C. LA POSITION DE LA COMMISSION DES LOIS

1. Un projet de loi organique d'une faible portée

Le projet de loi organique a pour objet de simplifier les conditions de participation à l'expérimentation et de clarifier les issues possibles au terme de celles-ci . Il s'agit de dispositions auxquelles la commission des lois ne peut qu'être favorable, car elles apportent des ajustements à la procédure des expérimentations locales qui seront sans doute bénéfiques à leur développement.

Les expérimentations locales constituent en effet un outil contribuant à l'atteinte de l'objectif d'adaptation du droit aux réalités locales . Il faut toutefois le souligner, le projet de loi organique ne permettra pas une différenciation accrue par rapport à ce qui est possible aujourd'hui . Alors que le Gouvernement annonce un projet de loi « 3D » (« décentralisation, différenciation, déconcentration »), certains considèrent que ce projet de loi organique constitue le fondement du D de différenciation. Son exposé des motifs indique ainsi qu'il permettra d'« illustrer le principe de différenciation territoriale ».

Ce serait pourtant attribuer au projet de loi organique une portée qu'il n'a pas . Sans révision constitutionnelle, les différences de traitement doivent se justifier par un motif d'intérêt général ou des différences de situation objective entre les territoires, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et ne pourront se fonder sur la volonté des collectivités territoriales.

À cadre constitutionnel constant, plus intéressante est la volonté exprimée par le Gouvernement dans l'étude d'impact du projet de loi organique et ré-exprimée à l'occasion des auditions des deux rapporteurs, de mettre en place des « guichets uniques » et des appels à projets pour que les collectivités puissent exprimer leurs demandes d'expérimentations . C'est un premier signe d'une culture ascendante qui permettra de définir des politiques publiques mieux adaptées aux réalités territoriales. Il sera toutefois nécessaire de faire un effort particulier pour développer l'ingénierie de chacune des collectivités territoriales , afin que l'expérimentation ne soit pas un moyen de développer l'inégalité des territoires en fonction de leurs capacités.

Par ailleurs, la commission des lois souhaite insister sur le fait que le développement des expérimentations ne sera bénéfique que si cela permet de responsabiliser les élus , mis en capacité d'oser et de co-construire les politiques publiques. Un ajustement de la loi, la création de « boîtes à outils » à la disposition des collectivités territoriales ou un renvoi plus large au pouvoir réglementaire sont autant de solutions à la main du législateur et du pouvoir réglementaire à l'issue de l'expérimentation qui permettent de mieux adapter la loi aux réalités territoriales.

Pour ce faire, deux axes en particulier doivent faire l'objet d'une attention particulière :

- la bonne information des citoyens et des entreprises , qui doivent être mis en capacité de comprendre le droit qui leur est applicable. Pour ce faire, la publication au Journal officiel des actes pris dans le cadre de l'expérimentation, si elle n'est plus nécessaire à leur entrée en vigueur, devra toutefois intervenir dans un délai rapide afin que le public destinataire de la mesure expérimentée soit correctement informé du droit applicable localement ;

- une évaluation des expérimentations renforcée , alors même que la culture de l'évaluation en France n'est aujourd'hui que peu développée.

Ce sont ces objectifs de clarification et d'évaluation accrue qu'a voulu mettre en oeuvre la commission des lois, par l'adoption de cinq amendements de ses rapporteurs. Parmi eux, les amendements COM-4 et COM-5 visent à clarifier la rédaction des articles 2 et 4 du projet de loi organique, et l' amendement COM-8 effectue une coordination nécessaire à l'article 7.

2. Préciser les issues possibles à l'expérimentation

Le Gouvernement, en ajoutant deux possibilités aux issues explicitement prévues pour la fin de l'expérimentation, entend mentionner dans la loi l'ensemble des possibilités dont dispose le législateur. Il s'agit sans doute d'une clarification utile, même si elle n'a que peu de portée en droit.

