B. UN RENFORCEMENT DES MOYENS D'ACTION EN 2020, S'ÉTANT TRADUIT PAR D'IMPORTANTS MOUVEMENTS SUR LE COMPTE

1. Une évolution du compte en cours de gestion, le faisant contribuer pour 2 milliards d'euros au déficit public en 2020

La prévision du compte résultant de la loi de finances pour 2020 reflétait la forte activité attendue sur le compte, en partie pour concrétiser le programme de cessions ayant fait l'objet d'autorisations législatives dans la loi dite « Pacte » du 22 mai 2019 7 ( * ) .

L'introduction en bourse et la cession de la majorité des parts détenues par l'État au sein du capital de la Française des jeux ont été menées à bien à la fin de l'année 2019, conduisant l'État à enregistrer une recette totale de près de 1,9 milliard d'euros .

Il en est de même de la privatisation d'Aéroports de Paris , initialement suspendue jusqu'en mars 2020 à la suite du dépôt d'une proposition de loi présentée en application de l'article 11 de la Constitution, puis reportée sine die en raison de la forte chute du cours de l'action, divisé par deux depuis le début de la crise sanitaire, et des nouvelles orientations de l'État actionnaire (cf. infra ).

La prévision d'équilibre du compte a été ajustée par rapport à la programmation initiale. Il s'agit d'un ajustement en miroir de l'ouverture de 20 milliards d'euros de crédits exceptionnels au titre du plan d'urgence face à la crise sanitaire, qui demeure toutefois purement notionnel, les crédits n'ayant pas été immédiatement et intégralement transférés sur le compte.

En gardant à l'esprit cette réserve, le tableau ci-après détaille l'évolution du compte en cours d'exécution , le faisant figurer en déficit prévisionnel de 2 milliards d'euros en 2020.

Cohérente, cette inscription correspond à une démarche de sincérité . En effet, le compte est traditionnellement présenté par construction à l'équilibre, de sorte qu'il n'a pas d'incidence sur la prévision du solde général d'exécution de la loi de finances et que son impact n'est pris en compte qu'au moment de la loi de règlement.

Évolution de l'équilibre du compte
en cours d'exécution en 2020

(en millions d'euros)

LFI 2020

LFR 2020

Programme

Recettes

Crédits

Recettes

Crédits

731 - Opérations en capital intéressant les participations financières de l'État

-

10 180

25 200

732 - Désendettement de l'État et d'établissements publics de l'État

-

2 000

0

Total au niveau du compte

12 180

12 180

23 200

25 200

Solde prévisionnel

0

- 2 000

NB : la colonne « LFR 2020 » renseigne la prévision du compte au terme des modifications intervenues à la suite des lois de finances rectificatives pour 2020.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

Le déséquilibre prévu en 2020 résulte de deux éléments :

- d'une part, la forte progression des opérations en capital , de 10,2 milliards d'euros à 25,2 milliards d'euros, étant entendu que le montant initialement prévu intégrait le versement de la dotation en numéraire du fonds pour l'innovation et l'industrie, en partie abandonné entretemps ;

- d'autre part, le relèvement substantiel des prévisions de recettes , de 12,2 milliards d'euros à 23,2 milliards d'euros, la prévision initiale intégrant de surcroît le produit escompté de la cession d'Aéroports de Paris.

Parallèlement, la contribution au désendettement, initialement prévue à hauteur de 2 milliards d'euros, est logiquement abandonnée . Avant même la crise sanitaire, le rapporteur spécial recommandait l'an dernier de mettre de côté cet objectif, qui relève essentiellement d'un totem, coûteux dans un contexte durable de taux exceptionnellement faibles.

Le rapporteur spécial ne peut donc qu'approuver cette orientation , qui rejoint d'ailleurs celle énoncée implacablement devant la commission des finances du Sénat par Emmanuel Macron en 2016, alors ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, faisant valoir que « l'objectif de contribution au désendettement doit demeurer mais, patrimonialement, ce serait se tirer une balle dans le pied que d'utiliser le capital du compte d'affectation spéciale pour se désendetter » 8 ( * ) .

