Rapport n° 76 (2021-2022) de Mme Nicole DURANTON , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 20 octobre 2021

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SOMMAIRE

Pages

N° 76

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 octobre 2021

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de la Convention n° 190 de l' Organisation internationale du Travail relative à l' élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail ,

Par Mme Nicole DURANTON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean-Marc Todeschini , vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Philippe Paul, Hugues Saury , secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Abdallah Hassani, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Mme Isabelle Raimond-Pavero, MM. Stéphane Ravier, Bruno Sido, Rachid Temal, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

4216 , 4366 et T.A. 658

Sénat :

802 (2020-2021) et 77 (2021-2022)

L'ESSENTIEL

Réunie le 20 octobre 2021, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de Mme Nicole Duranton sur le projet de loi n° 802 (2020-2021) autorisant la ratification de la convention n° 190 de l'Organisation internationale du travail relative à l'élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail .

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, sans modification, le projet de loi précité que l'Assemblée nationale avait adopté, en première lecture, le 23 juillet 2021.

*

* *

Sur l'initiative de la Confédération syndicale internationale, l'Organisation internationale du travail (OIT) a inscrit, en 2015 - soit avant la campagne Me Too -, la lutte contre la violence et le harcèlement dans le monde du travail à l'ordre du jour de sa conférence annuelle 1 ( * ) . Après deux années de négociation, de 2018 à 2019, la convention n° 190 a été adoptée à une très large majorité, ainsi que la recommandation n° 206 qui la complète en précisant les modalités de sa mise en oeuvre.

I. LA FRANCE A JOUÉ UN RÔLE MOTEUR, UNANIMEMENT SALUÉ, POUR L'ADOPTION D'UN INSTRUMENT AMBITIEUX

A. UNE CONVENTION À LA PORTÉE HISTORIQUE

La convention n° 190 est la première norme internationale sur la violence et le harcèlement qui s'exerce « à l'occasion, en lien avec ou du fait du travail » . Elle prévoit l'instauration de moyens de protection et de prévention, souligne la nécessité de garantir des voies de recours et de réparation, et incite les États membres à mettre en place des orientations, des formations et des actions de sensibilisation en ce domaine.

Les organisations syndicales et les ONG auditionnées ont toutes salué le rôle joué par le Gouvernement lors des négociations, soulignant que la France avait assumé le porte-parolat du bloc européen et avait ainsi largement contribué à faire de la convention n° 190 un instrument international à la portée ambitieuse.

B. DES STIPULATIONS JURIDIQUEMENT CONTRAIGNANTES

Aucun instrument international n'était, jusqu'alors, consacré à la lutte contre la violence et le harcèlement dans le monde du travail qui sont définis à l'article 1 er comme « un ensemble de comportements et de pratiques inacceptables, ou de menaces de tels comportements et pratiques, qu'ils se produisent à une seule occasion ou de manière répétée, qui ont pour but de causer, causent ou sont susceptibles de causer un dommage d'ordre physique, psychologique, sexuel ou économique, et comprend la violence et le harcèlement fondés sur le genre » . Cette définition, volontairement large - voire floue à certains égards - permet de couvrir l'ensemble des cas de violences et de harcèlement et de répondre aux définitions que chaque État membre de l'OIT peut en donner.

Le champ d'application de la convention est fixé à son article 2. Elle entend protéger « les travailleurs et autres personnes dans le monde du travail » (salariés, apprentis, stagiaires, demandeurs d'emploi, bénévoles, employeurs) et « s'applique à tous les secteurs, public ou privé, dans l'économie formelle ou informelle » .

Par ailleurs, aux termes de l'article 3, la convention vise les actes « s'exerçant à l'occasion, en lien avec ou du fait du travail » , c'est-à-dire sur le lieu de travail et de repos, dans un logement de fonction, lors des déplacements professionnels et des trajets entre le domicile et le travail, ou encore dans le cadre des communications professionnelles.

