LES MODIFICATIONS APPORTÉES
PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

En première délibération, l'Assemblée nationale a adopté les crédits de la mission, majorés de 112 millions d'euros.

Évolution des crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements » intervenue à l'Assemblée nationale

(en millions d'euros)

Programmes

+

-

Remboursements et dégrèvements d'impôts d'État (crédits évaluatifs)

0

0

Remboursements et dégrèvements d'impôts locaux (crédits évaluatifs)

112 M€

0

TOTAUX

112 M€

0

SOLDE

112 M€

Source : commission des finances du Sénat

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 22 octobre 2019, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a examiné le rapport de M. Pascal Savoldelli, rapporteur spécial, sur la mission « Remboursements et dégrèvements ».

M. Pascal Savoldelli , rapporteur spécial de la mission « Remboursements et dégrèvements » . - Cette mission retrace les dépenses budgétaires résultant de l'application des dispositions fiscales prévoyant des dégrèvements, des remboursements ou des restitutions d'impôt. Compte tenu du caractère mécanique de ces dépenses, les crédits de la présente mission sont évaluatifs, c'est-à-dire qu'ils ne constituent pas un plafond, à la différence des crédits des autres missions budgétaires. La mission est composée de deux programmes, l'un consacré aux remboursements et dégrèvements d'impôts d'État, l'autre aux remboursements et dégrèvements d'impôts directs locaux.

Pour 2020, 141 milliards d'euros de crédits sont demandés au titre de la présente mission, en augmentation de 5 milliards d'euros par rapport à la loi de finances pour 2019. S'agissant des impôts d'État, cette augmentation s'explique notamment par la mise en oeuvre du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, mais également par la hausse des restitutions de TVA et d'importants contentieux fiscaux. S'agissant des impôts locaux, la hausse s'explique principalement par le coût croissant du dégrèvement de la taxe d'habitation en faveur des 80 % des ménages les moins favorisés. Au total, en 2020, les remboursements et dégrèvements devraient représenter un tiers des recettes fiscales brutes, une proportion qui ne cesse d'augmenter depuis 2010. Ces montants justifieraient une revue régulière et détaillée de leur pertinence.

Pour 2020, les remboursements et dégrèvements d'impôts d'État sont évalués à 118 milliards d'euros, en augmentation de près de 2 milliards d'euros par rapport à 2019. Leur hausse est quasi ininterrompue depuis 2010.

Plusieurs paramètres expliquent l'augmentation demandée pour 2020.

En premier lieu, les remboursements de crédits de TVA, qui représentent en valeur la part la plus importante des remboursements et dégrèvements d'impôts d'État, sont particulièrement dynamiques. Avec 58,6 milliards d'euros pour 2020, ils poursuivent leur croissance : + 3,1 % par rapport à la prévision révisée pour 2019, qui était elle-même en hausse de + 8,5 % par rapport à l'exécution 2018. Depuis 2013, les restitutions de TVA ont augmenté de 11,5 milliards d'euros et les parlementaires ont besoin de plus d'explications sur les causes de cette trajectoire.

En deuxième lieu, les conséquences du prélèvement à la source s'élèveront à 15 milliards d'euros en 2020, soit 4 milliards d'euros supplémentaires par rapport à 2019. En effet, la mise en oeuvre du prélèvement à la source a entraîné d'importantes restitutions en n+1, qui conduisent à une hausse de près de 10 milliards d'euros des crédits demandés à ce titre.

En troisième lieu, le crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement (CIMR) a finalement coûté 6,1 milliards d'euros ; il a permis de résoudre la difficulté posée par l'année blanche en annulant l'impôt sur le revenu afférent aux revenus non exceptionnels perçus ou réalisés en 2018.

En dernier lieu, l'acompte de 60 % du montant des crédits et réductions d'impôt de l'année précédente est désormais versé en début d'année aux contribuables. Le projet de loi de finances pour 2020 prévoit 5,7 milliards d'euros à ce titre, un montant à peine plus élevé qu'en 2019.

Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) continue également de peser sur la mission. Le coût prévu du dispositif pour 2020 est cependant en forte baisse : Alors qu'il atteignait presque 20 milliards d'euros en 2019, la prévision pour 2020 est de 9 milliards d'euros. Le dispositif a en effet été transformé en réductions de cotisations sociales employeur, qui ne sont plus retracées au sein de la mission, mais n'en représentent pas moins un coût important pour les finances publiques.

Le coût des contentieux fiscaux est également retracé au sein de ce programme. Il s'agit principalement des grands contentieux fiscaux de droit de l'Union européenne, dont le coût pour l'État, même s'il est réparti sur plusieurs années, est très élevé ; c'est le cas du contentieux « OPCVM » (organismes de placement collectif en valeurs mobilières) pour plus de 10 milliards d'euros, de celui sur la taxe additionnelle sur les dividendes pour 9,5 milliards d'euros ou encore de celui sur le précompte mobilier pour un peu plus de 5 milliards d'euros. Dans mon rapport, je déplore la priorité donnée par les institutions de l'Union aux marchés et à la libre circulation des capitaux, au détriment de l'urgence sociale, économique et environnementale.

Je me suis tout particulièrement intéressé à la question des remboursements et dégrèvements de TVA. Le ministre de l'action et des comptes publics nous avait indiqué, en mai dernier lors d'un débat organisé au Sénat, que la fraude à la TVA représentait chaque année entre 18 et 22 milliards d'euros. Nous sommes tous d'accord pour renforcer la lutte contre la fraude fiscale. Pour cela, l'information doit être décloisonnée et les services doivent travailler de façon coordonnée, aux niveaux tant national qu'européen et international. Je considère en outre que les moyens humains doivent être renforcés et mieux spécialisés. Ce sont les conclusions que tirait également la Cour des comptes dans son référé de décembre 2018.

La lutte contre la fraude doit aussi permettre de dégager de nouvelles ressources publiques. Celles-ci permettront de mieux répartir la charge de la TVA en révisant les taux d'imposition des produits et des services de première nécessité qui contribuent au maintien de la dignité des personnes. Je pense notamment, pour avoir interrogé des foyers modestes, au savon, au dentifrice, au gel douche, au shampoing, mais aussi aux couches pour enfants et aux protections hygiéniques pour les personnes âgées.

Je sais que les taux réduits font l'objet d'un encadrement strict par le droit de l'Union européenne ; c'est pourquoi je demande que la France défende l'extension des taux réduits et super-réduits au niveau européen. En 2015, une initiative sénatoriale transpartisane avait permis de réduire à 5,5 % le taux de TVA applicable aux protections hygiéniques féminines. Il faut poursuivre l'extension de ce taux réduit ; le Sénat a voté un taux réduit sur les protections hygiéniques pour les personnes âgées, mais l'Assemblée nationale s'y est opposée au motif qu'il était contraire au droit européen. Or, le budget moyen pour une personne âgée s'établit à 150 euros mensuels : ce n'est pas rien quand on est au minimum vieillesse ou quand on vit avec une petite retraite d'agricultrice ou de conjointe d'agriculteur qui n'est même pas revalorisée !

S'agissant des remboursements et dégrèvements d'impôts locaux, comme chaque année, leur montant atteint un nouveau record. Ce sont ainsi 23 milliards d'euros qui sont demandés pour 2020, soit une augmentation de 16 % par rapport à 2019.

Les remboursements et dégrèvements liés à la taxe d'habitation, qui s'élèvent à 14,7 milliards d'euros, constituent la majeure partie de la dépense.

Les remboursements et dégrèvements d'impôts économiques locaux constituent le deuxième poste de dépenses du programme, pour un montant de 6,2 milliards d'euros. La majeure partie de cette dépense correspond au reversement du dégrèvement barémique de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). En 2020, le montant des dégrèvements d'impôts économiques locaux devrait baisser de 10 %, en raison notamment de l'extinction des contentieux nés de la décision du Conseil constitutionnel du 19 mai 2017 relative à la CVAE de groupe.

Les remboursements et dégrèvements de taxes foncières représentent la troisième dépense du programme avec 1,6 milliard d'euros en 2020. Ce montant, quasiment stable depuis 2017, sert à couvrir le coût des rectifications a posteriori des impositions.