2. D'importantes opérations intervenues et attendues d'ici à la fin de l'exercice 2020

À la fin octobre, le solde du compte s'établit à près de 5,6 milliards d'euros , ce qui résulte de la conjugaison de trois éléments :

- le report du solde arrêté à la fin 2019 , à hauteur de 3,33 milliards d'euros ;

- les dépenses effectuées depuis le compte, pour un montant de 4,1 milliards d'euros , essentiellement au titre du versement au fonds pour l'innovation et l'industrie d'une dotation en numéraire complémentaire de 1,9 milliard d'euros, résultant de la cession de la Française des jeux, et de la souscription de l'État aux obligations convertibles ou échangeables en actions nouvelles ou existantes (OCEANE) émises par EDF en septembre, pour un montant de 1,03 milliard d'euros ;

- les recettes enregistrées sur le compte , pour un montant de 6,35 milliards d'euros , dont 4,1 milliards d'euros au titre du plan d'urgence, versés depuis le programme 358, et 1,1 milliard d'euros au titre de la cession d'actions La Poste à la Caisse des dépôts et consignations dans le cadre de la création du grand pôle financier public 9 ( * ) , opération détaillée dans l'encadré ci-après.

La constitution du « grand pôle financier public »

Les rapprochements de La Poste avec la Caisse des dépôts et consignations et de La Banque Postale avec CNP Assurances, autorisés par la loi dite « Pacte » du 22 mai 2019, ont été concrétisés définitivement le 4 mars dernier.

Trois opérations successives sont intervenues pour aboutir à la création du grand pôle financier public :

- d'abord, l'apport par l'État et la Caisse des dépôts et consignations à La Poste de leurs participations respectives dans le capital de CNP Assurances rémunérées, dans le cadre d'une augmentation de capital, par l'attribution d'actions La Poste ;

- ensuite, l'apport par La Poste à La Banque Postale de l'intégralité des actions CNP Assurances reçues, rémunérée par une augmentation de capital de La Banque Postale ;

- enfin, l'acquisition par la Caisse des dépôts et consignations auprès de l'État d'une participation complémentaire au capital de La Poste, pour un montant d'environ 1 milliard d'euros, porté en recettes sur le compte.

À l'issue de l'opération, l'État et la Caisse des dépôts et consignations détiennent respectivement 34 % et 66 % du capital et des droits de vote de La Poste.

La création de ce pôle financier public vise, selon La Poste, à renforcer la cohésion des territoires et à lutter contre la fracture territoriale en métropole et dans les outremers.

En complément, le 1 er octobre dernier, L'État, La Poste et la Caisse des dépôts et consignations ont finalisé le rachat par cette dernière de la totalité des participations de l'État et de La Banque Postale au capital de SFIL - respectivement de 75 % et 5 %. La Caisse des dépôts et consignations, qui détenait déjà 20 % du capital de SFIL, devient de la sorte le nouvel actionnaire de référence de SFIL.

Selon l'APE, cette opération permet de renforcer le grand pôle financier public au service des territoires autour de la Caisse des dépôts et consignations, SFIL étant le premier émetteur d'obligations sécurisées du secteur public en Europe. Au terme de l'opération, l'actionnariat de SFIL demeure donc intégralement public, tandis que La Banque Postale a renouvelé par anticipation jusqu'à la fin de l'année 2026 son partenariat avec SFIL pour la commercialisation de prêts de moyen et long termes aux collectivités territoriales et hôpitaux publics.

Source : commission des finances du Sénat

Le tableau ci-après détaille les différentes opérations intervenues entre le 1 er janvier et le 27 octobre 2020.

