CHAPITRE II

Reconnaître et sécuriser les droits des enfants
nés d'assistance médicale à la procréation

Article 3
Droit des personnes nées d'une assistance médicale à la procréation
avec tiers donneur d'accéder à certaines données non identifiantes
et à l'identité du donneur à leur majorité

L'article 3 du projet de loi tend à créer au bénéfice des personnes nées d'une AMP avec don de gamètes ou d'embryons un droit d'accéder, à leur majorité, à certaines données dites « non identifiantes », ainsi qu'à l'identité de leur donneur, le consentement de celui-ci étant recueilli préalablement au don et de manière irrévocable.

Soucieux du respect de la vie privée, le Sénat a souhaité que le donneur soit consulté au moment de la demande de communication de son identité et puisse s'y opposer. Il a également préféré confier les missions relatives à l'exercice de ce droit d'accès au Conseil national de l'accès aux origines personnelles (CNAOP), plutôt que de créer une nouvelle structure.

Considérant que la question de l'accès aux origines se pose de façon tout aussi cruciale pour les personnes déjà nées d'un don que pour les enfants à naître, la Haute Assemblée a ouvert la possibilité aux personnes déjà nées d'AMP avec tiers donneur de saisir le CNAOP pour qu'il contacte et sollicite le consentement des donneurs concernés.

L'Assemblée nationale a rétabli son texte initial, tout en ouvrant la possibilité aux bénéficiaires d'une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur d'accéder aux données non identifiantes du donneur pendant la minorité de leur enfant. Elle a également précisé que le décès du tiers donneur est sans incidence sur la communication de son identité ou ses données non identifiantes.

Constatant la divergence irréconciliable de ces deux positions, la commission spéciale a souhaité réintroduire la rédaction globale adoptée en première lecture au Sénat.

Elle a adopté cet article ainsi modifié.

I - Le dispositif initial

L'article 3 vise à permettre aux personnes issues d'une AMP avec don de gamètes et d'embryons, qui en exprimeraient la volonté à partir de leur majorité, d'accéder à certaines informations ou à l'identité 6 ( * ) de leur donneur. À cette fin, le projet de loi conditionne le don de gamètes ou d'embryons à l'acceptation préalable du tiers donneur de la communication de ses données non identifiantes et de son identité. En cas de refus, le candidat donneur ne pourrait procéder au don.

Les données non identifiantes seraient définies par l'article L. 2143-3 du code de la santé publique et précisées par un décret en Conseil d'État. Il s'agirait de : l'âge, l'état général tel que décrit au moment du don, les caractéristiques physiques, la situation familiale et professionnelle, le pays de naissance et les motivations du don.

Toutes ces données seraient recueillies par le médecin du CECOS au moment du consentement au don et il reviendrait à ce dernier d'apprécier le caractère identifiant ou non d'une information. En cas de doute, il pourrait solliciter l'avis de la commission ad hoc mise en place pour traiter les demandes d'accès. Le donneur pourrait mettre à jour ses données postérieurement au don.

L'article 3 prévoit également de créer une base unique de données relatives aux tiers donneurs, à leurs dons et aux personnes nées à la suite de ces dons, dont le traitement serait confié à l'Agence de la biomédecine. Dans ce cadre, elle assurerait la mise en réseau des CECOS qui sont ses interlocuteurs traditionnels et élaborerait un système d'information garantissant la qualité et la sécurité des données recueillies.

Une commission ad hoc , placée auprès du ministre de la santé, serait constituée pour servir d'interface entre l'Agence de la biomédecine et les personnes conçues par AMP avec donneur qui voudraient exercer leur droit d'accès aux origines. Elle ne pourrait apprécier l'opportunité des demandes, mais serait « chargée d'y faire droit » sous réserve de leur recevabilité.

Enfin, les dispositions du présent article feraient l'objet d'une évaluation sous forme de rapport remis au Parlement.

