EXAMEN DES ARTICLES

TITRE PREMIER
RENFORCER LA PRISE EN COMPTE DE L'INTÉRÊT
DES MINEURS DÉLAISSÉS ET DES PUPILLES DE L'ÉTAT

Article 1er
Réduction de la période prise en compte dans le cadre
d'une procédure de déclaration judiciaire de délaissement parental

L'article 1 er vise à réduire à six mois la période à l'issue de laquelle le délaissement d'un enfant âgé de moins de trois ans par ses parents peut être déclaré judiciairement .

La procédure de déclaration judiciaire de délaissement parental 9 ( * ) a été créée par la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant 10 ( * ) , issue des travaux des sénatrices Muguette Dini et Michelle Meunier au nom de la commission des affaires sociales 11 ( * ) . Elle a remplacé la procédure de déclaration d'abandon qui existait depuis cinquante ans 12 ( * ) et était, selon un constat partagé, trop peu utilisée 13 ( * ) .

L'article 381-1 du code civil, issu de la loi du 14 mars 2016, dispose qu'« un enfant est considéré comme délaissé lorsque ses parents n'ont pas entretenu avec lui les relations nécessaires à son éducation ou à son développement pendant l'année qui précède l'introduction de la requête, sans que ces derniers en aient été empêchés par quelque cause que ce soit ». Aucun élément intentionnel n'est à rechercher du côté des parents, seul l'empêchement aux relations constitue un obstacle 14 ( * ) . Une simple rétractation du consentement à l'adoption, une demande de nouvelles ou une intention exprimée de reprise de contact non suivies d'effets n'interrompent pas le délai.

La personne, l'établissement ou le service d'aide sociale à l'enfance qui a recueilli l'enfant délaissé a l'obligation de saisir par requête le tribunal judiciaire à l'issue d'un délai d' un an de délaissement . Il statue en chambre du conseil 15 ( * ) après avoir éventuellement fait procéder à toutes investigations utiles.

Le délaissement peut être prononcé à l'égard d'un seul parent. Lorsqu'il concerne les deux parents, il permet l'admission de l'enfant en tant que pupille de l'État , mais n'entraîne pas automatiquement un placement en vue de l'adoption. L'objet de la procédure de délaissement n'est en effet pas nécessairement de rendre l'enfant adoptable, mais de lui permettre d'accéder à un statut juridique pérenne et une stabilité à long terme, quelle que soit la forme du projet de vie qui puisse lui être proposé.

La procédure de déclaration judiciaire de délaissement reste trop peu utilisée aux yeux de certains. Toutefois, depuis son entrée en vigueur il y a quatre ans, la direction générale de la cohésion sociale constate qu'elle est à l'origine de l'augmentation du nombre d'enfants ayant le statut de pupille de l'État . Selon l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE), « le nombre de pupilles de l'État augmente pour la cinquième année consécutive, de manière plus marquée depuis 2016 (près de 6 % entre 2016 et 2017) ». Ainsi en 2018, une augmentation de plus de 8 % par rapport à 2017 a été observée, avec 3 010 pupilles recensés au 31 décembre 2018 16 ( * ) .

Un nombre de procédures en augmentation

- En 2016 : 391 demandes (cumul des procédures de déclarations judiciaires d'abandon et de délaissement parental)

- En 2017 : 508 demandes

- En 2018 : 689 demandes

- En 2019 (données provisoires) : 803 demandes

La direction des affaires civiles et du sceau (DACS) du ministère de la justice indique que les rejets sont assez rares et a cité l'exemple de l'année 2018 où ils ont représenté 4 % des demandes présentées (32).

Source : Réponses de la DACS

Depuis 1966, la période prise en compte pour constater l'abandon ou le délaissement d'un enfant par ses parents est d'un an quel que soit l'âge de l'enfant. Les auteurs de la proposition de loi souhaitent réduire cette période à six mois, pour les mineurs de moins de trois ans , afin de « mieux prendre en compte l'importance de la stabilité affective de l'enfant dans les premières années de sa vie, pour son bon développement » et favoriser son adoption à un jeune âge. Cette idée avait déjà été envisagée en 2009 pour les enfants de moins de deux ans 17 ( * ) , mais n'a pas été transcrite dans la loi.