Les articles 4 à 6 posent les principes fondamentaux de la convention et imposent aux États ratificateurs :

- de « respecter, promouvoir et réaliser le droit de toute personne à un monde du travail exempt de violence et de harcèlement » , ainsi que « la liberté d'association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective, l'élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire, l'abolition effective du travail des enfants et l'élimination de la discrimination en matière d'emploi et de profession, et aussi [...] le travail décent » ;

- d'adopter « une approche inclusive, intégrée et tenant compte des considérations de genre, qui vise à prévenir et à éliminer la violence et le harcèlement dans le monde du travail » . Pour ce faire, les États parties à la convention doivent mettre en oeuvre une politique pertinente de lutte contre ce phénomène, incluant des outils de prévention, de formation et de sensibilisation, ainsi que des mécanismes de contrôle de cette politique et de sanctions ;

- d'adopter « une législation et des politiques garantissant le droit à l'égalité et à la non-discrimination dans l'emploi et la profession, notamment aux travailleuses, ainsi qu'aux travailleurs et autres personnes appartenant à un ou plusieurs groupes vulnérables [...] qui sont touchés de manière disproportionnée par la violence et le harcèlement dans le monde du travail » . Aussi la convention reconnaît-elle que l'appartenance à certains groupes de population (minorités ethniques, handicapés, LGBT, précaires, migrants, etc.), qui ne sont pas expressément cités, accroît le risque de violence et de harcèlement à leur endroit dans le monde du travail.

Les mesures de protection et prévention à mettre en oeuvre sont détaillées aux articles 7 à 9. Les parties doivent notamment, en concertation avec leurs partenaires sociaux, proscrire la violence et le harcèlement fondés sur le genre, et identifier les secteurs, professions et modalités de travail les plus exposés. En outre, elles doivent prescrire aux employeurs de prendre des mesures de prévention contre la violence et le harcèlement, fondés notamment sur le genre, « dans la mesure où cela est raisonnable et pratiquement réalisable » .

L'article 10 traite du contrôle de l'application des mesures de prévention et de lutte contre les faits de harcèlement et de violence, et de la nécessité de garantir, le cas échéant, des voies de recours et de réparation aux victimes, tout en protégeant leur vie privée, ainsi que des sanctions à l'encontre des auteurs.

L'article 11 souligne quant à lui l'importance des actions de formation et de sensibilisation à la violence et au harcèlement au travail, au même titre que celles relatives à la sécurité et la santé au travail, ou à l'égalité professionnelle.

II. UNE RATIFICATION À DROIT CONSTANT DÉNONCÉE PAR LES ORGANISATIONS SYNDICALES

D'après l'étude d'impact annexée au projet de loi, la législation française est conforme aux stipulations de la convention et ne nécessite aucune modification de notre droit interne. Les organisations syndicales et les ONG contestent cette interprétation juridique et appellent à faire évoluer le droit français sur plusieurs points.

À ce titre, le rapporteur souhaite formuler plusieurs propositions pour faire avancer notre législation en la matière, comme la recommandation n° 206 nous y invite.

A. LES MESURES MISES EN PLACE EN FRANCE MÉRITERAIENT D'ÊTRE RENFORCÉES

Les organisations auditionnées par le rapporteur regrettent que le présent projet de loi n'ait pas été l'occasion d'un réexamen du dispositif de lutte contre les violences et le harcèlement au travail, au regard, notamment, de la recommandation n° 206, adoptée au même titre que la convention n° 190 mais dénuée de portée normative - la recommandation n'est d'ailleurs pas soumise à l'examen du Parlement.

1. Renforcer les prérogatives des référents harcèlement et les moyens qui leur sont alloués

La loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel impose la désignation de deux référents en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes : le premier est désigné parmi les membres du comité social et économique (CSE), et le second directement par l'employeur dans les entreprises d'au moins 250 salariés.

S'agissant des très petites entreprises (moins de 11 salariés), où la mise en place d'un CSE n'est pas possible, les commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI), dont l'objet est de représenter les salariés de ces entreprises, ont notamment pour mission « d'apporter des informations, de débattre et de rendre tout avis utile sur les questions spécifiques aux entreprises de moins de onze salariés et à leurs salariés, notamment en matière [...] de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes » (article L23-113-1 du code du travail).