II - Les modifications adoptées par le Sénat en première lecture

Le Sénat a substantiellement modifié l'article 3 en commission, à l'initiative de son rapporteur 7 ( * ) .

Tout d'abord, la commission a souhaité permettre au donneur d'accepter ou de refuser l'accès à son identité au moment de la demande exprimée par la personne issue de son don , comme cela avait été envisagé par le Gouvernement dans l'article 3 bis de son avant-projet. Seules les données non identifiantes pourraient faire l'objet d'une transmission automatique à la personne issue du don, à sa demande, après sa majorité.

Par cohérence, elle a également introduit l'obligation de recueillir l'accord du conjoint, concubin ou pacsé qui a donné son accord au moment du don lorsqu'un ancien donneur accepte de se soumettre au nouveau statut.

Elle a également fait le choix de confier les missions relatives à l'accès aux données non identifiantes et à l'identité du donneur au Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP) qui existe depuis près de 18 ans, plutôt que de créer une commission ad hoc distincte. Les moyens supplémentaires prévus pour cette commission seraient affectés au CNAOP pour l'aider à développer ses nouvelles compétences, tout en utilisant son expérience développée auprès des personnes adoptées et des pupilles de l'État. Une formation distincte adaptée aux nouvelles missions serait ainsi constituée au sein du CNAOP.

Afin de régler la situation des enfants déjà nés auxquels le projet de loi n'apporte aucune réponse, la commission a confié au CNAOP la mission de recontacter les anciens donneurs en cas de demandes d'accès provenant de personnes nées de dons sous l'ancien régime d'anonymat, et de les interroger sur leur volonté ou non de communiquer leurs informations personnelles, sans attendre qu'ils se manifestent spontanément.

Elle a enfin apporté diverses modifications pour :

- permettre aux donneurs de gamètes ou aux personnes issues d'un don de mettre à jour les données médicales non identifiantes accessibles dans le cadre de l'article L. 1244-6 du code de la santé publique ;

- supprimer les données relatives à l'état général du donneur parmi les données non identifiantes qui créent une confusion avec les données médicales du donneur et préciser que la rédaction des motivations se ferait en concertation avec le médecin du CECOS ;

- préciser la durée maximale de conservation des données et prévoir que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) serait consultée sur différents projets de décret en Conseil d'État dont celui fixant la date de conservation des données du fichier tenu par l'Agence de la biomédecine ;

- supprimer toute possibilité pour le donneur d'obtenir des informations sur les enfants issus de ses dons afin de ne pas porter atteinte à la nature purement altruiste de celui-ci.

Enfin, la commission a supprimé la demande de rapport au Gouvernement, les rapports de l'Agence de la biomédecine ou du CNAOP étant suffisants à l'information du Parlement.

III - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale en deuxième lecture

L'Assemblée nationale a presque entièrement rétabli sa rédaction de première lecture.

Elle a toutefois conservé quatre apports du Sénat 8 ( * ) :

- la possibilité de contacter les tiers donneurs non soumis au nouveau régime pour obtenir leur consentement à la communication de leurs données non identifiantes et leur identité sur demande des personnes issues d'AMP avec don ; cette disposition importante permet d'apporter une réponse aux personnes qui sont actuellement en quête de leurs origines ;

- l'encadrement de la durée maximale de conservation des données relatives au tiers donneur et l'avis de la CNIL sur les décrets relatifs à ces données ;

- la possibilité pour le CNAOP - auquel l'Assemblée nationale n'a pas entendu confier la mission d'intermédiation entre les personnes demandant l'accès aux origines et les tiers donneurs - d'interroger le répertoire national d'identification des personnes physiques ;

- la suppression de la possibilité du tiers donneur de connaître le nombre d'enfants nés grâce à ses dons, ainsi que leurs sexe et année de naissance.

