Article 1er A
Sensibilisation dans le cadre de la journée Défense et citoyenneté

L'article 1 er A est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 1er B
Impossibilité d'inscrire une main courante

M. Philippe Bas , sénateur, président . - Les rapporteurs nous proposent de supprimer cet article.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie , sénatrice . - Il s'agit d'une disposition introduite par un amendement du groupe socialiste et républicain. Il serait dommage que nous ne la conservions pas, car elle est plus protectrice des droits des femmes.

Comment les choses se passent-elles lorsqu'une femme se présente au poste de police ou de gendarmerie ? Le plus souvent, il lui est proposé de déposer une simple main courante. La seule utilité de cette procédure est de dater les faits. La main courante est un objet juridique indéterminé qui n'entraîne ni enquête ni saisine du parquet. C'est pourquoi notre amendement imposait le dépôt de plainte. On nous objecte que la femme pourrait ne pas y être psychologiquement prête, mais je pense que la question réside essentiellement dans la qualité de l'accueil qui lui est réservé. Seul ce dépôt de plainte permet ensuite de mettre en place une protection.

M. Antoine Savignat, député . - Je comprends votre souhait de protéger les femmes, mais cette disposition reviendrait à institutionnaliser une dérive procédurale. La main courante n'a, à ce jour, aucune existence juridique ; historiquement, ce n'est que l'agenda du poste de police. En la faisant entrer dans le code de procédure pénale, nous risquons d'affaiblir l'article 15-3 de ce code, qui fait obligation aux officiers et agents de police judiciaire de recevoir toutes les plaintes déposées par les victimes d'infractions à la loi pénale, car ils ne sont pas juges de leur recevabilité.

L'article 1 er B est supprimé.

Article 1er
Sollicitation d'une ordonnance de protection
et déroulement de l'audience

M. Philippe Bas , sénateur, président . - Nos rapporteurs nous proposent d'adopter cet article dans la rédaction du Sénat, sous réserve de la suppression du cinquième alinéa.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie , sénatrice . - Je regrette que nous nous apprêtions à supprimer un des apports de mon groupe qui avait convaincu le Sénat. La novation la plus exigeante de cette procédure de protection est le délai de six jours. Aucune juridiction ne respecte ce délai, les meilleures d'entre elles affichent un délai de dix jours. L'audience devant le juge aux affaires familiales doit respecter un minimum de contradictoire : plus il y aura de contradictoire, plus le juge se sentira autorisé à ordonner des mesures contraignantes.

Comment faire en sorte que le délai de six jours garantisse le respect du contradictoire ? Comment le défendeur peut-il savoir qu'il doit se présenter devant le juge ? Le code civil prévoit trois modalités de convocation : la lettre recommandée avec accusé de réception, qui impose un délai de quinze jours ; l'assignation par huissier, mais il n'est pas toujours facile de trouver un huissier pour rédiger un acte d'assignation et cela coûte 150 euros, toutes les femmes n'en ont pas les moyens ; et, enfin, la voie administrative, dans laquelle l'officier de police se déplace et remet la convocation. On objecte que cela surcharge les forces de l'ordre, mais il ne s'agit que de quelques centaines de cas par an. Je ne vois pas d'autres moyens de convocation permettant de tenir le délai de six jours ! C'est pourquoi j'ai proposé d'inscrire explicitement dans la loi cette voie administrative, mais les rapporteurs ne semblent pas convaincus.

M. Antoine Savignat, député . - Cette procédure est déjà prévue par l'article 1136-3 du code de procédure civile selon lequel : « La convocation des parties, à l'exception du ministère public, est faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par la voie administrative, en cas de danger grave et imminent. » Elle s'applique bien aux cas visés par les articles 515-9 et 515-13 du code civil. C'est pourquoi je juge pertinent de supprimer l'alinéa, car il semblait redondant par rapport au droit en vigueur.

