EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 3 novembre 2020 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Christian Bilhac, rapporteur spécial, sur la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

M. Christian Bilhac , rapporteur spécial . - Le projet de loi de finances pour 2020 prévoit une hausse de 1,9 % des crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État », qui sera ainsi dotée de 718,7 millions d'euros en crédits de paiement.

Cette hausse bénéficie à près de 90 % au programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives », qui concentre plus des deux tiers des crédits de la mission. L'augmentation de 19,5 millions d'euros de crédits pour ce programme va de pair avec la création de 29 emplois.

Cette augmentation substantielle des crédits des juridictions administratives entraîne un dépassement de 31 % par rapport à la programmation pluriannuelle. La hausse du nombre de requêtes devant les juridictions administratives n'avait pas été anticipée lors de l'élaboration du budget triennal et explique en partie ces dépassements. Les juridictions administratives font en effet face à une hausse considérable des recours. Celle-ci atteint plus de 5 % en moyenne annuelle depuis près de cinquante ans et 110 % en moyenne au cours des vingt dernières années.

La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) est, comme les années précédentes, bénéficiaire de la hausse des crédits. Elle a ainsi enregistré en 2019 le nombre de recours le plus important qu'elle ait connu depuis sa création, avec 59 091 entrées enregistrées. Cela représente une augmentation de 40 % par rapport à 2018.

En outre, la crise sanitaire a entraîné un nouvel allongement des délais de jugement. Ces derniers sont pourtant supérieurs de près d'un mois aux délais inscrits dans la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile. C'est pourquoi le renforcement du budget de la Cour nationale du droit d'asile est indispensable, dans le prolongement des précédentes lois de finances. J'insiste cependant sur le fait que le budget des autres juridictions administratives ne doit pas être oublié.

Grâce à un important travail de réforme, le délai prévisible moyen de jugement devant les tribunaux administratifs a été divisé par deux en vingt ans. Cette dynamique vertueuse pourrait être fragilisée en raison de l'augmentation du contentieux des étrangers.

En 2019, cette hausse du contentieux a représenté 80 % de l'augmentation totale des entrées devant les tribunaux administratifs. Ce constat appelle une vigilance particulière sur les délais de jugement des juridictions administratives au cours des prochaines années.

Les crédits demandés pour la justice administrative augmentent de 2 %, en dehors de ceux qui sont accordés à la Cour nationale du droit d'asile. Cette évolution permettra la création de 28 emplois autorisés en 2021 destinée, d'une part, au renforcement des tribunaux administratifs et, d'autre part, à la nouvelle cour administrative d'appel de Toulouse. Là encore, cette évolution me paraît non seulement souhaitable, mais encore nécessaire.

M. Claude Raynal , président . - Pour Toulouse ?... Avis très favorable ! (Sourires)

M. Christian Bilhac , rapporteur spécial . - Je serai plus concis sur les crédits des autres programmes, qui évoluent peu dans l'ensemble par rapport à 2020.

Le budget du Conseil économique, social et environnemental (CESE) est stable en 2021, malgré le récent accroissement de son activité.

Le CESE avait bénéficié d'une augmentation de 10 % de ses crédits en 2020 pour l'organisation de la convention citoyenne pour le climat. En intégrant les moyens mis à disposition par le CESE, le coût de l'organisation de cette convention citoyenne pour le climat s'élève à 6,3 millions d'euros contre les 4,2 millions d'euros initialement prévus. Comme vous le savez, l'activité du CESE devrait également être renforcée en 2021 en vertu du projet de loi organique relatif au CESE que nous avons adopté en première lecture il y a quinze jours.

Je conclus mon intervention sur les crédits de la Cour des comptes et des juridictions financières. Le budget des juridictions financières demeure quasiment stable en 2021, en légère augmentation de 0,3 % par rapport à 2020, malgré la création de dix emplois supplémentaires sur un total de 1 700 agents.

Enfin, les crédits du programme 340 « Haut Conseil des finances publiques » augmentent de 213 %, du fait du recrutement de cinq économistes supplémentaires. Cette hausse peut paraître impressionnante, mais il convient de la remettre en perspective. Les crédits accordés au Haut Conseil ne représentent en effet que 0,2 % du budget de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

Si l'objectif de permettre au Haut Conseil des finances publiques (HCFP) de disposer de moyens comparables à ceux des institutions budgétaires indépendantes européennes est louable, il aurait peut-être été plus logique d'attendre une révision préalable de la loi organique du 17 décembre 2012 définissant les prérogatives du HCFP.