En commission, l'Assemblée nationale a précisé que le décès du tiers donneur était sans incidence sur la communication des données et identité à la personne issue de son don 9 ( * ) . À l'initiative de sa rapporteure, elle a également ajouté que l'identité de la personne ou du couple receveur devait être recueillie par le médecin du CECOS et conservé dans la base de l'Agence de la biomédecine afin que celle-ci puisse s'assurer du respect de la limitation du nombre d'enfants conçus d'un même donneur 10 ( * ) .

En séance, contre l'avis de la commission et du Gouvernement, l'Assemblée nationale a ouvert aux parents la faculté d'obtenir des données non identifiantes concernant le donneur , après la naissance de leur enfant et pendant sa minorité 11 ( * ) .

III - La position de la commission

À l'initiative de son rapporteur, la commission a choisi de rétablir le texte adopté par le Sénat en première lecture , en adoptant l'amendement COM-48 à cet effet.

La commission a maintenu son choix initial d'équilibre entre les intérêts de la personne née d'un don de gamètes (accès aux « origines »), ceux du donneur (droit à sa vie privée et celle de ses proches) et l'intérêt général (ne pas décourager les donneurs de gamètes). Il lui semble en effet indispensable de permettre au donneur d' exprimer son consentement ou son refus de la manière la plus éclairée possible , c'est-à-dire en considération de sa vie privée et familiale telle qu'elle est constituée au moment où se fait la demande d'accès aux origines (au minimum 18 ans après le don). L'Assemblée nationale a accepté une telle solution pour les anciens donneurs ; elle semble donc pouvoir être étendue à tous.

Elle a également souhaité conserver les autres apports du Sénat, en particulier le recours au CNAOP, instance d'ores et déjà expérimentée en matière d'intermédiation relative à l'accès aux origines, et l'accord du conjoint.

Elle est enfin opposée à la possibilité pour les parents d'obtenir les données non identifiantes du donneur pendant la minorité de l'enfant, considérant que ces données ne devraient être accessibles qu'à la demande de celui-ci à sa majorité , seule solution permettant de respecter le choix de la personne issue du don d'en prendre connaissance ou non.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 4
Établissement de la filiation des enfants
nés du recours à une assistance médicale à la procréation
avec tiers donneur par un couple de femmes

Cet article tend à établir la filiation des enfants nés du recours à une assistance médicale à la procréation (AMP) avec donneur par un couple de femmes.

Il propose, dans la version adoptée par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, d'établir la filiation à l'égard de la mère qui n'a pas accouché par une « reconnaissance conjointe » anticipée devant le notaire. Il tend aussi à permettre l'application rétroactive de ce régime pour les enfants nés ou à naître d'une AMP réalisée à l'étranger par un couple de femmes avant l'entrée en vigueur de la présente loi.

La commission n'est pas revenue sur ce dispositif et a adopté cet article sans modification.

I - Le dispositif initial

Cet article institue un nouveau mode d'établissement de la filiation pour les couples de femmes ayant recours à l'assistance médicale à la procréation (AMP) avec tiers donneur 12 ( * ) en créant un nouveau titre VII bis au sein du code civil. La filiation serait établie pour les deux femmes par leur désignation dans la « déclaration anticipée de volonté » approuvée devant le notaire en même temps que le consentement à l'AMP.

Sans modifier le droit existant pour les couples de sexe différent recourant à une AMP avec tiers donneur, le présent article autorise la double filiation maternelle ab initio alors qu'aujourd'hui seule la filiation adoptive (titre VIII du livre I er du code civil) le permet depuis la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

L' Assemblée nationale a, en première lecture , adopté une version largement remaniée de ce dispositif, bien qu'aux effets juridiques identiques , afin de se rapprocher de la terminologie existante en droit de la filiation. Le texte résultant de l'adoption en commission des amendements identiques du Gouvernement et de Coralie Dubost, rapporteur, intègre ce nouveau mode d'établissement de la filiation au sein du titre VII du livre I er du code civil qui régit la filiation fondée sur le modèle de la procréation charnelle et remplace la notion de « déclaration anticipée de volonté » qui figurait dans le projet de loi initial par celle de « reconnaissance conjointe » .