Deux éléments peuvent en guider la lecture :

- d'une part, les trois principales dépenses effectuées à ce jour en 2020 n'ont pas d'impact sur le solde du compte , dans la mesure où un montant identique est, à chaque fois, porté en recette du compte par un versement du budget général - soit au titre du plan d'urgence, soit au titre du plan d'investissement d'avenir ;

- d'autre part, l'aide de 3 milliards d'euros attribuée à Air France-KLM par l'État actionnaire , sous forme d'avance en compte courant d'actionnaire, ne s'est pas encore traduite par un décaissement effectif depuis le compte , ce qui majore artificiellement le solde à due concurrence - l'encadré ci-après présentant plus globalement le soutien apporté au groupe Air France-KLM par l'État depuis le début de la crise sanitaire, ainsi que les perspectives de renforcement de ses fonds propres.

Exécution du compte d'affectation spéciale
du 1 er janvier 2020 au 27 octobre 2020

(en millions d'euros)

Solde au 31 décembre 2019

+ 3 326,1

Dépenses totales

- 4 102,5

Détail

Dotation supplémentaire du Fonds pour l'innovation et l'industrie (FII)

- 1 900

Souscription aux OCEANEs vertes d'EDF

- 1 027,6

Versements au titre du PIA 3

- 630

Autres dépenses

- 544,9

Recettes totales

+ 6 350,2

Détail

Abondement en provenance du programme 358 pour les versements au titre de l'avance en compte courant d'actionnaire accordée à Air France-KLM

+ 3 000

Abondement en provenance du programme 358 pour la souscription d'OCEANEs vertes d'EDF

+ 1 104

Cession d'actions La Poste à la Caisse des dépôts et consignations

+ 1 062

Versements du budget général au titre des PIA 3

+ 630

Cession d'actions SFIL à la Caisse des dépôts et consignations

+ 300

Autres recettes

+ 254,2

Solde prévisionnel au 27 octobre 2020

+ 5 573,8

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données transmises par l'APE

D'ici à la fin de l'exercice, l'Agence des participations de l'État anticipe deux dépenses importantes susceptibles d'advenir :

- d'une part, d'éventuels appels de fonds de la part d'Air France-KLM au titre de l'avance consentie, pour un montant maximal de 3 milliards d'euros ;

- d'autre part, la souscription par l'État d'une augmentation de capital de la SNCF à hauteur de 4,1 milliards d'euros .

L'APE indique que les détails techniques de la recapitalisation de la SNCF sont, à cette date, toujours en cours de préparation. Le besoin résulte d'un effet de ciseau entre des ressources de SNCF Réseau mises à mal par la crise sanitaire et des dépenses non prévues dans la trajectoire définie en 2018 à l'occasion de la réforme du système ferroviaire 10 ( * ) .

Sans remettre en cause la nécessité de l'opération, le rapporteur spécial ne peut que déplorer l'absence d'éléments tangibles transmis , s'agissant d'une opération de plus de 4 milliards d'euros, s'ajoutant à la reprise de dette de SNCF Réseau déjà décidée pour un montant total de 35 milliards d'euros 11 ( * ) .

En parallèle, les recettes du compte seraient majorées de 5,22 milliards d'euros, dont 4,75 milliards d'euros versés depuis le programme 358 12 ( * ) .

Compte tenu de ces éléments, l'exercice 2020 se traduirait par un compte en déficit légèrement supérieur à 1 milliard d'euros , pour un solde cumulé prévisionnel à la fin de l'exercice de 2,31 milliards d'euros.

Air France-KLM : le soutien public acté en mai 2020
et les perspectives de renforcement des fonds propres

Début mai 2020, avec l'accord de la Commission européenne, l'État a accordé un dispositif de soutien au groupe Air France-KLM, particulièrement affecté par les conséquences de la crise sanitaire.

Le soutien, s'élevant à 7 milliards d'euros, se compose de deux éléments complémentaires :

- d'une part, un prêt d'un montant de 4 milliards d'euros, octroyé par un syndicat de six banques, bénéficiant d'une garantie de l'État à hauteur de 90 % et d'une maturité de douze mois, avec deux options d'extension d'un an consécutives ;

- d'autre part, un prêt d'actionnaire d'un montant de 3 milliards d'euros et d'une maturité de quatre ans, avec deux options d'extension d'un an consécutives.