L'article 1 er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 1er bis
Critères de conjugalité applicables à la délivrance
d'une ordonnance de protection

L'article 1 er bis est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 2 ter
Interdiction d'acquérir et de détenir une arme
pour les personnes visées par une ordonnance de protection

L'article 2 ter est adopté dans la rédaction du Sénat, sous réserve d'une modification rédactionnelle.

Article 2 quater
Caractère temporaire du bracelet anti-rapprochement en matière civile

M. Aurélien Pradié, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale . - La rédaction du Sénat ne prévoyait qu'une expérimentation du bracelet anti-rapprochement en matière civile jusqu'au 31 décembre 2022, au risque de voir le dispositif disparaître à cette date. C'est risqué, deux expérimentations plus anciennes n'ayant jamais abouti. Ne commettons pas la même erreur ! Le déploiement du bracelet supposera l'acquisition d'équipements assez lourds de suivi, de pilotage des dispositifs, de logiciels, etc. Il sera donc difficile de revenir en arrière une fois le dispositif lancé. Nous proposons donc une solution intermédiaire, avec une clause de revoyure au 31 décembre 2022, et nous abolissons la date limite de validité de la loi.

Mme Marie Mercier , sénateur, rapporteur pour le Sénat . - Il s'agit d'un dispositif innovant en matière civile. Lors de l'examen au Sénat, nous avions voulu rester prudents, car les juges aux affaires familiales n'ont pas l'habitude de prescrire des mesures restrictives de liberté. Vous conservez le principe d'une évaluation dans trois ans, qui permettra le cas échéant d'améliorer le dispositif. Dans un souci de compromis, nous nous rallions à votre proposition de rédaction.

M. Guillaume Vuilletet, député . - Le dispositif, en effet, nécessite de lourds investissements. Le terme de trois ans semble trop rapproché. Mieux vaut donc modifier la loi de manière pérenne !

La proposition de rédaction n° 1 est adoptée.

L'article 2 quater est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2 quinquies
Conditions de suspension ou de retrait
de l'exercice de l'autorité parentale

M. Philippe Bas , sénateur, président . - Nous abordons maintenant l'article 2 quinquies .

M. Aurélien Pradié, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Puisque nous en venons au sujet de l'autorité parentale, c'est l'occasion pour moi de répondre aux éléments évoqués au cours de la discussion générale.

Toutes les dispositions que Mme Marie Mercier et moi présentons étaient connues, madame la présidente, notamment après l'échange que nous avons eu hier soir de manière totalement transparente. Il en va de celles qui sont relatives à l'autorité parentale comme de toutes les autres... Je n'ai jamais été dans la posture depuis le début de l'examen du texte. De même, j'ai transmis à M. Guillaume Vuilletet, avec qui j'ai travaillé depuis le début de la procédure législative, toutes les informations dont je disposais. Le 20 novembre, également, j'ai rencontré la garde des sceaux pour lui faire part de manière détaillée des dispositions qui seraient débattues ce soir. Rien ne m'y obligeait. J'ai agi en toute transparence.

Ce texte est particulier. C'est la première commission mixte paritaire à laquelle vous participez, madame la présidente, qui concerne un texte issu de l'opposition, non de la majorité ou du Gouvernement, et dont les rapporteurs sont des parlementaires de l'opposition ; il convient d'accepter que l'examen soit, peut-être, moins fluide qu'à l'accoutumée.

Le débat sur l'autorité parentale est connu et éculé. Les experts ont traité le sujet dans le détail. Les mesures avancées dans la proposition de rédaction n° 2 ont fait l'objet de blancs-seings nombreux de l'exécutif, de manière très précise et à de nombreuses reprises. Le texte ne comporte donc ni surprise ni aventure...

Quant à la recevabilité, nous avons, comme vous, le souci du droit. J'observe cependant qu'il est peu probable que le Conseil constitutionnel soit saisi de ce texte dans le cadre de son pouvoir de contrôle a priori . Dans sa décision n° 2010-4 QPC du 18 juin 2010, il a jugé en outre que la procédure parlementaire ne relevait pas du champ des questions prioritaires de constitutionnalité. La sécurité juridique, que vous évoquez, est donc garantie.

