III. UN POINT ESSENTIEL DE DÉSACCORD QUI PERSISTE : L'ABSENCE DE FINANCEMENT DE LA COMPÉTENCE « MOBILITÉ » DES INTERCOMMUNALITÉS

L'une des ambitions majeures portées par le projet de loi d'orientation des mobilités est de mettre fin aux « zones blanches de la mobilité » , en prévoyant que l'ensemble du territoire soit couvert, à compter du 1 er juillet 2021, par une autorité organisatrice de la mobilité.

L'article 1 er du projet de loi prévoit donc que les communes délibèrent avant le 31 décembre 2020 pour transférer la compétence d'organisation des mobilités aux communautés de communes dont elles sont membres .

Ce transfert pose la question des ressources dont ces intercommunalités disposeront pour développer une offre de mobilité, étant donné que la plupart d'entre elles ne mettront pas en place des services réguliers de transport, compte tenu du coût que de tels services représentent, et qu'elles ne bénéficieront donc pas des recettes du versement mobilité .

La question du financement de la compétence « mobilité » des communautés de communes a été identifiée, dès le début de l'examen du projet de loi, comme une ligne rouge par le Sénat . Sans ressources dédiées au financement de cette compétence, les intercommunalités ne seront en effet pas en mesure de développer une offre de mobilité sur les territoires qui en sont aujourd'hui dépourvus.

C'est pourquoi le Sénat avait intégré, en première lecture un dispositif de financement reposant sur deux volets :

- la possibilité pour les autorités organisatrices de la mobilité qui n'organisent pas un service régulier de transport d'instaurer un versement mobilité à taux minoré (dans la limite de 0,3 %) ;

- l'octroi aux communautés de communes d'une fraction du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques lorsque les ressources dont elles disposent au titre du versement mobilité sont insuffisantes pour développer une offre de mobilité satisfaisante.

Lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale, ce dispositif de financement a été supprimé par les députés , sans que rien ne le remplace.

Au cours des débats à l'Assemblée nationale, la ministre chargée des transports Élisabeth Borne, avait renvoyé le règlement de cette question au projet de loi de finances pour 2020 : « la question se pose néanmoins de la ressource dont peuvent bénéficier les autorités organisatrices qui n'organisent pas de transports réguliers [...]. Je veux vous assurer l'engagement du Gouvernement pour qu'une ressource soit apportée pour cette situation : nous sommes en train d'examiner les différentes options possibles, mais tout cela est lié aux réflexions en cours sur la réforme de la fiscalité locale à la suite de la suppression de la taxe d'habitation. [...] L'objectif du Gouvernement est d'intégrer les dispositions qui seront retenues après concertation dans le prochain projet de loi de finances » 16 ( * ) .

Le Sénat était prêt à accepter la suppression du dispositif de financement qu'il avait inséré dans le projet de loi d'orientation des mobilités, en contrepartie d'un engagement formel du Gouvernement à prendre à l'occasion du prochain budget les mesures appropriées.

Deux jours avant la tenue de la commission mixte paritaire (CMP), un courrier du Premier ministre adressé aux rapporteurs du projet de loi a indiqué que, pour financer leur compétence « mobilité », les intercommunalités pourraient compter sur le dynamisme de la part de la TVA qui leur serait attribuée pour compenser la suppression de la taxe d'habitation prévue dans le cadre de la réforme de la fiscalité locale inscrite dans le projet de loi de finances pour 2020 17 ( * ) .

La commission a considéré que cette réponse n'était pas à la hauteur des enjeux , pour deux raisons :

- d'une part, rien ne garantit que ce supplément de recettes de TVA sera suffisant et stable dans le temps , ce qui poserait problème aux communautés de communes souhaitant s'engager dans l'organisation de services de mobilité sur un temps long ;

- d'autre part, ces ressources ne seront pas liées à l'exercice de la compétence « mobilité », ce qui n'incitera pas les intercommunalités à se saisir de cette compétence , celles-ci devant par ailleurs financer de nombreuses autres politiques 18 ( * ) .

Le projet de loi de finances pour 2020 , actuellement en discussion au Parlement, entérine ce choix et ne propose aucune autre mesure permettant d'assurer un financement dédié et pérenne de la compétence « mobilité » des intercommunalités.

Pire, au lieu d'attribuer aux autorités organisatrices de la mobilité des moyens supplémentaires, il les prive en réalité d'une partie de leurs ressources, puisqu'il prévoit d'amputer de 45 millions d'euros la compensation que l'État leur verse à la suite du relèvement du seuil de salariés à partir duquel les employeurs sont assujettis au versement mobilité opéré en 2016 19 ( * ) .

Cette baisse s'ajouterait par ailleurs à la perte de recettes - non compensée - de 45 millions d'euros en 2023, puis de 30 millions d'euros par an à partir de 2024 , que subiront les AOM du fait de la réforme des modalités de franchissement des seuils sociaux prévue par la loi « PACTE » du 22 mai 2019 20 ( * ) .

Dans ces conditions, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable considère que les intercommunalités ne seront pas incitées à se saisir de la compétence « mobilité » , car elles n'auront pas les moyens de développer des alternatives à la voiture individuelle, et que, par conséquent, la promesse du Gouvernement de mettre fin aux « zones blanches de la mobilité » risque fort de rester lettre morte, au détriment des habitants de ces territoire s.

La commission regrette que le problème du financement de la compétence d'organisation des mobilités, qui est identifié depuis le début de l'examen de ce projet de loi comme central pour lutter contre les inégalités d'accès à la mobilité, n'ait pas trouvé de réponse .

C'est pourquoi, la commission a considéré qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre la délibération sur ce texte et a adopté une motion présentée par le rapporteur tendant à opposer la question préalable .

Au cours de sa réunion du 23 octobre 2019, la commission a décidé de proposer au Sénat d'opposer la question préalable au projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, d'orientation des mobilités (n° 730). En conséquence, elle n'a pas adopté de texte sur le projet de loi.


* 16 Assemblée nationale, Rapport fait de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire sur le projet de loi d'orientation des mobilités, Tome III « Comptes rendus ».

* 17 Ce courrier mentionnait que le dynamisme de la TVA, de 3,2 % était supérieur à celui de la taxe d'habitation, de 1,4 %, ce qui permettrait aux communautés de communes de bénéficier d'un supplément de recettes évalué entre 30 et 40 millions d'euros chaque année.

* 18 Le courrier du Premier ministre indique d'ailleurs, s'agissant du supplément de recettes lié au dynamisme de la TVA, que les communautés de communes « pourront choisir de dédier [ces sommes] au développement de services de mobilités ».

* 19 Article 21 du projet de loi de finances pour 2020.

* 20 Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

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