II - Les modifications adoptées par le Sénat en première lecture

Alors que la commission n'avait pas modifié le présent article , malgré la proposition alternative de Muriel Jourda, rapporteur, le Sénat a adopté en séance publique un amendement présenté par Sophie Primas reprenant ce dispositif.

Refusant le principe d'une filiation établie sur le fondement de la volonté pure pour les deux mères et considérant l'adoption comme l'unique possibilité de notre droit d'établir une filiation élective , le texte résultant des travaux du Sénat distinguait l'établissement de la filiation selon que la mère a accouché ou pas .

La femme qui accouche verrait sa filiation établie selon le droit existant , par l'effet de la loi (par sa désignation dans l'acte de naissance, article 311-25 du code civil) ou par la reconnaissance volontaire (article 316 du même code), tandis que la mère d'intention pourrait établir sa filiation par la voie d'une procédure d'adoption simplifiée, accélérée 13 ( * ) et ouverte à tous les couples qu'ils soient mariés, partenaires d'un pacte civil de solidarité (PACS) ou concubins. À la diligence de l'adoptant, l'adoption pourrait être prononcée dans le mois suivant la naissance de l'enfant et prendre effet au jour même de sa naissance 14 ( * ) .

Ce dispositif présentait deux mérites :

- il permettait d'établir la filiation de l'enfant issu de l'AMP lorsqu'un couple de femmes y a recourt en toute sécurité juridique ;

- il utilisait les outils du droit existant sans bouleverser les principes fondamentaux de la filiation .

Au terme de la première lecture, le régime d'établissement de la filiation des enfants nés du recours à une AMP par un couple de femmes est donc diamétralement opposé entre les deux chambres.

III - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale en deuxième lecture et la position de la commission

Dans leur rapport de deuxième lecture, les rapporteurs de l'Assemblée nationale estiment que ce sujet fait partie des « lignes rouges » que « l'Assemblée nationale ne pourra franchir sans porter atteinte à la nature ou à l'équilibre du projet de loi » 15 ( * ) . Selon eux, la solution du Sénat « fait subsister un temps d'incertitude et de risque dont pâtissent non seulement la femme qui n'a pas accouché mais surtout l'enfant, l'être le plus vulnérable » 16 ( * ) . Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la justice à l'époque de l'examen du texte par la commission spéciale en deuxième lecture, ajoute que « ce n'est pas qu'une question de délai, c'est une autre manière d'établir la filiation » 17 ( * ) . Ainsi, « la reconnaissance conjointe anticipée vient sceller le projet parental, qui ne saurait reposer sur la vraisemblance biologique puisqu'elle n'existe pas 18 ( * ) (...). Elle intervient avant de savoir laquelle des deux mères portera biologiquement l'enfant » 19 ( * ) .

Dans cet esprit, adoptant un amendement du rapporteur, Coralie Dubost, avec le soutien du Gouvernement, la commission spéciale de l'Assemblée nationale a rétabli son texte de première lecture - dont l'équilibre n'a pas été modifié en séance publique - avec quelques ajustements rédactionnels, dont certains issus du Sénat et en y apportant deux modifications de fond .

En premier lieu, répondant à l'un des griefs soulevés en première lecture, le texte adopté par l'Assemblée nationale dispose désormais que « la filiation est établie, à l'égard de la femme qui accouche, conformément à l'article 311-25 » du code civil, qui fait découler la filiation maternelle de la désignation de la mère dans l'acte de naissance de l'enfant. La reconnaissance conjointe devant notaire à l'occasion du consentement à l'AMP est maintenue pour les deux femmes , mais elle n'établirait la filiation que pour celle qui n'accouche pas (« l'autre femme »).