La proposition de rédaction n° 2 contient deux dispositions. La première est le retrait de principe de l'autorité parentale en cas de crime contre la personne du conjoint. Le juge pénal peut déjà prononcer cette peine. Nous proposons que le retrait devienne la règle, tandis que le juge pourra toujours déroger par une décision motivée. En somme, l'exception devient la règle, et la règle l'exception. Cette mesure a déjà été discutée en commission des lois à l'Assemblée nationale, lors de l'examen de la proposition de loi de Mme Valérie Boyer, et en séance publique au Sénat, lors de l'examen de certains amendements. Sur le plan politique, le consensus est total. La seule difficulté pourrait tenir au calendrier.

La seconde mesure est la suspension de l'exercice de l'autorité parentale en cas de mise en examen pour crime ou tentative de crime contre le conjoint. Cette mesure est issue du travail parlementaire.

Mme Marie Mercier , sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Mes arguments sont identiques. L'autorité parentale constitue un symbole fort. Lorsque je faisais mes études de médecine, le pédiatre qui me formait avait répondu à un jeune père, qui lui demandait ce qu'il devait faire pour ses enfants, qu'il devait d'abord aimer leur mère. On ne saurait mieux dire que l'autorité parentale se construit à deux. Un homme violent ne peut pas être un bon père. Lorsque nous avions débattu de ce sujet en séance publique, le Grenelle des violences conjugales n'était pas achevé et il nous avait paru prématuré d'adopter des dispositions. Il est temps désormais d'avancer. Je suis sûre du bien-fondé de notre proposition.

M. Philippe Bas , sénateur, président. - Soit, mais la commission mixte paritaire doit se prononcer en droit, non en opportunité. Avant de nous prononcer éventuellement sur le fond, nous devons d'abord examiner la recevabilité de la proposition. Vous envisagez de transformer l'article 2 quinquies , qui contient une demande de rapport sur une éventuelle suspension de l'autorité parentale, en une mesure de fond sur le même sujet. Cette substitution est-elle recevable ? En tout cas, ce n'est pas parce que le Conseil constitutionnel n'aura pas à se prononcer sur la procédure que nous ne devons pas légiférer dans le respect des règles qui encadrent la procédure parlementaire. Je rappelle que nous sommes, avant le Conseil constitutionnel, les gardiens du droit et de la procédure. La question est de savoir si la proposition peut être rattachée à l'article 2 quinquies . Le Conseil constitutionnel censure les dispositions nouvelles. Nous avons souvent vu des dispositions de fond transformées en demandes de rapport, mais je n'ai pas le souvenir de l'inverse... D'un autre côté, si le chemin est possible dans un sens, il doit être possible dans l'autre sens.

M. Jean-Pierre Sueur , sénateur. - L'engagement de la procédure accélérée de manière quasi systématique ne peut qu'aboutir à ce genre de situations... On se prive des bénéfices de la navette parlementaire.

Il existe des arguments juridiques en faveur des deux thèses. L'article 45 de la Constitution, dont je déplore l'interprétation auto-mutilante actuelle à l'Assemblée nationale comme au Sénat, fait état d'un lien indirect entre l'amendement et le texte. L'argument du président Bas me semble de bon sens, on doit pouvoir parcourir le chemin dans les deux sens, au nom du parallélisme des formes. Les arguments de M. Pradié sont des arguments de fait, mais le fond est lié à la forme. Ces mesures ont déjà été abordées lors du débat, au moins au Sénat. Je voterai donc en faveur de la recevabilité.

Mme Yaël Braun-Pivet, députée, vice-présidente. - Je ne partage pas votre analyse selon laquelle, comme le Conseil constitutionnel a peu de chances d'être saisi, nous pourrions nous abstenir de respecter la procédure parlementaire. Comme l'a dit le président Bas, notre commission est garante du respect de la procédure parlementaire. Je rappelle aussi qu'en commission mixte paritaire, conformément à la règle de l'entonnoir, on apprécie le lien direct, et non indirect, avec les dispositions restant en discussion.