D'après les organisations syndicales, ces référents ne sont pas formés à l'accompagnement des victimes de violences et ne disposent d'aucun moyen pour l'exercice de leur mandat (local pour recueillir les témoignages, etc.). En outre, ces référents doivent souvent assumer les prérogatives de membre de CSE, ce qui limite le temps consacré à cette mission. Enfin, le périmètre de leurs prérogatives mériterait d'être étendu pour leur permettre, entre autres, d'assister une victime lors d'un entretien avec sa hiérarchie ou avec la direction des ressources humaines de l'entreprise.

Proposition n° 1 : Dresser le bilan de la mise en place des référents harcèlement et apporter les ajustements nécessaires (effectifs, missions, prérogatives, formation, moyens, etc.) pour garantir leur efficacité.

2. Améliorer la formation et la vigilance en ce domaine

En 2014, le Défenseur des droits publiait une enquête consacrée au harcèlement sexuel au travail, selon laquelle une femme sur cinq aurait fait l'objet de harcèlement sexuel au travail. Ces victimes n'osaient que rarement en parler et engager une action pour faire valoir leurs droits. D'après cette même enquête, 82 % des employeurs n'avaient pas mis en place d'action de prévention en la matière, signe d'une certaine banalisation du phénomène.

L'employeur est pourtant tenu à une obligation de sécurité à l'égard de ses salariés et doit prendre, à ce titre, toutes les mesures nécessaires à la protection de leur santé morale et physique :

- informer les salariés des dispositions de l'article 222-33 du code pénal relatif à l'exhibition et au harcèlement sexuels, ainsi que des actions contentieuses civiles et pénales ouvertes en matière de harcèlement sexuel, et des coordonnées des autorités et services compétents (référents d'entreprise, inspection du travail, médecine du travail, Défenseur des droits) ;

- rappeler, dans le règlement intérieur de l'entreprise, les dispositions du code du travail relatives au harcèlement ;

- prévoir une sensibilisation plus globale des salariés, sans qu'une telle campagne ne revête un quelconque caractère obligatoire.

Ces mesures d'information doivent être complétées, en tant que de besoin, par des formations destinées aux membres de l'encadrement. Ainsi, les membres du comité social et économique de l'entreprise « bénéficient de la formation nécessaire à l'exercice de leurs missions en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail » (article L2315-18 du code du travail), afin de leur permettre « de développer leur aptitude à déceler et à mesurer les risques professionnels et leur capacité d'analyse des conditions de travail » et « de les initier aux méthodes et procédés à mettre en oeuvre pour prévenir les risques professionnels et améliorer les conditions de travail » (article R2315-9 du même code).

En outre, l'employeur doit élaborer un « document unique d'évaluation des risques », au sein duquel les risques de harcèlement sexuel, de harcèlement moral et d'agissement sexiste doivent être pris en compte.

Cependant, lors du « Grenelle sur les violences conjugales », les experts ont souligné certaines lacunes en matière de formation et se sont largement prononcés en faveur d'une amélioration du dispositif à destination de tous les professionnels en contact avec des femmes victimes de violences, comme les cadres intermédiaires et supérieurs et les personnels des ressources humaines.

Proposition n° 2 : Imposer aux cadres intermédiaires et supérieurs, ainsi qu'aux personnels des ressources humaines, une obligation de formation sur la question de la violence et du harcèlement au travail.

Enfin, dans une économie mondialisée, le devoir de vigilance 2 ( * ) des entreprises doit s'étendre à l'ensemble de leur chaîne d'approvisionnement afin de veiller au respect des dispositions de la convention y compris par leurs sous-traitants et leurs fournisseurs.

Proposition n° 3 : Étendre le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre aux cas de violence et de harcèlement au travail.

3. Prendre en compte les violences domestiques dans la sphère professionnelle

Dans le préambule de la convention, la conférence générale de l'OIT note « que la violence domestique peut se répercuter sur l'emploi, la productivité ainsi que sur la santé et la sécurité, et que les gouvernements, les organisations d'employeurs et de travailleurs et les institutions du marché du travail peuvent contribuer, dans le cadre d'autres mesures, à faire reconnaître les répercussions de la violence domestique, à y répondre et à y remédier » .