C'est pourquoi l'Assemblée nationale a adopté en première lecture, avec avis favorable du Gouvernement, un amendement limitant l'augmentation du plafond d'emplois du Haut Conseil des finances publiques. Celui-ci serait porté à cinq, soit deux ETP supplémentaires sur les cinq demandés. La hausse des crédits du programme 340 serait contenue à 130 %. Cette hausse devrait permettre au HCFP de bénéficier de moyens supplémentaires dans des limites raisonnables au vu du contexte actuel des finances publiques.

Enfin, l'Assemblée nationale a introduit un article additionnel 54 quater , qui plafonne à 33 euros le montant du paiement exigé préalablement à un recours devant la commission du contentieux du stationnement payant. Cet article supprime également l'exigence d'un paiement préalable avant saisine de la commission du contentieux pour les personnes victimes d'un vol et les personnes handicapées exonérées de la redevance de stationnement.

Je partage entièrement les objectifs des auteurs de cet article sur le fond. Un article similaire avait d'ailleurs été adopté par le Sénat en loi de finances pour 2020. Cependant, celui-ci avait été censuré par le Conseil constitutionnel comme cavalier budgétaire. Les mêmes causes produisant les mêmes conséquences, cet article devrait en toute logique être de nouveau déclaré contraire à la Constitution. C'est pourquoi je vous propose de le supprimer.

Mes chers collègues, j'en ai fini avec la présentation des crédits de cette mission, que je vous invite à adopter suivant les modifications apportées par l'Assemblée nationale. En revanche, pour les raisons que je viens de mentionner, je vous propose de supprimer l'article introduit par l'Assemblée nationale.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - J'ai deux interrogations. La première concerne le budget de la convention citoyenne pour le climat qui a augmenté de 50 %. Peut-on connaître les raisons qui ont conduit à cette hausse ? On va me répondre qu'elle est modeste, mais il convient d'être attentif en matière d'argent public.

Pour ce qui est du HCFP, je m'étonne également : jusqu'à présent, cet organisme a toujours produit des rapports de qualité avec des effectifs restreints. Comment expliquer la demande subite de trois ETP supplémentaires ? Quelles sont les missions nouvelles du HCFP qui l'expliqueraient ? Doit-il faire face à un surcroît d'activité ?

M. Roger Karoutchi . - Tout d'abord, la convention citoyenne pour le climat a fait la leçon au Parlement, aux élus, à tout le monde, alors que sa gestion n'était pas bonne : c'est tout à fait surréaliste!

Ensuite, je veux revenir sur l'augmentation des crédits de la CNDA. Tout le monde s'était dit qu'il fallait accroître les effectifs pour réduire les délais d'instruction des dossiers. Or cela n'a pas fonctionné du tout. En effet, l'élargissement des possibilités d'appel au niveau de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a conduit à faire traiter ce surcroît d'activité aux effectifs supplémentaires affectés à la CNDA. Je pense qu'il serait utile de mener une réflexion approfondie sur l'articulation entre OFPRA et CNDA.

M. Didier Rambaud . - Je suis l'ancien rapporteur spécial des crédits de cette mission. Je partage l'analyse de Roger Karoutchi : le défi majeur est de parvenir à maîtriser les délais de jugement, à défaut de les faire baisser. La hausse des effectifs de la CNDA a contribué à les contenir. Il était légitime d'affecter de nouveaux personnels à la CNDA, mais il ne faut pas non plus oublier le travail des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, dans lesquels le contentieux augmente beaucoup également, notamment le contentieux électoral.

M. Sébastien Meurant . - Est-il normal que, aujourd'hui, dans une démocratie, 41 % du contentieux administratif en première instance et plus de 50 % du contentieux en appel relèvent du droit des étrangers ? Le rapporteur a-t-il identifié des leviers d'amélioration dans ce domaine ou a-t-il des préconisations à faire ?

M. Claude Raynal , président . - C'est une vraie question. Pour avoir exercé cette noble profession, je puis vous dire qu'il s'agit d'un contentieux de masse.

M. Jérôme Bascher . - Nous examinerons tout à l'heure le rapport sur la mission « pouvoirs publics » qui porte les dotations des assemblées, qui continuent depuis dix ans à fonctionner à budget constant. Et l'on voudrait augmenter les effectifs du Haut Conseil des finances publiques, de la Cour des comptes, du Conseil d'État et des tribunaux administratifs ! On ne se pose pas les bonnes questions. C'est parce que la loi est mal écrite qu'il y a autant de contentieux. C'est une spécificité nationale. Ne vaudrait-il pas mieux renforcer les moyens du Parlement afin que la loi soit plus précise ? Je ne suis pas d'accord pour augmenter les crédits de cette mission, j'y suis même très opposé. Je propose également que le Haut Conseil s'occupe de la dette. Nous pourrions détacher momentanément à cette fin le conseiller maître en charge de la dette à la Cour des comptes, ce qui ne coûterait par un euro supplémentaire.

