III. LES CHARGES DE SERVICE PUBLIC DE L'ÉNERGIE : LE PROGRAMME 345 « SERVICE PUBLIC DE L'ÉNERGIE » ET LE COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE « TRANSITION ÉNERGÉTIQUE »

Dans le cadre de la réforme de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) , l'article 5 de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 a créé le programme 345 « Service public de l'énergie » au sein de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » ainsi que le compte d'affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique » pour retracer l'ensemble des charges de service public de l'énergie qui contribuent à la transition énergétique de la France.

Le montant total de ces charges, évalué par la Commission de régulation de l'énergie (CRE), a atteint près de 7 653 millions d'euros en 2019, contre 7 122 millions d'euros en 2019, soit une hausse importante de 531 millions d'euros ( + 7,5 % ).

Les dépenses de soutien aux énergies renouvelables électriques concentrent une partie importante des charges de service public.

Or, si leur montant a légèrement reculé de - 2,8 % en 2019 pour atteindre 4 ,7 milliards d'euros , ces dépenses devraient augmenter à l'avenir en raison d'engagements hérités du passé, ce qui nécessite un suivi particulièrement attentif .

Dans ce contexte, le rapporteur spécial, à l'instar de la Cour des comptes 133 ( * ) , considère qu'il est indispensable que le Gouvernement procède rapidement à une évaluation des coûts des différentes filières de production d'énergies renouvelables , de sorte que les dispositifs de soutien puissent être mieux adaptés et représentent une charge financière moins importante pour les comptes publics.

Comme il l'a déjà écrit les années précédentes, il lui paraît également nécessaire de prévoir que le Parlement puisse se prononcer en amont sur les montants engagés en faveur de ces dispositifs de soutien , au lieu d'être systématiquement placé devant le fait accompli.

1. Un programme 345 « Service public de l'énergie » marqué en 2019 par la distribution d'un chèque énergie à 5,7 millions de ménages

Le programme 345 « Service public de l'énergie » regroupe :

- les charges liées à la péréquation tarifaire dans les zones non interconnectées (ZNI) au réseau métropolitain ;

- les crédits du chèque énergie destiné à protéger les ménages en situation de précarité énergétique ;

- le soutien à la cogénération ;

- le budget du médiateur de l'énergie ;

- la compensation du déficit accumulé par l'ancien mécanisme de la contribution au service public de l'électricité (CSPE).

3 248,6 millions d'euros ont été consommés au titre de ce programme en 2019, ce qui représente 22,7 % des crédits de paiement de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » .

Cette somme est en forte augmentation de + 9,1 % par rapport aux 2 976,7 millions d'euros consommés en 2018, soit 271,9 millions d'euros supplémentaires consommés.

Cette forte hausse s'explique principalement par l'extension du chèque énergie à 2,1 millions de ménages supplémentaires et par le dynamisme des dépenses de solidarité avec les ZNI .

Le taux d'exécution des crédits est de 97,9 % .

Exécution des crédits votés du programme 345
« Service public de l'énergie » en 2019 (CP)

(en euros)

2018
(exécuté)

2019
(LFI)

2019
(exécuté)

Exécution 2019 / exéc. 2018
(en %)

Exécution 2019 / LFI 2019
(en %)

01- Solidarité avec les zones non interconnectées au réseau métropolitain

1 516 242 177

1 594 851 079

1 703 823 756

+  12,4 %

+  6,8 %

02- Protection des consommateurs en situation de précarité énergétique

669 467 680

840 024 476

751 456 076

+  12,2 %

-  10,5 %

03- Soutien à la cogénération

698 949 021

725 871 151

725 871 151

+ 3,9 %

-

05- Frais de support

87 220 196

62 613 832

62 613 832

-  28,2 %

-

06- Médiateur de l'énergie

4 796 000

5 000 000

4 850 000

+ 1,1  %

- 3,0 %

07- Fermeture de la centrale de Fessenheim

-

91 000 000

-

-

- 100 %

Total programme

2 976 675 074

3 319 360 538

3 248 614 814

+  9,1 %

-  2,1 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Confronté à l'automne 2018 au mouvement des gilets jaunes, le Gouvernement avait décidé de proposer au Parlement d'étendre le bénéfice du chèque énergie aux ménages appartenant aux deux premiers déciles de revenus , ce qui avait porté le nombre de bénéficiaires à 5,7 millions en 2019 contre 3,6 millions en 2018.