Lors de son audition devant la délégation aux droits des femmes du Sénat le 5 octobre 2021, Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, a ouvert la porte à une évolution législative sur cette question, tout en la subordonnant à une négociation préalable entre les partenaires sociaux, eu égard à la sensibilité du sujet pour les organisations patronales. Or, les employeurs sont réticents à l'idée de tenir compte, dans la sphère professionnelle, de violences subies dans la sphère privée.

Par conséquent, il est difficile de progresser sur cette question si le Gouvernement n'invite pas formellement les partenaires sociaux à en débattre. À ce titre, le quatrième plan santé au travail (PST 4) en cours d'élaboration devra prévoir un volet consacré à cette question, afin que des discussions tripartites puissent avoir lieu.

Proposition n° 4 : Inclure un volet consacré à la violence et au harcèlement dans le travail d'élaboration du prochain « plan santé au travail » (PST 4).

De grandes entreprises françaises ont une politique volontariste pour faire reculer les violences dont leurs collaboratrices peuvent être victimes, y compris lorsqu'il s'agit de violences domestiques :

- la Société d'exploitation de la tour Eiffel a nommé des référents de proximité (un par service) qui bénéficient de quatre heures de formation par an ;

- le groupe Orange ouvre une aide au relogement d'urgence pour les victimes de violences conjugales, sous réserve qu'elles déposent plainte ;

- à La Poste , la direction des ressources humaines et le personnel encadrant sont tenus de tout mettre en oeuvre pour proposer une solution de mobilité géographique ;

- chez Stellantis , lorsqu'un membre du personnel est victime de violences conjugales, le service compétent veille, en toute discrétion, à lui apporter un soutien juridique.

Ces actions sont donc le fait de grands groupes qui disposent des ressources nécessaires à leur mise en oeuvre, et les progrès enregistrés sont bien souvent le fruit de négociations entre les partenaires sociaux. Par conséquent, il semble important d'intégrer cette thématique aux négociations annuelles sur la qualité de vie au travail, obligatoires dans les entreprises dotées d'organisations syndicales représentatives.

Proposition n° 5 : Faire de la violence et du harcèlement au travail un thème obligatoire des négociations annuelles sur la qualité de vie au travail.

En matière de prise en compte des violences faites aux femmes, la France accuse un certain retard par rapport à certains pays tels que l'Espagne, le Canada et la Nouvelle-Zélande.

Dans ces pays, l'entreprise est considérée comme un lieu d'écoute, d'accueil et d'accompagnement des victimes. Aussi les victimes peuvent-elles bénéficier d'un aménagement de poste et d'horaires, d'absences rémunérées pour accomplir leurs démarches (médicales, juridiques, administratives, etc.) et d'une mobilité fonctionnelle, voire géographique, choisie dans l'entreprise. En outre, leur licenciement y est interdit ( cf. infra ).

Comme indiqué précédemment, ces mesures peuvent exister en France, mais elles sont laissées à la discrétion des entreprises qui, lorsqu'elles sont de taille modeste, sont rarement adoptées.

En conséquence, une réflexion sur le sujet mériterait, là aussi, d'être débattue au plan national entre les partenaires sociaux. Il s'agirait d'accorder de nouveaux droits aux victimes de violences conjugales, ouverts sur présentation d'un certificat médical ou d'un dépôt de plainte (ou de main courante), pour leur permettre de se mettre en sécurité et de se reconstruire.

Proposition n° 6 : Créer de nouveaux droits pour les victimes, en s'inspirant des meilleures pratiques à l'étranger, pour leur permettre de se mettre en sécurité et de se reconstruire.

4. Garantir l'autonomie économique des victimes de violence

Le droit français permet à un salarié démissionnaire victime de violences conjugales de bénéficier des allocations chômage et de débloquer son épargne salariale qui, cependant, n'existe pas dans toutes les entreprises.

