B. UN MANQUE DE SOUTIEN BUDGÉTAIRE

1. France Médias Monde est fragilisée par la trajectoire d'économie appliquée à l'audiovisuel public

Le niveau de la dotation proposée pour France Médias Monde dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020 conduit, une nouvelle fois, votre rapporteur spécial à s'interroger sur l'exercice de ses missions de service public. La dotation s'établirait à 255,2 millions d'euros HT, en diminution de 1 million d'euros, par rapport à l'exercice précédent. Cette réduction relativise la pertinence de l'objectif assigné à FMM dans le projet annuel de performances : « développer la présence française et francophone dans le paysage audiovisuel mondial ».

Le projet de loi de finances s'inscrit dans la continuité de la loi de finances pour 2019 qui s'était déjà traduite par une diminution de la dotation accordée à FMM d'1,6 million d'euros.

FMM s'inscrit ainsi dans la trajectoire de réduction des dotations assignée à l'ensemble des sociétés de l'audiovisuel public et qui devrait se traduire par une perte de recettes de 190 millions d'euros pour l'ensemble des acteurs sur la période 2018-2022. Cette réduction année après année s'inscrit à rebours du contrat d'objectifs et de moyens signé

Votre rapporteur spécial estime que l'ambition affichée ne se traduit pas par des moyens adaptés, alors même que la concurrence internationale s'avère de plus en plus aigüe. Les coups de rabot apportés à tous les budgets des sociétés d'audiovisuel public sans distinction dénotent, dans le cas des opérateurs dédiés à l'audiovisuel extérieur, une absence de vision à long terme et une réelle contradiction avec le discours ambitieux porté au plus haut niveau de l'État. Le président de la République a, en effet, en mars 2018, insisté sur la nécessité de « rehausser notre ambition » en matière de promotion de la langue et des contenus français en s'appuyant sur la « puissance de feu médiatique » de l'« institution puissante » que représente France Médias Monde 23 ( * ) . Le gel budgétaire semble tempérer cette ardeur et rend illusoire le souhait du chef de l'État de passer de 135 millions de personnes touchées par les programmes audiovisuels français en 2018 à 150 millions à l'horizon 2020.

2. Un contrat d'objectif et de moyens 2016-2020 jamais respecté

Le contrat d'objectifs et de moyens signé entre FMM et l'État le 14 avril 2017 prévoyait une augmentation régulière de la dotation publique à partir de 2018. Il n'a jamais été respecté. L'écart entre la dotation prévue par le COM 2016-2020 pour l'année 2020 et celle présentée dans le cadre du présent projet de loi de finances devrait atteindre 9,9 millions d'euros.

Comparaison des dotations prévues en loi de finances avec le COM 2016-2020

(en millions d'euros HT)

Source : commission des finances du Sénat

Au-delà de la question financière, le COM 2016-2020 prévoit :

- d'adapter les offres éditoriales de FMM à la diversité des publics ainsi qu'aux changements induits par la révolution numérique ;

- de développer la présence mondiale de France Médias Monde dans un contexte d'intensification de la concurrence. Il s'agit d'adapter sa stratégie de distribution aux évolutions techniques, via le passage en TNT en Afrique et en haute définition dans l'ensemble du monde. Le COM insiste également sur l'amélioration de la notoriété des chaînes, à travers une hausse du budget de communication ;

- d'optimiser l'organisation et la maîtrise des équilibres budgétaires, en améliorant notamment les processus internes à l'entreprise (ressources humaines, procédures d'achats...) et en développant les coopérations avec les autres entreprises de l'audiovisuel public en vue de réaliser des économies en gestion (achats groupés par exemple) et de porter des projets ambitieux à moindre coût, à l'image de la création de l'offre d'information en continu de service public.

Le changement de trajectoire budgétaire a déjà conduit à renoncer à plusieurs des priorités du COM. Les dépenses de communication et marketing - 3,28 millions d'euros en 2019 - n'ont ainsi pas progressé en 2019, un gel budgétaire à hauteur de 0,2 million d'euros étant même décidé en 2019. L'arrêt de la diffusion de France 24 en TNT en Outre-mer, et l'arrêt de la diffusion de MCD en modulation de fréquence aux Émirats arabes unis ne répondent pas véritablement au souhait d'adapter la stratégie de distribution aux évolutions techniques.

Le Gouvernement communique aujourd'hui sur une majoration des ressources publiques accordées à FMM de 5 % sur la période 2016-2019, soit 12,1 millions d'euros, ce qui constitue la hausse la plus importante concernant le secteur audiovisuel public avec celle enregistre par ARTE. Cette progression doit être nuancée, tant elle est liée au développement de la déclinaison hispanique de France 24 : 17,7 millions d'euros sur la période.

Évolution des ressources publiques de France Médias Monde 2016 à 2019
(hors CFI et filiales)

(en millions d'euros HT)

2016

2017

2018

2019

Dotation publique

244,04

251,57

257,79

256,15

Dont financement France 24 espagnol

-

3,1

7,3

7,3

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

3. Un effet de ciseau entre augmentation des charges de personnel et fragilité des recettes publicitaires

Il convient de rappeler à ce stade la structure du budget de France Médias Monde, composé à 55 % de charges de personnel, le groupe n'achetant pas de programmes. Une diminution des frais support de 35 % a été opérée ces dernières années, à la suite de réformes de structure.

