E. LA PROTECTION DE L'ENFANCE : DES INCONNUES BUDGÉTAIRES PERSISTANTES

1. Une stratégie de l'enfance : des modalités de mise en oeuvre et de financement à préciser

Le secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, Adrien Taquet a présenté, le 14 octobre dernier, une stratégie de prévention et de protection de l'enfance.

Si l'ambition de cette stratégie est louable, vos rapporteurs s'interrogent sur ses modalités de mise en oeuvre . Son articulation avec la stratégie pauvreté questionne, tout comme son financement.

En première lecture, à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a ouvert - par voie d'amendement - une enveloppe de 30 millions d'euros - auxquels devraient s'ajouter 20 millions d'euros par redéploiement - pour financer ces mesures. Mais vos rapporteurs ne disposent pas d'éléments d'information quant à leur utilisation, sauf à lire le bref exposé des motifs de l'amendement qui précise que « ce montant doit notamment permettre d'engager une contractualisation avec les conseils départementaux autour d'objectifs partagés dans le champ de la prévention et de la protection de l'enfance. Reposant sur un état des lieux local des besoins et des dispositifs d'accompagnement existants, cette contractualisation reposera sur quatre engagements assortis d'objectifs précis et d'indicateurs de résultats ».

Au vu des observations de vos rapporteurs faites au sujet des modalités de contractualisation de la stratégie pauvreté , il conviendrait que le Gouvernement ne réitère pas les mêmes erreurs . Vos rapporteurs insistent ainsi pour que ce processus de contractualisation, éventuellement assorti d'indicateurs, soit mis en oeuvre de façon concertée avec les départements.

2. Mineurs non accompagnés : une « bombe » à retardement budgétaire

Les crédits alloués pour le dispositif d'accueil et d'orientation des mineurs non accompagnés (MNA) , progressent de 20 millions d'euros, en 2020 par rapport à 2019, en raison du nombre croissant de bénéficiaires. Ils sont toutefois loin de couvrir la dépense totale supportée en majeure partie par les départements. Pour 2018, le coût induit par l'évaluation et la prise en charge de ces mineurs est estimé, par l'ADF, à 2 milliards d'euros 26 ( * ) .

Cette enveloppe de 162 millions d'euros comprend ainsi :

- d'une part, 115 millions d'euros au titre du remboursement par l'État des frais engagés par les départements s'agissant de la mise à l'abri, de l'évaluation et de l'orientation des jeunes , selon de nouvelles modalités de remboursement mises en oeuvre depuis le 1 er janvier 2019, à la suite du rapport de la mission conjointe entre l'État et l'Association des départements de France (ADF) de février 2018 ;

De nouvelles modalités de financement des dépenses de mise à l'abri
et d'évaluation des départements depuis le 1 er janvier 2019

Ce dispositif piloté par les départements, a été expérimenté en 2013 et pérennisé par la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant.

Au titre de ce dispositif - dans le cadre prévu par le décret du 24 juin 2016 -, les départements qui engageaient des actions de mise à l'abri, d'évaluation et d'orientation des jeunes mineurs étrangers non accompagnés - c'est-à-dire sans parents et sans adulte titulaire de l'autorité parentale - pouvaient obtenir un remboursement des dépenses engagées sur la base d'un montant forfaitaire fixé à 250 euros par jour et par jeune, dans la limite de cinq jours , via le Fonds national de financement de la protection de l'enfance (FNFPE).

Désormais, selon les nouvelles modalités prévues par le projet de loi de finances pour 2019, l'aide est augmentée à 500 euros par jeune évalué . Par ailleurs, un remboursement forfaitaire de l'hébergement des jeunes est également prévu, dans la limite de 90 euros par jour pendant les 14 premiers jours puis de 20 euros les 9 jours suivants. Ces financements devront aussi permettre de proposer un bilan de santé et une prise en charge sanitaire de premier recours aux jeunes concernés.

Source : commission des finances du Sénat

- d'autre part, 47 millions d'euros au titre du financement partiel par l'État des dépenses d'aide sociale à l'enfance engagées pour les MNA. Lorsque l'évaluation conclut à la minorité et l'isolement du jeune, celui-ci est pris en charge par le département au titre de l'aide sociale à l'enfance (ASE), selon le dispositif de répartition nationale. Ce montant de 47 millions d'euros correspond - selon un arrêté du 27 août 2019 - au financement par l'État des 75 % de MNA supplémentaires pris en charges par l'ASE, à hauteur de 6 000 euros par jeune, au 31 décembre 2018 par rapport au 31 décembre 2017. Les critères de financement étatique sont de plus en plus restreints d'année en année. (cf. infra ).

Un financement « exceptionnel » de l'État qui s'étiole

Ce financement partiel par l'État des dépenses d'aide sociale à l'enfance engagées pour les MNA avait été introduit dans le projet de loi de finances pour 2018.

En 2018, l'enveloppe prévue de 66,8 millions d'euros prévoyait la prise en charge par l'État de 30 % des dépenses d'aide sociale à l'enfance engagés pour le nombre de mineurs supplémentaires présents au 31 décembre 2017, par rapport au 31 décembre 2016. Cette enveloppe correspondait ainsi au versement par l'État de 12 000 euros par jeune (qui correspond à 30 % de 40 000 euros, le coût de la prise en charge d'un MNA), au-delà de 13 000 jeunes accueillis, chiffre constaté au 31 décembre 2016.

En 2019 , l'enveloppe n'était plus de 12 000 euros par jeune « supplémentaire » mais de 6 000 euros , soit 15 % des dépenses d'ASE supplémentaires.

Cette enveloppe prévue n'est pas à la hauteur des enjeux, bien qu'une baisse du nombre de MNA s'amorce, d'autant que d'autres points d'inquiétudes surgissent selon les informations transmises à vos rapporteurs :

- S'agissant, d'abord, de la mise en oeuvre de l'application d'aide à l'évaluation de la minorité (AEM) utilisée par les préfectures, qui sur certains territoires, se heurte à des difficultés d'entente entre préfectures et départements ;

- s'agissant de la saisine directe des juges par les mineurs, qui pourrait conduire à une augmentation de décisions d'évaluation de la minorité ;

- s'agissant de la question de l'isolement du mineur , qui semblerait, dans des cas de plus en plus nombreux, ne pas se confirmer. Certains départements regrettent que ce critère d'isolement ne soit pas attentivement regardé au profit du seul critère de la minorité.

Nombre de MNA pris en charge par les conseils départementaux

Source : rapport d'information d'Élisabeth Doineau et Jean-Pierre Godefroy, fait au nom de la commission des affaires sociales, « Mineurs non accompagnés : répondre à l'urgence qui s'installe » (juin 2017), p. 24

Vos rapporteurs considèrent qu'une partie du dispositif doit être repris par l'État conformément à un des scénarii envisagés par la mission conjointe ADF/Gouvernement. L'État doit, d'une part, reprendre à sa charge la phase d'évaluation et d'hébergement d'urgence des personnes se déclarant mineures entrants dans le dispositif jusqu'à ce que leur minorité soit confirmée , et d'autre part augmenter ses remboursements s'agissant des dépenses d'aide sociale à l'enfance (ASE).

La prise en charge de ces mineurs non accompagnés relève pour vos rapporteurs spéciaux d'une mission régalienne, devant être assumée par l'État , qui doit prendre ses responsabilités sur un sujet relevant de la politique nationale d'immigration.


* 26 Cette enveloppe comprend les dépenses directes mais également les coûts de personnel et de contentieux assumés par les départements, calculés sur la base des 32 202 MNA accueillis par les départements en 2018.

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