Quant à la question de savoir si la proposition n° 2 entretient un lien direct avec le texte, le Conseil constitutionnel a déjà estimé, dans sa décision n° 2015-723 DC du 17 décembre 2015, relative au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, que le lien entre une demande d'informations et des dispositions substantielles ne pouvait être qu'indirect. On ne peut pas tirer d'une demande de rapport une disposition de droit substantiel, et inversement. La jurisprudence est très claire. Attention à ne pas créer de précédent !

Mme Alexandra Louis, députée. - On ne respecte pas les règles par crainte de la sanction, mais parce qu'elles ont un sens, qu'elles font partie du socle constitutionnel de notre démocratie et que, parlementaires, nous devons montrer l'exemple. Le texte voté par le Sénat demande un rapport. Ce que vous proposez touche en substance à l'autorité parentale, ce qui aurait des incidences pour nombre de nos concitoyens, dans la vie des enfants comme dans celle des parents : suspendre l'exercice de l'autorité parentale, c'est quasiment toucher au lien de filiation. Pour moi, il n'y a pas de lien entre une demande de rapport et la modification de dispositions du code civil. Et, faute d'un recul suffisant, je suis mal à l'aise avec cette proposition qui énonce notamment : « La mise en examen d'un des parents pour crime sur la personne de l'autre parent entraîne la suspension de l'exercice de l'autorité parentale du mis en examen jusqu'à la date de l'ordonnance de non-lieu, de l'arrêt de la juridiction de jugement ou d'une décision statuant sur l'autorité parentale. »

Faisons preuve de responsabilité en nous donnant les moyens d'avoir un débat dans l'hémicycle, au sein de nos assemblées démocratiquement constituées ! Nous ne sommes pas en train d'enterrer le sujet, car nous sommes tous conscients que l'autorité parentale est l'un des points cardinaux de la lutte contre les violences conjugales. D'autres textes de loi aborderont le sujet de front, et avec le recul nécessaire.

M. Dimitri Houbron, député . - Il semble problématique qu'une assemblée, saisie en première lecture dans le cadre d'une procédure accélérée, n'ait pu examiner les articles votés par l'autre chambre avant la tenue d'une commission mixte paritaire.

M. Philippe Bas , sénateur, président . - Pourtant il en va toujours ainsi...

M. Dimitri Houbron, député . - En l'absence d'examen préalable, les parlementaires désignés pour siéger à la commission mixte paritaire ne peuvent savoir quel mandat politique leur est donné.

M. Philippe Bas , sénateur, président . - Bien sûr...

M. Dimitri Houbron, député . - Ce sont vos propres mots, monsieur le président, lors d'une précédente commission mixte paritaire! Le Sénat a rejeté cette disposition, sur laquelle l'Assemblée nationale ne s'est pas exprimée. Je me vois mal, comme député, m'exprimer à la place de mes collègues, surtout après le vote négatif du Sénat.

Lien direct ? Ce qui a été voté par le Sénat, c'est le principe d'une réflexion sur ce sujet avant toute décision. Passer directement aux conclusions me semble terriblement dangereux.

Sur cette disposition, l'urgence n'est pas la même que pour le bracelet anti-rapprochement. Nous avons encore le temps de débattre dans les deux assemblées et d'auditionner les acteurs concernés, pour que chacune et chacun puisse s'exprimer sur les dispositions envisagées. Je serais terriblement déçu si cet élément, en faisant échouer la commission mixte paritaire, nous empêchait de protéger les femmes alors que c'est urgent.

M. Guillaume Vuilletet, député . - Comme M. Sueur, je pense que la procédure accélérée systématique dénature le travail parlementaire. Je comprends l'urgence qui s'attache au bracelet anti-rapprochement, mais, pour l'autorité parentale, le prochain texte en cours de préparation sera un vecteur convenable. Certes, l'article 45 de la Constitution n'est pas facile à manier. En l'espèce, les amendements n'ont pas été retenus par le Sénat. Et les deux rapporteurs nous demandent de voter une disposition qui n'a été retenue dans aucune des deux assemblées. N'est-ce pas un cheval de Troie ? Désormais, il suffirait de voter un rapport pour que cela serve d'accroche à des dispositions de droit substantiel en commission mixte paritaire... sauf si la demande de rapport a été votée conforme ! Soyons prudents !