La pérennisation de l'expérimentation dans une partie seulement des collectivités ne pourra en effet se faire que dans le respect du principe d'égalité . Une différence de situation objective devra justifier une différence pérenne de traitement. Dans ce cadre, la pérennisation d'une expérimentation sur une partie seulement du territoire était déjà possible : il aurait suffi au législateur de cibler de manière fine, à l'aune de plusieurs critères, les collectivités pouvant se saisir de l'expérimentation 20 ( * ) . L'ajout auquel procède le projet de loi n'y change rien : une catégorisation fine sera toujours nécessaire pour une pérennisation d'une expérimentation sur une partie seulement du territoire. Celle-ci devra se justifier par des différences entre les collectivités, qui peuvent tenir à plusieurs critères comme par exemple la catégorie juridique de la collectivité, les seuils de population, la densité, ou des critères géographiques ou financiers.

La commission a donc souhaité, par l'adoption d'un amendement COM-7 de ses rapporteurs , indiquer dans la loi organique que la pérennisation sur une partie seulement du territoire ne pourra se faire que dans le respect du principe constitutionnel d'égalité . Seule une révision constitutionnelle, telle que celle envisagée par l'article 3 de la proposition de loi constitutionnelle pour le plein exercice des libertés locales adoptée par le Sénat le 20 octobre 2020 21 ( * ) , aurait permis une réelle différenciation par une pérennisation des expérimentations sur une partie seulement du territoire, sur la base de la volonté de chacune des collectivités.

De la même manière, le législateur peut déjà, dans le cadre actuel de l'expérimentation, modifier dans la loi les dispositions qui régissent l'exercice de la compétence ayant fait l'objet de l'expérimentation pour laisser davantage de marge de manoeuvre aux collectivités . Le mentionner explicitement comme le propose le projet de loi organique permet certes de donner une plus grande visibilité à cette possibilité, mais n'assouplit pas le cadre juridique en vigueur.

Enfin, la commission des lois a souhaité, par l'adoption du même amendement COM-7 de ses rapporteurs , aller au bout de la clarification des issues possibles de l'expérimentation voulue par le Gouvernement en conservant la mention explicite de la possibilité d'abandonner une expérimentation . Elle a toutefois prévu que le dépôt d'un projet ou une proposition de loi prévoyant l'abandon de l'expérimentation n'aura pas pour effet de proroger l'expérimentation au-delà du terme prévu par la loi autorisant l'expérimentation.

3. Renforcer les moyens dont dispose le Parlement pour évaluer les expérimentations

La commission des lois en est convaincue, l'évaluation est actuellement le parent pauvre de l'expérimentation, alors même qu'elle lui est consubstantielle . Le Conseil d'État, dans son étude précitée, recommande d'ailleurs de la renforcer. Il indique ainsi que l'évaluation peut intervenir à trois moments de l'expérimentation 22 ( * ) :

- durant le déroulement de l'expérience, par des retours réguliers voire continus des acteurs de sa mise en oeuvre et de son public cible ;

- à mi-parcours, afin, le cas échéant, d'adapter la mise en oeuvre de l'expérimentation ;

- à l'achèvement de l'expérimentation, afin de décider des suites qui lui seront données.

Alors que le Gouvernement souhaitait se concentrer sur l'évaluation finale, ce sont ces trois moments de l'évaluation que la commission des lois a souhaité consacrer .

Elle a donc souhaité, en adoptant un amendement COM-6 de ses rapporteurs , que l'évaluation finale de l'expérimentation prévue par l'article L.O. 1113-5 du code général des collectivités territoriales soit complétée par une évaluation intermédiaire, réalisée à mi-parcours .

Elle a également prévu, par l'adoption de ce même amendement, que chaque année, le Gouvernement devrait remettre au Parlement un rapport indiquant, d'une part, les collectivités ayant décidé au cours de l'année écoulée de participer aux expérimentations en cours et, d'autre part, les demandes d'expérimentations formulées par les collectivités qui auraient pu leur être remontées.

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La commission des lois a adopté ainsi modifié le projet de loi organique n° 680 (2019-2020) relatif à la simplification des expérimentations mises en oeuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution .

Ce texte sera examiné en séance publique la semaine du 2 novembre 2020 .


* 20 La généralisation n'intervenant par la suite qu'au sein des collectivités territoriales répondant à l'ensemble de ces critères.

* 21 Le dossier législatif est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl19-682.html .

* 22 Étude du Conseil d'État précitée, p 64.

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