Pour financer cette extension, 115 millions d'euros en AE et 100 millions d'euros en CP de crédits supplémentaires avaient été prévus, portant le total des crédits de l'action 02 « Protection des consommateurs en situation de précarité énergétique » à 909,2 millions d'euros en AE et 840,0 millions d'euros en CP.

Pour mémoire, le chèque énergie, qui a été créé par l'article 201 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique et pour la croissance verte, est une aide sociale attribuée automatiquement sur la base d'un critère fiscal unique qui tient compte à la fois du niveau du revenu fiscal de référence (RFR) et de la composition des ménages (nombre d'unités de consommation, UC). Il remplace les tarifs sociaux de l'électricité et du gaz .

Un an après sa généralisation à l'ensemble du territoire national (il avait été expérimenté les deux années précédentes dans quatre départements pilotes seulement), le chèque énergie a donc vu le nombre de ses bénéficiaires croître de 2,1 millions de foyers fiscaux .

Les crédits exécutés de l'action 02 ont représenté respectivement 910,8 millions d'euros en AE et 751,5 millions d'euros en CP. Sur cette somme, 849,9 millions d'euros en AE et 694,6 millions d'euros en CP correspondent au chèque énergie stricto sensu 134 ( * ) .

En autorisations d'engagement (AE), 839,7 millions d'euros de chèques énergie ont été émis à l'intention de 5,7 millions de foyers fiscaux au titre de l'année 2019 contre 539,7 millions d'euros de chèques envoyés à 3,6 millions de foyers fiscaux en 2018, ce qui représente une augmentation de 300 millions d'euros ( + 55,6 % ).

En outre, 10,2 millions d'euros de chèques énergie ont été émis au titre du financement de l'aide spécifique aux résidences sociales .

Les 694,6 millions d'euros de CP dépensés au titre du chèque énergie en 2019 ont permis de rembourser : 4 046 451 chèques énergie de la campagne 2019 ; 335 043 chèques de la campagne 2018 ; 289 chèques de la campagne 2017  et 23 chèques de la campagne 2016. Ils ont également permis d'accompagner 51 483 logements au titre de l'aide spécifique aux résidences sociales.

Le taux d'usage final du chèque énergie en 2019 , qui constitue le seul indicateur de performance du programme 345, ne sera définitivement connu qu'au mois de juillet 2020. La prévision actualisée est actuellement de 86 % d'utilisation , un chiffre nettement en retrait par rapport à la cible de 95 % de taux d'utilisation . Si cette prévision se réalise, elle marquerait néanmoins une progression significative de ce taux d'usage , puisqu'il n'était que de 78,4 % en 2018.

À noter qu'à compter de 2020 les crédits du chèque énergie ont été transférés au programme 174 « Énergie, climat et après-mines ».

Le poste majeur de dépenses du programme 345 demeure la solidarité avec les zones non interconnectées au réseau métropolitain , qui permet d'offrir aux consommateurs qui vivent dans ces territoires des prix de l'électricité comparables à ceux de la France métropolitaine.

Les crédits consacrés à ce mécanisme de péréquation ont connu une forte hausse de 12,4 % entre 2018 et 2019, passant de 1 516,3 millions d'euros à 1 703,8 millions d'euros , soit 187,6 millions d'euros supplémentaires .

Le rapporteur spécial note également que ce poste de dépense a fait l'objet d'une surexécution de 108,9 millions d'euros ( + 6,8 % ) en 2019. Ce phénomène s'explique par le fait que les montants décaissés en 2019 correspondaient pour 323 millions d'euros au solde des charges pour 2018, auxquels s'ajoutaient 1 381 millions d'euros de charges pour 2019. 222 millions d'euros ont ensuite fait l'objet d'un dernier versement aux opérateurs en janvier 2020 et seront donc comptabilisés en 2020.

Les crédits destinés à la solidarité avec les ZNI devraient du reste poursuivre leur rapide augmentation en 2020 pour atteindre 1 760,7 millions d'euros .

S'il est difficile d'agir sur certains paramètres de ces dépenses très dynamiques (prix des combustibles, taux de recours aux installations thermiques, etc.), il était en revanche nécessaire de procéder à une baisse de la rémunération des capitaux investis dans les ZNI , laquelle avait été fixée à 11 % par un arrêté du 23 mars 2006, ce qui paraissait excessif dans le contexte actuel.

Un arrêté du 6 avril 2020 135 ( * ) a enfin remédié à cette situation : chaque projet bénéficiera désormais d 'un taux de rémunération nominal avant impôt spécifique fixé en fonction de quatre critères et après délibération de la Commission de régulation de l'énergie (CRE).