Mme Annick Billon , sénatrice . - Puisque la jurisprudence existe dans les deux sens, nous pouvons aller plus loin. J'ai bien entendu, le 3 septembre, le Premier ministre, entouré d'une dizaine de ministres, annoncer le retrait de l'autorité parentale - et, de nouveau, le 25 novembre. Je soutiens cette proposition commune de rédaction.

Mme Yaël Braun-Pivet, députée, vice-présidente . - Le Conseil constitutionnel censure dans les deux sens : cela signifie qu'il n'y a pas de lien direct entre un rapport et une disposition substantielle, et inversement.

Mme Annick Billon , sénatrice . - Les arguments de l'auteur de la proposition de loi m'ont totalement convaincue, tout comme ceux du président de la commission mixte paritaire. En mon âme et conscience, je voterai cette proposition commune de rédaction, pour les femmes et pour le droit !

M. Antoine Savignat, député . - La question de fond fait l'unanimité : nous souhaitons tous parvenir à un retrait de l'autorité parentale, comme l'a annoncé le Premier ministre, et comme le commande la raison. L'article rédigé par le Sénat m'a semblé refléter une erreur, puisqu'il demande un rapport dans les six mois sur les effets du maintien de l'autorité parentale. Pourquoi dans les six mois ? Nous pourrions demander ce rapport pour demain, puisque le conjoint violent condamné a toujours, actuellement, son autorité parentale. La proposition commune de rédaction revient à ne changer qu'un mot au texte du Sénat, en remplaçant les mots « le maintien » par les mots « la suppression ». Le lien, à mon sens, est bien établi avec le texte du Sénat.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie , sénatrice . - Nous confondons deux terrains de discussion : le fond de la proposition et la recevabilité de la démarche. On peut voter pour la recevabilité et contre le fond... Y a-t-il un lien, direct ou indirect ? La rédaction de l'article 2 quinquies est assez détaillée et mentionne la possibilité d'envisager la suspension de l'autorité parentale, voire son retrait, en cas de condamnation pour violences intrafamiliales, a fortiori lorsque l'auteur a été condamné pour le meurtre ou l'assassinat de l'autre parent. Je pense donc que le périmètre législatif a été fixé, et que le lien existe. Le président de notre commission mixte paritaire est très scrupuleux sur le respect de la Constitution. Certes, il ne peut y avoir de question prioritaire de constitutionnalité sur la procédure parlementaire, et l'on peut espérer qu'il n'y aura pas soixante députés ou soixante sénateurs pour saisir le Conseil constitutionnel - ces considérations factuelles ne sont pas illégitimes, je le sais pour être avocat.

M. Philippe Bas , sénateur, président . - Mme Louis l'a dit : nous devons faire respecter la Constitution, ne serait-ce que parce que nous sommes la commission des lois !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie , sénatrice . - Je suis d'accord. Mais je vois un lien entre la rédaction très précise adoptée au Sénat et les dispositions proposées.

Mme Laurence Rossignol , sénatrice . - Qu'est-ce que le droit constitutionnel ?

M. Philippe Bas , sénateur, président . - Nous ne sommes pas un jury d'agrégation...

Mme Laurence Rossignol , sénatrice . - Ce n'est pas uniquement la Constitution, c'est aussi la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui est, par nature, évolutive, et régulièrement enrichie. Il est clair que l'usage systématique de la procédure accélérée crée une pratique constitutionnelle nouvelle, qui est certes autorisée par la Constitution, mais n'est pas conforme à son esprit : si la Constitution avait entendu faire de la procédure accélérée la procédure systématique, et quasiment de droit commun, elle ne prévoirait pas la navette telle qu'elle existe. Ce qui était une exception dans l'esprit du rédacteur de la Constitution devient la pratique de droit commun. Cela crée des méthodes parlementaires nouvelles. Le président Bas a donc raison d'insister sur l'importance du moment que nous vivons, même s'il est moins historique que nous le croyons, car le lien est clair entre la rédaction adoptée par le Sénat et la proposition commune de rédaction. Il est évident qu'au Sénat nous avons voulu examiner les questions d'autorité parentale dans la lutte contre les violences conjugales. Nous ne sommes donc pas en train de faire une révolution de la pratique constitutionnelle, et pouvons sereinement accepter la recevabilité de cette proposition de rédaction.

