II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Une hausse des frais de justice en dépit d'un effort de budgétisation en loi de finances initiale pour 2019

Les frais de justice constituent l'un des enjeux budgétaires de la mission « Justice », du fait des difficultés à les piloter, de leur montant (un demi-milliard d'euros) et d'une sous-budgétisation récurrente.

Ainsi, une fois encore, la dotation initiale pour 2019 était inférieure à l'exécution constatée en 2018. Néanmoins, elle était largement supérieure à la prévision faite en 2018, ce qui traduisait un effort important de budgétisation, visant à initier une réduction de la dette sur ce poste.

En 2019, les frais de justice ont représenté 531,81 millions d'euros en crédits de paiement, en augmentation de 3 millions d'euros par rapport à 2018.

Évolution des frais de justice depuis 2011

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires

En outre, le montant exécuté est supérieur de près de 26 millions d'euros aux prévisions faites en loi de finances initiale pour 2019 (5 %), soit une sur-exécution moindre que celle de l'an dernier (50 millions d'euros). Ce dépassement démontre néanmoins le caractère toujours très dynamique de la dépense.

L'infléchissement à la baisse des frais de justice, constaté en 2017, ne s'est donc pas confirmé, et l'exécution 2019 confirme donc une nouvelle orientation à la hausse des frais de justice.

S'ils ne retrouvent pas leur niveau de 2016 (550 millions d'euros), il s'agit toutefois du montant le plus important depuis 2011.

Après avoir diminué entre 2017 et 2018 de 13 %, les frais de justice civile et commerciale augmentent à nouveau en 2019 , de près de 52 millions d'euros (+ 5,8 %). Le rapport annuel de performance justifie cette hausse pour les frais de justice commerciale essentiellement par les « taxes, redevances ou émoluments des greffiers de commerce », et explique ce constat notamment par une reprise de l'activité commerciale sur certaines cours, après plusieurs années de baisse. S'agissant des frais de justice civile (+ 2,5 %), leur augmentation découle d'une hausse des frais d'interprétariat et de traduction , en lien avec la crise migratoire vers l'Europe (procédures administratives de vérification de droit de séjour notamment) et des honoraires des médecins (examens psychiatriques ou psychologiques) en progression de 22 % par rapport à 2017.

La dépense afférente aux frais de justice pénale est stable, mais demeure très importante (480 millions d'euros). Le rapport annuel de performance met en exergue plusieurs facteurs de hausse, notamment les frais d'interprétariat et de traduction (+ 2,6 millions d'euros) ; les analyses génétiques (+ 1,2 million d'euros) et toxicologiques (+ 1,8 million d'euros), ainsi que les examens et expertises médicales (+ 2,6 millions d'euros). Ces éléments contribuent ainsi à l'augmentation de la dépense et « absorbent les économies générées par la mise en oeuvre de la plateforme nationale des interceptions judiciaires ( PNIJ) » 234 ( * ) , qui permet pourtant de supprimer les frais de location de matériel d'interception et de bénéficier d'un tarif 33 % inférieur auprès des opérateurs de communication électronique par rapport à l'utilisation d'un autre outil de réquisition.

Ainsi, le rapporteur partage le constat de la Cour des comptes, qui indique dans la note d'exécution budgétaire relative à la présente mission que « la persistance de la sous-budgétisation des frais de justice pose la question de la sincérité budgétaire » (p.32).

2. Une moindre hausse des effectifs pour la justice judiciaire

Les dépenses de personnel du programme « Justice judiciaire » ont augmenté de 1,7 % , atteignant 2,36 milliards d'euros (+ 39 millions d'euros).

Le projet annuel de performance prévoyait la création nette de 192 emplois. Au total, 163 postes nets ont été créés , contre 126 en 2018 et 568 en 2017. Cette sous-exécution de 29 ETP découle d'après le rapport annuel de performance « des aléas de gestion, tant en entrées qu'en sorties » : ainsi, les entrées de magistrats ont été supérieures aux prévisions (+ 146 ETP au lieu des 100 prévus), tout comme les entrées de greffiers (+ 205 ETP au lieu de + 182 ETP, soit un dépassement de 23 emplois) ; les recrutements ont en revanche été moins importants que prévu sur les emplois des catégories C administratifs et techniques (- 125 ETP). Par ailleurs, 100 greffiers ont été recrutés en novembre 2019 « en anticipation du schéma d`emplois 2020, sans impact sur la masse salariale en 2019 » 235 ( * ) .

Le plafond d'emplois (33 542 ETPT) a quant à lui été respecté.

Évolution comparée du plafond d'emplois et de la réalisation
sur le programme 166 « Justice judiciaire »

(en ETPT)

Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires

Le taux d'exécution des dépenses de personnel atteint près de 100 %.