La loi du 14 mars 2016 a toutefois prévu un suivi renforcé de la situation des enfants de moins de deux ans . Le service d'aide sociale à l'enfance élabore tous les six mois pour ces enfants 18 ( * ) , un rapport, établi après une évaluation pluridisciplinaire qui fait l'objet d'un examen, au niveau de chaque département, par une commission d'examen de la situation et du statut des enfants confiés (CESSEC). Cette commission pluridisciplinaire et pluri-institutionnelle est composée notamment d'un magistrat, d'un médecin et d'un psychologue pour enfant ou un pédopsychiatre 19 ( * ) . Les CESSEC ne sont pas encore installées dans tous les départements et la direction générale de la cohésion sociale travaille dans le cadre de son réseau de correspondants départementaux pour apporter un appui méthodologique et mettre à disposition des outils pour créer et animer ces commissions. Il existe donc déjà un mécanisme spécifique de suivi pour les enfants en bas âge qu'il conviendrait de mettre en oeuvre sur tout le territoire afin de pouvoir en évaluer les résultats.

S'agissant du raccourcissement du délai de délaissement proposé, l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille considère qu'il n'y a pas lieu de « précipiter la procédure de délaissement », mais de l'inscrire dans un délai raisonnable qui permet de prendre en compte les accidents de la vie auxquels peuvent être confrontés certains parents. Elle insiste toutefois sur la nécessité de mettre en oeuvre le cadre actuel en installant dans chaque département les CESSEC et de faire bénéficier les parents de plans d'accompagnement « serrés » suite au placement de leur enfant permettant de mettre en évidence leur éventuel désengagement au plus tôt.

Enfin, il est trompeur de considérer qu'accélérer la procédure de délaissement parental améliorerait l'adoptabilité des enfants. Le lien entre délaissement et adoption n'est pas automatique 20 ( * ) . Tous les enfants délaissés ne deviennent pas pupilles de l'État et tous les pupilles de l'État ne sont pas nécessairement adoptables 21 ( * ) . Ainsi en 2017, seuls 202 enfants délaissés ont été confiés en vue d'adoption sur 1 175 au total 22 ( * ) . De manière générale, pour l'ensemble des pupilles, les raisons de non-adoptabilité ne sont pas toujours liées à l'âge de l'enfant. Les motifs peuvent être également une bonne insertion dans la famille d'accueil, un maintien des liens familiaux, une situation conflictuelle ou un recours, les séquelles psychologiques de l'enfant, un précédent échec d'adoption ou de placement ou le refus de l'enfant.

La commission n'a pas adopté l'article 1 er de la proposition de loi.

Article 2
Suppression de l'obligation de proposer des mesures de soutien aux parents délaissants et obligation pour le tribunal judiciaire
de statuer dans un délai de deux mois

L'article 2 vise à accélérer la procédure de déclaration de délaissement en supprimant l'obligation préalable de proposer des mesures de soutien aux parents délaissants et en obligeant le tribunal à se prononcer dans un délai de deux mois .

Les auteurs de la proposition de loi, poursuivant leur objectif de rendre les enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance plus facilement adoptables, souhaitent d'une part faciliter la constatation du délaissement en supprimant l'obligation faite aux structures d'accueil d'avoir préalablement proposé des mesures de soutien appropriées aux parents et, d'autre part, limiter la durée de la procédure à deux mois, voire un mois lorsque l'enfant concerné est âgé de moins de trois ans.

Toutefois, ces deux mesures semblent inappropriées pour des raisons à la fois de fond et pratiques :

- selon l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, « il n'est pas envisageable de pouvoir priver définitivement des parents de leur enfant par une déclaration de délaissement s'il n'est pas démontré que ces parents ont été accompagnés et soutenus durant la période considérée , avec des objectifs précis qui leur sont assignés et des moyens mis à leur disposition pour surmonter leurs difficultés » 23 ( * ) . Les principes de la protection de l'enfance impliquent de s'appuyer sur les ressources de l'entourage de l'enfant, avant d'envisager de le couper de sa famille. Cette analyse est conforme à l'article 9 de la Convention internationale des droits de l'enfant, qui encadre les conditions dans lesquelles une rupture entre un enfant et ses parents peut intervenir, et son article 18, qui impose aux États parties d'accorder « l'aide appropriée aux parents et aux représentants légaux de l'enfant dans l'exercice de la responsabilité qui leur incombe d'élever l'enfant ».

Par ailleurs, l'absence de suites données aux mesures de soutien, qui sont des invitations faites aux parents à s'investir dans le travail éducatif, permet aux juges de caractériser leur absence d'implication . Enfin, la suppression de ces mesures n'aurait pas pour effet d'accélérer la procédure de délaissement, puisqu'elles ont vocation à être mises en oeuvre pendant la période d'un an nécessaire pour constater le délaissement, et non à l'expiration de cette période ;

- s'agissant de la durée d'examen des demandes en déclaration de délaissement , imposer au tribunal judiciaire un délai de deux mois, voire d'un, pour se prononcer semble en pratique irréaliste et peu souhaitable . Le tribunal doit pouvoir réunir des éléments d'information, l'avis du juge des enfants et organiser un débat contradictoire. Il en va de l'intérêt de l'enfant et des droits de la défense .