Mme Isabelle Briquet . - Comme l'a souligné le rapporteur spécial, même s'ils tendent à diminuer depuis 2002, les délais de jugement restent la préoccupation majeure de la juridiction administrative. En 2021, du fait de l'état d'urgence sanitaire et du nombre important d'audiences annulées, ces délais vont encore se dégrader, en particulier à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Alors que le nombre de dossiers augmente dans un contexte où la crise sanitaire n'a pas permis les recrutements prévus en 2020, il aurait été bienvenu de renforcer les moyens alloués à la CNDA. Le budget de la CNDA progresse, mais plutôt faiblement, passant de 44,9 à 45,3 millions d'euros pour 2021. La réduction des délais de recours et l'accélération des procédures impliquent une surcharge de travail et ne permettent pas un accompagnement à la hauteur des exigences. Par ailleurs, l'augmentation des moyens accordés au Haut Conseil des finances publiques interroge dans un contexte dégradé. C'est pourquoi le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s'abstiendra.

M. Marc Laménie . - Le rapporteur a évoqué l'augmentation du nombre de recours, notamment devant le Conseil d'État et les tribunaux administratifs. Connaissons-nous la répartition des moyens humains des tribunaux administratifs sur l'ensemble du territoire, Paris, métropole, outre-mer ? Même question pour la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes, dont les missions sont également fondamentales. Elles publient beaucoup de rapports dont nous sommes destinataires. Les préconisations de ces rapports sont-elles suivies d'effet ?

M. Christian Bilhac , rapporteur spécial . - La Convention citoyenne pour le climat devait s'achever initialement en février 2020. Elle a finalement duré jusqu'au mois de juin, soit pratiquement dix mois. Cela a entraîné une augmentation des indemnités journalières de sessions et des frais supplémentaires pour près de 1 million d'euros. Il y a eu également une externalisation des prestations, ce qui a entraîné également environ 2 millions d'euros de frais supplémentaires. Il importe donc de souligner ce dérapage.

En ce qui concerne les recrutements au Haut Conseil des finances publiques, j'ai auditionné Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Je ne sais pas si des chargés d'analyses macroéconomiques seraient un plus par rapport aux analyses déjà réalisées par les services de l'État. Quoi qu'il en soit, dans la mesure où l'on ne modifie pas les missions du Haut Conseil des finances publiques, il n'est peut-être pas nécessaire de lui accorder des moyens plus importants. En ce qui concerne l'étude sur la dette, le Haut Conseil ne peut pas utiliser le personnel de la Cour des comptes, comme le suggère Jérôme Bascher : il est impossible d'utiliser pour le programme 340 des personnels rémunérés par le programme 164.

Roger Karoutchi m'a interrogé sur le CNDA. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) est déjà très sollicité. On peut voir la bouteille à moitié vide parce que les délais sont toujours très longs, mais force est de constater qu'il y a du mieux : nous sommes passés de quinze mois de jugement en 2010 à neuf mois et vingt jours en 2019. Nous sommes dans une société qui se judiciarise de plus en plus, le recours aux tribunaux se développe, ce qui entraîne beaucoup de travail. J'étais encore élu local il y a quelques mois : j'ai passé mes quatre premiers mandats sans voir un tribunal. Ce n'est qu'au cinquième et au sixième que j'ai commencé à y passer beaucoup de temps !

Concernant le contentieux des étrangers, le Premier ministre a confié au Conseil d'État le soin de réfléchir à une réforme du droit des étrangers, pour en simplifier les procédures. Le Conseil d'État a publié cette étude début octobre et nous serons attentifs à sa réception.

Sur la répartition pour la Cour des comptes entre Paris et la province, elle est de 60 % pour les chambres régionales et territoriales des comptes et de 40 % pour la Cour des comptes à Paris. Ce sont les chiffres de M. Moscovici.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

Article 54 quater

M. Christian Bilhac , rapporteur spécial . - L'amendement n° 11 vise à supprimer l'article 54 quater introduit à l'Assemblée nationale concernant le paiement obligatoire des amendes, qui plafonnerait à 33 euros. Comme je l'ai indiqué, je soutiens cette disposition sur le fond, mais elle a été censurée l'an dernier par le Conseil constitutionnel, qui a considéré qu'il s'agissait d'un cavalier budgétaire.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je suis favorable à la proposition du rapporteur spécial.

L'amendement n° 11 est adopté.

En conséquence, la commission décide de proposer au Sénat de supprimer l'article 54 quater .

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État ». Elle a également proposé de supprimer l'article 54 quater .

*

* *

Réunie à nouveau le jeudi 19 novembre 2020 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a confirmé sa décision de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État ». Elle a également confirmé sa décision de proposer au Sénat de supprimer l'article 54 quater .

Page mise à jour le

Partager cette page