Il paraît également indispensable de veiller au bon dimensionnement des installations construites dans les ZNI.

Les dépenses relatives au soutien à la cogénération ont de nouveau augmenté de 27 millions d'euros pour atteindre 725,8 millions d'euros , ce qui représente une hausse de + 3,9 % par rapport aux 698,9 millions d'euros de 2018.

Cette augmentation est toutefois moins rapide qu'attendue et ces dépenses devraient prochainement diminuer avec l'arrivée à échéance de contrats coûteux qui prévoyaient un tarif d'achat, alors qu'est désormais prévu un dispositif de complément de rémunération limité aux installations de moins de 1 mégawatt (MW).

2. Les crédits consommés du compte d'affectation spéciale « Transition énergétique » ont poursuivi leur progression en 2019

Le compte d'affectation spéciale, dont les dépenses relèvent exclusivement du titre 6 « Dépenses d'intervention », comporte deux programmes.

L e programme 764 « Soutien à la transition énergétique » , d'une part, finance :

- le soutien aux énergies renouvelables électriques , c'est-à-dire la compensation aux opérateurs du service public de l'électricité des charges imputables à leurs missions de service public, liées aux contrats d'obligation d'achat ou de complément de rémunération conclus avec des installations de production électrique à partir d'une source renouvelable ;

- le soutien à l'effacement de consommation électrique , c'est-à-dire les primes d'effacement versées aux entreprises lauréates d'appels d'offres incitant au développement des effacements de consommation ;

- le soutien à l'injection de bio-méthane , soit la compensation des charges imputables aux obligations de service public assignées aux fournisseurs de gaz naturel au titre de l'obligation d'achat de biogaz.

Le programme 765 « Engagements financiers liés à la transition énergétique » , d'autre part, finance :

- le remboursement du déficit de compensation des charges de service public de l'électricité accumulé auprès d'EDF au 31 décembre 2015 ;

- les versements au profit de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) correspondant à des demandes de remboursement partiel au profit des entreprises qui bénéficiaient du plafonnement de l'« ancienne » CSPE 136 ( * ) au titre de leurs consommations pour les années 2013 à 2015.

Le compte d'affectation spéciale est principalement financé par une fraction de la taxe intérieure sur les produits énergétiques (TICPE) . La loi de finances initiale avait prévu d'affecter au CAS 7 279,4 millions d'euros de TICPE mais ce montant a été abaissé à 6 722,6 millions d'euros en loi de finances rectificative pour tenir compte d'une consommation de crédits inférieure aux prévisions, soit une baisse de 556,8 millions d'euros .

Comme prévu, le CAS a perçu 1 million d'euros au titre d'une fraction de la taxe intérieure sur les houilles, les lignites et les cokes, dite « taxe charbon ».

Il n'a en revanche perçu que 4,8 millions d'euros de revenus tirés de la mise aux enchères de garanties d'origine, contre une prévision de 32 millions d'euros .

Les dépenses du CAS ont représenté en 2019 quelque 6 704,0 millions d'euros , soit une hausse de 132,8 millions d'euros ( + 2,1 % ) par rapport aux 6 571,2 millions d'euros de dépenses de 2018.

S'il est en augmentation par rapport à l'année précédente, le montant des dépenses du CAS est toutefois inférieur de 575,4 millions d'euros aux 7 279,4 millions d'euros qui avaient été prévus en loi de finances initiale (soit -7,9 % ), ce qui correspond à un taux d'exécution de 92,1 %, analogue à ceux qui avaient été constatés pour les exercices 2018 et 2017.

Exécution des crédits votés du compte d'affectation spéciale
« Transition énergétique » par programme en 2019 (AE = CP)

(en euros)

2018

(exécuté)

2019

(LFI)

2019

(exécuté)

Exécution 2019 / exéc. 2018

(en %)

Exécution 2019 / LFI 2019

(en %)

Soutien aux énergies renouvelables électriques

4 844 757 258

5 261 909 997

4 708 020 547

- 2,8 %

- 10,5 %

Soutien à l'effacement de consommation électrique 137 ( * )

16 408 337

45 000 000

60 557 008

+ 269,5 %

+ 34,7 %

Soutien à l'injection de bio-méthane

82 038 729

132 000 003

94 033 857

+ 14,6 %

- 28,9 %

Total programme 764

4 943 204 324

5 440 400 000

4 862 611 412

- 1,5 %

- 10,6 %

Désendettement vis-à-vis des opérateurs supportant des charges de service public de l'électricité