Mme Fiona Lazaar, députée . - Ce qui a été adopté au Sénat est clair : l'amendement de Mme Cartron a été discuté, et rejeté. N'a été adoptée qu'une demande de rapport. Or nous ne discutons plus d'un rapport, mais d'une inscription directe dans le droit. Nous créons un précédent dangereux, dès lors que le débat n'a pas eu lieu à l'Assemblée nationale, et que la disposition a été rejetée au Sénat.

M. Aurélien Pradié, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale . - Je crois que personne parmi nous n'est plus, ou moins, sérieux que les autres. Personne n'est ni plus, ou moins, exemplaire, et j'apprécie peu qu'on tente ici de délivrer des leçons d'exemplarité : personne n'en donnera à personne. Nous sommes tout aussi démocratiquement constitués que nos deux assemblées en séance publique : notre commission mixte paritaire obéit à des règles parlementaires strictes, que nous n'avons aucunement outrepassées. Nous ne sommes pas en train d'agir en brigands sur la procédure parlementaire.

Je n'ai pas considéré qu'on puisse négliger le sujet dans la mesure où la procédure parlementaire ne pouvait être attaquée par question prioritaire de constitutionnalité. J'ai simplement dit qu'on pouvait évacuer ce nuage, tout comme celui constitué par l'hypothèse d'un point de désaccord sur le fond, puisque nous sommes, sur la question de l'autorité parentale, en large accord : il n'y aurait pas de passage en force.

Il est faux de dire qu'il n'y aurait pas urgence à statuer sur l'autorité parentale. Ce serait méconnaître la réalité des situations. Cet après-midi, Marie Mercier et moi avons visité un commissariat à Mantes-la-Jolie, où nous avons entendu deux pères de famille. La fille de l'un a été assassinée à coups de poing et à coups de pied. La fille de l'autre, Laura, s'est sauvée à temps. Les deux préoccupations qui ont retenu la mère particulièrement aux premières heures de l'alerte étaient le logement et l'autorité parentale. En effet, lorsqu'elle a tiré la sonnette d'alarme, qu'elle a obtenu un logement et qu'elle a été protégée, sa première mise en danger a été lorsque son compagnon violent l'a retrouvée. Comment ?

Mme Laurence Rossignol , sénatrice . - Par l'école !

M. Aurélien Pradié, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale .  - Oui ! Faute de suspension de l'autorité parentale, le père était en droit de savoir où était scolarisée sa fille, et donc le quartier dans lequel vivait la mère, ce qui a mis la vie de celle-ci en danger. La suspension de l'autorité parentale n'est donc pas moins urgente que la mise en place du bracelet anti-rapprochement.

Mme Annick Billon , sénatrice . - Très bien !

M. Philippe Bas , sénateur, président . - Si la commission mixte paritaire admet la recevabilité de cette proposition de rédaction, nous nous pencherons sur le fond. L'admet-elle ? Votons.

La commission mixte paritaire admet la recevabilité de la proposition commune de rédaction par sept voix contre six, et une abstention.

M. Philippe Bas , sénateur, président . - Je vous propose de suspendre notre réunion afin d'avoir un échange sur le fond de cette disposition avec les rapporteurs et la présidente Braun-Pivet.

(La réunion est suspendue).

M. Philippe Bas , sénateur, président . - Nos rapporteurs sont parvenus à une nouvelle proposition de rédaction sur la question de l'autorité parentale.

M. Aurélien Pradié, député, rapporteur . - Notre nouvelle proposition de rédaction permet de suspendre l'exercice de l'autorité parentale en cas de poursuite ou de condamnation. Je précise que si cet exercice est retiré, la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants demeure en revanche.