En second lieu, la commission spéciale de l'Assemblée nationale a adopté un régime transitoire non codifié (paragraphe IV nouveau) visant à ouvrir rétroactivement le bénéfice de la reconnaissance conjointe devant notaire aux couples de femmes ayant eu recours à une AMP à l'étranger avant l'entrée en vigueur de la loi , lorsque la filiation de l'enfant n'est établie qu'à l'égard de la femme qui a accouché. Il s'agit de faire rétroagir la loi en matière d'état des personnes pour régulariser la filiation des enfants déjà d'une AMP faite à l'étranger par un couple de femmes.

Cette reconnaissance , qui requiert l'accord de la mère qui a accouché , établirait la filiation à l'égard de la mère d'intention, sous réserve du contrôle du procureur de la République, chargé de s'assurer que les conditions requises par la loi sont réunies, afin d'inscrire la mention de cette filiation nouvelle en marge de l'acte de naissance de l'enfant. Ce dispositif, valable trois ans, concernerait les enfants déjà nés - quelle que soit leur date de naissance - et les grossesses en cours. Il exclurait les enfants pour lesquels une seconde filiation a déjà été établie, par exemple par la voie de l'adoption.

La commission n'est pas revenue sur le dispositif adopté par l'Assemblée nationale en deuxième lecture.

La commission a adopté cet article sans modification.

Article 4 bis
Interdiction de la transcription totale d'un acte de naissance
ou d'un jugement étranger établissant ou faisant apparaître
la filiation d'un enfant né d'une gestation pour autrui
lorsqu'il mentionne le parent d'intention

Cet article tend à interdire la transcription totale d'un acte de naissance ou d'un jugement étranger lorsqu'il établit ou fait apparaître la filiation d'un enfant né d'une GPA. Les jugements d'adoption sont exclus de cette prohibition.

Il propose, dans la version adoptée par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, de préciser à l'article 47 du code civil que la réalité des faits qui sont déclarés dans l'acte de l'état civil étranger « est appréciée au regard de la loi française ».

Fidèle à la position du Sénat en première lecture, la commission a rétabli son texte, considérant qu'il était plus opérationnel.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

I - Le dispositif introduit par le Sénat en première lecture

Adopté à l'initiative de Bruno Retailleau, l'article 4 bis introduisait un article 47-1 dans le code civil tendant à interdire la transcription totale de l'acte de naissance ou d'un jugement étranger , à l'exception des jugements d'adoption 20 ( * ) , lorsqu'il établit la filiation d'un enfant né à l'issue d'une convention de gestation pour le compte d'autrui (GPA) sur les registres de l'état civil français concernant le parent d'intention. Il précise que ces dispositions ne font pas obstacle ni à une transcription partielle, ni à l'établissement ultérieur du lien de filiation avec le parent d'intention par la voie de l'adoption.

Cette disposition visait à faire obstacle à l'évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation intervenue fin 2019 , le Sénat ayant considéré qu'elle revenait à vider de sa substance la prohibition de la GPA en France.

À la fin de l'année 2019, la Cour de cassation a tout d'abord rendu dans l'affaire dite « Mennesson » 21 ( * ) un arrêt qui semblait d'espèce 22 ( * ) , autorisant la transcription intégrale d'actes de naissance étrangers d'enfants issus d'une GPA mentionnant le père biologique et la mère d'intention , dès lors que l'acte était probant au sens de l'article 47 du code civil. Elle n'autorisait jusqu'alors que la transcription à l'égard du père biologique. La Cour de cassation a ensuite généralisé cette solution en l'étendant aux couples d'hommes, dans deux arrêts du 18 décembre 2019 23 ( * ) , considérant que sa jurisprudence du 5 juillet 2017 qui ouvre l'adoption au père ou à la mère d'intention ne pouvait trouver à s'appliquer « lorsque l'introduction d'une procédure d'adoption s'avère impossible ou inadaptée à la situation des intéressés » et qu'il convenait donc de faire « évoluer la jurisprudence » au regard de ses impératifs et « afin d'unifier le traitement des situations ».

