III. LES OPTIONS OFFERTES AU LÉGISLATEUR

Sur la base de ces analyses et de ces constats, plusieurs options se présentent au législateur.

A. L'ABROGATION (OPTION RETENUE PAR LA PROPOSITION DE LOI)

La première option consisterait à abroger l'article 7 de l'ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020, comme le prévoit la proposition de loi aujourd'hui soumise à l'examen du Sénat. Plus exactement, son article 1 er vise à ratifier l'ordonnance et son article 2 à abroger l'article 7 de celle-ci.

Selon la sénatrice Sophie Taillé-Polian, auteure de la proposition de loi, en effet, cet assouplissement de la procédure de reprise a constitué un effet d'aubaine pour des dirigeants dont la mauvaise gestion avait elle-même contribué aux difficultés de leur entreprise. « En quelques semaines, certains dirigeants d'entreprise ont déjà profité de cet effet d'aubaine pour effacer une partie de leurs dettes, faciliter les licenciements des salariés, faire prendre en charge des salaires par l'Unedic puis récupérer leur entreprise ainsi allégée alors qu'elle était déjà en difficulté avant la pandémie », peut-on lire dans l'exposé des motifs de la proposition de loi.

Cette argumentation n'a pas emporté la conviction de la commission .

Tout d'abord, il est très contestable que cette disposition ait « facilité les licenciements » : ceux-ci auraient pu avoir lieu en dehors de toute procédure collective en raison des difficultés économiques rencontrées, et l'on rappellera une nouvelle fois que les licenciements en procédure collective sont soumis aux mêmes formes et garanties que les licenciements économiques de droit commun (consultation des salariés, indemnisation, accompagnement via un PSE, etc .)

Pour le reste, la commission des lois ne conteste aucunement l'importance de la « morale des affaires » , car il n'y a pas de vie civile ni d'activité économique sans confiance et sans crédit. Toutefois :

- d'autres considérations, d'ordre économique et social, doivent être également prises en compte : de deux maux - la reprise d'une entreprise par un dirigeant qui peut ne pas être exempt de toute faute de gestion, au préjudice éventuel des créanciers, d'une part, la disparition de cette entreprise et des activités et emplois qui s'y rattachent directement ou indirectement, d'autre part - il faut choisir le moindre ;

- dans le contexte de la crise sanitaire, beaucoup d'entreprises rencontrent de graves difficultés qui sont entièrement indépendantes de toute faute de gestion de leurs dirigeants . Certes, l'assouplissement procédural prévu à l'article 7 de l'ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 a une portée générale, et l'on aurait pu souhaiter qu'il soit réservé à ce type de cas. Peut-être est-il envisageable d'améliorer le dispositif pour éviter tout effet d'aubaine, mais cela n'exige pas de le supprimer purement et simplement.

On rappellera en outre que l'assouplissement dont il est question est très modéré, la procédure demeurant très encadrée . Le droit d'appel suspensif du ministère public devrait suffire à rassurer ceux qui craignent des abus.

Enfin, s'agissant de l'article 1 er de la proposition de loi, il convient de noter que le Parlement n'a nullement l'obligation de ratifier une ordonnance pour en modifier une ou plusieurs dispositions. En l'occurrence, l'ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 comprend des mesures très diverses et complexes, dont certaines ont suscité des réserves de la part de la mission de suivi de la commission des lois sur la mise en oeuvre de l'état d'urgence sanitaire 21 ( * ) ; il serait donc inopportun de la ratifier tout entière sans en avoir mené une analyse complète , ce que ne permet pas l'examen de la proposition de loi.


* 21 Mieux organiser la Nation en temps de crise , rapport d'information n° 609 (20129-2020) fait, au nom de la commission des lois, par MM. Philippe Bas, François-Noël Buffet, Pierre-Yves Collombat, Mmes Nathalie Delattre, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, MM. Loïc Hervé, Patrick Kanner, Alain Richard, Jean Pierre Sueur et Dany Wattebled, p. 212-222. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/r19-609/r19-6091.pdf .

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