Même si elles sont bienvenues, ces mesures se révèlent insuffisantes pour garantir aux victimes une indépendance économique leur permettant de s'éloigner d'un conjoint violent. En effet, la perte d'un emploi, qu'elle soit consécutive à une démission ou à un licenciement, précarise les victimes de violences conjugales et obère leur indépendance économique.

Proposition n° 7 : Protéger les victimes de violences domestiques contre le licenciement.

B. DES ÉCHÉANCES À NE PAS MANQUER

La France prendra, au premier semestre 2022, la présidence du Conseil de l'Union européenne. À ce titre, notre pays devra jouer un rôle moteur pour que, d'une part, les États membres ratifient puis appliquent les dispositions de la convention n° 190 dans des délais raisonnables, et d'autre part, que la lutte contre la violence et le harcèlement au travail soit définie comme l'une des priorités de cette présidence.

À cet égard, la France devra montrer l'exemple pour que la convention soit appliquée de façon ambitieuse, en invitant formellement les partenaires sociaux à discuter des points d'amélioration identifiés par le rapporteur, destinés à faire progresser notre droit interne et à abolir la violence et le harcèlement en milieu professionnel.

Il convient enfin de souligner que, deux ans après la ratification, la France devra adresser à l'OIT un rapport sur l'application de la convention sur notre territoire. Ce rapport, qui sera examiné par un comité d'experts indépendants, pourra être commenté par les partenaires sociaux. Le bilan devra être établi à une échéance relativement proche, ce qui doit inciter le Gouvernement à proposer des négociations tripartites dans les meilleurs délais afin de traduire au plus vite le résultat de leurs négociations sur le plan législatif.

LISTE DES PROPOSITIONS

Renforcer les prérogatives des référents harcèlement et les moyens qui leur sont alloués

1°) Dresser le bilan de la mise en place des référents harcèlement et apporter les ajustements nécessaires (effectifs, missions, prérogatives, formation, moyens, etc.) pour garantir leur efficacité.

Améliorer la formation et la vigilance en ce domaine

2°) Imposer aux cadres intermédiaires et supérieurs, ainsi qu'aux personnels des ressources humaines, une obligation de formation sur la question de la violence et du harcèlement au travail.

3°) Étendre le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre aux cas de violence et de harcèlement au travail.

Prendre en compte les violences domestiques dans la sphère professionnelle

4°) Inclure un volet consacré à la violence et au harcèlement dans le travail d'élaboration du prochain « plan santé au travail » (PST 4).

5°) Faire de la violence et du harcèlement au travail un thème obligatoire des négociations annuelles sur la qualité de vie au travail.

6°) Créer de nouveaux droits pour les victimes, en s'inspirant des meilleures pratiques à l'étranger, pour leur permettre de se mettre en sécurité et de se reconstruire.

Garantir l'autonomie économique des victimes de violence

7°) Protéger les victimes de violences domestiques contre le licenciement.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 20 octobre 2021, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de Mme Nicole Duranton sur le projet de loi n° 802 (2020-2021) autorisant la ratification de la Convention n° 190 de l'Organisation internationale du Travail relative à l'élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail.

M. Christian Cambon, président . - Nous examinons à présent le projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 190 de l'Organisation internationale du travail relative à l'élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail, sur le rapport de notre collègue Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton, rapporteur . - Sur l'initiative de la Confédération syndicale internationale, l'OIT a inscrit la lutte contre la violence et le harcèlement dans le monde du travail à l'ordre du jour de sa conférence annuelle. En juin 2019, et après deux années de négociation, la convention n° 190, qui comprend vingt articles, a été adoptée à une très large majorité, ainsi que la recommandation n° 206 qui la complète pour préciser les modalités de sa mise en oeuvre. Je souligne à cet égard que seule la convention est soumise à l'examen du Parlement, la recommandation n'ayant aucune portée normative.

Le thème de la violence et du harcèlement au travail a été mis en lumière ces dernières années à la faveur de la campagne #MeToo et de plusieurs affaires judiciaires très médiatisées. Il est toutefois intéressant de relever qu'aucune étude statistique fiable n'existe sur les violences sexistes et sexuelles au travail, ce qui tend à démontrer que le phénomène est insuffisamment pris en compte, voire tabou en France. L'OIT va donc lancer un chantier visant à définir des agrégats statistiques sur le sujet, comparables d'un pays à l'autre.