Mme Yaël Braun-Pivet, députée, vice-présidente . - La suspension de séance nous a permis de trouver une issue favorable. Cette disposition apporte un élément de souplesse au juge qui pourra moduler sa décision au cas d'espèce. La proposition de rédaction me satisfait.

Mme L aurence Rossignol, sénatrice . - Je demande à mon tour une très brève suspension de séance pour pouvoir étudier ce nouveau dispositif.

(La réunion est suspendue).

Mme Laurence Rossignol, sénatrice . - Cette nouvelle rédaction a été écrite rapidement, nous avions besoin de temps pour l'étudier avec tout le soin nécessaire.

La proposition de rédaction initiale prévoyait le retrait de principe de l'exercice de l'autorité parentale en cas de crime ou de coups et blessures ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) de plus de huit jours. Ce dispositif présentait deux avantages : il retirait l'exercice de l'autorité parentale aux pères coupables de féminicides et, dans les phases post-séparation, il permettait de supprimer le facteur de violence que représente l'exercice de l'autorité parentale. En outre, il limitait l'automaticité de ce retrait par une décision spécialement motivée du juge.

Dans la nouvelle rédaction, vous avez remplacé la notion générique de crime par une liste d'infractions qui exclurait notamment le viol et la mutilation et vous avez par là même supprimé toute la dimension préventive du dispositif qui concernait les situations post-séparation. On a totalement perdu l'outil préventif et la référence au viol ! La rédaction précédente était pertinente, la nouvelle ne l'est pas.

M. Aurélien Pradié, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale . - La nouvelle rédaction énumère des crimes, mais, si les violences n'entrainent pas la mort de la victime, l'autorité parentale de l'auteur n'est effectivement pas suspendue. Mieux vaudrait remplacer l'énumération « chef de meurtre, d'assassinat, d'empoisonnement, ou de violences ayant entrainé la mort » par la notion de « crime commis sur la personne de l'autre parent », ce qui permet de viser aussi le viol ou les mutilations !

Mme Yaël Braun-Pivet, députée, vice-présidente . - Cette modification me convient et elle est acceptée par mes collègues de la majorité, que j'interroge du regard.

Mme Marie Mercier , sénateur, rapporteur pour le Sénat . - Il faut aussi, par cohérence, modifier la rédaction du 5°, pour remplacer « de plein droit ni lorsque l'autorité parentale est retirée, ni » par « de plein droit ni lorsque l'autorité parentale ou son exercice est retiré, ni ».

M. Philippe Bas , sénateur, président . - En effet.

Mme Laurence Rossignol , sénatrice . - Que deviennent les coups et blessures avec incapacité totale de travail de huit jours ? On renonce à intervenir pour prévenir les violences post-séparation et on se contente de suspendre l'exercice de l'autorité parentale après la commission du crime. Si le père a tué, violé ou mutilé la mère, ce qui n'est pas le plus courant, l'exercice de l'autorité parentale sera suspendu. Dans les autres cas de violences post-séparation, le père continuera d'exercer l'autorité parentale et de harceler la mère par ce biais. Il y a donc eu un recul entre la proposition initiale et la nouvelle proposition.

M. Philippe Bas , sénateur, président . - Vous posez la question de l'automaticité du retrait de l'autorité parentale. Celle-ci peut être prononcée par le juge pénal. Vous souhaiteriez qu'elle soit automatique. Pourtant, lorsque le Président Nicolas Sarkozy avait défendu les peines planchers en matière de délinquance, vous n'y étiez pas très favorable...

Mme Marie-Pierre de la Gontrie , sénatrice . - Une remarque, la référence à l'article 377 du code civil ne me paraît plus très opérante si la mère n'est pas morte.

M. Aurélien Pradié, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale . - La nouvelle rédaction est le fruit d'une négociation. L'enjeu, madame Rossignol, est de parvenir à un compromis. Vous avez raison, la question de la prévention des violences post-séparation reste ouverte. Il faut que la majorité prenne l'engagement de la traiter dans le cadre de la proposition de loi à venir en début d'année prochaine.

