III. DES CONVENTIONS DE FACTURE CLASSIQUE

Les stipulations des conventions franco-burkinabè et franco-nigériennes en matière d'entraide judiciaire en matière pénale d'une part, et d'extradition d'autre part, sont quasiment identiques.

A. LES CONVENTIONS D'ENTRAIDE JUDICIAIRE EN MATIÈRE PÉNALE

1. Les éléments de contexte
a) Des flux déséquilibrés

La France sollicite beaucoup plus les autorités burkinabè et nigériennes que l'inverse, notamment pour des enquêtes de grande sensibilité portant sur des faits de terrorisme. Malgré la présence d'un magistrat de liaison régional, basé à Dakar, qui facilite la prise en compte des demandes françaises et leur exécution, le délai de traitement est généralement supérieur à un an et peut atteindre plusieurs années dans certaines affaires.

Depuis le 1 er janvier 2009 :

- la France a adressé vingt-sept demandes d'entraide aux autorités burkinabè, entre autres pour des faits de terrorisme 6 ( * ) et d'atteintes aux personnes 7 ( * ) , et en a reçu six ; l'une de ces commissions rogatoires a débouché sur la transmission, par voie diplomatique, d'une première partie des archives françaises déclassifiées relatives à la mort du président Thomas Sankara en 1987, conformément aux engagements pris par le président de la République lors de sa visite à Ouagadougou le 27 novembre 2017. Ces archives des ministères des affaires étrangères et de la défense ont été transmises au juge d'instruction militaire en charge du dossier en novembre 2018, suivies, quelques mois plus tard, d'un second volet d'archives provenant de la présidence de la République française. Par ailleurs, sur cette même période, la France a transmis aux autorités burkinabè trois dénonciations officielles aux fins de poursuite qui sont toujours en cours, et n'en a reçu aucune du Burkina Faso ;

- la France a saisi les autorités nigériennes de dix-huit demandes d'entraide 8 ( * ) - notamment en matière de terrorisme - et d'une dénonciation officielle. Elle a été saisie de cinq demandes d'entraide pénale internationales émanant du Niger.

b) Des organisations judiciaires proches

Les organisations judiciaires burkinabè et nigérienne sont proches de celles que connaît la France, ce qui simplifiera l'intégration des stipulations des présentes conventions et, partant, l'entraide judiciaire entre les parties.

Adopté par l'Assemblée nationale le 31 mai 2018, et promulgué le 21 juin 2018, le nouveau code pénal burkinabè modernise la procédure pénale : meilleur équilibre entre les droits des parties, présence de l'avocat dès l'interpellation, réforme de la garde à vue et instauration du contrôle judiciaire. En revanche, la diffusion d'informations sur les opérations militaires est désormais passible d'une peine de 10 ans de prison, ce que critiquent les journalistes ainsi que les organisations non gouvernementales comme Amnesty international qui y voient une restriction de la liberté de la presse et du droit à l'information.

L'année suivante, les autorités burkinabè ont sensiblement renforcé les pôles spécialisés dans la lutte contre le terrorisme, le grand banditisme et les infractions financières, près les tribunaux de grande instance de Ouagadougou et de Bobo Dioulasso, la seconde ville du pays.

À Niamey, il existe aussi un pôle spécialisé en matière terroriste et de criminalité organisée, ainsi qu'un pôle spécialisé en matière économique et financière.

2. Les stipulations des conventions
a) Le champ d'application

Les parties s'engagent à s'accorder mutuellement l'entraide judiciaire la plus large possible ( articles 1 ers ).

S'inspirant des instruments conventionnels européens les plus récents, les conventions s'appliquent, outre les procédures visant les infractions pénales, aux procédures d'indemnisation pour des mesures de poursuite ou de condamnations injustifiées ou encore dans les actions civiles jointes aux actions pénales tant que la juridiction répressive n'a pas encore définitivement statué sur l'action pénale. Elles sont également applicables aux procédures pénales pour des faits ou infractions pouvant engager la responsabilité d'une personne morale.