Cette jurisprudence semblait aller plus loin que ce qu'exige la Cour européenne des droits de l'homme . La CEDH impose, afin d'assurer le droit au respect de la vie privée de l'enfant au titre de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance du lien de filiation avec le parent d'intention , qui doit intervenir au plus tard lorsque le lien avec l'enfant s'est concrétisé. Mais cette reconnaissance peut dûment se faire par d' autres moyens que la transcription de l'acte de naissance de l'enfant , dès lors qu'ils garantissent « l'effectivité et la célérité de leur mise en oeuvre, conformément à l'intérêt supérieur de l'enfant » 24 ( * ) .

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale en deuxième lecture

Souhaitant également revenir à la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation, l'Assemblée nationale a toutefois adopté , à l'initiative de Coralie Dubost, rapporteur, une solution divergente de celle du Sénat, déjà présentée en vain par le Gouvernement devant lui.

Aussi, constatant que la Cour de cassation avait modifié son interprétation de l'article 47 du code civil 25 ( * ) sur la régularité des actes de l'état civil étrangers, en se fondant sur une appréciation de la conformité à la réalité au regard, non plus de la loi française 26 ( * ) , mais de la loi étrangère, l'article 4 bis adopté par l'Assemblée nationale complèterait l'article 47 du code civil pour préciser que la réalité des faits déclarés dans l'acte de l'état civil étranger est appréciée au regard de la loi française .

Au soutien de cette rédaction, deux griefs sont opposés à la solution sénatoriale :

- un risque d'inconventionnalité au regard de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales lorsque l'adoption par le parent d'intention n'est pas possible ;

- et un défaut de cohérence et de lisibilité en raison de l'insertion de dispositions spécifiques régissant une situation particulière au sein des dispositions générales régissant l'ensemble des actes de l'état civil.

III - La position de la commission

La Cour de cassation a confirmé, dans un arrêt du 18 novembre 2020 27 ( * ) , le principe de la transcription totale en matière de GPA , dès lors que l'acte de naissance avait été établi conformément au droit de l'État étranger.

La transcription complète de l'acte n'est pourtant nullement exigée par la CEDH qui a rappelé dans un arrêt du 16 juillet 2020 28 ( * ) que la reconnaissance du lien de filiation de l'enfant entre l'enfant et son père biologique et entre l'enfant et sa mère d'intention, qu'elle soit sa mère génétique ou pas, pouvait être établie par une autre voie. De plus, répondant aux arguments des requérants, la CEDH constate qu'il ne ressort pas des motifs des arrêts du 18 décembre 2019 de la Cour de cassation « que la raison pour laquelle la première chambre civile a procédé à ce revirement de jurisprudence se trouverait dans la durée de la procédure d'adoption ou dans son ineffectivité » 29 ( * ) . Ce faisant, la CEDH retient que « l'adoption de l'enfant du conjoint constitue en l'espèce un mécanisme effectif et suffisamment rapide permettant la reconnaissance du lien de filiation entre les première et troisième requérantes » 30 ( * ) .

Il est vrai que ni les arrêts du 18 décembre 2019 ni celui du 18 novembre 2020 de la Cour de cassation ne cherchent à caractériser le caractère « impossible ou inadapté » de l'adoption.

L'intervention du législateur est donc indispensable pour revenir à un contrôle plus strict de la reconnaissance de la filiation établie à l'étranger à l'issue d'une GPA, ce qui confirme la justesse de l'initiative du Sénat.

La commission n'a toutefois pas été pleinement convaincue par la rédaction de l'Assemblée nationale destinée à faire obstacle à cette jurisprudence, craignant qu'elle ne comble pas le vide juridique actuel puisqu'elle renvoie à l'interprétation du juge l'appréciation d'une situation née d'une GPA sans en délimiter les contours.

