TITRE II

PROMOUVOIR LA SOLIDARITÉ
DANS LE RESPECT DE L'AUTONOMIE DE CHACUN

CHAPITRE IER

Conforter la solidarité dans le cadre
du don d'organes, de tissus et de cellules

Article 5 A
Statut de donneur d'organes

L'Assemblée nationale a supprimé en deuxième lecture cet article inséré par le Sénat et posant les bases d'un statut de donneur d'organe.

La commission spéciale l'a rétabli dans la rédaction de première lecture.

• Cet article, inséré par le Sénat à l'initiative de son rapporteur, pose les bases d'un statut de donneur d'organes afin de contribuer à favoriser le don et à répondre ainsi aux ambitions du plan greffes : il s'agit, d'une part, d'ouvrir la voie à une reconnaissance symbolique sous la forme d'une décoration honorifique et, d'autre part, de reconnaître explicitement le principe de neutralité financière du don.

• En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a supprimé cet article. La commission spéciale a adopté en ce sens deux amendements présentés par les députés Emmanuelle Ménard (non inscrite) et Bastien Lachaud (La France insoumise), considérant que le don doit être désintéressé de toute récompense ou distinction honorifique, en particulier lorsqu'il a lieu en intrafamilial. Le rapporteur Hervé Saulignac s'est déclaré favorable à ces amendements de suppression : relevant que « distinguer, c'est un peu identifier », il a estimé que l'attribution d'une distinction honorifique contrevenait au principe d'anonymat du don, voire au principe de gratuité ; il a par ailleurs considéré que le droit de la bioéthique incluait déjà « tous les éléments permettant de garantir la neutralité financière du don », la neutralité allant d'ailleurs selon lui au-delà de la seule neutralité financière, en imposant également que l'état de santé du donneur ne se dégrade pas alors même qu'il a consenti à un geste important.

• Le rapporteur entend ces arguments sans toutefois souscrire à l'ensemble de l'analyse portée par l'Assemblée nationale .

Des associations comme Renaloo sont en effet favorables à une meilleure reconnaissance de ce geste altruiste, plaidant pour un statut de donneur dont le CCNE n'avait pas exclu le principe dans son avis préparatoire à la révision de la loi de bioéthique : si la neutralité financière du don est en effet déjà censée être garantie, il s'agit désormais de donner toute leur portée à des dispositions éparses souvent mal connues et donnant lieu à des démarches parfois complexes pour les donneurs.

S'agissant du don du vivant, le principe d'anonymat est déjà levé puisque le donneur est un membre de la famille du receveur ou un proche. Une reconnaissance symbolique individuelle, loin de constituer une forme de contrepartie au don à l'instar des reconnaissances collectives déjà inscrites dans nos textes 32 ( * ) , peut marquer l'attachement de la Nation à promouvoir une démarche tournée vers l'autre et justement désintéressée.

Afin de poursuivre les discussions sur ce sujet attaché aux enjeux de promotion du don, la commission spéciale a adopté l'amendement COM-52 de son rapporteur rétablissant la rédaction de première lecture de cet article.

La commission a adopté cet article ainsi rédigé.

Article 6
Possibilité de prélever des cellules souches hématopoïétiques
sur un mineur ou un majeur protégé au bénéfice de ses parents

Cet article tend à permettre le prélèvement de cellules souches hématopoïétiques sur un mineur ou un majeur protégé au bénéfice de l'un de ses parents en prévoyant un mécanisme particulier de représentation par un administrateur ad hoc pour assurer la représentation de l'enfant mineur ou du majeur protégé.

Conformément à la position du Sénat en première lecture, la commission a souhaité rétablir la possibilité de recueillir directement le consentement du mineur de 16 ans sans s'en remettre à un administrateur ad hoc .

Elle a adopté cet article ainsi modifié.

I - Le dispositif initial

L'article 6 du projet de loi vise à autoriser les prélèvements de cellules souches hématopoïétiques sur un mineur ou un majeur protégé lorsque le receveur est un parent ou, s'agissant de la personne protégée, la personne exerçant la mesure de protection ou un descendant ou un collatéral de la personne chargée de la mesure de protection. Ce dispositif pourrait concerner une cinquantaine de greffes par an.