Le champ de l'entraide se trouve en outre élargi par l'impossibilité pour la partie requise de se prévaloir du caractère fiscal de l'infraction à l'origine de la demande, ou encore du secret bancaire, pour rejeter une demande d'entraide ( articles 2 ). Sur ces aspects, les conventions sont conformes au protocole additionnel du 16 octobre 2001 à la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre les États membres de l'Union européenne, et au protocole additionnel du 17 mars 1978 à la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale.

b) La procédure de demande d'entraide et son exécution

Les conventions désignent les autorités compétentes pour leur mise en oeuvre ( articles 4 ), et organisent de façon claire les modalités de communication et de transmission des demandes d'entraide entre les parties, notamment dans les cas les plus urgents ( articles 3 ).

À cet égard, elles en définissent précisément le contenu et la forme ( articles 5 ), ainsi que les modalités et les délais d'exécution ( articles 6 ). Cette exigence de célérité vise à pallier la lenteur mise à accorder l'entraide judiciaire qui, souvent, aboutit à vider cette dernière de sa substance. Par ailleurs, un tel défaut de diligence peut conduire la France à contrevenir au paragraphe 1 er de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Afin d'assurer une meilleure exécution des demandes d'entraide, les conventions instituent un mécanisme de consultation à différentes étapes :

- en premier lieu, la partie requise doit consulter la partie requérante avant de refuser ou d'ajourner une demande d'entraide pour envisager les conditions auxquelles la demande pourrait être exécutée (articles 2.5) ;

- en deuxième lieu, elles permettent aux parties de se consulter au stade de l'exécution d'une demande, notamment en cas de difficultés ou de retard d'exécution (articles 6.5 et 6.6), ou encore pour envisager la formalisation de demandes complémentaires sollicitant l'accomplissement de diligences non prévues dans la demande d'entraide initiale ( articles 7 ) ;

- enfin, en troisième lieu, à l'issue de l'exécution de la demande, des échanges entre les parties peuvent intervenir pour décider, par exemple, du sort d'avoirs confisqués (articles 17.5).

En vue de faciliter l'admissibilité devant les juridictions de la partie requérante des preuves obtenues, les conventions prévoient la possibilité pour la partie requise de réaliser, à la demande de l'autre partie, les actes d'entraide sollicités selon les formalités et procédures expressément indiquées par celle-ci, sous réserve qu'elles ne soient pas contraires à ses propres principes fondamentaux ( articles 6.2 ). L'expérience montre en effet que des actes équivalents accomplis par les autorités de la partie requise en lieu et place des actes expressément demandés par les autorités de la partie requérante, ne bénéficient pas toujours de la même force probatoire dans le cadre de la procédure conduite par celles-ci. En droit français, cette modalité spécifique d'exécution des demandes d'entraide est prévue à l'article 694-3 du code de procédure pénale 9 ( * ) .

Les textes prévoient, sous réserve de l'accord des autorités compétentes de la partie requise, que les autorités de la partie requérante, ou les personnes mentionnées dans la demande, peuvent assister à l'exécution de celle-ci 10 ( * ) et même, dans la mesure autorisée par la législation de la partie requise, interroger des témoins, des experts ou des parties civiles, ou les faire interroger ( articles 6.7 ). En droit interne français, la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 a introduit la possibilité, pour le magistrat instructeur accompagné de son greffier, ainsi que pour le procureur de la République, dans le cadre d'une commission rogatoire ou d'une demande d'entraide adressée à un État étranger, de procéder, avec son accord, à des auditions sur son territoire. En revanche, du fait de nos exigences constitutionnelles 11 ( * ) , notre droit interne ne permet pas à une autorité étrangère de procéder elle-même à des auditions sur le territoire national mais uniquement d'assister à l'exécution de la demande d'entraide. Par conséquent, il ne pourrait être exigé de la partie française qu'elle accepte qu'une autorité compétente burkinabè ou nigérienne procède elle-même à une audition sur le sol français, dans le cadre de la mise en oeuvre des présentes conventions.

c) Le recueil des preuves

Les conventions énoncent la règle traditionnelle selon laquelle le témoin ou l'expert qui n'a pas été déféré à une citation à comparaître dont la remise a été demandée, ne peut être soumis, alors même que cette citation contiendrait des injonctions, à aucune sanction ou mesure de contrainte, à moins qu'il ne se rende par la suite de son plein gré sur le territoire de la partie requérante et qu'il n'y soit régulièrement cité à nouveau ( articles 8 ).