Évolution des charges de France Médias Monde de 2016 à 2019 ( hors CFI et filiales)

(en millions d'euros)

2016

2017

2018

2019 (prévisions)

Coûts des offres linéaires et numériques

174,81

180,24

185,15

185,17

Environnement numérique

7,50

7,19

7,61

8,33

Frais de diffusion / distribution

26,45

26,39

24,78

24,81

Projets financés avec subventions internationales

0,67

1,77

2,48

2,72

Communication / Marketing

3,39

3,47

3,28

3,26

Directions commune et moyens généraux

39,89

43,64

44,94

42,76

Total

252,72

260,70

268,23

267,05

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Cependant, malgré ces réformes, le glissement mécanique de la masse salariale conduit à diminuer les marges de manoeuvre du groupe. Le coût de ce glissement représente 5 millions d'euros sur la période 2016-2019. De fait, si les effectifs du groupe sont ainsi en diminution depuis 2018, passant de 1 744 ETP permanents et non permanents (dont 1 344 ETP permanents) à 1 716 ETP permanents et non permanents prévus en 2020 (dont 1343 ETP permanents), la masse salariale devrait continuer à progresser en 2020 atteignant 145,4 millions d'euros contre 143,6 millions d'euros en 2019 (hors charges à payer sur les litiges et départs négociés) . Les estimations de FMM ne correspondent pas à ces chiffres, compte-tenu notamment du coût de l'accord d'entreprise signé en 2015.

Évolution des charges de personnel de France Médias Monde de 2016 à 2019
( hors CFI et filiales)

(en millions d'euros)

2016

2017

2018

2019

Charges de personnel

138,2

140,1

142,7

145,1

Dont accord d'entreprise

4,1

2,8

4,2

4,2

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Le projet annuel de performances 2020 table sur une progression des ressources propres, hors subventions des bailleurs de fonds internationaux, de 8,5 millions d'euros attendus en 2019 à 10,3 millions d'euros en 2020. Cette projection peut paraître optimiste au regard de la faible évolution constatée entre 2017 et 2018 puis entre 2018 et 2019 (+0,15 million d'euros puis +0,22 million d'euros). L'augmentation constatée en 2018 était notamment liée à la hausse escomptée des recettes de France 24 suite à la commercialisation de ses espaces publicitaires par Canal+ en Afrique depuis 2018 et à l'effet favorable de la Coupe d'Afrique des Nations de football pour RFI. En 2019, FMM table sur l'ouverture de la publicité de marque pour RFI en Île-de-France.

Évolution des ressources propres de France Médias Monde de 2016 à 2019
( hors CFI et filiales)

(en millions d'euros)

2016

2017

2018

2019 (prévisions)

Publicité / parrainage

3,92

3,73

3,81

4,20

France 24

2,20

2,20

2,20

2,35

RFI

1,67

1,52

1,61

1,80

MCD

0,05

0,01

0,01

0,05

Autres ressources propres

4,31

4,43

4,50

4,34

Diversification

1,14

1,19

1,24

1,11

Éditions musicales

0,92

0,80

0,91

0,84

Refacturation

2,25

2,45

2,35

2,38

Total

8,24

8,16

8,31

8,53

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Plus généralement, la probabilité d'une majoration des recettes est rendue aléatoire par la situation délicate du marché publicitaire. Le Gouvernement reconnaît d'ailleurs que la progression des recettes commerciales de France Médias Monde est « structurellement affectée » par :

- le morcellement du marché publicitaire mondial, dominé par les diffuseurs anglophones ;

- les limitations, pour les médias d'information, du champ de commercialisation des espaces publicitaires ;

- les évolutions réglementaires constatées sur le marché africain qui fragilisent les décrochages publicitaires locaux ;

- la volatilité des montants des ressources publicitaires liées à la diffusion sur internet. Leur niveau dépend en effet du référencement des contenus, lui-même relié à des algorithmes difficilement maîtrisables.

Il convient, par ailleurs, de relever que le projet annuel de performances prévoit une stabilité des audiences de France 24 et RFI en 2020 et une baisse de celle de MCD. Une telle évolution ne devrait pas générer d'augmentation des recettes publicitaires.

Rien n'indique en outre que les subventions européennes, qui ont progressé, passant à 2,5 millions d'euros en 2018 contre 1,8 million d'euros en 2017, en raison de l'extension du portail Info-Migrants à deux nouvelles langues, continueront à augmenter au cours des prochains exercices.

En tout état de cause, compte tenu de la diminution de la dotation et malgré la possibilité d'un nouveau plan d'économies de 1,5 million d'euros, le déficit de France Médias Monde s'élevait en 2019 à 3 millions d'euros. Il pourrait atteindre 11,5 millions d'euros à l'horizon 2022.

Au regard de ces éléments, la poursuite de la trajectoire de réduction de la dotation de France Médias Monde devrait conduire le groupe à devoir faire des choix déterminants concernant sa présence dans le monde. La suppression de MCD est ainsi évoquée comme l'abandon de l'antenne hispanique de France 24 (6 heures de programme par jour). L'abandon du passage à la Haute définition apparaît acté.

Cette diminution de la voilure peut constituer un mauvais signal pour nos partenaires. Il convient de rappeler que le traité d'Aix-la-Chapelle signé le 22 janvier 2019 prévoit la création d'une plateforme numérique franco-allemande de contenus audiovisuels et d'information, qui associerait FMM et son homologue allemande, Deutsche Welle . Un partenariat étroit avec le groupe allemand a déjà été mis en oeuvre s'agissant de la plateforme InfoMigrants. Des projets éditoriaux communs ont également été développés à l'occasion des élections européennes de mai 2019. Enfin, FMM a participé au lancement de la chaîne numérique en langue turque « + 90 » aux côtés de Deutsche Welle , Voice of America et BBC World .


* 23 Discours du Président de la République à l'Institut de France pour la stratégie sur la langue française, 20 mars 2018.

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