Ces deux prêts sont répercutés par des prêts miroirs du groupe vers la filiale Air France afin de flécher spécifiquement le soutien mis en oeuvre à la compagnie nationale.

Comme le fait valoir l'APE, « la mobilisation d'un prêt garanti par l'État permet de limiter la mobilisation des fonds directement octroyés par l'État [en tant qu'actionnaire] », alors que le marché était prêt à répondre partiellement aux besoins de financement de l'entreprise. Le prêt d'actionnaire a ainsi été calibré afin « d'atteindre un montant global de 7 milliards d'euros, nécessaire pour répondre aux besoins de liquidités de l'entreprise et lui permettre de mettre en oeuvre un plan de rebond » 13 ( * ) . En complément, l'État néerlandais a accordé un soutien de 3,4 milliards d'euros, directement à la filiale KLM.

Ce soutien massif s'est accompagné de plusieurs contreparties, d'ordre économique et écologique. Les engagements souscrits par l'entreprise concernent :

- le redressement de la compétitivité, au moyen de réformes structurelles de maîtrise des coûts et d'efforts de productivité afin d'aligner Air France sur les standards européens (Lufthansa et British Airways), en négociant de nouveaux accords avec les organisations représentatives du personnel ;

- la révision du marché domestique, en réduisant l'offre de vols régionaux lorsqu'il existe une alternative ferroviaire inférieure à 2h30 de trajet, tout en préservant les correspondances ultramarines et internationales ;

- la réduction de moitié des émissions de dioxyde de carbone des vols métropolitains au départ d'Orly et de région à région d'ici à la fin 2024 et la modernisation de la flotte moyen et long-courriers, pour réduire l'impact écologique et incorporer 2 % de carburant alternatif durable dans les réservoirs dès 2025.

L'APE indique que l'État « suivra à échéance régulière la mise en oeuvre de ces mesures » 14 ( * ) .

L'ensemble du soutien apporté par les États néerlandais et français au groupe s'élève donc à 10,4 milliards d'euros, ce qui permet d'écarter tout risque de liquidité à court terme, même si cette stratégie initiale pourrait être remise en cause par le rebond de l'épidémie.

Au-delà, la question centrale porte sur le renforcement des fonds propres du groupe, qui devrait intervenir d'ici au printemps 2021.

Le groupe a annoncé dans un communiqué début septembre qu'il comptait renforcer ses fonds propres et quasi-fonds propres d'ici à mai 2021, si les conditions de marché le permettent.

Cette opération soulève néanmoins deux types de difficultés, résultant de :

- la présence des deux États au capital - l'État français détenant 14,3 % du groupe et l'État néerlandais 14 % -, ce qui impose de définir une solution partagée pour maintenir des conditions de détentions analogues entre les deux pays ;

- la structure de la dette du groupe, dont les obligations prévoient des clauses de changement de contrôle qui se déclenchent si un actionnaire franchit le seuil de 40 % des droits de vote du groupe ou de 50 % d'une des deux filiales.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des éléments transmis par l'APE


* 7 Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

* 8 Compte rendu de l'audition le 25 mai 2016 d'Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, devant la commission des finances du Sénat.

* 9 Création autorisée par l'article 151 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

* 10 L'APE mentionne, par exemple, le renchérissement de l'entretien du réseau résultant interdiction du glyphosate.

* 11 À savoir 25 milliards d'euros en 2020 et 10 milliards d'euros en 2022.

* 12 Le solde résultant d'une part d'un abondement de programmes du budget général au titre d'opérations transitant par le compte et, d'autre part, de retours financiers au titre des programmes d'investissements d'avenir successifs.

* 13 Réponse au questionnaire budgétaire.

* 14 Ibid .

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