Dans ces deux cas, le refus exprimé par le donneur pressenti continuerait à faire obstacle au prélèvement et les dérogations seraient entourées de précautions particulières compte tenu du fait que le receveur est le représentant légal du donneur ou un proche de ce représentant légal :

- pour le mineur , un administrateur ad hoc serait désigné par le président du tribunal judiciaire en dehors du cercle familial - ni un ascendant, ni un collatéral - pour représenter le mineur en lieu et place de ses parents ;

- pour le majeur faisant l'objet d'une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne 33 ( * ) , un administrateur ad hoc serait nommé par le juge des tutelles 34 ( * ) . Si après l'avoir entendue, le juge des tutelles estime que la personne protégée a la faculté de consentir au prélèvement , il reçoit ce consentement au prélèvement. Dans le cas contraire, il autorise le prélèvement après avoir recueilli l'avis de la personne concernée - lorsque cela est possible -, de la personne chargée de la mesure de protection, lorsque celle-ci n'est ni le receveur, ni un descendant, ni un collatéral du receveur, du comité d'experts et, le cas échéant, de l'administrateur ad hoc .

Dans tous les cas, le prélèvement ne pourrait être réalisé qu'après avoir été autorisé par le comité d'experts donneur vivant ou avoir reçu son avis favorable.

Pour un majeur faisant l'objet d'une mesure de protection juridique avec représentation relative aux biens, aucune procédure dérogatoire ne s'appliquerait plus, en cohérence avec l'article 7 du projet de loi.

II - Les modifications adoptées par le Sénat en première lecture

À l'initiative de son rapporteur, la commission a souhaité abaisser l'âge du consentement afin qu'un mineur de 16 ans 35 ( * ) puisse lui-même consentir au prélèvement de cellules souches hématopoïétiques (CSH) au bénéfice de l'un de ses parents et ainsi lui-même assumer la décision et l'exprimer directement . Par cohérence, cet abaissement de l'âge du consentement jouerait également dans les autres hypothèses de dons intrafamiliaux de cellules souches hématopoïétiques.

Le consentement libre et éclairé du mineur de 16 ans pourrait être vérifié par le président du tribunal judiciaire auprès duquel il comparaitrait personnellement, éventuellement accompagné d'un avocat, et par le comité d'experts donneur vivant par lequel il serait reçu. Ce comité d'experts, lorsqu'il se prononce sur les prélèvements sur personne mineure, comporte une personne qualifiée dans le domaine de la psychologie de l'enfant et un pédiatre 36 ( * ) .

La fixation de la condition d'âge à 16 ans apparaît cohérente avec d'autres dispositions légales qui prévoient la capacité d'exercice sans autorisation parentale telles que l'émancipation, l'acquisition de la nationalité française ou plus récemment, l'âge minimum requis pour s'inscrire sur les réseaux sociaux (règlement général sur la protection des données).

En séance, le Sénat a ajouté, à l'initiative du rapporteur de la commission spéciale, les enfants dans la liste des membres de la famille qui peuvent bénéficier d'un don de cellules souches hématopoïétiques de la part d'un personne vivante majeure faisant l'objet d'une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne. Il est apparu en effet souhaitable que les enfants soient intégrés dans la liste des receveurs potentiels au même titre que des membres de la famille plus éloignés tels les cousins.

III - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale en deuxième lecture

L'Assemblée nationale a souhaité supprimer la capacité d'un mineur à consentir lui-même, à partir de 16 ans, au prélèvement de cellules souches hématopoïétiques dans le cadre d'un don intrafamilial.

Les députés ont ainsi voulu « préserver la logique consistant à tenir compte de la maturité du mineur tout en lui conservant la protection due au titre de son état de minorité, donc, concrètement, à solliciter son avis sans lui laisser la responsabilité du consentement » 37 ( * ) .

