II. LE PROJET DE LOI ORGANIQUE : SIMPLIFIER LA PROCÉDURE DES EXPÉRIMENTATIONS LOCALES ET CLARIFIER LES ISSUES POSSIBLES

A. L'ÉTUDE DU CONSEIL D'ÉTAT

Face au constat partagé de faible recours aux expérimentations fondées sur le quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution, le Conseil d'État a adopté le 4 juillet 2019 une étude intitulée « Les expérimentations : comment innover dans la conduite des politiques publiques ? ». Il y propose plusieurs évolutions afin d'alléger les contraintes procédurales pesant sur les collectivités territoriales à l'entrée et au cours de l'expérimentation, en :

- mettant fin à l'exigence d'autorisation par décret en Conseil d'État pour entrer dans l'expérimentation ;

- ne subordonnant plus l'entrée en vigueur des normes à la publication au Journal Officiel , mais en maintenant cette publication à titre informatif ;

- appliquant le droit commun du contrôle de légalité aux actes des collectivités pris dans le cadre de l'expérimentation 14 ( * ) .

Il propose également, à cadre constitutionnel constant, d' ajouter deux issues possibles aux expérimentations :

- la possibilité de généraliser des mesures prises à titre expérimental à une partie seulement des collectivités, dans le respect du principe d'égalité ;

- la possibilité de modifier la loi régissant l'exercice de la compétence objet de l'expérimentation, afin de donner aux collectivités territoriales compétentes davantage de marges de manoeuvre.

B. LE PROJET DE LOI ORGANIQUE

Sur la base des recommandations du Conseil d'État, le Gouvernement a déposé, le 29 juillet 2020, sur le bureau du Sénat un projet de loi organique relatif à la simplification des expérimentations mises en oeuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution 15 ( * ) .

Celui-ci poursuit quatre objectifs : simplifier les conditions de participation à l'expérimentation (1), assouplir le régime juridique des actes pris par les collectivités territoriales durant l'expérimentation (2), ajouter deux issues possibles aux expérimentations locales (3) et supprimer l'un des rapports au Parlement (4).

1. Simplifier les conditions de participation à l'expérimentation

Aujourd'hui, toute collectivité territoriale entrant dans le champ d'application défini par la loi - ou, le cas échéant, par le règlement - peut demander, dans le délai imparti par celle-ci, à participer à l'expérimentation. Le Gouvernement a compétence liée pour l'y autoriser (par décret) si les conditions légales sont remplies.

La procédure permettant de bénéficier de l'expérimentation est toutefois longue. Les délais entre la promulgation de la loi et la publication du décret était ainsi de :

- 9 mois pour l'expérimentation sur le RSA ;

- 2 ans pour l'expérimentation sur la tarification sociale de l'eau ;

- 5 mois pour les expérimentations sur la répartition de la taxe d'apprentissage des fonds non affectés par les entreprises et sur l'accès à l'apprentissage jusqu'à l'âge de 30 ans.

Le projet de loi organique propose donc, dans ses articles 1 er , 2, 4 et 7, de simplifier la procédure permettant de bénéficier de l'expérimentation .

Au lieu d'une procédure comptant de nombreuses étapes, toute collectivité entrant dans le champ d'application de l'expérimentation pourrait décider par délibération motivée d'y participer . Il reviendrait au préfet, et non plus au Gouvernement, de vérifier dans le cadre du contrôle de légalité que la collectivité remplit les conditions législatives - ou, le cas échéant, règlementaires - de participation.

Dans le cas contraire, le représentant de l'État pourrait assortir son recours contre la délibération d'une demande de suspension, la délibération cessant alors de produire ses effets jusqu'à ce que le tribunal administratif ait statué sur sa demande.

La délibération motivée de l'assemblée délibérante par laquelle la collectivité déciderait de participer à l'expérimentation serait publiée au Journal Officiel à titre informatif. En cas de demande de suspension, la délibération ne serait publiée qu'une fois la décision du tribunal administratif rendue.

2. Rapprocher le régime juridique des actes pris pendant l'expérimentation du droit commun

Les articles L.O. 1113-3 et L.O. 1113-4 du code général des collectivités territoriales organisent le régime juridique des actes pris par les collectivités territoriales dans le cadre de l'expérimentation.

Les actes à caractère général et impersonnel d'une collectivité territoriale portant dérogation aux dispositions législatives ou règlementaires doivent mentionner leur durée de validité. Ils entrent en vigueur après leur transmission au préfet dans le cadre du contrôle de légalité et leur publication au niveau local, ainsi que leur publication au niveau national au sein du Journal Officiel .

Si, dans le cadre du contrôle de légalité, le préfet exerce un recours contre un acte et l'assortit d'une demande de suspension, l'acte cesse de produire ses effets jusqu'à ce que le tribunal administratif ait statué sur la demande. Si le tribunal administratif n'a pas statué dans un délai d'un mois suivant la saisine, l'acte redevient exécutoire.

L'article 3 du projet de loi organique modifie profondément ce régime, en le rapprochant du droit commun :

- la publication de l'acte au Journal Officiel ne serait plus nécessaire à son entrée en vigueur, mais ne serait réalisée qu'à titre informatif ;

- les actes seraient contrôlés au titre du contrôle de légalité dans les conditions de droit commun. Cela signifie qu'en cas de demande de suspension de l'acte, le tribunal devrait se prononcer sur la demande avant que celle-ci ne produise ses effets.