Enfin, les dépenses d'admissions en non-valeur constituent le dernier poste de dépenses du programme, pour un montant de 538 millions d'euros. Il s'agit d'un impondérable de la mécanique du recouvrement d'impôt, même si une amélioration des systèmes d'information pourrait permettre de réduire les montants en cause.

En conclusion, je souhaite évoquer la réforme de la fiscalité locale : le dégrèvement de taxe d'habitation en faveur de 80 % des ménages est en effet le premier facteur d'augmentation des dépenses que je viens de vous présenter. Cette mesure me semble mal inspirée et va nous conduire à une situation critique pour les collectivités locales et les classes les plus modestes.

En premier lieu, ce dégrèvement ne répond à aucune des critiques adressées jusqu'alors à la taxe d'habitation - les bases d'imposition n'étaient pas à jour et beaucoup de contribuables étaient exonérés. C'est pourtant sur la base de ce constat qu'il a été décidé de supprimer progressivement cet impôt, alors qu'il aurait fallu le réparer : si nous décidions de supprimer toutes les taxes et dépenses fiscales mal paramétrées, quels dégâts !

En deuxième lieu, ce dégrèvement a conduit à l'exonération généralisée que nous propose ce projet de loi de finances et qui se traduira par un nouveau cadeau fiscal pour les plus riches : 7,8 milliards d'euros d'ici à 2023 selon la direction générale des finances publiques (DGFiP) !

Enfin, ce dégrèvement impose de trouver un système pérenne pour compenser les communes ; or la solution envisagée n'est pas acceptable. J'estime tout d'abord que le transfert de la taxe foncière départementale n'aura pas d'autre effet que d'exclure de ce que j'appelle une « citoyenneté fiscale locale », tous ceux qui ne sont pas propriétaires. Je considère ensuite que la « compensation de la compensation » aux départements par l'attribution d'une fraction de TVA n'est pas souhaitable : elle va inciter l'État à accroître ses recettes de TVA pour financer son manque à gagner, avec, pour principales victimes, comme le démontre toute la littérature économique, les classes populaires ; enfin, elle va mettre les départements dans une situation absolument précaire, car, depuis 2011, les recettes de TVA ont augmenté moins rapidement que celles de la taxe foncière sur les propriétés bâties. C'est peut-être une manière commode pour le Gouvernement de ralentir l'augmentation de la pression fiscale, mais où sont les mesures qui ralentiront la croissance des dépenses sociales des départements ? Entre 2010 et 2017, ces dépenses ont crû de 24 %, alors les recettes de TVA n'augmentaient que de 19 % : c'est ce que l'on appelle un effet ciseau !

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, que je vous ai présentées avec la liberté d'analyse et de ton dont notre commission est coutumière, je vous invite à ne pas adopter les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».

Mme Nathalie Goulet . - Cela fait deux ans que nous demandons sans succès une démonstration des logiciels de détection précoce des fraudes à la TVA ! Ceux-ci sont utilisés dans d'autres pays, comme la Belgique, où ils ont prouvé leur efficacité pour détecter notamment les fraudes carrousels, au niveau national comme européen. Le ministre nous a promis une démonstration et assure qu'il dispose d'un logiciel maison. Il est évident que la détection précoce de la fraude à la TVA est le meilleur moyen de lutter contre les fraudeurs. Pourriez-vous demander, en votre qualité de rapporteur spécial, une telle démonstration ainsi que l'expertise des moyens dont dispose le ministère ?

M. Philippe Dallier . - Avec 141 milliards d'euros, cette mission est la mieux dotée du budget de l'État. Un certain nombre des dispositions qui conduisent à ce montant peuvent faire l'objet d'interrogations et de débats, comme c'est le cas de la suppression de la taxe d'habitation. Mais je ne vois pas sur quelles bases nous pourrions rejeter cette mission, dès lors que les montants des remboursements et dégrèvements correspondent peu ou prou à la réalité. Nous allons voter ces crédits car nous contestons la politique menée par le Gouvernement, et non pas les évaluations présentées dans la mission.

M. Jérôme Bascher . - Pour ma part, je milite pour la suppression totale de la taxe d'habitation. Le rapporteur a-t-il pu identifier les niches que nous pourrions supprimer pour dégonfler ces 141 milliards d'euros ?