IV - La position de la commission

La commission a souhaité rétablir le texte qu'elle avait adopté en première lecture, étant précisé que l'abaissement de l'âge de consentement à 16 ans n'est pas contraire à la convention d'Oviedo 38 ( * ) .

Son article 6 dispose « que l'avis du mineur doit être considéré comme un facteur de plus en plus déterminant, proportionnellement à son âge et à sa capacité de discernement » ce qui signifie, selon le rapport explicatif qui a été établi pour son interprétation, « que, dans certaines hypothèses, qui tiennent compte de la nature et de la gravité de l'intervention ainsi que de l'âge et du discernement du mineur, l'avis de celui-ci devra peser de plus en plus dans la décision finale. Cela pourrait même mener à la conclusion que le consentement d'un mineur devrait être nécessaire, voire suffisant, pour certaines interventions . »

Elle a adopté l'amendement COM-53 du rapporteur, ainsi que l'amendement identique COM-9, en conséquence.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 7
Levée partielle de l'interdiction des dons d'organes,
de tissus et de cellules applicable aux majeurs protégés

Cet article tend à autoriser les majeurs bénéficiant d'une protection juridique avec représentation relative aux biens ou assistance à faire des dons d'organes, de tissus et de cellules. Il vise également à soumettre tous les majeurs protégés au régime de droit commun du prélèvement d'organes post mortem .

Reprenant la position qu'elle avait adoptée en première lecture, la commission a rétabli l'absence de présomption de consentement de don post mortem des personnes majeures faisant l'objet d'une protection juridique avec représentation à la personne.

Elle a adopté cet article ainsi modifié.

I - Le dispositif initial

En cohérence avec l'article 459 du code civil, l'article 7 prévoit de soumettre au droit commun applicable en matière de don d'organes, de tissus et de cellules de son vivant les personnes bénéficiant d'une assistance ou d'une représentation mais uniquement pour la gestion de leurs biens , que ce soit dans le cadre d'une sauvegarde de justice, d'une curatelle, d'une tutelle aux biens, d'un mandat de protection future ou d'une habilitation familiale, considérant qu'ils sont aptes à exprimer un consentement éclairé en matière médicale.

Le majeur protégé bénéficierait alors des mêmes protections que tout donneur vivant , et en particulier, en cas de don d'organes, d'une procédure en trois temps : information par le comité d'experts donneur vivant, vérification du caractère libre et éclairé de son consentement par un juge, puis autorisation donnée par ce même comité d'experts.

Seules les personnes faisant l'objet d'une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne resteraient soumises à la restriction des articles L. 1231-2 39 ( * ) , L. 1235-2 40 ( * ) et L. 1241-2 41 ( * ) du code de la santé publique.

L'article 7 propose également de soumettre l'ensemble des majeurs protégés, quelles que soient les mesures de protection dont ils bénéficient, au droit commun en matière de prélèvement post mortem , c'est-à-dire de considérer qu'ils sont présumés donneurs.

II - Les modifications adoptées par le Sénat en première lecture

La commission, à l'initiative de son rapporteur, a souhaité n'appliquer le droit commun du prélèvement post mortem qu'aux majeurs faisant l'objet d'une protection juridique avec représentation relative aux biens ou assistance .

Elle a considéré qu'il est peu probable qu'un majeur dont, par définition, les facultés mentales ou corporelles sont altérées et l'empêchent de pourvoir seul à ses intérêts, ait la capacité d'autonomie, voire de discernement, pour être informé du système du consentement présumé, en comprendre les enjeux et s'inscrire sur le registre national des refus - un dispositif par ailleurs peu connu de la population en général malgré les campagnes d'information de l'Agence de la biomédecine - ou exprimer un refus à son entourage .

De plus, ce choix de s'inscrire ou non de son vivant sur le registre national des refus et de laisser ou non prélever ses organes après sa mort, est un choix éminemment personnel qui n'est pas pris dans l'intérêt de la personne, mais dans un but purement altruiste et qui, de ce fait, ne relève pas de la mission d'un représentant légal .