En 2019, les suppressions de postes concernent uniquement les personnels de catégorie C, tandis que les créations de postes permettent un renforcement des effectifs de magistrats et de personnels de catégorie B et principalement de personnels des greffes. Comme le rapporteur l'avait souligné lors de l'examen de la budgétisation initiale, cette tendance conduit un repyramidage des effectifs, avec des conséquences importantes à terme sur la masse salariale, en raison des écarts de rémunération entre ces différentes catégories de personnels .

Évolution de la prévision et de la consommation des dépenses de personnel
du programme 166 « Justice judiciaire »

(en millions d'euros) (en ETPT)

Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires

3. Une lente mise en oeuvre du programme immobilier de l'administration pénitentiaire

La loi de finances initiale pour 2019 prévoyait une augmentation de 14 % des crédits de paiement hors titre 2 pour le programme 107 « Administration pénitentiaire ». Plus spécifiquement, pour les crédits d'investissement (titre 5), l'augmentation de 62 % des CP entre l'exécution 2018 et la prévision en LFI 2019 résultait pour une large part d'une augmentation des investissements immobiliers, à destination du plan de construction de 15 000 places de prison.

Exécution des crédits du titre 5 du programme 107 en 2019

(en millions d'euros et en %)

Exécution 2018

LFI 2019

Exécution 2019

Exécution 2019 / Exécution 2018

Exécution 2019 / LFI 2019

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Administration pénitentiaire

377,1

190,1

116,5

308,2

497,6

260,3

31,95%

36,93%

327%

-15,54%

Source : commission des finances du Sénat

Le programme 107 a par ailleurs bénéficié d'importants reports de crédits d'engagement provenant de l'exercice 2018 , pour un montant atteignant 1,6 milliard d'euros , répartis comme suit : 169 millions d'euros d'AE affectées en 2018 mais non engagées, et un reliquat d'AE non consommées, pour 1,455 milliard d'euros. Comme l'indique le rapport annuel de performance, « ce reliquat, très important en autorisations d'engagement, permet de couvrir l'engagement des premières opérations immobilières prévues dans le cadre du programme 15 000 ». Ces reports expliquent d'ailleurs l'écart important entre les crédits d'engagements votés en loi de finances initiale pour 2019 et l'exécution 2019 s'agissant des crédits hors titre 2 (+ 44 % pour les crédits hors titre 2 du programme).

Or, ces crédits n'ont pas été intégralement consommés. En dépit d'une forte augmentation des AE allouées en 2019 , la mise en oeuvre du plan de construction des 15 000 places de prison supplémentaires (7 000 places à construire d'ici 2022, 8 000 autres initiées d'ici 2022 et construites à horizon 2027) tarde à se concrétiser. Près de 48 millions d'euros de CP n'ont en outre pas été consommés en 2019.

Prévision et exécution des crédits d'investissement (titre 5)
du programme 107 en 2019

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

Ainsi, comme l'indique le rapport annuel de performances annexé à la présente mission (p.104), à la fin de l'année de 2019, s'agissant des 7 000 places de détention devant être livrées en 2022, l'acquisition des terrains n'est réalisée que pour 73 % des places pour une cible de 84 % en 2019 et les travaux ont été lancés pour 22 % des places contre une cible initiale de 27 % en 2019.

Comme le relève la Cour des comptes, cette sous-consommation des CP a d'ailleurs entraîné une annulation de 17 millions d'euros en fin d'exercice au-delà de la réserve de précaution, en raison des retards d'investissements immobiliers.

4. En dépit des réformes initiées dans le cadre du protocole de sortie de crise dans l'administration pénitentiaire, le schéma d'emplois reste sous-exécuté

Les dépenses de personnel sont en hausse de 4 % sur le programme « Administration pénitentiaire » et atteignent 2,53 milliards d'euros . Leur taux d'exécution par rapport à la loi de finances s'élève à 99,7 %.

Évolution de la prévision et de la consommation des dépenses de personnel
du programme 107 « Administration pénitentiaire »

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires

Un protocole entre les représentants des personnels pénitentiaires et l'administration pénitentiaire a été signé le 29 janvier 2018, après un conflit social ayant paralysé plusieurs établissements pénitentiaires. Ce protocole comprend, outre un objectif d'amélioration des conditions de travail des personnels dans les établissements pénitentiaires, un objectif d'accélération des recrutements et de fidélisation des personnels, par le renforcement des dispositifs indemnitaires 236 ( * ) .

La prime de fidélisation a quant à elle été mise en place en 2019, repoussée d'un an principalement en raison des contraintes budgétaires. Ainsi, d'après le rapport annuel de performance, dans les établissements les moins attractifs, « les agents qui choisiront de se positionner pour au moins six ans sur ces établissements pourront bénéficier d'une prime de 8 000 euros grâce à un concours spécifique, à affectation locale. 3 936 agents ont bénéficié de la prime de fidélisation en 2019 ».