La convention n° 190 est la première norme internationale sur la violence et le harcèlement qui s'exerce « à l'occasion, en lien avec ou du fait du travail » . Elle prévoit l'instauration de moyens de protection et de prévention, et souligne la nécessité de garantir des voies de recours et de réparation. Elle incite également les cent quatre-vingt-sept États membres de l'OIT à mettre en place des orientations, des formations et des actions de sensibilisation en ce domaine.

Le champ d'application de la convention est très large puisqu'elle entend protéger les salariés, les apprentis, les stagiaires, mais également les demandeurs d'emploi et les bénévoles. Elle appelle, par ailleurs, à une vigilance renforcée à l'égard des travailleurs les plus exposés à la violence du fait de leur appartenance à certains groupes vulnérables comme les personnes handicapées, les LGBT, les migrants et les personnes en situation de précarité. En outre, ses stipulations s'appliquent « à tous les secteurs, public ou privé, dans l'économie formelle ou informelle » .

La convention impose aux parties de proscrire toute violence ou harcèlement fondés sur le genre, et d'identifier les secteurs, professions et modalités de travail les plus exposés. Enfin, comme je l'indiquais précédemment, elle souligne l'importance des actions de formation et de sensibilisation à la violence et au harcèlement.

Ainsi, cet instrument, dont la portée est historique, propose une définition universellement admise en droit international de la violence et du harcèlement au travail, ainsi qu'une réponse globale pour lutter contre ce fléau. Ses dispositions visent en premier lieu les femmes, qui sont les principales victimes des actes de violence sexiste et sexuelle en milieu professionnel.

Pour l'examen de ce projet de loi, j'ai souhaité auditionner l'ensemble des parties prenantes afin d'avoir une vision complète du sujet. J'ai ainsi sollicité l'OIT elle-même, les organisations syndicales et patronales, un collectif d'ONG et d'associations, les commissaires du Gouvernement et le cabinet de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion. L'ensemble des personnes entendues a salué l'ambition et l'équilibre des dispositions de la convention, de même que le rôle moteur joué par le Gouvernement lors des phases de négociation pour faire de ce texte un instrument international ambitieux. Pour rappel, la France prendra, au 1 er janvier prochain, la présidence du Conseil de l'Union européenne ; notre pays devra alors jouer un rôle clé pour que, d'une part, les États membres ratifient puis appliquent les dispositions de la convention n° 190 dans des délais raisonnables et, d'autre part, que cette cause soit l'une des priorités fixées pour cette présidence. Pour ce faire, la France devra montrer l'exemple en appliquant les dispositions de cette convention de manière ambitieuse.

Il convient enfin de souligner que, deux ans après la ratification, la France devra adresser à l'OIT un rapport sur l'application de la convention sur son territoire. Cela implique d'ouvrir des négociations avec les partenaires sociaux afin d'améliorer les normes en vigueur et intégrer ainsi ces apports au bilan.

Notre gouvernement s'est exprimé à diverses reprises sur le sujet, notamment lors du Grenelle des violences conjugales, ce qui a permis l'adoption de nouvelles mesures pour lutter contre les violences faites aux femmes. C'est une avancée dont nous pouvons nous réjouir.

Cependant, à l'instar des organisations syndicales et des ONG, je regrette que la ratification de cette convention se fasse à droit constant. En effet, pour obtenir une très large adhésion des États membres de l'OIT, les stipulations considérées comme les plus sensibles ou les plus ambitieuses ont été renvoyées à la recommandation n° 206, dépourvue de valeur normative.

Selon l'exécutif, la convention n'appelle pas l'adoption de nouvelles dispositions législatives. Toutefois, sa ratification aurait pu être l'occasion d'un réexamen du cadre juridique relatif à la lutte contre les violences et le harcèlement au travail.