Mme Annick Billon , sénatrice . - La première rédaction permettait d'agir en amont et de faire de la prévention. L'objectif de la proposition de loi est quand même d'assurer la protection des femmes et de prévenir les féminicides.

M. Guillaume Vuilletet, député . - Nous devons parvenir à un consensus. Nous sommes inscrits dans une démarche de coconstruction de la loi, dans la perspective des textes à venir. C'est pourquoi nous souhaitons que l'on en reste à cette rédaction.

Mme Alexandra Louis, députée . - Nous devons avoir en tête l'intérêt supérieur de l'enfant. La suspension de l'exercice de l'autorité parentale est aussi une mesure de protection. Avec ce compromis, on fait un pas en avant. La discussion se poursuivra au Parlement à l'avenir sur les autres infractions et sur la question de la complicité.

M. Antoine Savignat, député . - Ce texte a quand même vocation à être dissuasif, à éviter que de nouvelles femmes ne meurent sous les coups de leurs conjoints. On est en train de légiférer pour les situations où la femme meurt... Rien n'est prévu pour protéger les femmes victimes de violences. La suspension de l'autorité parentale y contribuait. On intervient en aval, non en amont, ce n'est pas logique !

M. Philippe Bas , sénateur, président . - Le propre du travail en commission mixte paritaire est de trouver un compromis. Il n'est pas parfait, mais a le mérite d'exister.

Mme Catherine Di Folco , sénatrice . - Soyons francs, il s'agit surtout d'en rester à un texte de transition, en attendant le texte de la majorité !

Mme Laurence Rossignol , sénatrice . - L'objet de la proposition de loi n'était pas de sanctionner les pères criminels, mais de réduire le nombre de femmes tuées ou victimes de violences conjugales graves. Tel devrait être l'objectif, non de trouver un compromis ! Pour cela, des mesures de prévention des violences post-séparation sont indispensables. Elles étaient au coeur du Grenelle des violences conjugales. Chacun sait que c'est grâce au maintien de l'autorité parentale que les pères continuent à frapper leurs femmes. Je ne sais pas comment on expliquera à l'opinion que l'on a reculé sur ce sujet parce qu'il fallait trouver un compromis !

M. Philippe Bas , sénateur, président . - Je rappelle qu'il n'existe aucune disposition sur le régime applicable à l'exercice de l'autorité parentale de l'auteur de violences conjugales dans le texte dont nous discutons ce soir. Et, il y a une heure, nous ne savions même pas si nous admettrions la recevabilité d'une proposition commune de rédaction qui inscrirait dans le droit dur une disposition sur l'autorité parentale. Jusqu'à l'ouverture de cette commission mixte paritaire, aucune assemblée n'avait adopté la moindre disposition sur ce point. Nous avons réussi à proposer une disposition de droit sur l'autorité parentale qui n'existait pas : ne dites pas que nous renonçons aux ambitions préventives de la proposition de loi ! Prenez cette disposition, ou non, mais il faut décider !

Si vous n'adoptez pas la proposition commune de rédaction, nous devrons choisir entre ne rien inscrire dans le texte sur l'autorité parentale, ou adopter le texte du Sénat, qui prévoit un rapport. Je préférerais, pour ma part, faire un pas en avant important sur la régulation de l'exercice de l'autorité parentale, plutôt que d'adresser au Gouvernement l'injonction sans portée juridique de nous préparer un rapport, assez puérile de surcroît puisqu'il vient de prendre nettement position sur ce sujet à l'issue du Grenelle.

M. Aurélien Pradié, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale . - Par coordination, au 6°, il faut écrire : « ou condamné pour crime. »

Mme Françoise Cartron , sénatrice . - C'est cohérent.

M. Philippe Bas , sénateur, président . - C'est, en quelque sorte, un pas dans notre direction.

La proposition commune de rédaction n° 2 rectifiée est adoptée à l'unanimité.

L'article 2 quinquies est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

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