EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 6 novembre 2019, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Victorin Lurel, rapporteur spécial, sur le compte d'affectation spéciale (CAS) « Participations financières de l'État ».

M. Victorin Lurel , rapporteur spécial sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » . - L'exercice auquel je me livre pour la troisième année est, vous le savez, très particulier. Il me revient de vous éclairer sur un pan entier de l'action publique, à savoir l'État actionnaire et son portefeuille représentant pas moins de 110 milliards d'euros, à partir d'un vecteur budgétaire quelque peu baroque. Deux éléments motivent cette appréciation.

D'abord, la lisibilité du compte est fortement réduite par son périmètre large. Il ne retrace pas uniquement les opérations de l'État actionnaire, conduites par l'Agence des participations de l'État (APE), mais porte également d'autres opérations en capital, à l'instar des versements au titre des programmes d'investissements d'avenir. Vous trouverez des éléments à ce sujet dans mon rapport : en 2018, plus d'un quart des dépenses du compte n'a aucun lien avec l'État actionnaire.

Ensuite, la capacité d'action du Parlement est foulée aux pieds de la confidentialité des opérations de cessions. Soyons réalistes : il ne serait ni souhaitable, ni même envisageable que les cessions fassent l'objet d'une prévision comme pour toute autre opération budgétaire. Pour autant, faire examiner au Parlement un montant conventionnel de crédits et attendre la loi de règlement pour constater l'exécution a posteriori revient à reléguer la représentation nationale à une chambre d'enregistrement.

Nous ne sommes pas, mes chers collègues, des poinçonneurs ! Des propositions existent pour définir un meilleur équilibre des pouvoirs dans l'examen du compte : j'ai moi-même eu l'occasion d'en formuler l'an dernier.

Ces réserves préliminaires posées, j'en viens à la présentation du compte pour 2020. Comme l'an dernier, le montant conventionnel proposé est majoré pour tenir compte des cessions autorisées par la loi « Pacte » et s'élève à plus de 12 milliards d'euros en recettes et en dépenses. Il intègre une contribution au désendettement de l'État d'un montant de 2 milliards d'euros, identique à celui prévu pour 2019 - j'y reviendrai.

L'année 2020 sera donc marquée par la concrétisation de la loi « Pacte » et les deux cessions qu'elle autorise pour la Française des jeux et Aéroports de Paris.

Vous apprécierez l'à-propos de notre calendrier d'examen budgétaire : l'intense campagne de publicité conduite par le Gouvernement vous aura permis de ne pas passer à côté, l'introduction en bourse de la Française des jeux débute dès demain et se terminera le 20 novembre prochain. Toutes les conditions sont réunies pour une cession rapide, sans doute d'ici à la fin du mois. Je me tiens prêt à répondre à vos questions sur ce sujet.

La donne est différente pour Aéroports de Paris, à tous points de vue. Le Gouvernement se fait plus discret sur le processus de recueil des soutiens à la proposition de loi déposée en application de l'article 11 de la Constitution. Initiée le 13 juin dernier, elle doit se poursuivre jusqu'à la mi-mars 2020, le projet de cession étant entretemps suspendu. Certes, le point d'étape à mi-parcours laisse augurer que le seuil requis ne sera pas atteint. Le Gouvernement devra alors décider de la forme que prendra l'opération, ce qui déterminera la structure actionnariale ultérieure de l'entreprise.

Les discussions ont été enflammées sur ces différents projets. Le Sénat a exprimé son opposition.

Au-delà des débats relatifs au caractère stratégique de ces actifs, laissez-moi vous faire part de leurs conséquences budgétaires. Les dividendes seront perdus, ce qui représente une perte de recettes annuelle d'environ 200 millions d'euros pour le budget général. Voilà qui renforcera une tendance de fond : entre 2012 et 2019, les dividendes perçus par l'État ont été divisés par deux.

Surtout, ces cessions réduiront fortement les marges de manoeuvre de l'État actionnaire. Depuis son entrée en fonction, le Gouvernement a asséché le solde du compte de 60 %. Il atteint un seuil historiquement bas, qui risque d'assujettir l'État actionnaire à l'État gestionnaire.