Pour mémoire, lors de l'examen de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant, la commission des lois avait déjà supprimé l'obligation de statuer dans un délai de six mois , estimant que le tribunal devait être en mesure de pouvoir mener des investigations complémentaires compte tenu de la complexité de ces dossiers 24 ( * ) .

La commission n'a pas adopté l'article 2 de la proposition de loi.

Article 3
Mention de la forme d'adoption retenue sur le procès-verbal
de remise au service de l'aide sociale à l'enfance

L'article 3 tend à faire préciser dans le procès-verbal établi lors de la remise d'un enfant au service de l'aide sociale à l'enfance la forme d'adoption à laquelle les parents ont consenti.

Lorsqu'un enfant est remis par l'un de ses parents ou les deux au service de l'aide sociale à l'enfance (ASE), ceux-ci doivent être « invités à consentir à son adoption », selon les termes de l'article L. 224-5 du code de l'action sociale et des familles. Ce consentement à l'adoption, porté sur le procès-verbal, ne constitue pas une condition nécessaire à la remise d'un enfant au service de l'ASE. Le code civil précise en effet qu'à défaut d'avoir été donné par les parents, le consentement peut être donné par la suite par le conseil de famille 25 ( * ) .

Les auteurs de la proposition de loi souhaitent promouvoir la forme de l'adoption simple auprès des parents qui placent leurs enfants auprès de l'ASE en portant mention dans le procès-verbal de remise la forme d'adoption, simple ou plénière, à laquelle ils consentent .

L'adoption simple est depuis longtemps perçue comme une alternative souhaitable à la prise en charge des enfants par l'ASE , lorsque l'adoption plénière ne peut être envisagée compte tenu des liens existants avec la famille d'origine 26 ( * ) . Les parlementaires Monique Limon et Corinne Imbert, dans leur rapport remis au Premier ministre 27 ( * ) , souhaiteraient même aller plus loin et « revoir l'articulation entre adoption simple et plénière, en faisant de l'adoption simple le principe et de l'adoption plénière l'exception ». L'Assemblée des départements de France a confirmé au rapporteur tout l'intérêt que les conseils départementaux portaient à cette démarche. Le président de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille a également de son côté fait état de la pertinence de l'adoption simple dans certaines situations, notamment lorsque des parents, sans être délaissants, ne sont pas en mesure de prendre en charge leur enfant au quotidien en raison de troubles psychiques, d'addictions ou de marginalisation pérenne.

Une réflexion est actuellement menée dans le cadre de la stratégie de prévention et de protection de l'enfance (2020-2022) annoncée en octobre 2019 par le secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, Adrien Taquet, afin de « permettre aux mineurs pris en charge par l'aide sociale à l'enfance d'en sortir plus facilement par la voie de l'adoption , en mettant en oeuvre les procédures d'adoption simple quand les conditions sont réunies ».

Si l'objectif de la mesure proposée semble partagé, son dispositif ne paraît pas pouvoir constituer le moyen pertinent pour l'atteindre . En effet, la simple mention de la forme d'adoption, simple ou plénière, dans le procès-verbal de remise à l'ASE, ne peut suffire à opérer le changement de culture nécessaire au développement de cette forme d'adoption au bénéfice des pupilles de l'État, en particulier auprès des institutions et des candidats à l'adoption. Par ailleurs, un projet d'adoption doit pouvoir évoluer dans le temps et prendre compte les besoins et la volonté exprimés par l'enfant . Il n'appartient donc pas aux parents qui confient leur enfant au service de l'ASE de faire ce choix pour leur enfant.

La commission n'a pas adopté
l'article 3 de la proposition de loi.

Article 4
Conditions de reprise d'un enfant confié à l'aide sociale à l'enfance

L'article 4 vise à encadrer les conditions de reprise par ses parents d'un enfant placé auprès des services de l'aide sociale à l'enfance .