1 622 000 000

1 839 000 000

1 839 000 000

+ 13,4 %

-

Remboursements d'anciens plafonnements de CSPE

5 992 004

0

2 402 432

- 59,9 %

+ 100 %

Total programme 765

1 627 992 004

1 839 000 000

1 841 402 432

+ 13,1 %

+0,1 %

TOTAL CAS

6 571 196 328

7 279 400 000

6 704 013 844

+ 2,1 %

-7,9 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Cette forte diminution par rapport à la prévision de la loi de finances initiale s'explique avant tout par une réévaluation à la baisse des charges de service public de l'électricité pour 2019 et pour 2018 par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) dans sa délibération n° 2019-172 du 11 juillet 2019 (modifiée par la délibération n° 2019-235 du 30 octobre 2019).

Cette baisse est directement liée à la hausse des prix de marchés de gros de l'électricité . En outre, les coûts d'achat prévisionnels des filières photovoltaïque, biomasse et biogaz ont également été revus à la baisse .

En conséquence, 571,4 millions d'euros ont été annulés en loi de finances rectificative sur les crédits du programme 764, ce qui explique que son taux d'exécution ne soit que de 89,4 % .

Au total, on constate même une baisse des dépenses de soutien aux énergies renouvelables électriques , qui ont diminué pour la deuxième année consécutive en 2019 de - 2,8 % à 4,7 milliards d'euros .

Ces dépenses ont permis une augmentation de 4,8 % en 2019 de la puissance installée du parc de production d'électricité renouvelable , laquelle a atteint 53 608 mégawatts à la fin de l'année.

Elles n'ont en revanche pas permis d'éviter une baisse temporaire de la part des énergies renouvelables dans la production d'électricité , laquelle est passée de 22,7 % en 2018 à 20,7 % en 2019.

Cette diminution s'explique par la baisse de plus de 12 % en 2019 de la production de la filière hydraulique provoquée par des conditions pluviométriques défavorables .

Cette baisse n'a pas pu être compensée par la hausse de la production des autres énergies renouvelables , et en particulier de la filière solaire , dont l'électricité produite a augmenté de 21,2 % , et celle de la filière éolienne , dont l'électricité produite a également augmenté de 21,2 % .

Pour mémoire, la loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, complétée par la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat prévoit de porter la part des énergies renouvelables à 40 % de la production d'électricité en 2030 : la marche reste donc haute.

Les crédits de soutien à l'injection de bio-méthane ont augmenté de 12 millions d'euros ( + 14,6 %) , passant de 82,0 millions d'euros en 2018 à 94,0 millions d'euros en 2019. Si les résultats obtenus sont légèrement inférieurs aux prévisions, le volume de bio-méthane injecté a néanmoins fortement crû de + 73 % en 2019 à 1,235 térawattheure .

Les crédits du programme 765, et en particulier les versements au titre du désendettement vis-à-vis d'EDF, ont été légèrement surexécutés, avec un taux de consommation de 100,1 % , en raison du traitement des dernières demandes de remboursements d'anciens plafonnements de CSPE.


* 133 Cour des comptes, mars 2018, communication au Sénat sur « Le soutien aux énergies renouvelables ».

* 134 S'y ajoutent 9,4 millions d'euros (AE=CP) au titre du reliquat des tarifs sociaux de l'électricité et du gaz, 17,5 millions d'euros au titre de la contribution aux Fonds de solidarité logement, 23,4 millions d'euros en AE et 19,3 millions d'euros en CP au titre des frais de l'Agence de services et de paiement, en charge de la gestion du chèque énergie ; 4,0 millions d'euros en CP au titre des afficheurs déportés de la consommation d'énergie.

* 135 Arrêté du 6 avril 2020 relatif au taux de rémunération du capital immobilisé pour les installations de production électrique, pour les infrastructures visant la maîtrise de la demande d'électricité et pour les ouvrages de stockage piloté par le gestionnaire de réseau dans les zones non interconnectées.

* 136 Ces dispositifs étaient prévus à l'article L. 121-21 du code de l'énergie.

* 137 Les appels d'offres visant à développer les capacités d'effacement de consommation électrique seront organisés à partir de 2018, d'où un montant nul pour 2016 et 2017. L'ancien dispositif de soutien aux effacements, financé par le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE), perdure en 2017.

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