En outre, aucun témoin ou expert, quelle que soit sa nationalité, comparaissant devant les autorités judiciaires de la partie requérante à la suite d'une citation, ne peut être poursuivi, détenu ou soumis à une quelconque restriction de sa liberté individuelle sur le territoire de cette partie pour des faits ou condamnations antérieurs à son départ du territoire de la partie requise ( articles 9 ). Cette règle vaut également pour toute personne, de quelque nationalité qu'elle soit, citée devant les autorités judiciaires de la partie requérante afin d'y répondre de faits pour lesquels elle fait l'objet de poursuites. Cette immunité cesse lorsque le témoin, l'expert ou la personne poursuivie, ayant eu la possibilité de quitter le territoire de la partie requérante pendant 15 jours consécutifs après que sa présence n'était plus requise par les autorités judiciaires, est néanmoins demeuré sur ce territoire ou y est retourné après l'avoir quitté.

Les règles applicables au transfèrement temporaire de personnes détenues aux fins d'entraide ou d'instruction sont quant à elles fixées aux articles 11 à 13 .

Par ailleurs, les conventions prévoient la possibilité de procéder à des auditions par visioconférence 12 ( * ) ( articles 10 ) et de recourir à plusieurs techniques spéciales d'enquête comme :

- les opérations d'infiltration ( articles 19 de la convention franco-burkinabè et 20 de la convention franco-nigérienne) ;

- les interceptions de télécommunications ( articles 22 de la convention franco-burkinabè et 18 de la convention franco-nigérienne) ;

- ou encore les livraisons surveillées 13 ( * ) ( articles 18 de la convention franco-burkinabè et 19 de la convention franco-nigérienne) qui consistent à laisser passer certains convois de drogues pour permettre l'identification et l'arrestation des commanditaires ou des destinataires du trafic, sans se contenter des seuls convoyeurs.

Ces domaines ne sont pas couverts par les conventions en vigueur alors qu'ils constituent aujourd'hui des outils importants pour lutter contre la criminalité. Les magistrats burkinabè et nigériens ont été formés à la judiciarisation des techniques spéciales d'enquête, notamment par la France, dans le cadre de programmes de coopération. Ces techniques, prévues dans leurs droits internes et bien bordées sur le plan juridique, s'avèrent toutefois lourdes dans leur mise en oeuvre.

Le Burkina Faso et le Niger se dotent actuellement des outils nécessaires à la mise en oeuvre de ces techniques modernes d'enquête. Afin de tenir compte des capacités techniques actuelles de la partie burkinabè, la convention d'entraide qui la concerne prévoit, à la différence de celle conclue avec le Niger, que « si l'une des parties ne dispose pas des moyens techniques permettant d'effectuer l'audition par vidéoconférence, l'autre partie peut les mettre à sa disposition » (article 10.3).

Enfin, la question de la responsabilité civile et pénale des fonctionnaires participant aux opérations d'infiltration et des livraisons surveillées est réglée par les conventions ( articles 20 et 21 de la convention franco-burkinabè, et articles 21 et 22 de la convention franco-nigérienne).

d) La remise de documents et l'échange d'informations

Les règles applicables à la remise d'actes de procédures sont énoncées aux articles 14 qui prévoient que cette remise peut être effectuée par simple transmission de l'acte au destinataire. Sauf urgence, les citations à comparaitre sont transmises à la partie requise au moins 40 jours avant la date fixée pour la comparution.

Les articles 23 à 25 traitent respectivement :

- de la dénonciation aux fins de poursuites ( articles 23 ) ;

- de l'échange spontané d'informations entre les autorités compétentes, dans la limite de leur droit national, qui concernent les infractions pénales relevant de la compétence de l'autorité destinataire ( articles 24 ) ;

- ainsi que de la communication des extraits de casier judiciaire qui doit s'effectuer conformément à la législation de la partie requise et dans la mesure où ses autorités compétentes pourraient elles-mêmes les obtenir en pareil cas ( articles 25 ).

En application des articles 28 , « les pièces et documents transmis en application de la présente convention sont dispensés de toutes formalités de légalisation » .