Dans ces conditions, il semble préférable de ne pas laisser pratiquer des prélèvements d'organes après la mort des majeurs faisant l'objet d'une protection juridique relative avec représentation à la personne, ce d'autant plus que le contrôle a minima prévu dans le droit actuel - le consentement écrit du tuteur - ne peut être maintenu compte tenu de la cessation de sa mission au décès du majeur protégé en application de l'article 418 du code civil.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale en deuxième lecture

En séance, contre l'avis de la commission, mais avec un avis favorable du Gouvernement, l'Assemblée nationale a réintégré les personnes majeures faisant l'objet d'une protection juridique avec représentation relative à la personne dans le droit commun du don post mortem , et ainsi rétabli la présomption de consentement 42 ( * ) .

III - La position de la commission

La commission a rétabli son texte initial , mettant en cohérence le don post mortem avec le régime choisi par le Gouvernement en matière de dons d'organes, de tissus et de cellules de son vivant qui restent interdits pour les majeurs faisant l'objet d'une protection juridique avec représentation à la personne, sauf en cas de greffe en domino ou de don de cellules souches hématopoïétiques, deux exceptions justifiées : soit l'organe est déjà prélevé dans l'intérêt thérapeutique du majeur protégé, soit son don bénéficie directement à un membre de sa famille.

L'argument entendu dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale selon lequel il faudrait faciliter le don d'organes en raison de la pénurie de dons n'est pas recevable lorsqu'il s'agit du respect de la personne et du corps des majeurs protégés 43 ( * ) .

La commission a adopté l'amendement COM-54 et cet article ainsi modifié.


* 32 À l'instar de la création d'un « lieu de mémoire destiné à l'expression de la reconnaissance aux donneurs d'éléments de leur corps en vue de greffe » dans les établissements de santé (article L. 1233-3 du code de la santé publique, issu de la loi de bioéthique de 2004) ou de la « Journée nationale de réflexion sur le don d'organe et la greffe et de reconnaissance envers les donneurs » instituée par l'article 10 de la loi de bioéthique de 2011.

* 33 Il s'agit très majoritairement de majeurs en tutelle, mais également des majeurs qui font l'objet d'habilitation familiale ou de mandat de protection future.

* 34 Fonction exercée par le juge des contentieux de la protection en application de l'article L. 213-4-2 du code de l'organisation judiciaire.

* 35 À ce jour, selon les informations obtenues de l'Agence de la biomédecine, seules deux demandes de dérogation relatives à des dons de cellule souches hématopoïétiques d'un mineur vers l'un de ses parents ont été formulées et il s'agissait dans les deux cas de mineurs de plus de 17 ans.

* 36 En application de l'article L. 1231-3 du code de la santé publique.

* 37 Rapport n° 3181 (2019-2020) de Philippe Berta, Coralie Dubost, Jean-François Éliaou, Laëtitia Romeiro Dias, Hervé Saulignac et Jean-Louis Touraine fait au nom de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, en deuxième lecture, sur le projet de loi, modifié par le sénat, relatif à la bioéthique, p. 76. Ce rapport est accessible à l'adresse suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/csbioeth/l15b3181_rapport-fond

* 38 Convention pour la protection des Droits de l'Homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, Oviedo, 4 avril 1997 (Série des traités européens - n° 164).

* 39 Exclusion de tout prélèvement d'organes.

* 40 Encadrement des greffes « domino », lorsqu'un organe fonctionnel est prélevé lors d'une intervention chirurgicale effectuée dans l'intérêt de la personne opérée et peut être transplanté au bénéfice d'un tiers.

* 41 Interdiction de tout prélèvement de tissus ou de cellules et toute collecte de produits du corps humain en vue de don.

* 42 Amendement n° 937 du groupe La France insoumise.

* 43 Compte rendu intégral de la première séance du vendredi 31 juillet 2020 : http://www.assemblee-nationale.fr/15/cri/2019-2020-extra/20201028.asp#P2172857

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