3. Ajouter deux issues à l'expérimentation

À l'expiration de la durée prévue pour l'expérimentation, trois possibilités sont offertes au législateur ou au pouvoir réglementaire par les articles L.O. 1113-6 et L.O. 1113-7 du code général des collectivités territoriales :

- prolonger l'expérimentation ou en modifier les contours, pour une durée qui ne peut excéder trois ans ;

- généraliser les mesures prises à titre expérimental ;

- abandonner l'expérimentation.

L'issue binaire -généralisation ou abandon- des expérimentations se justifie par le principe d'égalité : les expérimentations fondées sur le quatrième alinéa de la Constitution y permettant des dérogations, celles-ci doivent nécessairement être temporaires.

Dans les collectivités territoriales de droit commun en effet, à l'inverse des collectivités à statut particulier ou des collectivités régies par l'article 73 de la Constitution, les règles d'attribution et d'exercice des compétences sont en principe les mêmes au sein de chaque catégorie de collectivité : la Constitution ne prévoit pas de possibilités d'adaptation pour prendre en compte les « caractéristiques » ou « contraintes particulières » de certaines de ces collectivités. Pour autant, et comme le souligne le Conseil d'État dans son avis sur la différenciation des compétences des collectivités territoriales relevant d'une même catégorie et des règles relatives à l'exercice de ces compétences 16 ( * ) , il n'en résulte pas que les règles applicables aux compétences des collectivités territoriales doivent être identiques pour toutes les collectivités relevant de la même catégorie . Le principe d'égalité, applicable aux collectivités territoriales, « ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit » 17 ( * ) .

La loi peut ainsi, à droit constitutionnel constant, différencier les modalités d'exercice des compétences en fonction des différences de situation objectives entre les collectivités territoriales , même si celles-ci appartiennent à la même catégorie. Elle peut également renvoyer au pouvoir réglementaire local , consacré depuis 2003 par le troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution, pour la définition de ses modalités d'application. Les collectivités territoriales sont alors amenées à définir elles-mêmes les conditions d'exercice de leurs compétences.

Ce sont ces possibilités qu'entend traduire l'ajout de deux issues possibles aux expérimentations prévu par l'article 6 du projet de loi organique. Le Gouvernement propose de compléter l'article L.O. 1113-6 du code général des collectivités territoriales en indiquant que :

- l'expérimentation peut également aboutir au maintien des mesures prises à titre expérimental dans les collectivités territoriales ayant participé à l'expérimentation, ou dans certaines d'entre elles, et leur extension à d'autres collectivités territoriales ;

- la loi peut également modifier les dispositions régissant l'exercice de la compétence ayant fait l'objet de l'expérimentation.

L'abandon de l'expérimentation ne serait quant à lui plus explicitement mentionné parmi les issues possibles de l'expérimentation.

4. Le contrôle du Parlement

Le Parlement, qui autorise l'expérimentation lorsqu'il s'agit de déroger à des dispositions législatives, doit être en mesure de décider en toute connaissance de cause de potentielles modifications à apporter au cours de l'expérimentation ou de l'issue qu'il donnera à celle-ci.

C'est la raison pour laquelle l'article L.O. 1113-5 du code général des collectivités territoriales prévoit que le Parlement est destinataire de deux types de rapport réalisés par le Gouvernement :

- un rapport d'évaluation à la fin de l'expérimentation, afin qu'il puisse décider de l'issue de celle-ci ;

- un rapport annuel récapitulant l'ensemble des demandes d'expérimentation formulées par les collectivités et effectuant un bilan des entrées dans les expérimentations.

Depuis 2003, le rapport annuel n'a jamais été rendu . Le projet de loi organique, dans son article 5, propose en conséquence de le supprimer définitivement, indiquant dans l'étude d'impact que « cette disposition permettra d'alléger les obligations qui incombent au Gouvernement [car] il ne sera pas nécessaire de mettre en place un dispositif interministériel visant à recueillir, auprès des départements ministériels concernés, les propositions d'expérimentations formulées par les collectivités territoriales ainsi que les suites qui leur ont été réservées » 18 ( * ) .

Le Gouvernement considère également que « ce rapport présente un moindre intérêt, s'agissant des demandes de participation des collectivités territoriales prévues par la loi ou le règlement, dès lors que le projet de loi organique supprime la procédure de candidature des collectivités territoriales » 19 ( * ) .


* 14 Actuellement, l'article L.O. 1113-4 du code général des collectivités territoriales prévoit que, dès lors que le préfet assorti sa transmission d'une demande de suspension, l'acte cesse de produire ses effets jusqu'à ce que le tribunal administratif ait rendu sa décision. Dans le contrôle de légalité ordinaire, le juge administratif statue sur la demande de suspension dans un délai d'un mois (article L. 2131-6 du même code).

* 15 Projet de loi organique relatif à la simplification des expérimentations mises en oeuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution , déposé sur le bureau du Sénat le 29 juillet 2020. Le dossier législatif est consultable à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl19-680.html .

* 16 Conseil d'État, avis n° 393651 du 7 décembre 2017 sur la différenciation des compétences des collectivités territoriales relevant d'une même catégorie et des règles relatives à l'exercice de ces compétences .

* 17 Conseil constitutionnel, 6 mai 1991, n° 91-291 DC.

* 18 Étude d'impact sur le projet de loi organique relatif à la simplification des expérimentations mises en oeuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution , p 35.

* 19 Étude d'impact, p 34.

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