Par ailleurs, les conventions encadrent l'usage des informations et éléments de preuve communiqués ou obtenus en exécution de leurs stipulations ( articles 26 ). Elles comprennent, en outre, des stipulations en matière de protection des données à caractère personnel, conformément à la législation protectrice en vigueur au sein de l'Union européenne ( articles 27 ). En effet, ni le Burkina Faso, ni le Niger, n'ont fait l'objet d'une décision d'adéquation de la part de la Commission européenne, qui aurait permis de reconnaître que ces pays assurent un niveau de protection adéquate des données personnelles. Toutefois, conformément au droit de l'Union dans une telle situation, les articles des conventions qui s'y rapportent instituent des garanties pour la protection des données : définition de restrictions pour l'utilisation de ces données, clause subordonnant la réutilisation de ces données et leur transfert ultérieur vers un État tiers ou une organisation internationale au consentement préalable de la France, institution d'un droit au recours au bénéfice des personnes concernées et obligation de préserver la sécurité des données.

Ces clauses, juridiquement contraignantes, instituent des garanties appropriées au sens de la directive « police-justice » du 27 avril 2016 et de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés qui autorisent, par conséquent, le transfert des données personnelles dans le cadre défini par ces conventions. En effet, leur mise en oeuvre ne saurait amener la France à renoncer à ses standards de protection en ce domaine.

Enfin, pour renforcer les capacités communes des pays à lutter contre les opérations de blanchiment d'argent, le texte offre de larges possibilités de demande d'informations en matière bancaire ( articles 15 ), de gel des avoirs ( articles 16 ), d'identification et de confiscation des produits des infractions ( articles 17 ), qui sont toutes conformes à notre droit interne 14 ( * ) .

e) Les dispositions finales

Les articles 29 règlent la question des frais liés à l'exécution des demandes d'entraide qui, en principe, ne donnent lieu à aucun remboursement, à l'exception de ceux occasionnés par l'intervention de témoins ou d'experts sur le territoire de la partie requise et par le transfèrement des personnes détenues.

Enfin, les articles 30 à 33 traitent classiquement de consultations, de règlement des différends, de modifications, d'entrée en vigueur et de dénonciation de l'instrument.


* 6 Attentats du 15 janvier 2016 et du 13 août 2017 à Ouagadougou, attentat du 2 mars 2018 contre l'ambassade de France et l'état-major des armées à Ouagadougou, notamment.

* 7 Enlèvements, homicides, agressions sexuelles et viols.

* 8 Trois déplacements successifs de magistrats français, dans le cadre de l'exécution de leur commission rogatoire internationale, ont été réalisés avec la possibilité pour les enquêteurs français les accompagnant de procéder eux-mêmes à des auditions. La création, en 2013, par les autorités nigériennes, d'un bureau de coopération judiciaire et d'entraide pénale internationale au ministère de la justice, avec l'appui du fonds de solidarité prioritaire français, a sans aucun doute contribué à l'amélioration de l'entraide judiciaire entre les deux pays.

* 9 Cet article dispose que dispose que « si la demande d'entraide le précise, elle est exécutée selon les règles de procédure expressément indiquées par les autorités compétentes de l'État requérant, à condition, sous peine de nullité, que ces règles ne réduisent pas les droits des parties ou les garanties procédurales prévus par le présent code » .

* 10 Cette disposition est prévue aux articles 41 et 93-1 du code de procédure pénale.

* 11 Décision du Conseil constitutionnel n° DC 98-408 du 22 janvier 1999 relative à la ratification du statut de Rome (considérant n° 38 de la décision : « en l'absence de circonstances particulières, et alors même que ces mesures sont exclusives de toute contrainte, le pouvoir reconnu au procureur de réaliser ces actes hors la présence des autorités judiciaires françaises compétentes est de nature à porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale » ).

* 12 L'article 706-71 du code de procédure pénale prévoit la possibilité d'auditionner par visioconférence. Les effets de cet article ont été étendus à l'entraide pénale internationale par l'article 694-5 du code de procédure pénale. L'usage de la vidéoconférence pour la comparution d'un prévenu devant le tribunal correctionnel, s'il est détenu, est possible depuis la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011.

* 13 En droit français, ces techniques spécifiques d'investigation sont prévues aux articles 706-32 et 706-80 et suivants du code de procédure pénale. Les effets de ces articles ont été étendus à l'entraide pénale internationale par les articles 694-7 et 694-8 du même code.

* 14 La possibilité de saisir des produits d'infraction en vue de leur confiscation est prévue aux articles 706-141 et suivants du code de procédure pénale. Les effets de ces articles ont été étendus à l'entraide pénale internationale par les articles 694-10 et suivants, et 713-36 et suivants du même code.

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