en vigueur en matière de « droits de plantation » ont été adoptées en décembre 2013, à l'occasion de la dernière réforme en date de la Politique agricole commune. Elles ont fait l'objet des articles 61 à 69 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles.

Pour l'essentiel, la nouvelle version de l'outil de gestion du potentiel de production viticole, qui est entrée en vigueur à compter du 1 er janvier 2016, demeure fondamentalement proche de l'ancien système de droits de plantation.

Désormais, la France, comme les autres États membres, doit chaque année rendre disponibles des autorisations de plantations nouvelles correspondant à 1 % maximum de la superficie nationale totale plantée en vigne. Pour ce faire, un arrêté interministériel est publié avant le 1 er mars de chaque campagne annuelle.

Les grandes lignes du dispositif sont les suivantes :

- des autorisations de plantation sont accordées pour l'ensemble des segments de vins (appellations d'origine protégées, indications géographiques protégées et vins sans indication géographique) et sur la totalité du territoire national ;

- des autorisations de plantation à titre gratuit sont octroyées, et ce au titre des plantations nouvelles, des replantations et des plantations issues de conversion de droits ;

- les autorisations de plantation délivrées sont incessibles et valables trois ans (ou sur la durée restante pour les droits convertis) ;

- sont exemptées d'autorisation (tout en faisant l'objet d'une obligation de déclaration) les plantations destinées à l'expérimentation, à la consommation familiale et assimilée, de même que les plantations de vignes-mères de greffons, ainsi que les superficies plantées ayant été perdues en raison d'expropriation pour cause d'utilité publique.

En cas d'excédent de l'offre ou en cas de risque de dépréciation importante d'une indication géographique - Appellation d'origine protégée (AOP) ou Indication géographique protégée (IGP) -, la régulation de la production est susceptible de prendre la forme :

- d'une réduction, pour les plantations nouvelles, de la superficie disponible au niveau national ;

- d'un contingentement des plantations nouvelles à un niveau régional, ou le cas échéant par segment ou par AOP/IGP ;

- ainsi que de restrictions à la replantation.

Toutes les plantations de vignes, aussi bien celles soumises à autorisation que celles exemptées d'autorisation, ainsi que le surgreffage 4 ( * ) doivent faire l'objet d'une déclaration de plantation auprès des services de viticulture de la direction générale des Douanes et Droits indirects (DGDDI).

En l'état actuel de la réglementation, il est prévu que l'ensemble de ce dispositif demeure en vigueur jusqu'au 31 décembre 2030.


* 1 Rapport d'information n° 348 (2006-2007) Réforme de l'OCM vitivinicole : sauvons notre filière et nos viticulteurs , présenté par M. Gérard César au nom de la commission des affaires économiques du Sénat

* 2 Résolutions européennes du Sénat n° 94 (2010-2011) du 1er avril 2011 et n° 100 (2012-2013) du 20 février 2013 sur le régime des droits de plantation de vigne

* 3 Décret n°2015-1903 du 30 décembre 2015 relatif au régime d'autorisation de plantations des vignes, pris pour l'application des articles 61 à 66 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés et des produits agricoles, ainsi que du règlement délégué (UE) 2015/560 de la Commission du 15 décembre 2014.

* 4 « Le surgreffage désigne un greffage pratiqué sur des vignes âgées et productives qui permet d'unir deux éléments, le plus souvent une partie aérienne, le greffon, à une partie souterraine, le porte-greffe, en ajustant les cambiums pour qu'ils se soudent entre eux au moyen d'un cal de cicatrisation. Le surgreffage offre de nombreuses possibilités par rapport à une replantation : 1) modifier son encépagement en une année avec une seule perte de récolte 2) un gain qualitatif sur vin par préservation d'un système racinaire en place depuis plusieurs années 3) préserver le palissage en place. Par contre, le surgreffage ne permet pas de rajeunir une vigne ni de la soigner (flavescence dorée, eutypiose, esca) et doit donc être pratiqué sur une vigne en bonne santé. » (Source : site Internet de l'Institut français de la vigne et du vin).

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