III. LE FONDS POUR L'INNOVATION : UNE INNOVATION BUDGÉTAIRE QUI NE FERA PAS RECETTE

A. UN MÉCANISME COMPLEXE, MASQUANT UNE DÉBUDGÉTISATION MANIFESTE ET UNE RÉDUCTION DES POUVOIRS DU PARLEMENT

1. Une incertitude sur la plus-value réelle du fonds pour l'innovation et l'industrie

L'actualisation de la doctrine d'investissement s'inscrit dans un projet de réorientation des capitaux investis , au profit de la création d'un fonds pour l'innovation dite « de rupture ». Effectivement créé en janvier 2018, le fonds pour l'innovation et l'industrie est placé sous la responsabilité de l'EPIC Bpifrance. Il doit à terme disposer d'une dotation en numéraire de 10 milliards d'euros, abondée par les produits tirés du programme de cessions que le Gouvernement entend conduire. Dans l'attente, il a reçu dès 2018 une dotation de 1,6 milliard d'euros en numéraire et un prêt de titres EDF et Thalès par l'État.

Le rendement que le fonds tire de sa dotation lui permet de soutenir des projets d'innovation, pour un montant de 250 millions d'euros par an environ, selon les priorités suivantes :

- 70 millions d'euros pour des aides individuelles aux jeunes pousses de l'innovation de rupture ou, selon l'anglicisme utilisé, les start-ups de la deep tech , dans le cadre du plan éponyme opéré par Bpifrance ;

- 120 millions d'euros finançant de grands défis d'innovation de rupture, choisis par le Conseil de l'innovation (cf. infra ), pour un montant individuel de 30 millions d'euros sur une période comprise entre trois et quatre ans minimum ;

- 60 millions d'euros destinés à soutenir des filières stratégiques - à l'instar du plan Nano 2022 ou du plan batteries électriques.

Après des débuts chaotiques, la concrétisation du soutien apporté par le fonds ayant pris du retard en 2018, il est désormais pleinement opérationnel.

Pour autant, la preuve de la plus-value de cette structure pour le financement de l'innovation par rapport à une simple dotation budgétaire n'est toujours pas apportée par le Gouvernement . C'est d'ailleurs ce que la Cour des comptes a relevé, indiquant que le fonds « [permet] une affectation directe, en dehors du budget de l'État, de recettes de cessions de titres et de dividendes pour réaliser des actions qui auraient pu être financées par des programmes budgétaires » 21 ( * ) .

Les réponses fournies par le Gouvernement au rapporteur spécial sur ce point ne sont guère convaincantes . Les arguments qu'il avance apparaissent, en effet, peu pertinents, voire totalement dénués de lien avec l'intérêt d'une dotation extrabudgétaire :

- une stabilité des moyens consacrés au financement de l'innovation de rupture, « là où les principales dotations budgétaires ont connu une forte attrition ces dernières années » 22 ( * ) ;

- une plus grande capacité à prendre des risques, afin de soutenir très en amont les jeunes pousses ;

- une agilité renforcée dans la mise en oeuvre du financement de l'innovation, dans la mesure où « les directeurs de programme sont chargés de la mise en oeuvre et rendent compte au Conseil de l'innovation, instance interministérielle coprésidée par les ministres en charge de l'industrie et de la recherche » 23 ( * ) .

2. Une certitude : une opération de débudgétisation, mettant le Parlement sur la touche

La novlangue qui enrobe le fonds pour l'innovation et l'industrie peine à occulter la mécanique budgétaire qualifiée de « complexe » par Martin Vial, commissaire aux participations de l'État.

Ainsi que l'indique l'administration en réponse au questionnaire budgétaire, « les opérations courantes du fonds ne sont qu'indirectement matérialisées dans le budget de l'État. [...] Les intérêts du numéraire sont versés depuis le programme 117 « Charge de la dette et trésorerie de l'État ». [...] Les dividendes perçus par le fonds entraînent une baisse des recettes non fiscales du budget général. Les dépenses du fonds ne sont en principe pas retranscrites dans le budget de l'État, mais dans la comptabilité de l'EPIC Bpifrance. Toutefois, certaines de ces dépenses, à l'instar de celles consacrées au plan Nano 2022, sont reversées sous forme de fonds de concours et retracées à ce titre au sein des programmes concernés du budget général » 24 ( * ) . Pour ces dernières dépenses, l'intérêt du recours au fonds semble pour le moins contestable.

Le schéma ci-après fournit une tentative d'illustration de la mécanique budgétaire induite par le fonds pour l'innovation et l'industrie pour l'exercice 2019.

Le fonds pour l'innovation et l'industrie : une « usine à gaz budgétaire »

NB : les dividendes versés par Thalès transitent par la holding TSA, à travers laquelle l'État détient ses participations dans l'entreprise.

Source : commission des finances du Sénat

Surtout, le fonds pour l'innovation et l'industrie participe d'une opération de débudgétisation : comme le souligne le rapporteur spécial depuis la genèse de ce projet, il s'accompagne d'une diminution corrélative de la dotation à Bpifrance portée par le programme 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle », passée de 342 millions d'euros en 2010 à une prévision de 100 millions d'euros pour 2020.

Il en résulte une mise à l'écart du Parlement , qui n'intervient pas dans le contrôle de la dotation du fonds pour l'innovation. La création en juillet 2018 d'un organe ad hoc , le Conseil pour l'innovation, afin de fixer les priorités stratégiques en matière de politique d'innovation, en témoigne.


* 21 Voir la note d'analyse de l'exécution budgétaire 2018 pour le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », Cour des comptes, juin 2019, p. 40.

* 22 Réponse au questionnaire budgétaire.

* 23 Ibid.

* 24 Ibid.

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