À ce titre, mon rapport contient sept mesures visant à renforcer notre arsenal juridique et notre réponse face à ce phénomène : dresser le bilan de la mise en place des référents harcèlement et apporter les ajustements nécessaires pour garantir leur efficacité ; imposer aux cadres et aux personnels des ressources humaines une obligation de formation en ce domaine ; étendre le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre aux cas de violence et de harcèlement au travail ; inclure un volet consacré au sujet dans le travail d'élaboration du prochain « plan santé au travail » (PST 4) ; faire de cette question un thème obligatoire des négociations annuelles sur la qualité de vie au travail ; créer de nouveaux droits pour les victimes, en s'inspirant des meilleures pratiques à l'étranger, comme celles de l'Espagne par exemple ; enfin, protéger les victimes de violences domestiques contre le licenciement.

Bien entendu, ces propositions n'appellent pas de modification de la convention. Ce sont des voeux que j'émets pour continuer à améliorer la protection des femmes victimes de violences.

Pour conclure, je préconise l'adoption de ce projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale le 23 juillet dernier. Huit pays ont d'ores et déjà ratifié la convention : l'Argentine, l'Équateur, la Grèce, Maurice, la Namibie, la Somalie, ainsi que deux pays où le texte est déjà entré en vigueur, à savoir Fidji et l'Uruguay.

La France est quant à elle suspendue à un débat sur la nécessité d'une autorisation européenne, la Commission européenne considérant que certaines parties de l'instrument relèvent de la compétence exclusive de l'Union. Je souligne toutefois que la Grèce a décidé de faire cavalier seul en ratifiant cette convention sans attendre le feu vert du Conseil de l'Union européenne.

L'examen de ce projet de loi en séance publique est prévu au Sénat le jeudi 28 octobre prochain, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.

Je termine en rappelant que ce sujet nous concerne tous dans notre humanité, et doit nous rassembler au-delà des clivages politiques.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Organisation internationale du travail

M. Cyril Cosme , directeur du bureau de l'OIT en France

Organisations syndicales

• Mme Marjorie Alexandre , secrétaire confédérale en charge de l'international, Force Ouvrière

• Mme Sophie Binet , dirigeante confédérale en charge de l'égalité entre les femmes et les hommes, CGT

• Mme Béatrice Clicq , secrétaire confédérale en charge de l'égalité entre les femmes et les hommes, Force Ouvrière

Organisations non gouvernementales et associations

• Mme Ludovica Anedda , chargée de plaidoyer, Care France

• Mme Alice Bordaçarre , chargée de campagne Droits des femmes, ActionAid France

• Mme Anna van der Lee , secrétaire générale, Penser L'après

Cabinet de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion

Mme Christelle Akkaoui , conseillère droit du travail, vie et santé au travail

Commissaires du Gouvernement

• Mme Gaëlle Arnal-Burtschy , chargée des affaires internationales, ministère du travail, de l'emploi et de l'insertion

• M. Bruno Campagne , adjoint à la cheffe du bureau des relations individuelles du travail, ministère du travail, de l'emploi et de l'insertion

• M. Martin Denis , responsable de projet OIT, ministère du travail, de l'emploi et de l'insertion

• M. Jérémie Petit , chef de pôle, direction des Nations unies et des organisations internationales, ministère de l'Europe et des affaires étrangères

• Mme Charline Thiéry , rédactrice, mission des accords et traités, ministère de l'Europe et des affaires étrangères

Contributions écrites

• CGT, CARE France et ActionAid France

• CFE-CGC

• CFDT


* 1 Les grandes orientations de l'OIT sont établies par la Conférence internationale du travail qui se réunit une fois par an, à Genève. Cette conférence annuelle rassemble les délégués des gouvernements, des travailleurs et des employeurs des 187 États membres de l'Organisation.

* 2 Le devoir de vigilance est une obligation imposée aux multinationales d'être vigilantes dans toutes leurs activités, et de respecter une norme dite de « diligence raisonnable » qui renvoie à une procédure de gestion continue, qu'une entreprise raisonnable et prudente se doit de réaliser pour respecter les droits humains ( cf. loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre).

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