Le B.A.-BA de tout gestionnaire d'actif tient à la diversification du portefeuille. L'exécutif semble l'avoir oublié : les cessions vont accentuer encore davantage la concentration de notre portefeuille sur les valeurs énergétiques, qui en représentent près de la moitié.

Pour qualifier sa stratégie, le Gouvernement convoque un élément de langage en parlant de « respiration » du portefeuille. Je suis désolé d'être brutal, mais j'y vois plutôt le dernier souffle de l'État actionnaire.

M. Jean-François Husson . - Respiration d'asthmatique !

M. Victorin Lurel , rapporteur spécial . - Pourtant, les défis à relever seront nombreux et cruciaux pour l'avenir de notre pays - je pense en particulier à la transition énergétique et à ses conséquences pour EDF. L'entreprise fait face à des difficultés importantes, ce qui porte fortement atteinte à la performance du portefeuille de l'État. Le Gouvernement attend de l'entreprise qu'elle fasse des propositions de réorganisation au cours du premier semestre 2020. La question essentielle tient à la refonte de la régulation du nucléaire. Je sais les inquiétudes que suscite ce projet, comptez sur moi pour être vigilant.

De ce point de vue, je ne peux cautionner le choix du Gouvernement de mobiliser le compte pour le désendettement de l'État. Certes, je mesure le caractère symbolique de cette contribution. Mais le symbole ne doit pas s'opérer à rebours des intérêts patrimoniaux de l'État alors que les conditions de marché sont exceptionnelles. Permettez-moi de citer un ancien ministre, qui indiquait en 2016 devant notre commission que « patrimonialement, ce serait se tirer une balle dans le pied que d'utiliser le capital du compte pour se désendetter ». Entretemps, l'ancien ministre a quitté Bercy pour l'Élysée et son regard a, semble-t-il changé, alors que le contexte macroéconomique demeure similaire.

Quel est le risque ? Une utilisation opportune du compte, en faisant fi des considérations patrimoniales. La dette publique tutoie désormais le seuil hautement symbolique des 100 % du PIB. La contribution au désendettement prévue explique à elle seule le reflux de 0,1 point de PIB du ratio attendu par le Gouvernement en 2020. Aussi, je vous propose un amendement pour réduire la contribution au désendettement de 2 milliards d'euros à 1 milliard d'euros, montant traditionnellement inscrit sur le compte au stade du projet de loi de finances.

Je terminerai mon propos par quelques remarques sur le fonds pour l'innovation et l'industrie. C'est, vous le savez, l'objectif des cessions : doter un fonds pour l'innovation de rupture à hauteur de 10 milliards d'euros. Dans l'attente, il bénéficie d'une dotation transitoire, intégrant des titres EDF et Thalès confiés par l'État, ce qui lui permet d'être effectif en 2019.

Vous êtes nombreux dans cette commission à avoir parcouru le projet de loi de finances à la recherche du « budget vert ». Je dois concéder que je ne saurai vous éclairer sur ce point. En revanche, je suis en mesure de vous faire part de « l'usine à gaz » budgétaire que met en oeuvre le Gouvernement. Le schéma que je vous propose dans mon rapport atteste de la complexité du mécanisme, comme me l'a concédé Martin Vial.

L'enrobage est volontiers moderniste, convoquant nombre d'anglicismes pour étayer ce qui reste une opération de débudgétisation, au détriment des capacités d'analyse du Parlement. Surtout, ses conséquences sont préjudiciables aux finances publiques. En 2019 et 2020, le versement en actions du dividende d'EDF conduira l'État à racheter au fonds les actions perçues par le fonds au titre de son dividende. Ce sont ainsi 125 millions d'euros qui seront déboursés de façon inutile par le budget général. Dans un contexte budgétaire contraint, cela vient grever les marges d'action de véritables politiques publiques.

Sous réserve de l'adoption de l'amendement que je vous propose, je vous recommanderai d'adopter les crédits du compte.

M. Marc Laménie . - Ce sont des sujets complexes, avec des milliards d'euros en jeu. Comment est gérée l'APE ? Quels sont ses effectifs ?

M. Michel Canévet . - Quel montant le Gouvernement attend-il de la cession de ses parts dans la FDJ ? Les perspectives de valorisation semblent bonnes. Pourquoi le Fonds pour l'innovation et l'industrie ne ferait-il pas recette ? Quant à votre amendement : à quoi servirait le milliard réaffecté ?