Elle a donc préféré, en adoptant l' amendement COM-51 de Muriel Jourda, rapporteur, rétablir la rédaction du Sénat qui paraît plus opérationnelle en prohibant toute transcription complète dans les cas de GPA . L'ouverture de l'adoption aux couples non mariés prévue par une proposition de loi 31 ( * ) adoptée par l'Assemblée nationale devrait permettre en outre d'assurer l'effectivité et la célérité de la reconnaissance du lien de filiation requis par la CEDH. De même, les jugements d'adoption sont exclus de cette prohibition, et leur transcription demeure régie par les règles de droit commun sous le contrôle de l'autorité judiciaire, sans qu'il soit utile de le préciser dans la loi.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.


* 6 A priori , nom, prénoms, date et lieu de naissance.

* 7 Seul un amendement rédactionnel du rapporteur a été adopté en séance.

* 8 Outre certains ajouts rédactionnels.

* 9 Amendement n° 395 de M. Hertzel.

* 10 Art. L. 1244-4 du code de la santé publique : « Le recours aux gamètes d'un même donneur ne peut délibérément conduire à la naissance de plus de dix enfants ».

* 11 Amendement n° 502 de M. Saulignac.

* 12 Conformément à la possibilité ouverte par l'article 1 er du présent projet de loi.

* 13 Aucune condition d'âge ou d'agrément comme le veut la procédure d'adoption de l'enfant du conjoint, étendue aux partenaires de PACS et concubins, avec un consentement à l'AMP chez le notaire valant consentement à l'adoption de la mère qui accouche, suppression de la condition d'accueil de six mois au domicile de l'adoptant et fixation à un mois du délai dans lequel le juge doit se prononcer.

* 14 Lorsque l'adoption est prononcée par le juge, elle « produit ses effets à compter du jour du dépôt de la requête en adoption » (article 355 du code civil).

* 15 Rapport n° 3181 (2019-2020) de Philippe Berta, Coralie Dubost, Jean-François Éliaou, Laëtitia Romeiro Dias, Hervé Saulignac et Jean-Louis Touraine fait au nom de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, en deuxième lecture, sur le projet de loi, modifié par le sénat, relatif à la bioéthique, p. 11. Ce rapport est accessible à l'adresse suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/csbioeth/l15b3181_rapport-fond

* 16 Ibid. supra , p. 13.

* 17 Ibid. supra , p. 450.

* 18 Ibid. supra , p. 434.

* 19 Ibid. supra , p. 450.

* 20 Cette précision a été apportée en séance publique, à l'initiative de Muriel Jourda, rapporteur.

* 21 Cour de cassation, assemblée plénière, arrêt n° 648 du 4 octobre 2019, pourvoi n° 10-19.053.

* 22 Pour un contentieux qui durait depuis plus de quinze ans.

* 23 Cour de cassation, première chambre civile, arrêts n os 1111 et 1112 du 18 décembre 2019, pourvois n os 18-12.327 et 18-11.815.

* 24 Cour européenne des droits de l'homme, grande chambre, avis consultatif n° P16-2018-001 rendu en grande chambre le 4 avril 2019 relatif à la reconnaissance en droit interne d'un lien de filiation entre un enfant né d'une gestation pour autrui pratiquée à l'étranger et la mère d'intention, demandé par la Cour de cassation française.

* 25 « Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. »

* 26 Ce qui signifie par exemple que l'acte de naissance qui désigne la mère d'intention en cas de GPA comme mère n'est pas conforme à la réalité, puisque, en droit français, la mère est celle qui accouche.

* 27 Cour de cassation, première chambre civile, 18 novembre 2020, arrêt n° 710, pourvoi n° 19-50-043.

* 28 Cour européenne des droits de l'homme, cinquième chambre, 16 juillet 2020, requête n° 11288/18.

* 29 Ibid . supra . paragraphe 69.

* 30 La mère d'intention et l'enfant.

* 31 Proposition de loi n° 188 (2020-2021) adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à réformer à l'adoption.

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