M. Thierry Carcenac . - Même si l'on ne partage pas toutes les orientations qui les sous-tendent, comment ne pas voter ces crédits ?

S'agissant des fraudes à la TVA, le Gouvernement a demandé à la Cour des comptes un rapport permettant d'évaluer le niveau des différents types de fraude : quand nous sera-t-il remis ?

M. Michel Canévet . - Ne devrait-on pas voter les crédits de cette mission ?

Je propose que la fraction de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) actuellement perçue par les régions soit remplacée par une part supplémentaire de TVA. En effet, les régions doivent agir pour développer les transports collectifs et faire diminuer la consommation de carburants, or cela impacte négativement leurs recettes !

Je trouve en outre paradoxal de payer de la TVA sur d'autres taxes, comme c'est le cas pour les produits énergétiques : ne faudrait-il pas prévoir un dégrèvement pour ce cas de double taxation ?

M. Victorin Lurel . - Vous indiquez dans votre rapport que les admissions en non-valeur ont augmenté de plus de 1 milliard d'euros, soit + 62 %, entre 2019 et 2020. Comment l'expliquez-vous ?

M. Pascal Savoldelli , rapporteur spécial . - La question de la détection précoce des cas de fraude à la TVA est un serpent de mer. Il s'agit bien souvent de gros fraudeurs très performants qui s'adaptent aux processus de détection. De plus, le Parlement a toutes les peines du monde à appréhender le travail de contrôle réalisé par l'administration et à disposer d'estimations fiables du niveau de la fraude. Il s'agit pourtant de sommes considérables pour les finances publiques, et que nous sous-évaluons probablement. Je vais relancer le ministre, idéalement avec l'appui d'autres élus afin que nous représentions toutes les sensibilités.

S'agissant des niches fiscales, je renvoie Jérôme Bascher aux discussions en cours à l'Assemblée nationale et aux propositions de suppression des niches fiscales du rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale, Joël Giraud. Quant au rapport de la Cour des comptes sur la fraude fiscale évoqué par Thierry Carcenac, il a fait l'objet d'une lettre de mission du Premier ministre en date du 9 mai 2019, mais je n'ai pas encore eu connaissance de ses conclusions.

M. Vincent Éblé , président . - La Cour des comptes n'a pas encore achevé ses travaux.

M. Thierry Carcenac . - Le Premier ministre avait annoncé un rapport au 1 er octobre !

M. Pascal Savoldelli , rapporteur spécial . - Nous pourrions débattre de l'attribution d'une fraction supplémentaire de TVA aux régions. Je suis heureux que nous ayons été unanimes à défendre l'autonomie fiscale des collectivités et le lien entre démocratie et impôt. Je suis inquiet des différences de dynamiques entre la taxe foncière sur les propriétés bâties et la TVA, mais aussi entre les dépenses sociales et la TVA : dans les départements, au moment du vote de nos budgets supplémentaires, nous sommes très souvent amenés à majorer substantiellement les crédits de l'action sociale !

La raison qui justifie ma proposition de rejet des crédits de la mission tient au fait que je m'oppose à la plupart des politiques dont résultent mécaniquement les remboursements et dégrèvements. Vous connaissez ma position sur le CICE...

M. Jean-Marc Gabouty . - Cette mission mélange des concepts différents qui s'appliquent à des périodes différentes : par exemple, un redressement notifié l'année n pourra être recouvré en n+1, mais si la notification de redressement était excessive, un dégrèvement sera appliqué en n+1 ... Tout cela est très complexe.

S'agissant de l'impôt sur le revenu, le prélèvement à la source évite d'avoir à redresser les contribuables et donc limite les remboursements ; il est relativement efficace en matière de recouvrement.

M. Pascal Savoldelli , rapporteur spécial . - L'augmentation des admissions en non-valeur pour 2020 s'explique par la prévision de mise en liquidation d'une grande entreprise, qui devrait laisser derrière elle un passif fiscal de 1 milliard d'euros.

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».

*

* *

Réunie à nouveau le jeudi 21 novembre 2019, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ». Par ailleurs, elle a décidé de proposer au Sénat l'adoption des articles 78 decies et 78 undecies .

Page mise à jour le

Partager cette page