M. Emmanuel Capus . - Votre rapport évoque un projet de scission d'EDF en deux entreprises. En quoi cela améliorerait-il la situation ? Quel intérêt pour l'État actionnaire ?

M. Victorin Lurel , rapporteur spécial . - Oui, c'est un sujet complexe, et une usine à gaz, comme l'a reconnu Martin Vial lui-même. J'avais fait des propositions sur le statut de l'APE. Son personnel, qui compte une cinquantaine de personnes, dépend d'un programme de la mission « Économie ». Il faut revoir cette présentation du compte, qui permet des débudgétisations et met le Parlement à l'écart pour améliorer la présentation des crédits tout en préservant la confidentialité des opérations.

L'État fait une grosse publicité pour améliorer la valorisation de la FDJ, qui n'est pas cotée. La commission des participations et des transferts fixera le prix plancher en-deçà duquel l'entreprise ne pourra être cédée ; la recette pour l'État devrait s'élever à environ 2 milliards d'euros. La presse dit que la plupart des privatisations ont échoué car l'État avait vendu au plus haut. Il est vrai que le contexte va changer : l'organisation de la régulation va évoluer, le régime fiscal de la nouvelle société va être adapté.

Le Fonds pour l'innovation et l'industrie est un objet complexe, sa dotation en numéraire doit atteindre 10 milliards d'euros à terme. Pour l'instant, il a été doté à titre temporaire de 1,6 milliard d'euros en numéraire, et du complément sous forme de titres EDF et Thalès confiés par l'État. Sa dotation en numéraire est censée rapporter 2,5 %, taux calqué sur celui des OAT à 50 ans - même si ce taux n'a jamais été de 2,5 % mais plutôt, en moyenne, de 1,7 %. En fait, l'État a retenu un taux très au-dessus du marché. De plus, l'arrêté précise qu'un processus de révision interviendra en 2023, ce qui pourrait conduire à constater un trop-perçu de 400 millions d'euros. Voilà qui est contraire à l'objectif de cette usine à gaz, censée garantir la rapidité et la stabilité ! On aurait pu faire plus simple avec des crédits budgétaires - mais ceux-ci sont contrôlés par le Parlement, alors que celui-ci n'est pas représenté au conseil de l'innovation, instance ad hoc créée en 2018.

Autre astuce : consacrer deux milliards d'euros pour maintenir le ratio d'endettement en-dessous de 100 %. En 2018, aucune contribution effective au désendettement de l'État n'était intervenue, à l'exception de 100 millions d'euros utilisés pour désendetter le CEA auprès d'Areva. Pour répondre à Michel Canévet, le milliard d'euros que mon amendement propose de récupérer sur la contribution au désendettement servira à abonder la trésorerie du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », dont le niveau n'a jamais été si faible. L'État actionnaire, qui se doit de défendre les intérêts de la France, cède le pas à l'État gestionnaire : il a rigidifié son portefeuille, au risque de trop dépendre du secteur énergétique et de perdre en autonomie et en contrôle. C'est pourquoi je vous propose un amendement destiné à redonner à l'État actionnaire des marges de manoeuvre.

Nous avons entendu des représentants de la direction d'EDF. Ils travaillent, dans le cadre d'un rapport au Gouvernement, sur la régulation nucléaire et sur la reconversion stratégique de l'entreprise. Les salariés se sont émus du risque de démantèlement de la société. Nous avons été rassurés sur ce point, mais la restructuration durable de l'entreprise n'est envisageable qu'à la condition de réviser la loi du 7 décembre 2010 relative à la nouvelle organisation du marché de l'électricité, dite NOME. Le prix imposé du kilowattheure à 42 euros pour l'électricité nucléaire historique, en-deçà du prix de revient pour EDF, prive l'entreprise de moyens pour assurer sa compétitivité et disposer de marges de manoeuvre pour financer la transition énergétique.

L'amendement n° 1 est adopté.

La commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption des crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », sous réserve de l'adoption de son amendement.

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Réunie à nouveau le jeudi 21 novembre 2019, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat l'adoption des crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », tels que modifiés par l'amendement adopté.

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