Alors que la loi de finances initiale pour 2019 prévoyait la création de 959 emplois, la réalisation globale du schéma d'emplois du programme est de 757 ETP. Le schéma d'emplois est donc sous-exécuté de 202 ETP par rapport à la cible (qui s'ajoute à la sous-exécution de 81 ETP l'année dernière).

La sous-exécution porte principalement sur les surveillants pénitentiaires (- 171 ETP). D'après le rapport annuel de performance, « 1 504 élèves surveillants sont entrés à l'École nationale d'administration pénitentiaire en 2019 alors que 1 789 recrutements avaient été autorisés, soit un écart de 185 ETP. Cette situation illustre les difficultés de recrutement que rencontre l'administration pénitentiaire ». Face à la difficulté à pourvoir les postes de surveillants, l'administration pénitentiaire a engagé une réforme de leur formation mise en place en 2019 et l'année 2020 marquera le déploiement d'un concours national à affectation locale. Combinées à la mise en place de la prime de fidélisation, ces réformes devraient, d'après le rapport annuel de performance, « maximiser la capacité de l'administration pénitentiaire à recruter et à réduire les départs prématurés de personnel ».

Le moindre recrutement concerne également le corps des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation : une sous-exécution de 32 ETP est ainsi constatée.

Réalisation du schéma d'emploi des surveillants pénitentiaires

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires

5. L'aide juridictionnelle : une augmentation de plus de 5 % des dépenses en 2019

L'aide juridictionnelle est financée principalement par des crédits budgétaires mais également par des ressources extrabudgétaires : la taxe spéciale sur les contrats de protection juridique (45 millions d'euros en 2019) et le produit de certaines amendes pénales (38 millions d'euros en 2019).

Le rapporteur soulignait dans son rapport relatif à la présente mission dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances initiale pour 2019 237 ( * ) , le caractère dynamique des dépenses d'aide juridictionnelle . Les prévisions de dépenses s'élevaient à 507 millions d'euros pour 2019, soit une augmentation de 41 % (148 millions d'euros) par rapport à 2015, année où elles s'élevaient à 359 millions d'euros. La dynamique de cette dépense résulte principalement de l'augmentation du nombre de bénéficiaires de l'aide juridictionnelle, à la suite du relèvement du plafond de revenu, passé au 1 er janvier 2016 de 941 euros à 1 000 euros pour une personne seule.

En 2019, les crédits budgétaires ont fait l'objet d'une sous-consommation de près de 15 millions d'euros : alors qu'un effort de budgétisation avait porté les crédits alloués à 427 millions d'euros (+ 7 % par rapport à la prévision de 2018), 409 millions d'euros ont été consommés en 2019. Comme l'indique la Cour des comptes dans sa note d'exécution budgétaire, la plupart des crédits non consommés (13 millions d'euros) ont fait l'objet d'une demande de report sur l'exercice 2020.

Évolution des crédits budgétaires consacrés à l'aide juridictionnelle

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires

Toutefois, les dépenses d'aide juridictionnelle ont augmenté une nouvelle fois en 2019, mais de façon moins importante que prévu en loi de finances initiale : ainsi, elles s'élèvent à 490 millions d'euros, contre 465 millions d'euros en 2018, soit une augmentation de plus de 5 %. Les ressources extrabudgétaires restent donc indispensables pour financer les dépenses d'aide juridictionnelle. Ces ressources ont d'ailleurs été rebudgétisées par la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

Le rapporteur regrette enfin que la réforme de l'aide juridictionnelle, traduite par l'article 243 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, n'ait fait l'objet d'aucune étude d'impact : en effet, cette réforme, pourtant annoncée de longue date, a été introduite par le biais d'un amendement au projet de loi de finances par nos collègues députés Naïma Moutchou et Philippe Gosselin, sans que ses effets sur les conditions d'éligibilité à l'aide et partant, sur le coût budgétaire de l'aide juridictionnelle, n'aient été portés à la connaissance du Parlement.


* 234 Rapport annuel de performance, p.78.

* 235 Rapport annuel de performances, p. 60.

* 236 Comme le rappelle le rapport annuel de performances annexé à la présente mission, « l'indemnité pour charges pénitentiaires des surveillants pénitentiaires a augmenté de 40 % au 1 er janvier 2018 pour être portée à 1 400 euros, l'indemnité dimanches et jours fériés a augmenté de 10 euros au 1 er mars 2018 et la prime de sujétions spéciales aura augmenté de 2 points soit 28 % à terme pour l'ensemble des personnels de surveillance d'ici 2021, à raison de 0,5 point d'augmentation chaque année ».

* 237 Rapport général n° 147 (2018-2019) de M. Antoine LEFÈVRE, fait au nom de la commission des finances, déposé le 22 novembre 2018.

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