Lorsqu'un enfant est remis au service de l'aide sociale à l'enfance en vue de son admission comme pupille de l'État, il est déclaré tel à titre provisoire et placé sous la tutelle spécifique organisée par le préfet et le conseil de famille des pupilles de l'État. Ses parents ont alors deux mois pour venir le rechercher, ou six mois pour le parent n'ayant pas consenti à cette remise à l'ASE. Ce n'est qu'à l'issue de cette période de réflexion qu'il est admis à titre définitif comme pupille de l'État et peut éventuellement faire l'objet d'un projet d'adoption. En l'état actuel de l'article L. 224-6 du code de l'action sociale et des familles, la reprise pendant le délai de deux ou six mois se fait « immédiatement et sans formalité » 28 ( * ) . En revanche, il prévoit qu'un accompagnement médical, psychologique, éducatif et social du parent et de l'enfant est proposé pendant les trois années qui suivent, « afin de garantir l'établissement des relations nécessaires au développement physique et psychologique de l'enfant ainsi que sa stabilité affective ». L'intérêt de l'enfant qui retourne dans sa famille d'origine est donc pris en compte.

La proposition de loi vise à rendre plus difficile la reprise d'un enfant par ses parents en imposant deux formalités : un entretien avec le tuteur et la convocation du conseil de famille . Ce dispositif est susceptible de rompre l'équilibre , établi par l'article L. 224-6 du code de l'action sociale et des familles et relevé par le Conseil constitutionnel 29 ( * ) , entre les droits des parents de naissance et l'objectif de favoriser l'adoption . Ainsi que l'a indiqué la direction des affaires civiles et du sceau (DACS), le délai de deux mois est déjà bref et limiter davantage le droit des parents en imposant un entretien avec le tuteur et une convocation du conseil de famille - dont le rôle n'est pas précisé et qui pourrait faire obstacle à la restitution de l'enfant - semble porter une atteinte disproportionnée aux droits du ou des parents concernés de mener une vie familiale normale.

Enfin, il est à noter que les parents qui décident de reprendre leur enfant peuvent recevoir un accompagnement psychologique et éducatif d'une durée de trois ans, ce qui paraît plus efficace qu'un entretien préalable avec le tuteur.

La commission n'a pas adopté
l'article 4 de la proposition de loi.


* 9 La proposition de loi n° 129 (2019-2020) de Brigitte Lherbier et plusieurs de ses collègues, déposée au Sénat le 19 novembre 2019, vise à remplacer ces termes par « déclaration judiciaire d'adoptabilité ».

* 10 Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant.

* 11 Rapport d'information n° 655 (2013-2014) « Protection de l'enfance : améliorer le dispositif dans l'intérêt de l'enfant ».

* 12 Loi n° 66-500 du 11 juillet 1966 portant réforme de l'adoption.

* 13 Rapport pour avis n° 139 (2014-2015) de François Pillet, fait au nom de la commission des lois, déposé le 2 décembre 2014.

* 14 Le délaissement parental n'est pas déclaré non plus si, au cours de l'année, un membre de la famille a demandé à assumer la charge de l'enfant et si cette demande est jugée conforme à l'intérêt de ce dernier.

* 15 Articles 1202 et suivants du code civil.

* 16 Chiffres clés en protection de l'enfance au 31 décembre 2018, publiés en janvier 2020.

* 17 Rapport IGAS n° 2009-127 sur les conditions de reconnaissance du délaissement parental et ses conséquences pour l'enfant (novembre 2009).

* 18 Au lieu d'une fois par an pour les autres enfants

* 19 Articles L. 223-1 et L. 223-5 du code de l'action sociale et des familles.

* 20 Contrairement à l'abandon, dont la procédure était inscrite dans le titre VIII du livre 1 er code civil relatif à la filiation adoptive.

* 21 Avant la réforme de 2016, les enfants admis en qualité de pupilles de l'État devaient « faire l'objet d'un projet d'adoption dans les meilleurs délais » ; ils doivent à présent « faire l'objet, dans les meilleurs délais, d'un projet de vie, défini par le tuteur avec l'accord du conseil de famille, qui peut être une adoption, si tel est l'intérêt de l'enfant ».

* 22 Enquête de l'Observatoire national de la protection de l'enfance sur les pupilles de l'État (juillet 2019).

* 23 Réponses au questionnaire.

* 24 Avis n° 139 (2014-2015) de François Pillet, déposé le 2 décembre 2014.

* 25 Article 349 du code civil.

* 26 Rapport IGAS n° 2009-127 sur les conditions de reconnaissance du délaissement parental et ses conséquences pour l'enfant (Novembre 2009).

* 27 « Vers une éthique de l'adoption : donner une famille à un enfant », octobre 2019.

* 28 Au-delà de ces délais, la restitution de l'enfant aux parents est soumise à l'acceptation du tuteur et du conseil de famille et ne peut avoir lieu si l'enfant a déjà été placé en vue de l'adoption.

* 29 Décision n° 2019-826 QPC du 7 février 2020.

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